Chapitre 20🪽

Les choses avaient pris un tour tout à fait inattendu. Six mois plus tôt, Saya se demandait encore s'il était utile de poursuivre leur entreprise. Avec Franck et la complicité de Niel, elle avait enlevé plusieurs dizaines d'ados et de jeunes adultes. Elle savait que c'était pour les protéger d'un destin bien plus sombre, mais en près de deux ans, depuis leur premier enlèvement, il y avait eu plus d'une fois où ils avaient frôlé la catastrophe. Un des gamins avait failli mourir en tentant de s'échapper, un autre avait réussi à appeler la police avant qu'ils ne l'immobilisent. Plusieurs fois, Saya avait eu peur que le FBI remonte leur piste. Personne ne les aurait compris ni pardonnés. Ils auraient fini en prison à perpétuité ou pire.

Finalement, lorsque le quatorze février, ils avaient réussi à mettre la main sur Alaynah, avec une chance incroyable d'ailleurs, cela avait été une libération. Non, ils n'avaient pas fait tout ça pour rien. Non, les martyrs n'avaient pas déjà assassiné le lien. Tout allait pour le mieux. Ou presque.

Arken avait ensuite fait son apparition. Un garçon de l'âge d'Alaynah et avec des pouvoirs très puissants. En toute logique, les martyrs auraient dû le recruter, mais il était passé entre les mailles du filet et, contre toute attente, avait accepté de leur faire confiance.

Aujourd'hui, lorsqu'elle regardait son terrain dévasté, Saya avait le sourire aux lèvres. Shala, statufié, gisait toujours au milieu du petit bois à l'arrière de la maison, dans une position improbable. Nolak, de son côté, semblait endormi, à demi enseveli dans la terre. Et enfin, le joyau de cette petite collection, Argos était assis tout près de la maison, à seulement quelques pas d'elle. Elle possédait trois dragons et avait recueilli le lien. Il ne lui manquait plus que Tohlen, le dragon de l'eau, pour détenir l'entièreté du pentacle !

Et pourtant, son bon à rien de petit frère faisait la fine bouche.

— Je veux pas d'un chien géant ! avait-il argué, lorsque Saya lui avait tendu l'émeraude qui servait de cœur au dragon de l'air.

Pour sa défense, s'il s'était montré enthousiaste à l'idée de rejoindre Saya dans sa quête du pentacle, il avait très vite fait savoir que posséder un dragon ne revêtait aucune espèce d'intérêt à ses yeux. Ce qui le motivait, c'était l'obtention de super-pouvoirs. Saya avait eu beau le refroidir en lui rappelant qu'il ne pourrait ni se téléporter ni se rendre invisible, il avait continué d'espérer obtenir la capacité de voler. Raison supplémentaire pour ne pas vouloir de dragon, selon lui.

Pourtant, à présent qu'elle était en possession d'Argos et Arken de Nolak, il ne restait plus que Niel et Franck pour prendre le contrôle d'un dragon. Franck n'en démordait pas, lui non plus : il prendrait Tohlen ou rien. C'était logique, admettait Saya. Franck était l'équivalent d'un chevalier de l'eau, il voulait donc le contrôle du dragon qui lui correspondait de la même manière que Saya avait proposé Nolak, le dragon de la terre, à Arken.

— Tu es sûr de toi, Niel ? insista Saya une nouvelle fois en portant son attention sur l'immense statue dans les arbres.

C'était comme si le monstre de pierre avait chuté d'un avion-cargo pour s'écraser sur leur propriété.

— Complètement, confirma-t-il en observant le dragon rouge qui ne lui portait aucune attention en retour. Tu m'aurais dit Argos, j'aurais peut-être réfléchi, mais la super saucisse sur pattes, non merci.

Saya sourit malgré elle. Depuis qu'il l'avait vu, Niel ne cessait de trouver des sobriquets plus ridicules les uns que les autres pour ce dragon.

— T'as qu'à le prendre toi ?

— J'en ai déjà un, répliqua Saya avec une grimace. Je ne suis même pas sûre que ce soit possible d'en avoir deux.

— Si j'ai bien compris votre délire, Arken en a deux, lui.

L'intéressé leva un sourcil interrogateur et Niel explicita sa pensée. Selon lui, puisque Alaynah était le cinquième dragon, alors elle était un dragon et donc, Arken était lié à deux dragons, Nolak et elle.

— C'est pas faux, confirma Saya. Mais je ne suis pas sûre que ce soit vraiment comparable.

— Je pourrais peut-être m'en charger ? proposa Alaynah d'une petite voix.

Elle restait toujours très proche d'Arken, ce qui amusait Saya. Il y avait forcément quelque chose entre eux, se disait-elle à chaque fois. Ils dormaient dans la même chambre et avaient vécu des expériences traumatisantes ensemble. Il y avait de quoi rapprocher les gens, en temps normal. Pourtant, en public, les deux jeunes faisaient toujours comme si de rien n'était. Arken semblait parfois un peu gêné, mais c'était le seul indice que Saya avait pu dégoter et elle le trouvait léger. Alaynah, de son côté, ne se privait pas de se cramponner à lui à la moindre occasion. À tel point que Saya pensait que si vraiment ils avaient été ensemble, elle ne se serait pas privée de le montrer en l'embrassant devant tout le monde. Franck avait soumis l'hypothèse que, puisqu'Alaynah était une sorte de dragon, leur lien était peut-être très différent de ce que deux êtres humains normaux auraient pu établir.

— Je pense que c'est une mauvaise idée, répondit Saya en se reconcentrant sur la situation présente.

— Parce que vous pensez que je suis un dragon ? demanda Alaynah.

— Tout juste, sourit Saya. Il est possible que ça ne fasse rien du tout et ce serait une bonne chose. Mais il est aussi possible que la réaction d'un de vous deux soit incontrôlable.

— Tu as peur de quoi, exactement ? demanda Arken, d'un air moqueur. Les dragons ne peuvent pas exploser...

— Non, admit Saya. Mais si l'un d'entre eux devenait fou, surtout un monstre de cette taille, ça ne serait pas bien mieux. Et puis, Alaynah est un dragon, mais elle n'est pas indestructible comme ceux-là.

— Mais pourquoi crois-tu que ça tournerait mal ? insista Alaynah.

— La vérité ? demanda-t-elle en marquant une brève pause. Je n'en sais rien du tout. Mais je n'ai pas du tout envie de prendre de risque, tu vois.

Alaynah se contenta d'un petit sourire. Elle non plus, n'avait pas envie de prendre de risque impliquant sa propre vie. C'était une bonne chose. Une preuve supplémentaire de sa santé mentale.

Soudain, la terre trembla pendant une demi-seconde et Saya sursauta en lâchant un petit cri de surprise. La sensation fut très étrange. C'était comme si elle s'était tenue sur un téléphone portable géant et qu'une notification avait fait vibrer l'appareil. Le temps de deux battements de cœur, elle comprit que c'était Nolak qui était responsable de cette manifestation, cependant elle ne comprenait pas ce que cela signifiait, aussi se tourna-t-elle vers Arken, qui semblait déjà sur le qui-vive.

— Quelqu'un approche, souffla-t-il alors qu'Argos se redressait et se tournait en direction de l'entrée principale de la maison.

Franck était à l'étage, dans sa chambre, immobile, comme l'avait ordonné le médecin. Ce ne pouvait être lui qui approchait par là. Le reste de ses alliés était avec elle, à l'extérieur et dans son champ de vision. C'était donc sans aucun doute un martyr ou un chevalier, conclut Saya les poings serrés. Peut-être bien cette blonde, aux cheveux interminables, capable de lancer des flammes ?

Il n'y eut plus un bruit pendant plusieurs secondes. Seules les branches des arbres, en hauteur, bruissaient légèrement. Saya eut beau tendre l'oreille, elle n'entendit aucun pas. La majorité de la neige du jardin avait fondu à force d'allées et venues et le sol n'était pas assez trempé pour que des pas produisent le moindre son.

Elle n'était pas armée et Niel non plus, puisqu'il n'avait pas encore dégainé de pistolet. Arken avait cependant fait un pas en avant pour faire barrage de son corps devant Alaynah et Saya le savait capable d'envoyer voler n'importe quel ennemi. Pourtant, ce fut Argos, sans avertissement, qui cracha une longue et puissante gerbe de flammes avant même que Saya ne puisse identifier qui que ce soit.

— Wow ! entendit-elle crier, d'une voix féminine. Du calme, mon gros, je viens en paix.

Saya resta médusée. D'abord parce que n'importe qui de normalement constitué aurait perdu ses moyens en étant attaqué de la sorte. D'ailleurs, n'importe qui de normalement constitué aurait dû hurler de douleur suite à la morsure des flammes. De plus, cette jeune femme n'avait même pas cherché à éviter le feu ou à fuir. Saya ne pouvait distinguer que son ombre dans le rougeoiement du feu qui se déversait, mais la silhouette se tenait bien droite, face à eux.

Saya ordonna, par la pensée, à Argos d'arrêter et demanda à voix haute à Arken de ne pas bouger. Dès lors, elle reconnut leur visiteuse indésirable : la fille aux flammes. Cela expliquait, au moins en partie, pourquoi elle n'avait aucune séquelle d'avoir passé plusieurs secondes sous une douche incandescente.

La jeune femme resta immobile un instant, puis leva les deux mains à hauteur d'oreilles. Saya put la détailler sans vergogne. L'inconnue arborait un sourire radieux et ne quittait pas Argos du regard. Tout comme Saya lorsqu'elle l'avait découvert vivant pour la première fois, elle était subjuguée. Ses yeux verts rieurs semblaient embués et pourtant, elle souriait. À l'exception de son visage, Saya ne pouvait distinguer grand-chose de la silhouette de cette grande blonde aux cheveux qui descendaient plus bas que ses fesses, dans son jean trop large et sa doudoune de camouflage. Elle était parfaitement calme et cela fichait la trouille à Saya.

Ça et le fait que rien, de ses cheveux impeccables à ses vêtements tout propres, ne laissait penser qu'elle sortait d'un brasier. Elle ne fumait même pas un petit peu !

— Qu'est-ce que tu veux ? lança Saya d'un ton froid.

— Bonjour, répliqua l'autre en baissant les bras et faisant un pas.

Aussitôt, avec la bénédiction silencieuse de Saya, Argos cracha de nouveau des flammes dans sa direction. Cette fois, cependant, il visa juste devant elle pour matérialiser une limite à ne pas franchir. Contre toute attente, la nouvelle venue sourit.

— Vous savez, commença-t-elle en relevant les mains d'un air résigné, je ne crains pas le feu. Heureusement, d'ailleurs, sinon je serais déjà morte rôtie...

— Je pourrais toujours t'aplatir comme ta copine ! gronda Arken.

Le sourire de la blonde disparut aussitôt à l'évocation de sa collègue et, certainement, amie. D'après ce qu'il lui avait raconté, Arken n'était pour rien dans la mort de cet autre chevalier, cependant l'intruse n'en savait sans doute rien.

Saya eut un bref frisson en repensant au corps écrabouillé qu'elle avait découvert en revenant des États-Unis. Depuis, et cette fois sous l'injonction d'Arken, Nolak avait enseveli les restes de cette brune au pouvoir de l'air.

— Je suis venue en paix, répéta la blonde avant de remarquer la présence d'Alaynah derrière Arken.

Aussitôt, comme devant le dragon du feu, elle se figea, mais adopta un regard triste.

— Qu'est-ce que tu veux ? répéta alors Saya.

La blonde reporta son attention vers l'ainée Lodlik et baissa lentement les mains, mais sans bouger de sa place.

— Ça peut vous paraître bizarre, mais je voudrais me joindre à vous.

— Hein ? s'étonna Niel. T'as pas essayé de les tuer, y a deux jours ?

— Qu'est-ce que tu entends par te joindre à nous ? demanda encore Saya sans prêter attention à l'intervention de son frère.

— Et toi ? demanda-t-elle. Qu'est-ce que tu comprends pas ?

Alaynah tenta de s'écarter de son protecteur, mais il se replaça immédiatement entre elle et la nouvelle venue, déclenchant un nouveau sourire sur le visage du chevalier du feu.

— Tu sais, si j'avais vraiment voulu m'en prendre à elle, je ne me serais pas annoncée.

— C'est peut-être juste une ruse, proposa Arken, mauvais.

Leur visiteuse pouffa, mais ne répondit rien.

— Pourquoi tu te joindrais à nous ? questionna Saya.

L'intruse chercha Alaynah du regard et s'adressa à elle pour répondre.

— J'ai réalisé que c'était stupide, commença-t-elle. En vérité, ça fait depuis bien longtemps que je me pose des questions sur le bienfondé de nos actions, mais j'ai été endoctrinée depuis ma naissance, pas facile donc de remettre toute ma vie en question.

Elle marqua une pause lorsque sa voix se brisa et personne ne prit la parole, en attente de ses prochains mots.

— Les chevaliers devraient te servir, reprit-elle après un long moment. Te protéger pas t'attaquer. Et je voudrais m'excuser, pour commencer.

Une larme coula et Saya se demanda à quel point elle pouvait faire confiance à cette fille. Bien sûr, elle avait l'air sincère, mais pourquoi ce changement, maintenant ? Avait-elle réellement eu une sorte de révélation ou bien était-ce la mort de son amie qui lui avait soudain ouvert les yeux ?

Saya observa Alaynah et vit la détresse dans ses yeux, à elle aussi. Ce discours l'avait touchée.

— Et si tu nous rejoignais ? reprit Saya, essayant de mettre de côté ses émotions pour réfléchir de manière factuelle. Quel serait ton plan ?

Les yeux de la jeune femme s'arrondirent. Elle ne s'attendait clairement pas à une telle question.

— Un plan ? répéta-t-elle. Je n'en ai pas. J'avais plutôt dans l'idée de vous aider avec le vôtre.

— Comment ? insista Saya.

— Je ne sais pas, répondit-elle. Mais j'ai des tonnes d'informations sur le réseau Witness. Je sais presque tout ce qu'il y a à savoir, en réalité.

— Saya aussi, je te signale ! intervint Niel en balayant l'air de sa main. Tu ne nous serviras à rien, si y a que ça.

Sans se laisser démonter, la blonde expliqua qu'elle savait, par exemple, que les martyrs allaient très bientôt venir ici pour leur mettre le grappin dessus. Ils n'auraient peut-être qu'un seul chevalier avec eux, mais il serait accompagné de personnel armé et probablement même du dragon de l'eau.

— Tohlen ne sera pas d'une grande utilité ici contre deux dragons, contra Saya.

— J'en vois trois, moi, rectifia le chevalier du feu. Mais garde-toi de sous-estimer Tohlen. Même s'il est bien moins rapide que les autres sur la terre ferme, il est capable de faire du dégât. Vous devriez fuir le plus vite possible pour vous mettre à l'abri.

— Sauf qu'on ne peut pas laisser Shala sur place, répondit Saya, toute méfiance envolée.

— Ce n'est pas ce que j'ai dit, je te signale, répliqua l'intruse, un sourcil arqué.

Saya lui expliqua alors qu'ils n'avaient toujours pas pris le contrôle du dragon, ce qui aurait dû être évident, compte tenu de la position dans laquelle il se trouvait. Niel ajouta qu'il était hors de question qu'il s'associe avec la tige poilue et la visiteuse éclata de rire, comme si elle n'avait jamais été en danger d'aucune manière.

— S'il n'y a que ça, dit-elle tout sourire, je veux bien me charger de lui. Je le connais déjà un peu, en plus. C'est sûr que j'aurais préféré chevaucher Argos, mais je me contenterai du dragon le plus rapide de l'univers.

Elle ajouta un clin d'œil à l'intention de Niel qui grommela quelque chose d'inintelligible en retour.

— Voilà pourquoi t'es là, en vrai ! intervint de nouveau Arken d'un ton sévère. Tu voulais juste récupérer le dragon.

Elle soupira ostensiblement avant de répondre en le foudroyant du regard.

— Sérieusement ? souffla-t-elle. Tu crois vraiment que je ferai ça juste pour récupérer Shala ? C'est vrai que c'est le plus rapide, mais c'est aussi le moins offensif, je te signale. Si vraiment je voulais récupérer un dragon, encore une fois, je prendrais Argos.

En formulant cette dernière phrase, elle se tourna vers le dragon du feu avec un sourire sur le visage. Aucun doute n'était possible, du point de vue de Saya : cette fille était amoureuse d'Argos. En réalité, Saya la comprenait. Ce dragon était beau avec sa peau couleur carmin, sa silhouette racée et ce regard profond et agressif. C'était l'archétype du dragon guerrier.

— On s'en moque, contra pourtant Saya alors qu'Arken s'apprêtait à répliquer. Même si on partait, on irait où ? Tes amis ont des agents un peu partout, on serait repérés en à peine quelques minutes.

Cette fois, la blonde marqua une hésitation et sembla réfléchir quelques secondes.

— Pourquoi pas à Bex ? proposa-t-elle enfin.

Niel tourna vers sa sœur un regard surpris. Saya aussi était sous le choc. Cette fille, dont elle ignorait à peu près tout, était au courant de la propriété qu'elle possédait en Suisse !

— Comment connais-tu Bex ? demanda-t-elle, sur la défensive.

La jeune femme hésita, puis sourit.

— On sait à peu près tout ce qu'il y a à savoir sur toi, Saya, ton frère Niel ou...

Elle chercha du regard, sans rien trouver.

— Ou sur ton petit copain, Franck Valoto, reprit-elle tout de même. Les martyrs sont partout, tu l'as dit toi-même.

— Donc si tu nous donnes l'idée d'aller nous cacher à tel ou tel endroit, c'est clairement un piège, intervint Arken, une fois de plus, avant de s'adresser à Saya. Il ne faut pas l'écouter !

— Oh ! Mais t'as pas bientôt fini avec ta parano à deux balles ! s'emporta la fille du feu déclenchant par la même occasion une légère vibration dans le sol.

Ce mini tremblement de terre la fit taire sur l'instant et elle dévisagea Arken. Il n'était sans doute pas responsable, pensa Saya, mais c'était en revanche probablement bien parce qu'elle s'en était prise à lui que Nolak avait réagi.

— Arrête de t'imaginer que je veux vous piéger, reprit-elle, un ton plus bas, après une seconde. On n'est pas dans un film de Tom Cruise, je te signale. Ça ne m'apporterait rien de vouloir vous piéger, pour commencer. Le but des martyrs, c'est de la tuer. Vous autres, n'êtes que des grains de sable dans les rouages, à leurs yeux. Vous êtes déjà tous ensemble, ici. Quel intérêt je pourrais avoir à vous réunir tous, ailleurs ? Réfléchis ! Aucun piège n'aurait le moindre intérêt. Alors que là, il me suffirait de tendre la main pour vous embraser tous les deux, le lien et toi.

Pour répondre à la menace, Arken repoussa de nouveau Alaynah derrière lui et se fléchit un peu sur ses jambes, prêt à tout. Cela fit sourire le chevalier du feu.

— Je pourrais très bien avoir une arme aussi et attendre que vous baissiez un peu votre garde pour lui tirer une balle dans la tête. Vous ne m'avez même pas fouillée, en plus.

— C'est vrai ça, intervint Niel en se précipitant vers la blonde pour la palper de toute part.

Elle se laissa faire en relevant les mains pour lui faciliter la tâche.

— Vous êtes juste une bande d'amateurs, conclut-elle.

— En attendant, contra Arken avec colère, on vous a tenu en échec et on a écrabouillé ta copine.

— Arken ! intervinrent de concert Saya et Alaynah.

— Elle est clean, déclara Niel, content de lui, en reculant.

— Vous avez eu de la chance, jusqu'à présent, asséna la blonde à Arken sans monter le ton. Franck vous a tiré d'un sacré pétrin à Oceanside et c'est Nolak qui vous a sauvé, la dernière fois.

Elle hésita avant de continuer.

— Ça et le fait que je n'ai pas vraiment aidé Sophia, chuchota-t-elle presque. Mais ne croyez pas que vous êtes en sécurité. Ils pourraient débarquer ici dans seulement quelques heures. Bex ne sera pas un endroit sûr pendant longtemps, mais puisqu'ils vous pensent ici, et qu'ils savent que je suis ici avec vous, ils viendront d'abord ici. Là-bas, nous aurons le temps de réfléchir à l'étape suivante, voilà tout.

Elle planta ensuite son regard dans celui de Saya, comme attendant sa décision. Tout ce qu'elle venait de dire était sensé.

— Et que fait-on des dragons ? demanda Saya. En admettant que nous acceptions de te confier Shala.

— Ils peuvent se rendre là-bas chacun par leurs propres moyens, répondit le chevalier du feu avec aplomb. Shala y sera même bien avant nous, il est aussi rapide qu'un avion de chasse. Ce n'est pas trop loin pour Argos non plus, même s'il prendra plus de temps pour faire le voyage. Ce n'est pas plus mal d'ailleurs, comme ça, ils voyageront séparément et seront moins visibles.

— Et Nolak ? demanda Arken, bougon.

— Lui peut voyager sous terre, répliqua-t-elle sans hésiter. Il se déplacera beaucoup moins vite, mais c'est le moyen le plus sûr. Il te suffit de lui dire où tu veux aller et si tu sais où sait, tu peux considérer qu'il sait, lui aussi. Et de toute façon, il pourra te retrouver, où que tu sois.

Elle donnait, en effet, l'impression de savoir de quoi elle parlait. Saya ignorait à quel point les dragons et leur détenteur étaient liés. Jamais elle n'aurait osé demander à Argos de la retrouver à Bex, sans l'y avoir déjà emmené elle-même.

— Et une fois à Bex, alors ? demanda Alaynah d'une toute petite voix. On fait quoi ?

La nouvelle lui adressa un sourire poli et gêné à la fois.

— Je ne sais pas, pour le moment, mais on a tout le voyage pour y réfléchir, annonça-t-elle. Il y a un aérodrome, si je me souviens bien, là-bas. Ce sera pratique si on veut embarquer Nolak pour le transporter ailleurs. Le seul hic, c'est qu'il aura besoin de plusieurs jours pour aller sur place.

Alaynah hocha la tête et le silence se fit. Il s'éternisa un peu pendant que chacun interrogeait les autres du regard. Arken scruta l'intruse un long moment. Il ne parvenait manifestement pas à lui faire confiance. À dire vrai, Saya ignorait si elle devait lui accorder sa confiance. Cependant, rien de ce qu'elle avait proposé n'était autre chose que du bon sens.

— Qu'est-ce qu'on fait ? finit par demander Niel.

— Il faut qu'on en parle à Franck, trancha Saya.

— Et elle ? insista son frère.

— Elle, répondit l'intéressée d'un ton mauvais, elle s'appelle Noa.

— Je veux qu'elle reste avec nous, déclara Alaynah d'une voix forte qui surprit tout le monde.

Noa la dévisagea un instant avec des yeux ronds. Elle devait être encore plus étonnée que les autres et porta une main à son cœur en signe de remerciement.

— Pourquoi ? contra Arken.

— Parce que je la crois, quand elle dit qu'elle veut être de notre côté, dit-elle. C'est vrai qu'elle ne s'en est jamais prise à moi. Et puis, c'est vrai que si elle voulait vraiment me tuer, elle pourrait le faire maintenant.

Comme pour prouver ses dires, Alaynah repoussa doucement Arken et avança de deux pas en direction du chevalier du feu. Avec son pouvoir sur les flammes, personne n'aurait rien pu faire si elle avait décidé de l'attaquer. Il y eut un moment de flottement et Saya se raidit, se sachant impuissante à faire quoi que ce soit si Noa se décidait à retourner sa veste et éliminer Alaynah.

Les deux femmes se dévisagèrent une seconde sans bouger et Saya sentit son cœur s'arrêter. Pourtant, Noa ne passa pas à l'attaque et, au contraire, s'inclina légèrement dans une révérence hideuse. Saya laissa échapper un soupire et vit Arken se détendre, lui aussi.

Ceci étant fait, Alaynah réclama le cœur de Shala que Niel alla chercher dans la maison. Pendant ce temps, la jeune femme fit les présentations. Noa offrit un sourire hypocrite à Arken qui se rembrunit un peu plus encore.

Lorsque Niel fut de retour avec l'émeraude, il était accompagné de Franck. Alaynah le présenta, lui aussi, puis tendit respectueusement le cœur de Shala à Noa.

— Tu deviens officiellement une des nôtres, déclara-t-elle avec un grand sourire, comme si ce dragon avait toujours été le sien et comme si elle avait toujours été aux commandes du groupe.

Saya ne fit pourtant aucune remarque. Noa prit le cœur avec respect et remercia Alaynah. Saya constata qu'elle lui portait un regard admiratif. C'était étrange, considérant qu'elle avait passé la totalité de sa vie à tout faire pour qu'Alaynah n'atteigne jamais ce stade de sa vie. Elle refusa cependant de continuer à se poser mille questions sur la loyauté nouvellement acquise de ce chevalier du feu. Pour le moment, elle était de leur côté, c'était tout ce qui comptait, décida-t-elle.

Noa s'approcha, seule, de Shala dont l'accès était difficile. Elle grimpa sur un tronc incliné sous le poids de la statue pour atteindre l'endroit, sous le museau de la bête, où devait s'insérer la pierre précieuse. Elle eut un peu de mal à la positionner tout en gardant son équilibre, mais y parvint avant de sauter de son perchoir pour rejoindre le sol, un mètre plus bas.

Après deux secondes environ, un éclair parcourut la longueur du corps de Shala. La statue commença à se fissurer, tout comme Argos avant lui. Des centaines de petits morceaux de pierre tombèrent de différentes hauteurs et déclenchant de nouvelles chutes de branches le long du dragon. Saya découvrit avec étonnement que la peau du dragon était une fourrure de poils ras de couleur claire.

Soudain, la rigidité de la statue laissa place à la souplesse du dragon éveillé et deux nouveaux troncs s'affaissèrent tandis que les pattes avant de Shala trouvèrent le sol pour y prendre appui. Pendant tout ce temps, ses deux immenses yeux jaune orangé ne quittèrent pas Noa. Lorsque la totalité de ses six pattes fut enfin sur le sol et que la dernière branche s'écrasa dans la neige, ses deux longues moustaches se mirent à onduler et le dragon exhala un long souffle qui fit voler une partie de la chevelure blonde de Noa.

— Tout le monde, commença Noa en se tournant à peine, je vous présente Shala, le dragon de l'air.

Elle tendit une main et lui flatta le museau comme elle aurait pu le faire avec n'importe quel chien. Sauf qu'il s'agissait d'un dragon de plus de vingt mètres de long.

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