Chapitre 24🪽

Arken avait toujours du mal à faire confiance à cette Noa, pourtant il devait bien avouer qu'elle n'avait rien fait d'autre que les aider depuis qu'elle s'était présentée seule aux portes de la maison de Saya. Ses connaissances semblaient compléter à merveille celles de leur experte sur le sujet. Et puis, elle était sympa, en vérité. Alaynah l'appréciait. Tout le monde l'appréciait. Pourtant, pour une raison qu'il n'arrivait pas à définir, il gardait des réserves à son sujet.

Même à présent, alors que le jour se levait tranquillement à l'extérieur de leur Airbnb, tandis qu'elle observait Alaynah en silence, Arken se demandait si elle envisageait un plan pour l'assassiner. Il était pourtant évident que si cela avait été son objectif, elle avait eu mille occasions. Elle n'avait donc forcément pas d'arrière-pensée belliqueuse.

Arken secoua la tête pour se défaire de cette obsession. Il fixa son attention sur Alaynah, à quelques mètres de lui. Elle avait déplié ses quatre ailes et jouait avec leur inclinaison pour se laisser porter par le vent. En quelques jours, et sans sortir beaucoup, elle avait fait d'énormes progrès. Une semaine plus tôt, elle était incapable de bouger les bras sans que ses nouveaux membres suivent le mouvement. Aujourd'hui, si elle avait encore un peu de mal à les diriger séparément, elle était tout de même capable de mouvoir les uns sans les autres et inversement. En ce qui concernait l'inclinaison, il semblait qu'elle avait eu le déclic la veille. Grâce à cette nouvelle aptitude, Alaynah était capable de décoller légèrement avec la faible brise de ce début de matinée. Voir le sourire illuminer son visage à chaque nouvelle tentative, suffisait à Arken pour oublier toute autre considération.

À la voir si heureuse de pouvoir presque voler, comme elle le disait elle-même, il était difficile d'imaginer que cette fille venait de tout perdre. Elle avait beau avoir pleuré pendant des heures à cause de toute cette histoire, elle n'en montrait pas moins une incroyable capacité de résilience. Arken était admiratif.

— Il faut que tu rentres, Al, lança soudain Noa.

D'un coup, sans prévenir, le chevalier du feu s'était mise à l'appeler Al. Alaynah n'avait rien dit et Noa avait continué depuis leur atterrissage, la veille, à l'aérodrome de Weißenhorn.

— Tu es sûre ? râla Alaynah.

— À toi de voir à quelle vitesse tu veux qu'on se fasse repérer, répliqua Noa.

Elle agissait souvent comme leur cheffe et, tout compte fait, c'était peut-être ça qui dérangeait Arken. Il n'avait pas de problème à être sous les ordres d'une femme. Il avait par exemple accepté très facilement la supériorité hiérarchique de Saya. Noa, d'un autre côté, était la dernière arrivée, la plus jeune et était leur ennemie trois jours plus tôt.

— Tu ne peux pas rester dehors trop longtemps, poursuivit le chevalier du feu. Même si on est perdus en pleine campagne, tu ne sais jamais où ni quand peuvent surgir les martyrs.

— Tu voudrais peut-être qu'elle passe ses journées enfermée ? s'emporta Arken. Elle a quand même le droit de vivre, non ?

Cette seconde phrase était sortie avec un peu moins d'agressivité et il s'en félicita. Il ne voulait pas déclencher une nouvelle querelle entre eux. Il fallait pourtant qu'elle comprenne qu'Alaynah avait les mêmes besoins d'air que tout le monde.

— En vérité, répliqua Noa après un soupir, je voudrais qu'elle soit libre, tout comme toi, mon petit Arken. Seulement, je sais qu'on ne voit les martyrs qu'après qu'eux nous ont vus, la plupart du temps. Et à ce moment, ils auront déjà prévenu le QG et il nous faudra encore partir précipitamment.

— On a dit qu'on allait les attaquer, argua-t-il. C'est d'ailleurs exactement pour ça que Franck et Saya ont été au fret cette nuit, non ?

— Tu as raison, oui, admit Noa tandis qu'Alaynah se rapprochait d'eux. Mais en attendant, nous n'avons l'avantage nulle part.

Arken soutint son regard une seconde, puis passa à Alaynah qui rentrait dans la maison sans leur accorder la moindre attention. Elle avait déjà répété plusieurs fois à Arken qu'il devait accorder sa confiance à Noa et, sur le principe, il était d'accord.

— Écoute, souffla Noa une fois la porte refermée derrière Alaynah, je sais qu'elle et toi, c'est particulier. Je respecte votre lien et... je pense pouvoir comprendre pourquoi tu te méfies de moi, même si je trouve qu'il est temps de passer à autre chose. Je sais que tu t'inquiètes pour Al, mais moi aussi, tu vois. Et je connais beaucoup mieux ton ennemi que toi.

— Allons le buter, cet ennemi, c'est tout, lâcha-t-il avant de suivre Alaynah à l'intérieur.

Il avait très envie de claquer la porte, mais la laissa ouverte histoire d'apaiser la tension entre eux. Il avança jusqu'à la grande cuisine où se trouvait le reste de leur équipe. Saya et Franck s'étaient levés et Franck s'occupait de faire cuire des œufs. Avec Saya, ils avaient fait quelques courses sur le chemin du retour depuis Stuttgart.

Derrière lui, Arken entendit la porte d'entrée, Noa les rejoignait, elle aussi. Saya faisait défiler l'affichage sur le téléphone portable qu'elle avait aussi acquis la veille, tandis que Niel grignotait déjà un morceau de pain.

— Argos vient de décoller, sourit-elle. On finit le petit-déjeuner et on décolle ensuite histoire de pouvoir le récupérer au plus vite à Houston.

— Ça me va, répondit Arken.

— Pareil, sourit Noa en s'asseyant en face de lui.

Elle lui adressa un petit sourire dont le sens exact lui échappa, mais il imaginait que c'était un genre de signe de paix. Il n'y répondit pas pour autant.

Pendant le repas, Alaynah expliqua les sensations que lui procuraient ses ailes dans la brise. Maintenant qu'elle les contrôlait un peu mieux, elle parvenait aussi mieux à les ressentir. Au lieu d'un chatouillis à un endroit indistinct, comme avant, elle était désormais capable de dire à quel endroit de quelle aile l'air poussait. Elle s'en étonnait elle-même.

Après le repas, ils nettoyèrent la petite maison et laissèrent les clés dans la boîte prévue à cet effet, avant de se diriger vers l'aérodrome à peine deux kilomètres plus loin.

— Il lui est arrivé quoi à ton avion ? demanda Arken en découvrant la carcasse d'une des ailes recouverte d'une étrange substance semi-transparente.

— De quoi tu... commença Niel en dirigeant son regard vers le jet. Oh non !

Il accéléra soudain le pas pour en avoir le cœur net.

— Non ! s'écria Noa. Attends !

À peine eut-elle prononcé ce dernier mot, un horrible rugissement vrilla les tympans d'Arken qui plaqua les paumes sur ses oreilles pour tenter d'atténuer la souffrance. Un courant d'air tiède, contrastant avec la froideur de l'air ambiant, passa près de lui et il entendit ensuite Niel pousser un cri de douleur.

Au moment où Arken tourna la tête vers lui, une rafale de mitraillette résonna sans qu'il puisse déterminer où les balles allèrent frapper. Alaynah hurla, à son tour, Saya cria de se mettre à l'abri, alors qu'ils étaient sur un terrain d'aviation et le seul abri visible était le hangar d'où provenaient les tirs.

Arken découvrit la même étrange gelée que sur l'avion, mais cette fois, la matière avait englué les deux jambes de Niel en dégageant une légère fumée bleutée. Sans doute la source de cette odeur infecte qui lui prenait les narines. Niel continuait de gémir, le visage tordu par la douleur, incapable de s'extraire de ce piège. Une nouvelle salve retentit, mais cette fois, Arken ne vit plus rien. Le brouillard venait de tomber comme si quelqu'un avait appuyé sur un interrupteur. Il reconnut la signature de Franck, ils étaient désormais camouflés, mais pas à l'abri pour autant. Les balles continuaient de siffler à intervalles réguliers et un impact à ses pieds le fit sursauter. Il répliqua en envoyant une large onde de choc des deux mains en direction de la provenance des tirs. Alors qu'il s'attendait à voir le brouillard se dissiper, il le vit à peine onduler sur une courte distance. Pour autant, son attaque toucha au moins une personne qu'il entendit chuter. Rassuré quant à sa capacité à passer à l'offensive sans se révéler à ses ennemis, il réitéra par trois fois en décalant ses ondes de choc de quelques degrés à chaque fois. Lorsque le cri immonde du dragon se fit entendre, Arken sut qu'il l'avait touché. Il fit cependant volte-face pour rejoindre ses alliés.

Derrière lui, quelque part en direction du hangar, Arken entendit des voix et, plus inquiétant encore, un drôle de raclement qui ne lui disait rien qui vaille. Il supposa que c'était le dragon de l'eau, Tohlen, qui se déplaçait. Il ne l'avait jamais vu, mais Saya l'avait décrit comme le monstre du Loch Ness. Elle avait même été jusqu'à expliquer que c'était lui qui était à l'origine du mythe en réalité. Raison pour laquelle personne n'avait jamais pu mettre la main sur le fameux monstre, puisque Tohlen avait ensuite été déménagé.

Tête baissée, plié en deux, Arken rebroussa chemin dans la direction qu'il espérait celle du véhicule qui les avait emmenés ici. Il avait du mal à voir ses mains au bout de ses bras et pourtant, il devait retrouver Alaynah. Ce déploiement de force, c'était pour elle. Les martyrs étaient armés et n'allaient sans doute pas se priver d'arroser la zone pour atteindre leur cible. Il avait gagné quelques secondes en attaquant à l'aveugle, mais la bataille ne faisait que commencer. Il fallait donc filer au plus vite pour mettre Alaynah à l'abri. Loin !

— Arken ? demanda la voix de Noa en un murmure à peine perceptible.

— Ouais ! répondit-il sur le même ton, juste avant de sentir qu'on lui touchait la hanche.

Il se retourna en sursaut, prêt à envoyer son onde de choc dévastatrice, lorsqu'il découvrit le visage terrorisé d'Alaynah. Elle se jeta dans ses bras sans un mot, le visage inquiet et Arken aperçut Noa à sa suite.

— Ne restons pas là, décréta-t-il, alors que deux salves simultanées résonnèrent encore.

Il y eut un nouveau son inidentifiable, mais différent du raclement, il fut ensuite suivi d'un bruit de succion et d'un cri assourdissant. Arken ne reconnut pas la voix et imagina qu'il s'agissait d'un des techniciens de l'aérodrome que le brouillard avait poussé à sortir pour comprendre ce qu'il se passait.

— Arrosez-moi tout ça ! ordonna quelqu'un, juste avant que plusieurs mitraillettes se mettent à tirer en continu.

Par réflexe, Arken se ratatina un peu plus sur lui-même et continua de progresser accroupi, suivie d'Alaynah et, il le pensait en tout cas, Noa. Étonnamment, aucune balle ne les atteignit et Arken commençait à imaginer qu'ils jouissaient d'une chance incroyable.

— Par ici ! entendit soudain Arken en stoppant tout mouvement.

— Oh non ! soupira ensuite Noa à voix basse.

Les tirs s'arrêtèrent d'un coup et seuls quelques bruits de pas et ce fameux raclement restaient audibles.

— Quoi ? chuchota Arken, sans plus savoir dans quelle direction fuir.

La nouvelle voix provenait de devant eux et n'était pas celle d'un allier.

— C'est Vincent, chuchota Noa. Un formateur qui maîtrise la télékinésie.

Cette précision apportée, elle prit les devants et les dirigea tous les trois dans une nouvelle direction. C'est alors qu'Arken se sentit tiré en arrière avec une force incroyable, sans pourtant sentir le moindre contact sur son corps. Il lâcha la main d'Alaynah pour ne pas l'entraîner avec lui et elle se mit à hurler de toutes ses forces en le voyant s'éloigner. Cependant, Noa la tira à sa suite en courant et elle disparut dans le brouillard, tandis qu'Arken s'élevait dans les airs à presque deux mètres du sol, incapable de comprendre quelle main géante le tenait.

D'un coup, il fut extrait de la brume et parvint à distinguer son adversaire, malgré la tête qui lui tournait. Il y avait une forte pression sur son torse, comme si un géant le tenait fermement dans son poing. Malgré cette sensation plus que dérangeante, il pouvait toujours bouger. Cela ne l'aida pas à revenir vers le sol ou à se défaire de l'emprise de ce Vincent, mais il n'avait pas dit son dernier mot.

Devant lui, les deux pieds au sol, contrairement à Arken, l'adulte souriait. Grand et musclé, les cheveux bruns coupés en brosse et un collier de barbe, il avait tout l'air d'un militaire en tenue civile décontractée avec jean et chemise large ouverte jusqu'au troisième bouton.

— Où est le lien ? cracha-t-il sans préambule en resserrant encore sa prise invisible sur les côtes d'Arken.

C'était si serré qu'Arken aurait juré qu'il allait éclater comme une orange qu'on écrase avec une presse hydraulique. Pourtant, s'il peinait à respirer, aucun de ses os ne craqua. Il n'aurait pas parié que cela allait durer bien longtemps, puis il réalisa que si son agresseur attendait une réponse, il fallait qu'il lui laisse prendre suffisamment d'air pour parler. Derrière lui, le rugissement de Tohlen se fit de nouveau entendre, mais Arken le jugea trop loin d'Alaynah pour qu'il représente un réel danger pour elle.

— Je n'ai rien contre toi, petit, insista Vincent en relâchant à peine la pression. Réponds-moi et je te libère, c'est aussi simple que ça.

— Va te faire voir ! grogna Arken en tendant une main vers lui, paume grande ouverte.

En même temps qu'il libérait son pouvoir, une nouvelle rafale tonna sur sa gauche et cette fois, il eut peur pour la vie d'Alaynah.

L'onde de choc qu'il libéra de sa main frappa Vincent de plein fouet et celui-ci fut projeté en arrière. Par la même occasion, il perdit son emprise sur Arken qui s'effondra au sol, hors d'haleine. Il n'attendit cependant pas de retrouver son souffle avant de se relever et de frapper une seconde fois en direction de son adversaire. Il s'approcha d'un pas, tendit les deux mains vers l'homme qui gémissait en se tortillant devant lui. Arken hurla en libérant toute sa puissance pour la première fois depuis qu'il avait blessé Matthew Kelinghan.

Depuis la primaire, il lui sembla que la puissance qu'il était capable de développer avait été décuplée et il vit très nettement la poitrine de Vincent s'enfoncer avec un crac épouvantable. Vincent laissa échapper une sorte de gargouillis et du sang gicla en petites gouttelettes entre ses lèvres avant qu'il ne cesse définitivement de bouger.

Arken resta hébété quelques instants. Il venait de tuer un homme pour la première fois de sa vie. Il en avait blessé plusieurs, volontairement ou non, mais jamais cela n'avait été pire que ce qui était arrivé à Matthew, des années plus tôt. À présent, il venait d'entrer dans le club des assassins. Un club dont il n'était pas particulièrement fier de faire partie.

Incapable de quitter le cadavre des yeux malgré les mitraillettes qui semblaient tirer sans discontinuer dorénavant, Arken sentit son petit-déjeuner remonter et plaça la main devant sa bouche. Il inspira lentement et profondément, puis ferma enfin les yeux, se débarrassant de cette vision de cauchemar. Il expira aussi lentement, puis tourna sur lui-même avant de rouvrir les yeux. La nausée était toujours là, mais il décida de passer outre en entendant le dragon pousser son cri.

Plongeant de nouveau dans le brouillard, il réalisa que s'il n'y voyait presque rien, c'était avant tout à cause des larmes qui noyaient ses yeux. Pourquoi pleurait-il pour cet inconnu qui avait l'intention de tuer Alaynah ? Cela n'avait aucun sens !

Il s'essuya les yeux et tenta de se concentrer de nouveau. Il fallait retrouver Alaynah. 

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