6


« Ava était effondrée. Pour être passée par là, il y a trois ans, je la comprenais parfaitement. Si pour moi le choix de garder ma grossesse avait été évident, j'ignorais quelle décision elle prendrait.

Ma sœur, celle d'avant Tony, n'aurait jamais avorté. Elle était contre. Pour elle, interrompre une grossesse revenait à commettre un meurtre. »

— Tu ne tueras point. Connaissez-vous ce commandement ? demanda Leiah aux inspecteurs.

— Euh... Oui. C'est le cinquième, je crois, répondit l'inspecteur Altmann d'une voix mal assurée.

— Le sixième, le corrigea doucement le sergent Mc Larren.

— Exactement ! appuya Leiah, l'un des rares qu'Ava ait toujours respecté.

« En toute sincérité, je n'aurais pas été surprise qu'elle décide d'avorter. Elle avait déjà renoncé à plusieurs de ses principes pour Tony. Alors un de plus...

Mais, à mon grand soulagement, elle ne le fit pas. Elle ne put se résoudre à ôter une vie. Une vie dont elle-même avait participé à la conception. Ce fut décidé, le petit être en elle allait vivre. Même si cela impliquait un désaccord avec Tony, qui fut bien évidemment contrarié par cette décision.

Il pesta, hurla, la traita de tous les noms d'oiseaux et alla même jusqu'à commettre l'impensable : la frapper.

Mais Ava ne se laissa pas faire sans réagir. Elle se défendit du mieux qu'elle pût à coup d'ongles et de dents. Lui laissant, elle, à la place des bleus, des griffures et des morsures.

Vous l'auriez vu le lendemain, reprit Leiah, lunettes de soleil, bonnet et col roulé. Il ne lui manquait plus que des gants ! »

— Suite à cette agression physique, votre sœur a-t-elle déposé une plainte contre monsieur Escott ? s'enquit MC Larren.

— Non, bien que je l'aie supplié de le faire, répondit Leiah avec tristesse.

— Savez-vous pourquoi ?

— Certainement pour la même raison que la plupart des femmes dans cette situation : la honte.

L'officier MC Larren leva un sourcil interloqué. Il avait beaucoup de mal à comprendre la gent féminine. C'était d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles, à trente-six ans, il était toujours célibataire.

Son geste ne surprit pas Leiah qui, tout comme lui, peinait à comprendre ces bonnes femmes qui préféraient endurer l'innommable dans le silence par honte d'être catalogué comme "victimes". Terme qui représentait pourtant parfaitement ce qu'elles étaient.

— Puis-je poursuivre ? demanda-t-elle en fixant le sergent de ses yeux noirs.

— Euh oui, allez-y ! répondit un MC Larren que sa réponse n'avait que davantage troublé.

« Après cet épisode, reprit Leiah, leurs rapports se sont complètement détériorés. Anthony a commencé à s'afficher ouvertement avec Zia, qui, au lieu de profiter de sa victoire, continua son offensive contre Ava.

Elle alla jusqu'à lui dire de chercher un autre père à son bâtard. Visiblement, Tony lui avait parlé de la grossesse.

Je ne sais qui était la plus à plaindre. Ava, dont le rêve virait au cauchemar, ou Zia qui refusait d'écouter son subconscient qui lui criait qu'elle n'aurait jamais l'exclusivité sur Tony. On ne peut pas posséder le vent. Il nous caresse de sa brise et nous file entre les doigts. Serre les poings, resserre l'étreinte, accroche-toi de toutes tes forces... Il s'en ira faire frémir d'autres feuillages, caresser d'autres peaux, rafraîchir d'autres déserts. »

D'un hochement de tête presque imperceptible, l'inspecteur Altmann approuva le commentaire de Leiah qui, après une pause quasi théâtrale, reprit :

« Ava se fit le plaisir de mettre en pièces les affaires de Tony retrouvées dans son appartement avant de les lui faire livrer à son adresse. Oui ! Les femmes blessées font ce genre de chose, ajouta Leiah en souriant. C'est comme... Un antidépresseur ! »

— Je suppose que monsieur Escott ne l'a pas apprécié, commenta l'inspecteur.

— Vous, vous auriez sauté de joie en voyant un de vos costumes Armani transformé en mouchoir, n'est-ce pas ? l'interrogea Leiah d'un ton narquois.

— Je n'ai pas de costume Armani, annonça l'inspecteur avec calme. Mais, s'il le faut, pour besoin d'enquête, j'en demanderai un à mes supérieurs. Pourriez-vous me reposer la question dans... six mois ?

Leiah sourit.

Son tacle à l'inspecteur n'avait pas eu l'effet escompté, mais le résultat était meilleur. Il avait su arrêter sa flèche au vol et la lui renvoyer en pleine face, le tout sans se départir de son calme. Il venait de ce fait de gagner sa sympathie.

Elle n'était pas très gentille avec lui depuis le début. Toutefois, l'homme ne semblait pas le moins du monde affecté par son attitude. En tant que membre des forces de l'ordre, il avait sûrement l'habitude de ce genre de traitement, pensa Leiah.

— Et si vous nous racontiez comment ils en sont arrivés aux événements de ce soir ? reprit le quinquagénaire.

Leiah opina.

« Après l'incident des vêtements, si on peut appeler ça incident, je n'ai plus entendu parler de Tony pendant longtemps. Enfin... Ava n'a plus voulu en parler.

J'ai essayé une fois de savoir où ils en étaient. J'ai été rabrouée si rudement ce jour-là que je n'ai plus insisté.

Mais, même si elle n'en parlait pas, je voyais bien qu'elle n'était pas guérie de Tony. D'ailleurs, une petite enquête personnelle m'apprit que non seulement elle n'avait pas cessé de suivre Tony sur Instagram, mais qu'en plus, avec un faux compte, elle comptait désormais parmi les abonnés de Zia Wiley. C'était à se demander si elle n'était pas devenue maso.

Vous connaissez les femmes amoureuses. Pour elles, toutes les occasions sont bonnes pour prendre des photos avec leurs chéris et ensuite nous les balancer sur les réseaux sociaux.

Zia ne faisait pas l'exception. Elle était même l'échantillon le plus représentatif de cette nouvelle tendance féminine.

J'imaginais très bien l'impact de telles images sur le moral de ma sœur.

Je suis moi-même une femme. Et s'il faut être sincère, j'aurais très mal pris le fait de voir mon ex faire le paon après qu'il m'ait laissé tomber. D'autant plus que le couple Tony et Zia vivait à un train à en faire crever de jalousie le plus pieux d'entre nous. Ils multipliaient les voyages, les concerts privés, les séances de shopping dans des magasins de luxe, les dîners dans des restaurants gastronomiques. Après tout, ils pouvaient se le permettre. Tony est peut-être un salaud, mais c'est aussi un avocat de renom. »

— C'est l'une des grandes figures du cabinet Preston&Clark, c'est ça ? s'informa l'inspecteur en vérifiant ses notes.

— Le meilleur en droit des affaires ! Et je l'espère, pas le prochain associé.

— Je vois... Poursuivez, s'il vous plaît !

« Il y a une semaine, commença Leiah, dans ce que je qualifierais de tentative désespérée de récupération, Ava a appelé Tony pour lui rappeler ses devoirs envers l'enfant qu'elle portait.

Inutile de vous dire que cet appel s'est mal passé. Après lui avoir ri au nez, Tony lui a signifié qu'il était hors de question qu'il s'occupe d'un enfant qu'il ne désirait pas et de la mère qui n'avait pas voulu s'en débarrasser.

Toutefois, notre homme de droit était d'accord pour la reprendre si elle consentait à se débarrasser de cette "chose".

Ava refusa. Elle l'informa que pour avoir partagé sa vie, elle détenait des informations pouvant entacher sa réputation qu'elle n'hésiterait pas à divulguer s'il ne revenait pas à de meilleurs sentiments.

— Avez-vous une idée de ce à quoi elle faisait allusion ?

Leiah s'ajusta dans sa chaise.

— D'après ma sœur, Anthony n'est pas qu'un simple consommateur de drogue. Il aurait son propre business établi dans toute la ville.

— Des accusations comme celle-ci sont graves. Détient-elle quelques preuves de ces allégations ?

Leiah haussa les épaules.

— Aucune idée ! Toujours est-il qu'avant de raccrocher, il lui a dit de faire attention, qu'elle pourrait se brûler en essayant de jouer avec le feu.

— Hmm... fit l'inspecteur Altmann en notant ces dernières informations dans son bloc note.

— Tu es folle, Ava ? Comment t'oses l'appeler après ce qu'il t'a fait ? hurla Leiah en bondissant du couloir depuis lequel elle épiait sa sœur.

— Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonna cette dernière dans un sursaut. Ça y est ! Tu t'introduis maintenant chez les gens par effraction ?

— Là n'est pas la question ! lança Leiah. Pourquoi as-tu rappelé ce connard ?

— Puisque je suis majeure et vaccinée, je fais ce que je veux. cingla Ava en s'asseyant sur son lit.

Leiah émit un ricanement.

— Regarde où toutes tes décisions de personne majeure t'ont menée.

— Excuse-moi, mais je ne suis pas d'humeur pour des remontrances. Donc...

— Je vais t'en faire quand même et tu vas m'écouter ! la coupa Leiah en plantant son mètre soixante-huit devant elle.

— Comme tu veux ! Si ça ne te dérange pas de perdre ton temps... répondit Ava en démarrant une partie de Sudoku sur son téléphone.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? Ce mec a osé lever la main sur toi, merde !

— D'abord, ce n'est arrivé qu'une fois, souligna la cadette sans quitter des yeux son écran. Et puis, ce n'était pas entièrement sa faute. Je l'ai un peu poussé à bout.

Leiah ouvrit la bouche, sidérée.

— Tu n'es pas sérieuse là, rassure-moi ! s'écria-t-elle. Un mec te frappe et t'essaies de lui trouver des excuses ? Si je comprends bien... Vu que ce n'est arrivé qu'une fois, tu le rappelles pour avoir du rab, c'est ça ?

— Non, je veux simplement qu'il assume ses responsabilités !

— Sous la contrainte ? C'est soit il se sent investi de ses responsabilités, soit il ne l'est pas. Tu ne peux pas le forcer.

— Oh... crois-moi, je le peux !

— Comment comptes-tu t'y prendre ? En le faisant chanter, c'est ça ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'informations d'ailleurs ?

Ava ne répondit pas.

— Ava ! Je te parle ! cria Leiah excédé par l'attitude de sa sœur.

— Tu vas me lâcher, oui !? hurla Ava à son tour.

— Pas avant d'avoir eu une réponse ! répliqua Leiah.

— Je ne te dirai rien ! Je n'ai aucune envie de me confier à quelqu'un qui me critique tout le temps.

— Tout ce que je dis, c'est uniquement pour ton bien, Ava, déclara Leiah dans une tentative d'apaisement.

— Arrête, la somma Ava. Je ne suis plus une gamine, je sais ce que je fais !

— D'accord ! Je te fais la promesse solennelle que je ne dirai rien, je n'émettrai pas le moindre son.

— Sur la tête d'Iris ? demanda Ava.

— Ava !

— Comme tu veux, je ne dirai rien !

— Bon d'accord... Sur la tête d'Iris ! capitula Leiah.

Ava se leva, alla se poster face à la baie vitrée et, dans un silence qu'elle voulut éternel, se lança dans la contemplation du soleil couchant.

— Tu vas te décider à parler ? l'interpella sa sœur.

Ava soupira.

Un dernier coup d'œil à l'astre qui parait le ciel de nuances d'orange et de rouge et la jeune femme se retourna pour s'adresser à sa sœur. Si elle devait se prendre une volée de réprimandes, Ava préférait que ce soit de face.

— Disons qu'Anthony, commença-t-elle, a une activité parallèle, une activité illégale.

Silencieuse, Leiah l'observait, scandalisée.

— C'est... poursuivit Ava avec hésitation, un fournisseur de drogues.

— De mieux en mieux ! s'écria Leiah. En plus de battre sa copine, monsieur est un dealer ! Bravo! Que vas-tu découvrir ensuite ? Que ton super avocat est recherché dans dix États pour des meurtres en série ?

— Cette conversation est terminée.

— Mais...

— Si ça ne te convient pas, tu peux t'en aller ! conclut Ava dans une volte-face.

« J'étais scotchée ! Avec ce qu'elle savait sur Tony, comment osait-elle le menacer ? C'était carrément du suicide !»

— Que s'est-il passé ensuite ? la relança l'inspecteur.

« Il y a deux jours, Tony a rappelé. Il était prêt à lui verser mille dollars chaque mois. Mais cela seulement après la naissance de l'enfant. Ava n'en a pas voulu. Elle lui a dit d'aller se faire foutre et d'emporter son argent avec lui.

Pour la première fois depuis le début de cette histoire, je l'ai vu pleurer ce jour-là. Elle sanglota pendant des heures allongée sur mon canapé. Pas de mignons sanglots à peine perceptibles, non ! Ceux qui vous coupent le souffle et secouent votre corps de spasmes qu'on vous croirait possédé par je ne sais quel esprit étrange.

Elle était anéantie, se sentait débile, humiliée, abusée. Elle me jura que cette histoire avec Tony était terminée et qu'elle ne voulait plus en entendre parler. Ce jour-là, je retrouvai ma sœur telle qu'elle était avant. »

Voilà ! Un long chapitre pour rattraper mon retard de publication. Si vous avez aimé n'hésitez pas à le signaler en commentaire et à laisser un vote. :)

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