Chapitre 18🪽

Même après presque vingt-quatre heures, Arken sentait que son rythme cardiaque était bien trop élevé. Suite à l'attaque des deux filles et la mort de l'une d'entre elles, Alaynah et lui avaient décidé de fuir la maison de Saya, sans pour autant savoir où aller. Ils avaient fait vite, ne s'encombrant que d'un gros sac à dos qu'Arken avait trouvé en fouillant dans l'immense propriété. Il y avait fourré quelques provisions et deux grosses couvertures.

Il ne connaissait pas plus la région que la jeune femme ailée et ils avaient eu peur de devoir dormir à la belle étoile. Avec le froid qui régnait et les difficultés d'Alaynah à se vêtir, les couvertures ne suffiraient pas à les maintenir au chaud bien longtemps.

En arrivant, à peine deux jours plus tôt, Saya leur avait expliqué que Bärnkopf était un tout petit village d'à peine trois cent cinquante habitants, perdu dans la campagne autrichienne. C'était idéal pour rester à l'abri des regards, d'autant que la demeure de son père était, elle-même, en retrait du reste du hameau et camouflée par un petit bois de sapins. Cela n'avait cependant pas empêché ces deux chevaliers de les retrouver. En revanche, cela leur avait permis de quitter les lieux sans attirer l'attention. Ils avaient marché quelques minutes, le long de la route, avant de s'enfoncer dans la forêt blanchie par la neige abondante. Après une grosse demi-heure de marche dans les bois, ils étaient tombés sur une vieille cabane, manifestement inhabitée, mais suffisamment en état pour les protéger du vent. Arken avait donc décidé de s'installer là pour la nuit.

Son dragon les avait suivis, obéissant à l'ordre silencieux que lui avait donné Arken, en se déplaçant sous la surface. Saya n'avait pas menti : l'immense créature avait creusé dans le sol avec une facilité impressionnante et Arken avait ensuite pu sentir des vibrations de façon régulière, lorsqu'il se demandait si Nolak était bien sur leurs traces. Ce lien particulier qui les unissait défiait toute logique. Arken ne voyait pas le dragon et celui-ci ne s'adressait d'ailleurs pas à lui. Pourtant, dès qu'Arken se demandait où était l'animal, la terre se mettait à trembler très légèrement. La première fois, il avait eu peur, imaginant un séisme. Puis, il avait compris que c'était la façon de Nolak de se faire remarquer.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Alaynah.

Elle venait tout juste de terminer son petit paquet de gâteaux. En quittant la demeure Lodlik, ils avaient emporté quelques provisions. Principalement des snacks, car ils se doutaient qu'ils n'auraient pas de quoi faire la cuisine. Ils n'avaient cependant que de quoi tenir une journée, peut-être deux.

— Je ne sais pas trop, répondit Arken en observant l'extérieur de leur cabane.

Il avait des doutes sur la capacité de Nolak à le prévenir en cas de présence non désirée. Lui-même n'avait pas une vue dégagée des environs. Il espérait donc que si quelqu'un approchait, il s'en rendrait compte à temps pour prendre la fuite.

Lorsqu'il se tourna pour offrir un sourire qu'il espérait réconfortant à Alaynah, il se rendit compte qu'elle avait les larmes aux yeux. Encore. La bataille éclaire de la veille l'avait fortement secouée. Pour être tout à fait honnête, il avait lui aussi du mal à s'en remettre. Le cadavre de cette fille dans la boue lui avait retourné l'estomac. Il avait fait comme si de rien n'était devant Alaynah, mais il n'aimait pas repenser à cette scène, lui non plus.

Il décida de s'approcher d'elle, quittant son poste de surveillance. Il s'installa sur le sol poussiéreux, à côté d'elle, prenant garde de ne pas s'assoir sur une aile.

— On est tranquilles, pour le moment, déclara-t-il, ne sachant trop comment la rassurer. La blonde aux flammes a pris la fuite et si elle revient, même avec du renfort, elle pensera qu'on est parti loin.

Alaynah renifla doucement, puis se tourna vers lui, le regard défait.

— Ils finiront par me retrouver et me tuer, lâcha-t-elle d'une voix blanche.

Arken retint un frisson.

— Non, dit-il avec autant de conviction que possible. Je suis là et je veille sur toi. Avec Nolak, on est invincibles.

Il aurait voulu y croire, bien entendu. En réalité, il était persuadé qu'ils avaient des chances de s'en sortir si une nouvelle attaque avait lieu. Mais il savait aussi qu'il n'avait pas l'entraînement nécessaire à ce genre de situation. Il n'était pas encore un Navy Seal. Il n'avait même pas fini sa première année de formation militaire. Et il avait bien compris que postuler dans ce corps d'élite ne lui serait possible que dans cinq ou six ans, au minimum. Ce n'était qu'un simple étudiant, même sur une base militaire.

— Tu ne pourras pas toujours me protéger, contra Alaynah. Tu vas bien devoir retourner à ta vie, à un moment ou un autre. Et puis, surtout, ces gens vont me poursuivre tant que je serai en vie. Sans relâche.

Arken sourit. Il n'envisageait pas du tout de retrouver sa vie d'avant. Cela ne faisait que quelques jours qu'il connaissait Alaynah, mais il n'imaginait plus sa vie sans elle. C'était une sensation très étrange, d'ailleurs. Il ne s'expliquait pas pourquoi ou comment, mais il savait qu'il ne la quitterait plus. Jamais. Il ne pouvait cependant pas lui dire une telle chose. Ils ne se connaissaient pas. Elle s'imaginerait des choses sur son compte et prendrait peur.

— Saya et Franck vont forcément revenir, déclara-t-il à la place. Ils ont des moyens. On pourra te mettre à l'abri. Il faut juste que je trouve un moyen d'aller vérifier quand ils seront de retour sans attirer l'attention.

— Ça ne change rien, répliqua la jeune femme. Quoi qu'on fasse, quoi qu'il arrive, je serai toujours en cavale. Ces martyrs ont réussi à nous retrouver, alors qu'on était perdus dans un minuscule village en Autriche. Il n'y a nulle part où je pourrai me cacher, Arken. Nulle part !

De nouvelles larmes coulèrent et Arken eut bien du mal à trouver une réponse réconfortante. Alaynah avait raison. Ces deux filles avaient mis à peine vingt-quatre heures pour les retrouver à l'autre bout du monde, cachés dans une forêt. Cette secte avait d'incroyables moyens à leur disposition, c'était évident. Même la CIA n'était pas capable de retrouver quelqu'un aussi vite, imaginait Arken. Pourtant, il garda le sourire.

— On a trois dragons, je te rappelle, décréta-t-il. Les deux plus puissants, d'après Saya et une espèce de chien géant qui vole.

Malgré les larmes, Alaynah laissa échapper un sourire à la mention du chien géant.

— En plus, une de leur chevalier est morte et l'autre a pris la fuite, poursuivit Arken. Ils ont forcément compris que tu n'es pas une petite créature fragile, maintenant. Tu peux te défendre et ça va faire mal, ils le savent. Ils vont y réfléchir à deux fois avant de venir t'attaquer de nouveau.

— Je suis une créature fragile, contra Alaynah sans agressivité. Je suis incapable de me défendre. C'est toi qui me défends.

— Ça ne change pas ce que je viens de te dire, tenta Arken. Mine de rien, on a un léger avantage. Le seul truc, c'est qu'on ne sait toujours pas vraiment contre qui on se bat.

— Du coup, on ne peut pas faire confiance à qui que ce soit, renchérit Alaynah. Sans compter qu'on ne peut même pas contacter nos familles.

Arken allait répliquer lorsque soudain, la terre se mit à trembler très légèrement. Depuis la veille, Arken avait appris à reconnaître les manifestations de son dragon et comprit immédiatement que quelque chose, ou plus probablement quelqu'un approchait.

Le corps entier d'Arken fut traversé par un genre de courant électrique et il eut un bref moment d'hésitation. Il se releva cependant, bien décidé à ne pas se rendre sans combattre. Il venait de le dire : avec Nolak, ils étaient invincibles. Il était temps de le prouver, semblait-il.

Il adressa un regard déterminé à Alaynah avant de lui ordonner de rester là. Il était inquiet de ce qu'il allait trouver dehors, mais bizarrement, il n'avait pas vraiment peur. Du moins, ce n'était pas le genre de peur à laquelle il était habitué. C'était difficile à définir. C'est alors qu'il comprit qu'en réalité, il n'avait pas peur pour lui, mais plutôt pour Alaynah.

— Je reviens vite, déclara-t-il avec un clin d'œil.

Il poussa la porte en bois qui ne fermait pas vraiment et sortit dans la neige. Autour de la petite cabane, les hauts sapins masquaient une bonne partie de la visibilité. Certes, les arbres ne possédaient que peu de branches basses, mais ils étaient nombreux et leurs troncs offraient autant de cachettes potentielles pour un intrus. Ou plusieurs.

Une chose était cependant certaine : aucun dragon n'était en approche.

La terre trembla un peu plus fort sur sa droite et Arken porta son regard dans cette direction. Il somma Nolak de rester cacher encore un peu, afin de préserver l'effet de surprise. Il ignorait toujours à combien d'ennemis il avait affaire. Il devait donc essayer de garder un avantage, même minime.

Fouillant le sous-bois avec attention dans la faible lumière de l'aube, il chercha parmi les ombres un indice qui lui donnerait une information quelconque sur le nombre et la nature de ses assaillants. La fille aux flammes était sans doute parmi eux, mais elle n'oserait sans doute pas cracher du feu dans un tel environnement.

À moins qu'elle ne soit kamikaze ? Après tout, cette secte baptisait ses membres les martyrs. Peut-être étaient-ils tous prêts à se sacrifier pour leur cause ? Dans ces cas-là, ils n'avaient aucune chance de s'en tirer vivants.

Une branche craqua et Arken focalisa son attention dans la direction du son. Le sol trembla de nouveau. Plus fort.

— On se calme, les jeunes ! déclara soudain une voix familière. Nous venons en paix.

Arken sourit et fit savoir à Nolak que ce n'était pas un ennemi qui était en approche. Niel apparut ensuite, entre deux arbres, à une vingtaine de mètres sur la droite de la cabane. Derrière lui, Saya. Arken les salua à distance et ne bougea pas en attendant qu'ils se rapprochent.

Ce n'est que là qu'il remarqua que le visage du petit frère de Saya était marqué de petites blessures. À bien y réfléchir, sa démarche n'était pas aussi assurée qu'elle l'aurait dû. Il devait être blessé. L'absence de Franck n'était pas non plus de bon augure.

— Il a pris une balle, répondit Niel lorsqu'Arken demanda de ses nouvelles.

— Mais il va bien, précisa Saya immédiatement. Il doit rester immobile autant que possible. Où est Alaynah ?

— Ici, répondit la jeune femme dans l'encadrure de la porte de la cabane.

Saya afficha un sourire radieux, preuve qu'elle s'était inquiétée pour elle. Cela rassura Arken. Malgré tout ce qu'il s'était passé, il avait encore du mal à être certain de pouvoir faire confiance à ces gens. Certes, ils les avaient mis à l'abri des martyrs, mais ils avaient peut-être un objectif secret. Pourquoi donc se donner tant de mal, autrement ?

Réserves ou pas, Arken était soulagé de la présence de Saya. C'était elle qui avait les plus de connaissances sur toute cette histoire de dragons et c'était aussi elle qui avait les moyens financiers et techniques de les aider au mieux. Sans son aide, et malgré sa bonne volonté et son dragon, il savait qu'ils n'avaient aucune chance d'aller où que ce soit sans se faire repérer par les martyrs.

Il n'y eut pas d'hésitations sur la conduite à tenir. Sitôt les retrouvailles terminées, Saya ordonna de retourner à la propriété. Sur le chemin, elle demanda des précisions sur ce qu'il s'était passé. Il parla de l'arrivée par les airs de leurs ennemies et de l'impression étrange de manquer d'air qu'ils avaient ressentis avec Alaynah.

— Ça confirme que c'était leur chevalier de l'air, déclara Saya.

— C'était bizarre, mais je n'ai pas l'impression qu'elle nous avait retiré l'air comme Franck fait avec l'eau. Et puis, elle donnait l'impression de pouvoir s'appuyer contre le vide quand elle a esquivé mon attaque.

Saya marqua une brève pause avant de tenter une explication.

— Je ne connais pas toutes les évolutions possibles des pouvoirs, mais je sais que certaines personnes sont capables de compacter l'air à leur guise, précisa-t-elle.

— Qu'est-ce que tu veux dire par-là ? demanda Arken.

— Qu'elle peut le rendre tangible ? proposa Alaynah qui comprenait toujours tout plus vite que lui.

— Exactement ! confirma Saya. Si elle en était capable, ça peut expliquer pourquoi vous aviez tant de mal à respirer. Ce n'est pas une attaque mortelle, mais cela suffit à vous affaiblir et lui donne un avantage, même temporaire. Et puis c'est cohérent avec cette histoire de prendre appui dans le vide. Si elle peut rendre une portion d'air solide, elle peut donc prendre appui dessus. C'est un pouvoir similaire que doit posséder Shala qui est connu pour marcher sur l'air. Raison pour laquelle il n'a pas besoin d'ailes, même si c'est le dragon de l'air.

— Waouh !

Ce fut tout ce qu'Arken trouva à répondre. Ce pouvoir était impressionnant. Il se rendit cependant compte qu'en situation de combat, c'était assez peu efficace, en revanche. Il reprit ensuite son récit et raconta le combat qui avait eu lieu entre les dragons, la force titanesque de Nolak qui avait giflé le chien géant et terrassé la brune d'un seul coup.

— Ce n'est pas un chien, c'est le dragon de l'air, corrigea Saya. Il s'appelle Shala.

— OK ! se contenta de répondre Arken.

— En tout cas, ils nous ont retrouvés très vite, alors que tu avais dit que c'était un endroit sûr, répéta Alaynah. On fait quoi maintenant, du coup ?

Saya décréta qu'il fallait prendre la fuite, évidemment, mais pensait qu'ils avaient encore quelque temps pour cela. Selon elle, les martyrs allaient se méfier d'eux à présent et n'attaqueraient pas de front si vite après une défaite qui leur avait coûté un dragon. Cela confirmait ce que pensait Arken et il s'en félicita. Par ailleurs, leurs ennemis avaient besoin d'agir discrètement, eux aussi. Enfin, Saya aurait aimé pouvoir emmener Shala avec elle et cela demandait une sacrée organisation, considérant la position dans laquelle il était statufié.

— Ça tombe bien qu'on ait gardé le gros caillou vert, alors ? sourit Arken.

De nouveau, Saya lui offrit un sourire sans équivoque. Oui : c'était une bonne idée de l'avoir ramassé, en effet.  

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