Chapitre 11🪽
Après la visite des lieux, Niel s'éclipsa pour faire les courses et Alaynah, retrouva Saya dans une autre chambre pour y chercher des vêtements susceptibles d'être enfilés malgré ses ailes.
— Ton frère ne parle pas beaucoup, attaqua Alaynah en avisant l'immense dressing au fond de la pièce.
— Il parle beaucoup trop, au contraire, grinça Saya en ouvrant en grand la double porte.
Elle dévoila de nombreuses tenues de styles et d'époques très variés. Devant l'air ahuri d'Alaynah, Saya précisa que tout n'était pas à elle. Tout du moins, si tout lui appartenait en effet, elle n'en avait acheté qu'une petite partie. Le reste était venu avec la demeure et elle ignorait à qui cela avait pu appartenir.
— Tout est en bon état et à ma taille, à quelque chose près, ajouta-t-elle. Et puisqu'on est à peu près de la même morphologie, la plupart de ces affaires devraient t'aller.
— À condition de pouvoir passer ces trucs dedans, grimaça Alaynah en pointant du doigt son dos.
Saya se contenta de sourire avec compassion et commença à fouiller dans le dressing long d'au moins cinq mètres. Alaynah en profita pour revenir sur le sujet du frère de Saya. Cette dernière lui apprit ainsi qu'ils n'avaient pas réellement grandi ensemble. Au moment du divorce, Saya était restée avec son père et Niel, au contraire, avait suivi sa mère. Dès lors, les deux enfants Lodlik ne s'étaient plus vus que par intermittence. Saya avait vécu avec son père richissime à Vienne, tandis que son frère avait grandi dans la banlieue de Munich, à plus de quatre cents kilomètres de là. Ce n'est qu'à la majorité de son frère, de deux ans son cadet, qu'elle l'avait retrouvé, pour l'enterrement de leur père, mort d'un cancer.
Alaynah resta muette un instant. Elle n'avait pas trouvé les deux Lodlik très proches, elle qui était fille unique, adoptée de surcroît, et qui avait toujours imaginé qu'avoir un frère ou une sœur était un peu comme avoir sa meilleure amie à la maison en permanence. À présent, elle comprenait pourquoi leur relation était différente de ce à quoi elle s'attendait.
— Il est resté avec toi, depuis ? demanda Alaynah lorsque Saya posa sur le lit une petite pile de gilets de coupes et de couleurs variées.
— Tiens, dit-elle en en attrapant un sur le dessus de la pile, essaie ça. Tu vas pouvoir l'attacher dans le dos. Ça ne sera pas super mode, mais au moins tu ne devrais pas avoir froid.
Alaynah considéra l'objet avec méfiance. La couleur ne lui plaisait pas, mais elle ne fit pas de remarque. Saya lui offrait de quoi se vêtir, c'était bien gentil de sa part. Sans enlever sa double chemise, elle passa le gilet comme une camisole. L'entreprise fut périlleuse, mais par chance, la pièce était spacieuse et sans bibelot ou quoi que ce soit de fragile. Saya évita de justesse un coup d'aile. Alaynah se cogna deux fois contre la porte, puis un mur, mais sans se faire mal.
— Niel et moi, c'est compliqué, reprit Saya en attachant quelques boutons dans le dos d'Alaynah une fois qu'elle eut enfin enfilé les manches. Avec le divorce, nos parents ont passé un arrangement étrange qui faisait de moi la seule héritière de papa et de Niel le seul héritier de maman. Sauf qu'elle n'était pas riche, elle. Forcément, Niel était un peu jaloux et je le comprends.
— C'est normal, confirma Alaynah en se tournant pour observer son reflet dans le miroir derrière elle.
Le résultat était bien moins pire que ce qu'elle avait anticipé. Certes, il était flagrant que son gilet était à l'envers, mais il ne tombait pas trop mal, en fin de compte.
— Ça va, en fait ! déclara à son tour Saya avec un sourire satisfait. En tout cas, c'est pas si ridicule.
Alaynah tourna d'un quart pour essayer de voir son dos. Avec ses deux grandes ailes, ce n'était pas simple, mais elle put observer le rendu.
— Je ne pourrai jamais m'habiller toute seule, en fait, se lamenta-t-elle.
— Avec un peu d'entraînement, ça devrait le faire, contra Saya. Et puis, on trouvera d'autres types de vêtements. Là, c'est dans l'urgence. Ne t'en fais pas.
Saya décida de détacher les boutons pour essayer un autre gilet et Alaynah se laissa faire. Elle questionna de nouveau Saya au sujet de Niel pour savoir ce qu'il avait fait après la mort de leur père.
Saya lui expliqua qu'elle lui avait donné un peu d'argent et l'avait autorisé à vivre dans la demeure de Californie qu'elle ne comptait pas occuper de toute façon.
— Ce que je ne savais pas, à l'époque, c'était que mon frère était un délinquant en puissance. Je pensais lui offrir un séjour linguistique avant qu'il reprenne ses études et je me suis retrouvée avec un frère enrôlé dans la mafia californienne. J'ai voulu couper les ponts avec lui, mais c'est mon frère quand même, alors je n'ai pas pu. J'ai essayé de l'aider. Quand il m'a demandé de l'argent pour payer son brevet de pilote, je pensais que c'était pour qu'il se reconvertisse. J'ai découvert un peu plus tard que c'était pour transporter de la drogue pour le compte de Jeliz.
Alaynah imagina sans peine la déception qu'avait pu ressentir Saya de s'être fait avoir par son propre frère. Pourtant, Saya poursuivit et déclara qu'elle n'avait pas plus réussi à rejeter son frère à ce moment-là. Ni plus tard, lorsqu'après qu'elle lui avait parlé d'Argos, à l'abri dans une autre propriété, il avait décidé de le livrer à Jeliz en remboursement de ses dettes colossales.
Niel n'avait jamais cru aux délires de leur père concernant les dragons. Pour être exact, leur mère pensait ainsi et, tout naturellement, Niel s'était rallié à sa cause. Il n'y avait aucun jugement dans le ton de Saya, à ce sujet. Elle admit d'ailleurs qu'elle-même avait été, en quelque sorte, embrigadée par son père. Ce n'était donc pas étonnant que Niel ne croie pas à l'existence de dragon ou d'êtres avec des pouvoirs. Pour lui, ouvrir les portes de la demeure hébergeant Argos à Jeliz n'était rien de plus que de l'autoriser à récupérer une statue de pierre. Niel avait pourtant pris la peine de raconter l'histoire de cette statue. Histoire à laquelle il ne croyait pas, mais que Jeliz, détenant lui-même un pouvoir lié aux éléments, trouva très intéressante.
— Là, par contre, insista Saya, je lui ai posé un ultimatum. Ses dettes payées, il n'avait plus aucune raison de rester au service de ce sale type et s'il venait vivre en Europe, Jeliz n'avait aucune emprise sur lui. Il est puissant certes, mais seulement en Californie. Depuis, Niel bosse pour moi. Ça va faire quatre ans, je crois. J'ai tout de même gardé un œil sur lui. Il a mon dragon fétiche, après tout. C'est comme ça que j'ai compris qu'il avait un pouvoir. C'est du moins ce que racontent certains, mais bien entendu, il n'y a aucune preuve à part des racontars.
Saya marqua une nouvelle pause pour observer Alaynah avec le nouveau gilet qu'elle venait de lui attacher dans le dos. Celui-ci tombait mieux, décida-t-elle et Alaynah voulut le garder sur elle. Elle se sentait, en effet, plus à l'aise. Elles emportèrent le reste de la sélection dans la chambre qu'occupait Alaynah, puis elles rejoignirent les deux garçons dans le salon.
— Du coup, reprit Alaynah dans l'escalier qui menait au rez-de-chaussée, ce Jeliz vous laisse tranquille ?
— Oui, répondit Saya. Il ne me connaît pas et Niel m'a assuré qu'il ne lui a pas parlé de Nolak. Encore heureux, parce qu'il semble que Jeliz est lié à la terre, comme Arken. Il voudrait sans doute le dragon qui va avec son pouvoir.
Elles franchissaient le seuil du salon et l'apprenti soldat réagit en entendant son nom. En quelques mots, Alaynah résuma leur conversation, puis questionna Saya.
— Si je comprends bien, tous les dragons sont liés à un élément et ont des pouvoirs ?
Saya acquiesça en silence.
— Et il y a des gens qui ont des affinités profondes avec les éléments et ont des pouvoirs, comme Franck ou Arken ?
— C'est ça, confirma Saya.
— Et moi, si je me réfère à ce que tu m'as dit, je suis un peu l'équivalent du cinquième dragon. Donc je devrais avoir des pouvoirs aussi, non ?
L'expression de Saya s'éclaira un instant, signe qu'elle comprenait où Alaynah voulait en venir. Cependant, sa réponse ne fut pas celle qu'Alaynah espérait.
— Tu n'as pas vraiment de pouvoir, non, soupira-t-elle.
— Comment ça, pas vraiment ? intervint Arken.
— Eh bien, disons que son pouvoir, ça serait plutôt ses ailes et sa capacité à lier les dragons lors de la réunion dans le pentacle.
— C'est pas très impressionnant, se lamenta Alaynah.
— Non, mais tu as d'autres capacités qui sont directement liées à ton élément, comme tous les chevaliers, d'ailleurs.
— Ah bon ? s'étonna Alaynah.
— Oui. Prenons Arken, par exemple. Vu la puissance qu'il est capable de développer, je suppose qu'il est très lié à son élément. Je ne le connais pas, mais du coup je dirais qu'il possède un tempérament tranquille, voire introverti. Plutôt solitaire aussi. Il aime les choses organisées, l'action et la justice. Raison pour laquelle il n'a pas pu te laisser, lorsqu'il te pensait notre prisonnière, conclut Saya. En fait, ça ne m'étonne pas du tout qu'il ait rejoint l'armée.
Alaynah observa Arken une seconde. La description que venait d'en faire Saya correspondait à ce qu'elle avait pu voir du personnage.
— Et moi, alors ? demanda-t-elle avec un léger sourire.
— Toi, tu es l'héritière d'Æther, reprit Saya. Tu es la lumière pure dans laquelle baignent les quatre autres éléments. Le rôle d'Æther est plus spirituel parce qu'il est considéré comme la source des autres et leur lien. Par conséquent, étant sa réincarnation, en quelque sorte, tu possèdes très certainement une excellente mémoire. Tu as probablement des facilités pour les langues et tout ce qui tourne autour de la logique. En tout cas, ce sont les caractéristiques qui correspondent au lien. Je suis certaine que tu as été première de ta classe la plupart du temps.
— Tu veux dire qu'elle est surdouée ? demanda Arken.
— Non, pas vraiment, corrigea Saya. Mais elle comprend plus vite que la moyenne et retient tout avec beaucoup de facilité.
Alaynah sentit ses joues s'échauffer. Cela lui correspondait tout à fait. Elle confirma à Saya que sa scolarité avait toujours été un peu trop facile et qu'elle avait sauté une classe. Cependant, parce qu'elle ne voulait plus quitter sa meilleure amie Alicia, elle avait fait exprès de garder des résultats juste au-dessus de la moyenne. Elle s'était donc beaucoup ennuyée en cours, mais avait eu le plaisir de rester auprès d'Alicia. Sa seule véritable amie.
— C'est aussi pour ça que nous étions à Soka, ajouta Saya. Ce fameux Michael avait aussi sauté des classes. Deux, pour être précise. Et la plupart des jeunes qu'on a enlevés étaient, eux aussi, en avance. Tout comme ceux qui ont été tués. Si tu es passé au travers, c'est vraiment seulement parce que l'administration t'a fait naître le quinze et non le treize.
— Drôle de coup de bol, glissa Arken.
— Saya appelle ça, le destin, en fait, corrigea Franck d'un ton sarcastique.
La jeune femme ne répondit rien, elle semblait gênée et Alaynah décida de ne pas insister sur ce point. À la place, elle enchaîna sur un sujet qui la préoccupait bien plus : ses ailes. Saya semblait intarissable sur tout ce qui concernait la légende, elle lui demanda donc si elle savait comment faire pour l'en débarrasser.
— Et pourquoi tu voudrais faire ça ? s'étrangla Saya.
Alaynah eut un doute, l'espace d'un instant. Était-elle la seule à penser que ses quatre appendices étaient une horreur ?
— Tes ailes sont magnifiques et te rendent unique, continua Saya. Tu ne peux pas t'en débarrasser et même si tu le pouvais, je ne pense pas que tu devrais.
Franck laissa échapper un petit rire, puis précisa qu'à la place d'Alaynah, elle verrait peut-être les choses différemment. Alaynah le remercia de prendre son parti.
— C'est envahissant et ça ne sert à rien, je ne peux pas les contrôler, ajouta-t-elle. Je ne volerai jamais avec ça, c'est totalement inutile, en fait.
Saya la dévisagea avec des yeux ronds pendant un instant.
— Il y a peu de représentations graphiques de liens du passé, tu t'en doutes, reprit Saya après quelques secondes. Mais j'en ai vu deux quand même et, pour commencer, à chaque fois, les personnages avaient des ailes de chauve-souris. Tu as donc de la chance d'avoir de magnifiques ailes d'ange. Ensuite, et c'est ça le plus important, à chaque fois, ils étaient représentés en vol. Je suis persuadée qu'avec un peu d'entraînement, tu pourras contrôler tes ailes et même voler.
Cette perspective donna le sourire à Alaynah. Elle ne voulait toujours pas garder ses ailes, bien trop imposantes à son goût, mais si elle pouvait voler, tel un oiseau, peut-être cela serait-il une belle consolation.
— Si je peux voler, soupira-t-elle, je pourrai au moins montrer ça à mes parents.
— Je ne voudrais pas casser l'ambiance, lança Franck, mais tu risques de ne pas les revoir de sitôt, tu sais.
Elle savait. Ils en avaient déjà parlé, mais elle ne comptait pas abandonner cette idée de les retrouver. Ne serait-ce que pour leur dire qu'elle était en vie et en pleine forme.
— D'un autre côté, lâcha Arken, si j'ai bien compris, vos martyrs ne risquent pas de nous lâcher, donc il n'y aura nulle part où Alaynah sera en sécurité. Autant qu'elle aille voir ses parents.
— Si tu veux qu'elle se fasse descendre, gronda Franck, c'est exactement ce qu'il faut faire.
— On fait quoi alors ?
— On se prépare, claqua Franck. T'as pas vu ça dans tes cours de soldat ?
Arken se tendit d'un coup et Alaynah craignit qu'il s'en prenne à Franck. Pourtant, il parvint à se maîtriser suffisamment et garda le silence. Ce fut Saya qui intervint.
— Lâche-le un peu ! calma-t-elle, avant de s'adresser à l'apprenti soldat. On va déjà commencer par réveiller Nolak, comme prévu. Ensuite, on va trouver un moyen de récupérer Argos. Dès lors, nous aurons avec nous les deux dragons les plus puissants. Tohlen, le dragon de l'eau, n'est pas ridicule, mais disons que son domaine, c'est l'eau. Ça reste un dragon et même sur terre, il sera toujours dangereux, mais beaucoup moins que les deux autres. Quant à Shala, le dragon de l'air, j'ai vraiment du mal à le considérer comme une menace.
Alaynah sourit. Pour elle, dragon et menace étaient quasiment synonymes. Quelles que soient les particularités de ce dragon de l'air, il devait être redoutable.
— La véritable inconnue et qui est de première importance, ce sont les chevaliers, reprit Saya. Combien y en a-t-il et de quoi sont-ils capables ? On en a rencontré deux, c'est certain. Une maîtrise le feu et l'autre, on n'a aucune idée de son pouvoir.
— Si elle utilisait un pistolet, c'est pas justement parce qu'elle n'a pas de pouvoir ? proposa Arken.
Saya grimaça. Selon elle, il y avait peu de chances que les martyrs aient recruté un chevalier sans pouvoir. Ça n'avait pas de sens.
— Peut-être que ce n'était pas un chevalier, par contre, intervint Franck. C'était peut-être juste un martyr accompagné par un chevalier.
— Possible, en effet, admit Saya. Auquel cas, il reste peut-être trois autres chevaliers dont on ignore l'existence.
— Et ils sont peut-être super balaises, tu veux dire ? insista Arken.
— C'est bien ce qu'elle veut dire, confirma Franck. Alors, on ferait mieux de faire profil bas en attendant d'avoir les deux dragons avec nous. Ça nous laissera une chance de les battre. Ou au moins de nous défendre correctement quand ils mettront la main sur nous et qu'ils nous tomberont dessus tous en même temps.
Cette perspective ne réjouissait pas du tout Alaynah, bien entendu.
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