Chapitre 3🪽

Le rythme cardiaque de Saya défiait toutes les statistiques. Elle soutenait le lien ! Le vrai ! Si son père avait été là, cela aurait probablement été le plus beau jour de sa vie, tout comme elle. En tout cas, si elle survivait à la prochaine heure.

La fille était désormais inconsciente et le brouillard de Franck était tombé à point nommé, mais des coups de feu avaient été tirés et le chevalier du feu avait balancé une flamme gigantesque sur Franck. Elle n'osait l'appeler, de peur de se faire repérer, mais si son brouillard tenait, c'était sans doute qu'il était encore vivant. L'autre étudiante n'avait sans doute pas eu cette chance, en revanche.

Un pas lent après l'autre, Saya traînait le corps du lien en direction de la route. Ce campus était immense ! Par chance, en passant, elle avait découvert cette blonde aux ailes d'ange. Leur cible était à l'autre extrémité du campus, c'était donc le destin qui les avait réunis. Une preuve de plus qu'elle était dans le droit chemin.

— Saya !

La voix de Franck résonna à quelques pas d'elle, puis une main lui toucha l'épaule. Il était vivant et en pleine forme.

— C'est par-là, poursuivit-il à voix basse en corrigeant la trajectoire de Saya.

Elle ignorait comment il faisait, mais il savait toujours exactement où il était, lorsqu'il déclenchait son brouillard magique. Derrière eux, les étudiants continuaient de se lamenter sur les événements. Quelqu'un était en ligne avec la police, il ne fallait donc pas traîner ici. Franck prit la blonde ailée dans ses bras et ils avancèrent bien plus vite. En moins d'une minute, ils rejoignirent leur pickup brun, toujours dans le brouillard. Franck déposa son fardeau sur la banquette arrière et lui injecta le tranquillisant qu'ils avaient préparé pour Michael.

— Elle est plus légère, ne met pas tout ! intervint Saya alors qu'il introduisait l'aiguille sous la peau.

— D'accord, chuchota Franck. Dis-moi stop.

Saya ignorait le poids de cette fille et ne connaissait pas les dosages par cœur non plus. Elle n'avait rien d'une chimiste ou d'une pharmacologiste. Elle estima que les trois quarts de la solution devraient suffire et arrêta Franck au jugé. Ils grimpèrent ensuite à l'avant et quittèrent le campus à allure modérée, en partie protégés par le brouillard.

Saya savait, depuis le temps, que Franck était capable de maintenir son brouillard de façon indéfinie tant qu'il restait à proximité. À distance, l'exercice était bien plus compliqué et, passé une centaine de mètres, il n'avait plus aucun contrôle sur les microgouttelettes. D'ici quelques secondes, la brume s'éparpillerait et leurs ennemis constateraient qu'ils étaient partis. Avec un peu de chance, ils seraient déjà sur Wood Canyon Drive, dans le trafic.

À peine sortie du campus, Saya, au volant, accéléra légèrement pour s'éloigner au plus vite. Franck se dévissa le cou pour observer derrière eux.

— J'ai l'impression qu'on est bon, pour le moment, déclara-t-il après dix secondes d'observation attentive.

Saya, qui avait effectué les mêmes vérifications par l'intermédiaire des rétroviseurs, s'autorisa un soupir et un regard vers la banquette arrière.

— J'y crois à peine, Franck, souffla-t-elle. On l'a récupérée.

— Tu parles d'un coup de chance, sourit-il. À cinq secondes près, on récupérait un cadavre.

Saya acquiesça. Elle n'avait jamais vu aucune des deux filles, mais il ne faisait aucun doute, selon elle, qu'il s'agissait de chevaliers.

— Du feu, je dirais.

— Sans blague, s'esclaffa Franck. J'ai bien cru que j'allais finir rôti, sur ce coup-là.

Saya n'avait pas tout vu et Franck lui détailla l'attaque. Sa défense en particulier. Lorsque la blonde aux cheveux immenses avait balancé sa flamme, Franck n'avait eu qu'une petite seconde pour concentrer toutes les molécules d'eau présentes dans les environs afin de créer un mur d'eau.

— Mais le feu évapore l'eau, contra Saya. T'as eu de la chance un peu, non ?

Franck sourit. Un sourire victorieux qui voulait dire qu'il était plus malin qu'elle le pensait. La vérité était qu'elle savait qu'il était intelligent. Cependant, elle avait déjà tenté d'éteindre un feu avec de l'eau et c'était loin d'être aussi simple. La puissance de la flamme qu'il avait contrée semblait bien supérieure au fin rideau d'eau qu'il avait dressé devant lui.

— Sauf que je maîtrise l'eau, ma chère.

Elle sourit. Elle aimait lorsqu'il prenait cet air de professeur d'université.

— Je récupère la vapeur immédiatement pour réalimenter le mur, précisa-t-il. Même s'il était fin, aucune forme de chaleur n'aurait pu en venir à bout. C'est ce que Raiponce a dû comprendre, voilà pourquoi elle a laissé tomber.

— Raiponce ?

— Oui, répliqua-t-il en haussant les épaules. Elle est blonde et a des cheveux qui lui touchent les cuisses, c'est Raiponce.

Saya n'insista pas et s'engagea sur l'autoroute 73 vers le nord. Là, elle demanda à Franck de prévenir Niel.

Dix minutes plus tard, en passant sous un large pont, un peu avant l'échangeur de la 133, ils embarquèrent dans un conteneur, chargé sur un camion. Franck lança un signe à Niel, tandis que Saya avançait doucement vers le fond du conteneur. Trois secondes après elle, un SUV noir embarquait à son tour.

— Vous l'avez eu ! déclara Niel avec un pouce levé. Bien joué.

Malgré tout, il ne s'attarda pas à observer leur invitée et se contenta d'un check avec Franck avant de faire de même avec sa grande sœur.

— Allez, en route ! lui dit-elle en lui faisant signe de se dépêcher.

Ils avaient choisi ce pont précisément pour son absence de caméra, mais s'ils restaient à l'arrêt trop longtemps, cela attirerait inévitablement l'attention.

— À vos ordres, boss ! fit-il avec un salut militaire approximatif avant de descendre du conteneur et de refermer derrière lui.

Niel avait eu la bonne idée de laisser les phares du SUV allumés et Saya décida d'allumer plutôt ceux du pickup pour préserver la batterie de leur second véhicule. Le temps qu'elle fasse cela, une légère secousse leur indiqua que Niel avait pris la route.

— Cette fois, je crois qu'on est vraiment hors de danger, déclara Franck en la prenant dans ses bras.

— Il faut encore quitter le pays, mais on est bien, lâcha-t-elle. J'aurais tellement aimé que mon père soit là pour voir ça.

Depuis toute petite, Eric Lodlik III l'avait nourrie aux légendes du Pentacle et des dragons. Pendant des années, Saya avait eu du mal à comprendre pourquoi son père passait tant de temps à l'étranger. Lorsqu'elle avait atteint l'âge de dix ans, il avait décidé de tout lui expliquer et, dès lors, elle avait été sa plus fidèle assistante. À tel point qu'elle refusa de suivre sa mère, lorsque le divorce fut prononcé. Niel, encore trop jeune, préféra rester avec sa maman et la fratrie fut détruite. En tout cas, jusqu'à la mort d'Eric Lodlik III, six ans plus tard...

Aujourd'hui, Saya estimait avoir parachevé l'œuvre de son père. Elle espérait qu'où qu'il soit, il était fier d'elle.

— Sans aucun doute, répliqua Franck avant de l'embrasser tendrement. Moi, je le suis, en tout cas.

Elle lui sourit avant de décider de transborder la jeune femme dans le SUV. Ils ignoraient tout d'elle. Saya avait vérifié, seul Michael Manner était né le treize février parmi les élèves inscrits à Soka. Soit il y avait eu une erreur sur sa fiche d'inscription soit elle ne faisait pas partie des étudiants.

Franck fouilla dans les poches de leur captive dans l'espoir d'obtenir des informations, mais elle n'avait qu'un baume à lèvres sur elle.

— À la mangue, précisa-t-il en appliquant une couche sur ses lèvres. C'est pas mauvais.

Saya se lamenta intérieurement. Il allait falloir attendre qu'elle reprenne connaissance pour en savoir plus sur cette fille. Ils l'installèrent au mieux sur la banquette arrière du SUV et la couvrirent d'une couverture pour que ses ailes ne soient plus visibles. Se promener avec une ado endormie à l'arrière ne poserait pas de problème particulier. En revanche, les quatre ailes qui lui sortaient du dos, c'était une autre histoire.

— Va falloir lui dégoter des vêtements aussi, nota Saya en fermant la porte arrière.

— Alors ça, c'est bien le dernier de mes soucis. Si on peut déjà aller jusqu'à l'avion sans croiser un flic, ça sera bien. Aller faire les boutiques, on verra ça plus tard !

Saya grimaça. Franck avait raison. Tout pouvait encore basculer au moindre faux pas. Cependant, ils avaient de bonnes raisons de se réjouir : ils avaient réussi à sauver la bonne !

— Certes, avoua Franck avec une grimace. N'empêche qu'on est toujours coupables d'enlèvements et que ce dernier était loin d'être discret. On aura de la chance si on ne voit pas nos bouilles au journal télé de ce soir.

— Tâchons d'être partis d'ici ce soir, alors...

— Excellente idée ! conclut-il.

Un quart d'heure plus tard, alors que Saya commençait à sérieusement somnoler, leur camion décéléra et ce fut le signal. Franck prit le volant cette fois et Saya s'installa à côté. À peine eut-elle fermé sa portière que le conteneur s'ouvrait et la rampe se dépliait.

De nouveau, ils étaient dans un tunnel. Celui-ci avait été choisi pour son manque de caméra, bien sûr, mais aussi et surtout pour la possibilité qu'il offrait de faire demi-tour sans avoir à en sortir. Ainsi, Niel put poursuivre sa route dans la même direction, tandis que Saya, Franck et leur invitée rebroussaient chemin dans un tout nouveau véhicule. Franck avait montré des réserves, lorsqu'elle lui avait exposé son plan, mais force était de constater qu'il se déroulait à merveille.

— Direction San Diego ! annonça-t-elle en posant les pieds sur le tableau de bord.

Elle ne faisait pas que s'en donner l'air, elle était réellement confiante sur leurs chances de réussite.

Le trajet jusqu'à San Diego se déroula sans le moindre problème. Aucun véhicule suspect ne les suivait. Aucun contrôle de police sur la route. La police avait sans doute mis la priorité sur la recherche de la femme qui avait tiré plutôt que sur un éventuel enlèvement. À moins qu'ils aient simplement eu de la chance.

Quoi qu'il en soit, ils arrivèrent à San Diego en milieu d'après-midi et décidèrent d'attendre le coucher de soleil avant de pouvoir extirper l'étudiante de leur SUV. Si les estimations de Saya étaient justes, leur otage dormirait encore six ou sept heures. Il faudrait donc la porter depuis le véhicule jusqu'au jet. Même si leur zone d'embarquement était relativement à l'écart, il y avait toujours du monde au niveau des hangars et il était hors de question de prendre le moindre risque. En attendant la nuit, ils allaient devoir faire profil bas.

— Petite pause bucolique ? proposa Franck en passant devant un parc.

Un panneau indiquait Waterfront Park. Une immense étendue d'herbe parfaitement tondue séparait la route de l'intérieur du parc. Plus loin, Saya découvrit une aire de jeu pour enfants, quelques joggers et un grand bâtiment dont l'utilité lui était inconnue. Plus loin, la ville et les tours de verre reprenaient leur droit. À l'opposé, c'était la baie de San Diego.

Saya sourit et accepta la proposition. Il n'allait pas pouvoir faire de tourisme aujourd'hui, mais peut-être que se dégourdir un peu les jambes sans quitter le véhicule des yeux était une bonne idée après trois heures de route. Elle descendit la première et, aussitôt Franck hors du véhicule, il fut interpelé par un policier.

— Merde ! D'où il sort, lui ? chuchota Franck.

— Vous ne pouvez pas rester là, aujourd'hui ! déclara le policier qui était encore à bonne distance.

L'homme en uniforme était poli et souriant. Saya en déduisit qu'excepté leur emplacement, il n'avait rien à leur reprocher. Elle s'excusa donc sans faire de manière.

— Je suis désolé, répliqua le policier. En temps normal, vous pourriez stationner ici, mais on prépare un événement pour demain et des camions vont occuper ces emplacements. Les voilà d'ailleurs.

Il pointa derrière Saya et elle se tourna pour apercevoir, quelque deux-cents mètres plus loin, la silhouette de plusieurs semi-remorques en approche.

— Bien, monsieur l'agent, répondit Franck. On s'en va.

Et tandis qu'il faisait demi-tour en sortant la clé de sa poche, un bruit sourd s'éleva de la voiture. Puis un second, attirant l'attention du policier.

— Vous avez quoi là-dedans ? demanda-t-il, soudain sur ses gardes, une main déjà en direction de son holster de ceinture.

— Rien, déclara Saya. C'est juste le chien qui veut sortir lui aussi. La route a été longue, vous savez...

Les coups reprirent avec une régularité qui n'avait rien de comparable avec ceux qu'auraient pu donner un chien.

— Je peux voir votre animal, madame ? insista le policier en retirant la sécurité de son holster.

Saya examina l'environnement. Il y avait beaucoup de circulation sur la route. Sur l'étendue d'herbes, deux femmes poussaient des poussettes. Trois jeunes militaires couraient dans leur direction et deux autres s'éloignaient au même rythme. Il allait être très compliqué de prendre la fuite.

— Madame ? insista le policier. Ouvrez cette porte !

Elle s'approcha lentement, pour ne pas provoquer le policier, Franck activa l'ouverture à distance, puis Saya ouvrit la portière arrière. Lorsque le policier découvrit la jeune fille groggy, il voulut appeler des renforts et appuya sur le bouton de sa radio, accrochée à son épaule. Il ne put cependant rien dire, Franck étant en train de l'assécher.

Ce spectacle était toujours aussi ignoble à observer. Franck avait la capacité de contrôler la moindre molécule d'eau, quels que soient son état et son emplacement. Le corps humain étant composé à 70 % d'eau, il pouvait déshydrater n'importe qui en quelques secondes.

Cela se passait toujours de la même façon. D'abord la surprise chez la victime. Saya ignorait ce qu'elle pouvait bien ressentir exactement, mais chaque fois c'était la même chose : elle comprenait que quelque chose de grave lui arrivait. Deux secondes plus tard, les premières douleurs se manifestaient et la peau de la victime semblait flétrir à vitesse grand V. Certaines personnes se débattaient à ce moment, parfois c'était comme une crise de spasmophilie. En manque d'eau, les muscles avaient tendance à se contracter à l'extrême. La phase suivante était la perte de contrôle, puis l'évanouissement. Saya avait appris que si Franck arrêtait son action n'importe quand avant l'évanouissement ou juste après, la victime pouvait encore être sauvée par un traitement médical approprié. Le policier en était précisément à ce point de bascule et s'effondra sur le bitume.

Saya referma la porte et Franck se précipita pour monter dans son véhicule, côté conducteur.

— Hey ! qu'est-ce qui se passe ? demanda soudain une voix jeune, mais dans laquelle pointait une assurance impressionnante.

Saya s'arrêta dans son geste et jeta un regard en direction de la voix. Les trois militaires qui faisaient leur footing étaient arrêtés à leur niveau, à peine essoufflés et prêts à en découdre.

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