Chapitre 12🪽
Niel revint le coffre chargé de provisions, comme prévu. Arken aida à décharger la nouvelle voiture que venait d'acquérir Niel. Il avait rendu celle qui leur avait permis de venir depuis l'aéroport et en avait acheté une autre d'occasion. Saya n'était pas un agent secret, mais elle avait dû regarder tous les films du genre pour développer une telle obsession sur le changement de véhicule. Si vraiment les martyrs étaient aussi efficaces, changer de voiture ne leur apporterait au mieux qu'un léger gain de temps.
Arken ne fit cependant aucune remarque. Saya et ses compagnons faisaient des efforts pour se cacher et c'était le principal. Arken se demandait encore comment il en était arrivé là. Du jour au lendemain, il était passé de soldat en formation pour rejoindre l'armée à fugitif international probablement soupçonné de meurtre et d'enlèvement. Quand il y pensait, c'était presque comique. Ses parents allaient faire une attaque cardiaque lorsque le FBI débarquerait chez eux, si ce n'était déjà fait, et il pouvait oublier tous ses rêves de rejoindre un jour les Navy Seals.
— Waouh ! s'époustoufla soudain Alaynah. C'est un diamant ?
Arken se tourna vers Niel qui tenait, à deux mains, un joyau gigantesque. Arken en avait déjà vu dans les films, principalement, ou dans des émissions de télévision. La plupart du temps, les pierres précieuses étaient minuscules et découpées et polies de façon à produire mille reflets. Là, la pierre était tout simplement immense. Même avec ses deux mains, Niel ne pouvait pas recouvrir le diamant. Autre particularité, celui-ci avait une forme oblongue sans angle visible. De fait, la pierre scintillait moins et Arken se demanda si c'était bien un diamant et non un simple quartz ou une autre pierre sans grande valeur.
— Non seulement c'est un diamant, clama Niel avec le sourire, mais c'est le plus gros du monde.
— Il doit coûter cher ? demanda Alaynah.
— Sûrement, confirma Niel en interrogeant sa sœur du regard.
— Il est inestimable, en réalité. On pourrait en tirer un prix complètement insensé si on essayait de le vendre, mais personne ne s'est jamais donné la peine de calculer sa valeur marchande. C'est certes un diamant, mais un peu particulier, tout comme cette statue de pierre là-bas. Précisa Saya en pointant Nolak du doigt. C'est de la pierre, certes, mais rien sur terre ne saurait l'entamer ou l'ébrécher. Pareil pour son cœur. Aujourd'hui, on sait découper du diamant et pourtant aucun outil ne pourrait fracturer celui-ci.
— Intéressant, se moqua Arken qui n'avait plus qu'une envie dorénavant : réveiller Nolak.
Saya expliqua la marche à suivre, qui s'avéra extrêmement simple. Pendant qu'il prenait la pierre des mains de Niel, Saya expliqua qu'Arken devait être le seul face au dragon. De cette façon, à son réveil Nolak comprendrait que c'était lui son nouveau maître. D'une façon ou d'une autre, il allait ensuite se lier à lui et leur lien serait, dès lors, indéfectible. Plus personne ne pourrait alors prendre le contrôle du dragon sans d'abord assassiner Arken.
— Sympa ! souffla-t-il alors, libérant une volute de vapeur blanchâtre.
— D'un autre côté, précisa Saya, pour ça, il faudrait réussir à contourner Nolak s'il est près de toi, et ça ne sera pas facile.
Arken s'approcha de l'immense statue en suivant les indications orales de Saya. Sous le cou de la bête se trouvait une sorte d'écrin. Arken trouvait que cela ressemblait plutôt à une immense bouche d'oursin ouverte. C'était au centre de cette cavité qu'il devait disposer le cœur du dragon. Il y avait une face plane et légèrement striée qui servait de base à la pierre.
— Normalement, dit Saya, cette face s'appuie directement contre son cou.
— Et c'est tout ? demanda-t-il en insérant le diamant et cherchant la bonne position.
— Oui.
Il tourna jusqu'à entendre un clic caractéristique et la terre trembla une seconde.
— C'était quoi ça ? s'inquiéta Alaynah.
— C'est Nolak, répondit Saya d'un ton satisfait.
Le cœur battant à toute vitesse, le sourire jusqu'aux oreilles, Arken fit deux pas en arrière. Nolak reprit petit à petit une coloration naturelle. Ou du moins, Arken pensa que c'était sa coloration naturelle. La peau de la créature était faite d'un amalgame de terre, de roche noire et de métaux, comme si elle avait porté une armure qui, après s'être disloquée, s'était fondue sur sa carapace terreuse. C'était très étrange comme spectacle. En de nombreux points, des taches de rouille apparaissaient et parfois, sa peau granuleuse et stratifiée prenait des teintes métalliques, argentées. Ses deux gros yeux virèrent au gris pâle et Nolak baissa la tête vers Arken qui arrêta de respirer, pétrifié par la peur.
Et si Nolak ne le reconnaissait pas comme son maître ? Si, d'une façon ou d'une autre, il ne l'estimait pas digne de lui ?
Le dragon ouvrit soudain ses deux petits yeux, flanqués plus près de l'extrémité de son museau démesuré : deux billes rouge orangé, barrées d'une pupille très fine. Nolak le fixa pendant quelques secondes. Ses babines tremblèrent, comme prises de spasmes et de la poussière noire tomba en un mince filet aux pieds d'Arken.
Soudain, le dragon recula la tête, ouvrit grand la gueule faisant apparaître deux rangées de dents, effrayantes de désorganisation. Puis, sans semonce, il poussa un rugissement sauvage et puissant qui fit sursauter Arken. La langue noire du monstre passa ensuite sur ses babines et il fit un premier pas qui fit sursauter Arken et probablement les autres spectateurs. Sa queue hérissée de pointes balaya l'air derrière lui et vint frapper un sapin qui s'effondra immédiatement. Par chance, il tomba sur d'autres arbres avant de finir sur le sol sans autres dommages.
Arken réalisa qu'il y avait probablement danger à laisser une telle créature en liberté dans un jardin, même de cette taille, et se demanda s'il pouvait lui dire de s'assoir comme il le ferait avec un chien. Il se tournait pour demander conseil à Saya lorsqu'une nouvelle secousse attira son attention. En dirigeant de nouveau son regard vers Nolak, il entendit des rires derrière lui. Ce n'est qu'en découvrant le gros dragon de métal et de roche, assis comme un chien de garde, qu'il comprit que ce n'était pas de lui qu'on se moquait.
Nolak l'avait écouté !
— Il peut lire dans mes pensées ? demanda-t-il vers l'arrière sans quitter le mastodonte du regard.
— Vous êtes liés, rappela Saya. J'imagine que vous partagez à peu près tout, maintenant.
— Comment ça : tu imagines ? s'étonna Arken en se tournant vers elle.
Il s'arrêta avant de s'adresser à Nolak pour lui ordonner de ne pas bouger de sa place. Enfin, il fit quelques pas en direction de Saya et des autres, toujours à distance respectueuse de l'animal.
— Je croyais que tu étais incollable sur les dragons, ajouta-t-il.
— Je n'ai jamais dit ça, sourit-elle. Je sais des tas de choses, c'est vrai, probablement plus que n'importe qui qui ne soit pas un martyr. Mais mes connaissances ont des limites, en particulier en ce qui concerne les dragons. Depuis que Palfran a décidé de tuer le lien, les dragons ont été assez peu activés et donc, il y a peu de traces écrites de quoi que ce soit. En tout cas, rien de moins de mille deux cents ans.
— D'accord, abdiqua Arken. Et du coup, qu'est-ce que tu peux nous en dire ?
Saya sourit et invita Arken à préciser à Nolak qu'il ne devait pas toucher à la maison. Selon elle, le moindre coup de queue ou d'épaule pourrait tout faire effondrer.
— Qu'il monte la garde, simplement, mais sans s'approcher de la maison, déclara-t-elle en se rapprochant de l'animal.
Tout le monde l'imita et Nolak jeta un œil à chacun de ses visiteurs. Arken en profita pour faire les présentations, comme si le fait de mettre un prénom sur les visages qu'il découvrait pouvait aider le dragon.
— Il est si fort que ça, pour que tu insistes autant sur les distances de sécurité ? demanda de nouveau Arken.
— Disons qu'il aurait détruit une basilique en Grèce lors de son combat avec Argos, sourit Saya. Ma maison est bien moins solide qu'une basilique, donc je préfère éviter de prendre des risques. Et puis, tu as vu ce qu'il vient de faire à ce sapin sans même faire d'effort. Il peut générer des tremblements de terre, à ce qu'on raconte. Genre massifs ! Et il est capable de se déplacer sous terre, comme une taupe.
— Une taupe, genre massive, aussi, rigola Niel.
— J'imagine à peine la taille des mottes de terre qu'il doit laisser derrière lui.
— Il ne crache pas de feu ? s'étonna Arken.
— Il n'y a qu'Argos qui crache du feu, confirma Saya. Lui, c'est le dragon de la terre.
— Tu veux dire qu'il crache de la terre ?
— Mais non, voyons, Arken, soupira-t-elle. Mais chaque dragon est unique. Et chacun a donné naissance à des mythes plus ou moins tenaces. Argos a forgé la vision du dragon occidental, alors que Shala a plutôt nourri l'imaginaire collectif oriental. Tohlen a fait naître la légende des monstres marins, le loch Ness en tête.
— Et Nolak ? demanda Arken.
— Lui, il serait plutôt à l'origine de la théorie de la Terre creuse peuplée de dinosaures.
— C'est nul, grogna-t-il.
— On s'en moque, contra Alaynah d'un air étonnamment enjoué. Il reste impressionnant. S'il passe son temps caché ou sous terre, il a dû être bien moins visible que les autres, voilà pourquoi il n'a pas engendré de légende fantasque à son sujet.
— Je n'avais pas pensé à ça, remarqua Saya.
— Et tu as dit qu'il s'était battu avec le dragon du feu, insista Arken. Mais du coup, ils vont s'entendre si on les remet ensemble ?
De nouveau, Saya sourit et Arken sentit qu'il avait posé une question bête.
— Non, dit-elle sans agressivité ni moquerie. Les dragons n'ont pas vraiment de sentiments. Ils étaient ennemis par le passé, parce que leurs maîtres respectifs l'étaient. Si je prends le contrôle d'Argos comme j'en ai l'intention, il n'y aura aucune animosité entre eux, car toi et moi ne sommes pas ennemis.
— Je vois. Et on a une idée sur comment on le récupère ce Argos ? Parce que le gars ne va pas te le donner comme ça, j'imagine.
— Il n'en a rien à faire du dragon, en fait, répliqua Niel d'un ton dur. Tout ce qui l'intéresse, Jeliz, c'est l'argent et le pouvoir. Tout ce qu'il veut, c'est se mettre au centre du Pentacle quand les cinq dragons seront réunis.
— C'est aussi ce que j'avais cru comprendre, compléta Saya. Il pourrait peut-être nous laisser le dragon contre la garantie d'être présent au moment de l'activation du pentacle.
— Tu voudrais lui laisser récupérer tous les pouvoirs ? s'étouffa Arken.
— Pas vraiment, corrigea Saya.
Son plan était un peu plus subtil, en réalité, même si loin d'être finalisé. Elle envisageait de profiter de la force de frappe de Lawrence Jeliz et de ses connexions pour monter une petite armée et aller chercher les deux autres dragons. Il y avait cependant deux obstacles majeurs à ce plan. Le premier était qu'ils ignoraient où pouvaient bien se trouver ces dragons. Les martyrs devaient au moins avoir le contrôle sur un des deux. Le second problème était, en effet, qu'ils risquaient de voir Jeliz s'accaparer les pouvoirs des éléments.
— Ceci dit, précisa-t-elle un doigt en l'air. Il paraît qu'un humain ne peut pas tenir face à la puissance de tous les éléments.
— Ça veut dire quoi ? demanda Alaynah.
— Que pour survivre au pentacle, il faut au moins être deux au centre. La légende prétend qu'autrement, tu meurs dans des souffrances atroces.
— Et tu voudrais le laisser entrer dans le pentacle tout seul, du coup ? demanda Niel.
— Ça serait faisable, acquiesça-t-elle. Et puisqu'il possède déjà un pouvoir, ça risque d'être encore pire, dans son cas.
— Mais je crois que tu le sous-estimes, grimaça Niel. Il n'est pas si stupide, je pense. Il se doutera de quelque chose si tu le laisses entrer sans l'accompagner.
— Pas sûr...
— Et moi ? coupa Alaynah.
— Quoi toi ? demanda Saya.
Alaynah avait le regard triste et Arken imagina qu'elle allait fondre en larmes. En réalité, elle s'inquiétait de ce qu'il allait advenir d'elle, une fois le pentacle activé. Saya ouvrit la bouche pour lui répondre, mais s'arrêta avant de prononcer le moindre mot, soudain prise d'un doute.
— Il n'y a rien nulle part qui stipule qu'il t'arrivera quoi que ce soit, dit-elle après deux secondes d'hésitation.
— Mais peut-être que je meurs, une fois ma mission accomplie ? insista Alaynah.
— J'en doute. Ça serait marqué quelque part.
— Tu l'as dit toi-même, intervint alors Arken, tu n'as pas accès à toutes les informations. Peut-être que ça la videra de toute substance ?
Saya ne répondit rien, bien consciente que sans preuve, elle ne rassurerait jamais Alaynah.
— Le plus simple, c'est plutôt d'aller se servir, proposa Arken. S'associer avec un mafieux, c'est un très mauvais plan, de toute façon.
— Je suis assez d'accord avec lui, ajouta Franck qui cognait sur une plaque de métal sur une patte de Nolak afin d'en tester la sonorité. On y va, on se serre, et on repart. Point barre.
— C'est le plus gros mafieux de la côte ouest, je vous rappelle.
— Justement, personne ne viendra l'aider si on l'attaque, insista Franck. Et tu sais que je peux être très persuasif.
Franck ponctua sa dernière tirade d'un clin d'œil et Arken frissonna. Il avait un souvenir vif de la tentative de Franck de le réduire à l'état de tomate séchée. Il y avait effectivement de grandes chances que ce plan soit le plus simple à mettre en œuvre avec Franck dans leur camp.
Saya refusa cependant de trancher la question pour le moment. Il était temps d'aller manger, annonça-t-elle, soutenue par son petit frère.
Il fut décidé de laisser à Nolak la surveillance active de la maison. Il n'avait besoin ni de dormir ni de manger et il voyait à la perfection dans la nuit grâce à ses deux paires d'yeux, dont une dédiée à la vision sous terre. Par ailleurs, il était capable de sentir les vibrations dans le sol avec une telle précision qu'il sentirait des ennemis approcher avant même qu'ils aient passé le portail.
— On n'aura pas meilleur système d'alarme, conclut Saya.
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