Chapitre 27🪽
Après cette dernière attaque, les choses avaient été très vite et Alaynah se demandait si tout était bien réel. Son plumage avait été percé de deux balles sans qu'elle en souffre le moins du monde. Seules quelques plumes avaient été perdues. C'était Saya, devant elle, qui avait reçu les balles qui auraient pu la tuer.
Alaynah avait eu besoin de longues secondes pour réaliser que la femme était gravement blessée. Il avait fallu que Franck fasse mention des trous dans sa doudoune, en réalité. Même là, Alaynah avait eu du mal à comprendre de quoi il retournait, trop occupé qu'elle était à vérifier qu'elle n'avait rien elle-même.
Lorsque Noa hurla que tout était fini, quelques secondes plus tard, le brouillard s'était soudain levé, révélant la demi-douzaine de cadavres sur le sol devant le hangar. Alaynah avait évité de les regarder et s'était jeté dans les bras d'Arken à la fois soulagée de le retrouver vivant et pleurant comme jamais.
Il avait retenu un petit cri lorsqu'elle l'avait serré contre elle et ce ne fut qu'à ce moment qu'elle remarqua qu'il était dans un sale état. Son œil droit était presque fermé tant il était gonflé. Sa lèvre inférieure, côté gauche, était fendue et avait doublé de volume. Par ailleurs, il peinait à se tenir droit sur ses deux jambes.
— Est-ce que tu es gravement blessé ? avait-elle alors demandé, se sentant aussitôt stupide de poser une telle question.
Arken l'avait gratifié d'un ersatz de sourire avant de la rassurer à demi : il allait bien, ce n'était pas grave. À en juger par la difficulté qu'il avait eu à s'exprimer, Alaynah n'en fut pas tout à fait convaincue, mais avait accepté cette réponse.
Noa avait ensuite pris les choses en main comme si ce genre d'événement n'avait rien d'extraordinaire à ses yeux. Elle avait ordonné à Franck d'appeler les secours tout en lui expliquant ce qu'il allait devoir dire à la police, lorsque cette dernière l'interrogerait. Elle chargea Arken de récupérer le cœur de Tohlen, puis Shala prit la fuite en transportant le lourd monstre marin avec quatre de ses six pattes. Cela avait été étrange de le voir décoller comme il aurait monté un escalier en colimaçon, avant de fondre sur Tohlen, tel un rapace sur une proie, puis de repartir en battant de ses deux immenses pattes avant.
À présent, plus d'une demi-heure plus tard, Noa était au volant de leur véhicule et Alaynah restait à l'arrière, cramponnée au bras d'Arken, silencieux depuis leur départ. Noa avait avoué qu'elle ignorait où aller, mais souhaitait mettre un maximum de distance entre eux et l'aérodrome. Elle avait ordonné à son dragon de retourner à la propriété de Saya, à presque cinq cents kilomètres de là. C'était le seul endroit où elle avait la certitude que personne ne pourrait tomber dessus par hasard. Nolak était toujours à proximité de la grande maison, même sous terre. Il était donc aussi simple d'avoir les trois derniers dragons non loin les uns des autres.
— Il va nous falloir un nouveau plan, déclara Noa en s'insérant sur l'échangeur de l'autoroute 8.
— Pourquoi ? demanda Arken sans relever la tête. Ils n'ont sans doute plus personne à ton QG. C'est le moment idéal pour attaquer, au contraire.
— T'es sérieux ? s'étouffa Noa. On n'est plus que toi et moi, je te rappelle ! Et t'es pas beau à voir, sans vouloir t'offenser. Tu veux traverser la moitié du globe et frapper directement là où ils sont les plus forts ?
Saya était certainement à l'hôpital, à l'heure actuelle, et Franck serait sans le moindre doute sous la surveillance de la police. Il avait appelé les secours sur les lieux d'une fusillade de grande ampleur, on allait vouloir des explications et c'était le seul à pouvoir en donner. Aucun d'eux n'avait de titre de séjour ou de papier en règle en Allemagne, cela n'allait donc pas leur faciliter les choses.
Niel, coincé dans l'espèce de glue que crachait Tohlen, avait finalement reçu deux balles. Une en pleine poitrine et l'autre dans le dos. Arken avait supposé qu'il s'agissait de balles perdues, mais le résultat était le même : il était mort.
Noa avait eu beau expliquer à Franck qu'il devait invoquer l'immunité diplomatique, cela n'allait pas le protéger éternellement. La fille du feu comptait sur les ressources des martyrs pour les sortir de cette situation, mais elle avait aussi avoué ne plus avoir la moindre autorité dans la secte. Ses anciens collègues venaient d'essayer de la tuer. Tout cela s'annonçait plutôt mal, c'était certain.
Et maintenant, Arken voulait frapper au cœur de la ruche !
— Je crois qu'on n'a pas le choix, en fait, insista-t-il sans élever la voix. D'après ce que j'ai compris, même si Franck parvient à gagner un peu de temps, très vite, l'ambassade américaine assurera à la police allemande qu'ils n'ont jamais eu de lien avec lui, Saya ou Niel. À partir de là, ça sera la prison. Ici ou bien aux USA, mais le résultat sera le même.
Il marqua une courte pause pour laisser le temps à Noa de le contredire, peut-être. Comme elle ne répliqua rien, il poursuivit sur le même ton.
— Si les martyrs peuvent vraiment faire quelque chose pour eux, il faut qu'ils le fassent vite, décréta-t-il. Genre tellement vite qu'on est déjà en retard. Donc, oui, je pense qu'il faut attaquer le QG et que tu prennes le pouvoir sur les martyrs ou je sais pas.
Noa jeta un œil dans le rétroviseur intérieur et offrit un sourire moqueur à Arken.
— Tu veux que je prenne le pouvoir chez les martyrs ? répéta-t-elle.
Arken acquiesça en silence.
— Tu crois que tu peux faire ça ? demanda Alaynah dubitative.
— Pas la moindre idée, admit Noa.
Il y eut un court silence qu'Alaynah n'osa pas briser. Elle observa Noa dans le rétroviseur. Elle semblait perdue en pleine réflexion. À tel point qu'Alaynah se demanda si elle faisait toujours attention à la route et aux autres véhicules autour d'eux.
— Mais je crois que je sais par où commencer, en fait, soupira enfin Noa.
Sans prévenir, elle donna un coup de volant pour emprunter la sortie qu'elle était sur le point de dépasser. Coupant la trajectoire d'un autre véhicule, elle s'excusa à mi-voix lorsque la conductrice klaxonna avec colère.
— Tu fais quoi ? demanda Arken après s'être remis du choc du virage.
— On n'a pas besoin d'aller jusqu'au QG pour aider Saya et Franck, en fait, répondit-elle soudain pleine d'une fougue nouvelle. Tout ce qu'il nous faut, c'est un bureau du réseau Witness. Je ne connais pas celui de l'Allemagne, mais je suis déjà allée dans celui de Suisse.
— Mais c'est hyper loin ! s'offusqua Arken.
— Beaucoup moins que le Texas, répliqua Noa avec le sourire.
Arken ne trouva rien à répondre à cela. Ils avaient dorénavant un nouveau plan. Une ébauche, tout du moins. Lorsqu'Alaynah voulut plus de détails, Noa dut admettre qu'elle y travaillait encore.
Elle savait, parce que c'était déjà arrivé, que les martyrs étaient capables d'infiltrer certaines bases de données gouvernementales. Le formateur de Sophia, Trigor, avait pu être tiré d'affaire en Espagne, lorsqu'elle était encore en primaire. Il avait été arrêté alors qu'il avait été pris dans une bagarre de rue. À cette époque, même s'il venait de récupérer Sophia sous sa garde, il voyageait encore beaucoup et s'amusait parfois à jouer les justiciers. Cette fois, pourtant, la police avait débarqué avant qu'il ne puisse fuir et il avait fini dans une prison espagnole. Ethan, le père adoptif de Noa, lui avait alors expliqué qu'il s'était fait passer pour un employé diplomatique, ce qui complexifiait excessivement les procédures et laissait par ailleurs le temps aux martyrs de falsifier quelques documents pour le sortir de ce mauvais pas.
Noa souhaitait donc faire la même chose pour Saya et Franck. La différence majeure étant qu'ils étaient tous les deux impliqués dans une tuerie sur un sol étranger et qu'elle n'avait normalement plus aucun droit au sein des martyrs.
— En gros, c'est pas gagné, conclut Arken une fois qu'elle eut terminé son exposé.
— Non, admit-elle. Mais ça ne sera pas plus difficile que de le faire depuis les États-Unis et au moins on n'aura pas à affronter Calvin et potentiellement une armada de martyrs.
— Parce que tu vas nous emmener dans un bureau où il n'y a personne ? s'étonna Arken.
— Non, mais il y aura bien moins de monde.
— OK.
Noa dut être étonnée de cette réponse, car elle leva les yeux vers le rétroviseur pour dévisager Arken pendant quelques secondes.
— Par contre, je suis désolée, Al, mais c'est beaucoup trop dangereux de t'emmener là-bas. Il suffit que l'un d'entre eux décide de jouer les héros ou soit armé et c'est la fin.
— Ce n'est vraiment pas grave, sourit Alaynah. Je resterai à l'écart avec Arken et puis c'est tout.
— Euh...
— J'avais prévu qu'il vienne avec moi, grommela Noa. Au cas où ça e se passerait pas bien.
— Et moi, je ne comptais pas la laisser toute seule non plus, insista Arken.
— Tu veux encore aller te battre, dans ton état ? se plaignit-elle.
— Elle aura besoin de moi, si ça se passe mal, contra-t-il avec douceur.
Alaynah se sentit gênée sans vraiment comprendre pourquoi. Était-ce une sorte de jalousie qui l'étreignait soudain ? Probable, admit-elle en son for intérieur, mais ce n'était pas tout.
Se retrouver sans Arken ne lui plaisait pas vraiment, mais elle comprit qu'elle serait totalement seule pendant un moment. Sans la moindre protection. Ce plan lui sembla soudain bien moins sûr. Que se passerait-il si qui que ce soit la repérait ? Et qu'adviendrait-il d'elle si les martyrs gardaient Arken et Noa prisonniers ? Et puis...
— Je connais un endroit sûr où tu pourras te cacher, déclara Noa, interrompant l'emballement de ses réflexions. C'est tout près, donc tu ne seras pas seule trop longtemps. Il y a des armes, tu pourras te défendre au cas où.
— Et si vous êtes tués là-bas ? cracha-t-elle presque.
Arken pouffa et Noa se laissa elle aussi aller à sourire.
— Ce sont des martyrs de bureau, si je peux dire. Au pire, ils arriveront à prendre l'un de nous par surprise, mais pas nous deux. Je n'y crois pas. Nous ne mourrons pas tous les deux, crois-moi !
— Je veux qu'aucun de vous ne meure, grogna Alaynah. Il y a eu assez de morts comme ça.
Alaynah planta son regard dans celui de Noa à travers le miroir et le soutint aussi longtemps que possible. Ce fut la fille du feu qui détourna les yeux la première, l'air coupable.
— On a encore au moins quatre ou cinq heures de route, lâcha-t-elle en se concentrant sur le trafic. Ça nous laisse le temps de réfléchir à une solution de rechange, mais je pense que c'est notre meilleur plan, compte tenu des circonstances.
Alaynah se redressa sur son siège, rompant le contact avec Arken. Elle voulait se mettre dans les meilleures conditions pour trouver une autre solution. Elle était déjà terrorisée à l'idée de se retrouver seule dans un endroit perdu et en pays étranger. Certes, leurs ennemis les plus puissants avaient été éliminés, mais de ce qu'elle en savait, les martyrs étaient plein de ressources. Ils finiraient bien par trouver un moyen de lui faire du mal.
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