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L'inspecteur Altmann sortit de sa poche un mouchoir en coton et le déposa sur la table en face de Leiah. Georges Altmann avait pour point faible les femmes en larmes. Il n'arrivait pas à résister à leurs sanglots qui, en plus de le mettre mal à l'aise, le faisaient perdre toute clairvoyance. Il suffisait qu'une d'entre elles se mette à pleurer pour que son "non" se transforme en "peut-être ".
À l'aide du carré de tissu, Leiah tamponna ses yeux humides et renifla bruyamment. Bien que gênée par le spectacle qu'elle offrait à ces messieurs, elle n'arrivait pas pour autant à contenir ses larmes. L'inquiétude mélangée au sentiment de culpabilité l'avait transformé en fontaine intarissable.
— Ce qui s'est passé n'est absolument pas votre faute, n'allez surtout pas culpabiliser. intervint l'officier Mc Larren.
Leiah l'entendait, mais avait du mal à l'accepter. Elle était l'ainée. Et dans la grande lignée des Rodrigo, Les ainés guident et protègent leurs cadets avec ou contre leurs volontés. C'était son rôle et elle avait échoué.
— Le sergent a raison, appuya l'inspecteur. Malgré tout l'amour que nous les portons, nous ne pouvons contrôler, encore moins décider de la vie de nos cadets. Vous avez fait ce qu'il faut : donner votre point de vue et respecter ses décisions malgré tout.
Leiah opina, mais son regard trahissait son doute.
« Quand je retrouvai l'usage de mes jambes, je me précipitai aux côtés d'Ava. Elle était là, baignant dans son propre sang. Au moment où, tremblante comme une feuille, je m'agenouillais près d'elle, elle s'agrippa à ma robe et tourna son regard vers moi. Malgré le faible éclairage, je pus voir ses yeux. Ils avaient une expression que je n'avais jamais vu auparavant, quelque chose entre la terreur et la douleur, ou peut-être un mélange des deux. Je ne sais pas, je ne pourrais la décrire parfaitement. Toujours est-il qu'elle me glaça le sang.
— C'est à ce moment que vous avez appelé à l'aide ?
Leiah acquiesça.
« Je me suis retourné vers la maison et j'ai crié de toutes mes forces. Je n'ai pas arrêté une seule seconde jusqu'à ce qu'arrive de tous les côtés des personnes alertées par mes cris. Je n'ai pas la moindre idée de qui de mes parents ou des voisins sont arrivés en premier. J'entendais des voix, je percevais des mouvements, mais la seule chose que je voyais, c'est Ava étendue sur le dallage glacé du trottoir.
Dans l'état second, dans lequel je me trouvais, j'entendis quelqu'un dire que la police et les urgences avaient été prévenus et qu'ils ne tarderaient pas à arriver. Je me levai alors, mit Ava sur le dos et repliai ses jambes afin que la blessure ne soit pas étirée à cause des jambes tendues. De mes deux mains, j'appuyai à en avoir des crampes les points au-dessus des plaies causées par les trois coups de couteaux qu'elle avait reçus dans l'abdomen. J'ai lu un jour dans un article médical que c'était la meilleure chose à faire dans ces cas-là. Il fallait que les plaies soient compressées pour stopper l'hémorragie en attendant les secours.
Au fond de moi, je me maudissais d'avoir ces bras qui après seulement quelques minutes commençaient à fatiguer. Mais je ne me voyais pas flancher avant l'arrivée des urgences. Il fallait que je garde cette position, même si après ça, je perdais toute la vigueur de mes membres supérieurs.
La sirène deux tons du véhicule des urgences m'apporta du soulagement.
Les secouristes m'invitèrent à me poster sur le côté pour leur accorder plus d'aisance dans l'exécution de leur tâche. Ce que je fis, non pas sans traîner le pas. Je ne voulais pas laisser ma sœur toute seule, vous comprenez ? Elle avait besoin de moi. Je reculai à contrecœur et fus récupéré par mes parents qui se tenaient serrés l'un contre l'autre à quelques centimètres de là.
Au moment où les ambulanciers étaient sur le point de l'emmener, vous êtes arrivé. »
— Je suppose qu'il est inutile de raconter la suite. ajouta-t-elle avec un soupir.
— Ça ira, répondit l'inspecteur.
— Alors, je peux m'en aller ? demanda-t-elle, une note de lassitude dans la voix.
— Oui, mais avant, il faut que vous sachiez quelque chose, dit l'inspecteur.
— Je vous écoute.
— Il y a une demi-heure environ, nos services ont procédé à une arrestation près de Columbia street. Selon les informations qui m'ont été communiqués, une jeune femme aurait fait preuve de violence envers un agent de sécurité qui, sous ordre d'un des résidents, lui aurait refusé l'accès à un immeuble qu'elle souhaitait rejoindre, expliqua le quinquagénaire.
Leiah haussa les sourcils.
— Excusez-moi, mais j'ai du mal à voir en quoi ça me concerne, dit-elle.
— Eh bien, d'après sa pièce d'identité, cette jeune femme n'est nulle autre que mademoiselle Zia Wiley, révéla l'inspecteur.
Leiah ouvrit grand les yeux d'étonnement.
— D'après les officiers, l'appartement qu'elle essayait de gagner serait celui de son petit ami, l'auteur de l'interdiction d'accès.
— Anthony ? s'enquit Leiah.
L'inspecteur hocha la tête en signe d'assentiment.
— Je tenais à vous informer, reprit-il, que votre principal suspect est d'ores et déjà dans nos locaux et que nous n'allons pas tarder à l'interroger. Si elle ou monsieur Escott sont un tant soit peu mêlés à l'agression de votre sœur, soyez en sûr, nous le découvrirons.
— Bien sûr, répondit Leiah sans grande conviction.
Bien qu'elle désirait rester positive, Tony, elle en était certaine, ne serait jamais inquiété. Le seul crime pouvant lui être imputé avec certitude était l'infidélité. Concernant l'agression d'Ava, elle mettrait sa main à couper que jamais des preuves directes ne seraient trouvées contre lui. En tant qu'avocat, Tony était malin et rusé, capable de semer les preuves et de brouiller les pistes.
Il avait certainement déjà tout mis en place pour réussir à filer entre les mailles de la justice. Il n'existait sûrement plus, depuis son appel avec Ava, des preuves de son ignoble business. Et même si, comme elle le pensait, il avait joué les informateurs pour Zia, cela aussi ne pourrait sans doute pas être prouvé.
Mais un infime espoir subsistait, compte tenu des circonstances de l'interpellation de Zia. Si cette dernière avait eu besoin de faire le pied de grue pour pénétrer dans l'immeuble de Tony, cela signifiait peut-être qu'ils s'étaient disputés. Sinon, pourquoi quelqu'un interdirait l'accès de chez lui à sa copine ? Il devait s'être passé quelque chose entre ces deux-là. Quelque chose qui, Leiah l'espérait, permettrait de les faire condamner.
—Un agent se présentera au domicile de vos parents dans la journée pour récupérer le téléphone de votre sœur, dit l'inspecteur. Nous en aurons besoin pour l'analyse des appels anonymes.
— Aucun souci !
— Bien, le sergent va vous raccompagner.
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