7

On frappa deux légers coups à la porte de la salle d'interrogatoire. Un officier en uniforme y passa la tête, son regard cherchant celui de l'inspecteur.

— Excusez-moi, inspecteur, pourrais-je vous voir quelques minutes ? demanda-t-il avant de refermer la porte.

L'inspecteur Altmann se leva péniblement de son siège. Si son cerveau tenait encore la route, son corps lui rappelait chaque jour qu'il approchait de la retraite.

— Je ne serai pas long ! avisa-t-il en sortant.

Peu importait pour Leiah le temps qu'il mettrait à l'extérieur. Une seconde ou dix minutes pour elle, c'était pareil. Du temps perdu ! Pendant qu'elle moisissait sur cette chaise, sans nouvelles de sa sœur.

Le sergent Mc Larren l'observait, son visage empreint de compassion.

— Ne vous inquiétez pas pour votre soeur, je suis sûr qu'elle va s'en remettre, dit-il doucement.

L'inspecteur fut de retour dans le quart d'heure et après quelques messes basses à son collègue, il se rassit aussi difficilement qu'il s'était levé.

— Bien, où en étions-nous ? s'informa-t-il.

— Mademoiselle Rodrigo était sur le point de nous raconter les événements de la soirée, lui rappela Mc Larren.

— Faites donc, mademoiselle !

Leiah ferma les yeux et inspira profondément pour se reconcentrer et chasser l'inquiétude qui montait en puissance.

« Ce soir, après le dîner de réveillon, nous nous sommes installés en famille devant la cheminée. Mon père a sorti quelques vieux jeux de société qui malgré leur ancienneté font toujours leurs effets aux soirées des Rodrigo.

Ava, la tenante du titre au monopoly, était sur le point de lancer les dés quand, à l'extérieur, un bruit sourd ressemblant à une explosion nous fit sursauter.

Ava et moi nous précipitâmes aux fenêtres et vîmes deux petites ombres détaler dans la rue. Nous conclûmes qu'il s'agissait simplement de quelques jeunes du quartier qui devaient s'amuser avec des pétards. À une époque, nous faisions pareil les jours de fêtes. Il n'y avait donc pas de quoi s'alarmer. »

— Avez-vous la moindre idée sur l'identité de ces personnes ?

Leiah secoua lentement la tête de la droite vers la gauche.

— Il faisait un peu sombre dans le jardin, en plus, nous ne les avons vus que de dos. Mais il y a une caméra chez les Santhorn, les voisins de l'autre côté de la rue. Je ne sais pas si ça peut être utile.

— Nous allons vérifier ça, statua son interlocuteur.

Leiah hocha la tête en signe d'assentiment, faisant tomber sur son visage une mèche de son chignon lisse devenu flou suite à l'effervescence de la soirée. De ses longs doigts vernis de rouge, elle la glissa derrière son oreille tout en continuant son récit.

« Nous allions reprendre la partie quand la sonnerie du portable d'Ava nous interrompit, poursuivit-elle. » Les bonnes manières n'étant pas son fort, elle ne se gêna pas pour prendre l'appel en notre présence.

L'échange téléphonique ne dura que le temps d'un bâillement d'Iris. Ava avait à peine placé le "allô" d'usage que son interlocuteur débita à toute vitesse des paroles que je ne pus entendre. Mais je compris au visage décomposé de ma sœur que quelque chose n'allait pas. Les étincelles de bonheur qui toute la soirée avaient dansé dans ses prunelles s'étaient subitement éteintes. Son visage avait pâli et ses mains s'étaient mises à trembler, je ne sais si c'était d'effroi ou de colère.

Je m'enquis de la situation auprès d'elle, mais elle m'assura que tout allait bien. Et, prétextant un problème de réception dans le salon, elle se réfugia dans les toilettes pour passer un appel.

Vous savez, Ava a raison. Je suis une fouine ! Et en tant que fouine de premier ordre, je ne pouvais me contenter de sa réponse pour la moins douteuse. Alors, je l'ai suivie.

En pénétrant dans les sanitaires, je surpris une conversation téléphonique. »

— Écoute-moi bien, espèce de folle, si tu continues à me harceler, j'irai voir la police ! lança Ava furieuse avant de raccrocher.

Au même moment, Leiah émergea de derrière la porte d'accès aux commodités.

— Hey ! Tout va bien ?, s'enquit-elle.

— Oui, ça va, répondit sa cadette en s'efforçant de redonner contenance à son visage.

Leiah secoua la tête.

— Je t'ai déjà dit que tu n'étais pas une très bonne actrice ?

Ava sourit.

— Qu'est-ce qui te tracasse ? demanda Leiah, son regard inquisiteur.

— Promets-moi de ne pas t'affoler. répondit Ava.

— Je te le promets !

Ava baissa la tête, et sa voix se fit plus basse.

— L'explosion de tout à l'heure... C'était Zia.

— Zia ? Mais... Toutes les deux, on a bien vu s'enfuir des gamins, non ? bégaya Leiah bouleversée.

— Peut-être, mais c'est elle qui l'a commandité, assura Ava en levant les yeux du carrelage en damier pour les plonger dans ceux de son aînée.

— Tu en es sûr ? Comment aurait-elle eu l'adresse des parents ? Et puis, qu'est-ce qui te fait croire que c'est elle ?

Ava, qui avait toujours préféré les démonstrations aux explications, afficha l'historique de ses appels sur l'écran de son téléphone et le tendit à sa sœur.

— Ça fait à peu près une semaine que ce numéro n'arrête pas de m'appeler, mais dès que je décroche, c'est le silence à l'autre bout du fil, souffla la plus jeune en posant un ongle parfaitement manucuré sur l'écran du smartphone.

— Tu vois l'appel que j'ai reçu après l'explosion ? Eh bien, c'était le même numéro, poursuivit-elle. Sauf que cette fois, l'auteur du coup de fil a dit quelque chose... et là, j'ai reconnu sa voix.

Leiah sentit son cœur accélérer.

— Qu'est-ce qu'elle voulait ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.

Ava récupéra son téléphone et farfouilla parmi les fichiers audio.

— Depuis le début des appels anonymes, j'enregistre mes appels, expliqua-t-elle à une Leiah intriguée.

— Tiens, écoute ça !

Ava lança la lecture de l'enregistrement audio et une voix fluette sortit des haut-parleurs.

« La prochaine chose à exploser, c'est ta tête ! » cracha-t-elle.

— Elle est complètement malade, ma parole ! Il faut prévenir la police. s'écria Leiah apeurée.

Ava hésita.

— Demain, répondit-elle finalement. Pour l'instant, nous allons retourner au salon et poursuivre la soirée, sinon les parents vont finir par se douter de quelque chose.

« J'étais terrifiée et même si elle essayait de le cacher, Ava aussi. La preuve, ma sœur l'insouciante enregistrait désormais ses appels. Elle qui ne mettait jamais le répondeur en marche en quittant son appartement.

Après notre discussion, nous retournâmes dans le salon, des masques de sérénité peints sur nos visages. Nous tenions pour ne pas alarmer nos parents à ne pas laisser transparaître l'inquiétude qui, à l'intérieur, nous mordait férocement.

Je n'arrêtais pas de me demander comment cette fille avait trouvé l'adresse de mes parents et comment savait-elle qu'Ava s'y trouvait ? Je m'étais déjà posé la question sur la façon dont elle s'était procurée le numéro de ma sœur à l'époque de leur guerre sur les réseaux sociaux via comptes interposés et je ne voyais qu'une seule réponse : Tony !

C'était le dénominateur commun. Qui avait le numéro de téléphone d'Ava et était d'une manière ou d'une autre lié à Zia ? Tony. Qui dans l'entourage de Zia était susceptible d'avoir l'adresse de mes parents pour y avoir plusieurs fois déposé Ava ? Tony. Il n'y avait que lui et lui seul pour lui fournir ces informations. »

— Alors, vous croyez que monsieur Escott a quelque chose à voir avec le harcèlement de votre sœur par mademoiselle Wiley ? la coupa l'inspecteur.

— J'en suis certaine, clama Leiah, souvenez-vous de ce qu'il lui a dit quand elle l'a menacé de dénoncer son ignoble business.

— Ça pourrait n'être que des paroles en l'air, avança l'inspecteur, peu convaincu lui-même par ses propos.

— Tony n'est pas du genre à prononcer des paroles en l'air. Si vous aviez été en contact avec lui, ne serait-ce qu'une fois, vous le sauriez, renchérit Leiah martelant chaque phrase avec colère.

— Vous pouvez continuer ! ordonna Altmann.

L'expression de Leiah changea subitement. Ses sourcils froncés s'affaissèrent en même temps que ses épaules, elle pinça les lèvres et caressa sa nuque d'une main fébrile. Ses pupilles noires baignées dans un océan de larmes fixaient un point dans le vide alors qu'elle reprenait sa narration.

« Il était presque minuit, Iris avait commencé à somnoler dans mes bras. Mon père était occupé à ranger les jeux de société, tandis qu'Ava et ma mère s'occupaient de la vaisselle. Ma mère, un peu maniaque sur les bords, tenait à accueillir la nouvelle année dans une maison parfaitement rangée. Allez savoir pourquoi !

C'est tous les ans la même chose. On dîne dans la salle à manger, on passe ensuite dans le salon pour des jeux et quelques minutes avant le décompte de minuit, ma mère fait une crise parce que la maison est un bordel et que je cite : on ne peut absolument pas célébrer la nouvelle année dans un foutoir !

Il faut dès lors tout ranger avant le premier coup de minuit.

Grâce à Iris qui, fatiguée, s'était agrippé à moi comme la mousse sur une pierre, j'étais exempte de corvée de nettoyage ce soir. Malheureusement, pas de tâche pour moi signifiait plus pour les autres. Du coup, après la vaisselle, alors qu'elle se préparait à s'installer les doigts de pieds en éventail, un verre de vin à la main, Ava fut sommée de sortir les ordures.

En prévision du passage des éboueurs, les poubelles avaient été installées dans la rue à quelques centimètres de la boîte aux lettres. Le quartier étant paisible, il n'y avait rien à craindre à s'aventurer tard dehors. »

— Pourtant, argua l'inspecteur, le voisin de vos parents a une caméra dans son jardin.

Dans un mouvement digne d'une scène de l'exorciste, Leiah détacha son regard du vide et le posa sur l'inspecteur.

— Rien à voir, protesta-t-elle sur un ton étonnamment calme pour quelqu'un dont les yeux lançaient des éclairs.

— S'il l'a fait installer, c'est uniquement pour dissuader les jeunes du quartier qui venaient squatter sa piscine en son absence, expliqua-t-elle. Il n'y a jamais eu ni meurtre, ni agression dans ce quartier. C'est un quartier tranquille !

   J'espère que l'attente de ce chapitre n'a pas été trop longue, je tâcherai de m'activer pour les prochains chapitres. D'ici là n'hésitez pas à laisser vos avis sur ce chapitre en commentaire.

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