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De la main, Leiah désigna le verre vide esseulé sur la table. À force de parler, elle avait le gosier si sec qu'à défaut du verre de whisky qu'elle se voyait bien descendre d'une traite, elle se contenterait volontiers de l'eau insipide et fade du commissariat.

L'officier MC Larren ne se fit pas prier pour lui apporter un verre d'eau qui, à sa surprise, était étonnement frais. Ou était-ce la soif qui lui donnait cette sensation ? Une sorte d'hallucination gustative. En réalité, on lui aurait donné à ce moment de l'eau des caniveaux qu'elle l'aurait trouvée délicieuse.

Des yeux l'observaient, scrutant ses mouvements tandis qu'elle vidait goulûment son verre. Leiah devrait en être ravie. Elle, qui n'attirait en général pas les regards, se trouvait en ce moment sous les projecteurs. On voulait l'écouter, on buvait ses paroles. Mais au lieu de ça, elle étouffait de toute cette attention. Elle priait pour un retour à la normale qu'elle savait impossible.

Le propre des conneries, c'est qu'elles sont indélébiles. Elles sont comme des taches d'huile sur du papier, impossible à rattraper. Même si on ne les voit plus, elles sont là sous forme de belles marques transparentes dont on ne se débarrasse jamais. En entrant en contact avec Tony, Ava avait fait une énorme connerie.

— Souhaitez-vous faire une pause ? L'interrogea l'inspecteur Altmann.

— Non, ça ira, objecta-t-elle, je souhaite en finir avec tout ceci au plus vite et rejoindre ma famille.

— Nous allons tout de même faire une pause. Nous reprendrons dans quelques minutes, annonça l'inspecteur en se levant.

Leiah s'y plia à contrecœur. Elle voulait boucler cette audition au plus vite et quitter cet endroit qui lui filait le cafard.

Après les événements de la nuit, la dernière chose qu'elle souhaitait, c'est d'être dans cette pièce aux murs d'un gris délavé. Heureusement, l'inspecteur tint parole et revint dix minutes plus tard, les mains chargées de deux tasses de café.

Le café était bon. Assez fort pour lui remettre les idées en place et assez doux pour calmer son inquiétude et lui permettre de poursuivre.

« Comme je le disais, j'avais remarqué qu'Ava faisait un régime. Et si je ne m'étais pas trompée, j'en avais néanmoins minimisé la cause. Le désir de plaire que j'avais décelé n'était en effet qu'un pan de ce qu'elle m'avoua un jour.

— Je sais que je ne suis pas un cordon bleu, mais rassure-toi, je n'ai jamais empoisonné personne, formula Leiah avec un sourire rassurant.

Cela faisait déjà dix minutes qu'Ava s'était lancé dans l'observation minutieuse de la vaisselle en céramique dont le bleu uni n'avait pourtant rien d'exceptionnel. Dix minutes pendant lesquelles elle n'avait pas une seule fois touché aux macaronis au fromage qu'elle contenait.

— Je n'ai pas très faim, s'excusa-t-elle finalement.

Leiah haussa un sourcil.

— Vraiment ? Je t'aurais certainement cru si je ne te savais pas au régime, rétorqua-t-elle, les yeux pétillants de malice.

— J'ai bien vu que tu ne manges presque plus rien, ajouta-t-elle. Tu trouves systématiquement des excuses pour esquiver des invitations à déjeuner ou à dîner.

— On ne peut rien te cacher à toi la fouine ! lança Ava, les lèvres pincées.

Leiah secoua la tête.

— Je ne suis pas une fouine, je suis simplement observatrice. Maintenant, explique-moi cette envie soudaine de perdre du poids.

— Pourquoi te faut-il systématiquement une raison à tout ?

— Parce qu'il y en a toujours une. Rien, ne se fait sans aucune raison. Une raison peut être inavouée, mais elle existera quand même.

Ava réfléchit un instant.

— Je veux bien tout te dire, répondit-elle finalement. Mais tu n'as pas intérêt à prononcer le moindre sermon. Sinon, je ne te confierai plus jamais rien.

— Je ne dirai rien, promis Leiah, de toute façon à quoi bon ?

D'un œil suspicieux, Ava dévisageait sa sœur qui, la main levée, lui jurait le silence. Bien que peu convaincue par la sincérité du geste, elle se mit à parler.

— J'ai découvert que Tony voit quelqu'un d'autre, annonça-t-elle d'un ton monocorde. Une godiche blonde fine comme un cracker. Et même s'il m'a assuré que ce n'est qu'une ex un peu collante, je sais que c'est faux.

Leiah ricana.

— Et au lieu de le larguer, tu as décidé de te mettre au régime. Logique ! ironisa-t-elle.

Comme un rappel à l'ordre, Ava posa sur elle un regard réprobateur.

— C'est bon, je me tais, se ravisa Leiah , tu comprendras néanmoins que ta réaction me dépasse.

— Tu crois que je vais le larguer et perdre tout ce que j'ai obtenu grâce à lui ? Les voyages, les vêtements de luxe, l'appart, la voiture ? Hors de question ! Et non, je ne vais pas le partager. Ce qui est à moi est à moi et à personne d'autre, clama Ava avec véhémence.

— Tu en parles comme s'il s'agissait d'un objet, mais j'ai l'impression qu'il représente bien plus que ça pour toi. Sinon, quel serait ton intérêt à te punir comme tu le fais ? demanda Leiah, les sourcils froncés.

Ava haussa les épaules.

— T'as rien compris ou quoi ? L'intérêt, c'est l'argent. Il est riche. Avec lui, je n'ai plus besoin de travailler. Ça vaut bien le coup de perdre quelques kilos, tu crois pas ?

— Je regrette l'époque où les relations étaient basées sur l'amour, commenta une Leiah mélancolique.

Ava éclata de rire.

— Tsss tu préférais l'époque où les femmes se retrouvaient le soir, un pot de glace à la main, à se lamenter pour des mecs qui, en plus de ne pas les aimer, ne leur rapportaient pas un sou ? Tu regrettes l'époque où tu te levais les yeux gonflés après avoir pleuré toute la nuit pour comment ils s'appelaient déjà ? Kent, Bryan, Simon et le dernier Nate. Qu'est-ce que ça t'a rapporté, dis-moi ? Des nuits blanches, le manque de confiance en toi, de belles cornes de cocue et une deuxième bouche à nourrir quand tu peines déjà à nourrir la tienne.

— Je ne regrette pas d'avoir eu Iris, objecta sa sœur.

— Je ne dis pas le contraire, mais reconnais que ce serait plus facile si son père s'en occupait. S'occuper d'un enfant avec un maigre salaire d'assistante maternelle est loin d'être aisé. Depuis combien de temps ne t'es-tu pas fait plaisir en t'achetant quelque chose pour toi ? Le moindre écart sur le budget serré que tu as provoquerait un découvert. Entre l'école, le loyer, les factures et la nutrition, s'est à peine s'il te reste de quoi te payer un coiffeur. Non, moi, je ne regrette pas cette époque. Je la maudis !

— C'est vrai que moi, je n'ai pas eu beaucoup de chance... Mais Vince et toi, vous filiez le parfait amour. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu ne l'aimes plus ?

Ava soupira.

— J'aime Vince, comme on aime quelqu'un qui nous aime, par reconnaissance. J'aime sa façon de m'aimer aveuglément, passionnément, mais ça ne suffit pas.

— Alors, sépare-t'en, conseilla Leaih.

— Je le ferai.

— Tu es certaine de ne pas le regretter ?

— Je ne suis pas stupide. Je sais que je ne trouverai jamais personne qui m'aime autant. Mais je prends le risque. Après tout, qu'est la vie sans quelques regrets ?

D'un regard lourd d'incompréhension, Leiah fixa sa cadette en tentant de trouver le moindre sens à ce qu'elle venait d'entendre. Voyant qu'il ne ressortait rien de son inspection, elle reprit :

— Comment as-tu découvert pour la fille ?

— Elle s'appelle Zia Wiley, précisa Ava. Il y a un mois, en consultant mon fil d'actualité Instagram, je suis tombée sur un réel d'une fille qui avait tagué Tony. Par curiosité, j'ai décidé de faire un tour sur son compte et là, sur quoi je tombe ? Sur des photos et vidéos de cette fille et de Tony s'embrassant et s'étreignant.

— Alors ?

— J'ai fait comme elle, j'ai posté une photo de Tony et moi enlacés en n'oubliant surtout pas de le taguer dessus.

— Et ? La pressa Leiah.

— J'ai presque immédiatement reçu un message de cette fille. Elle tenait à m'informer qu'elle était la copine de Tony et que je devais m'éloigner de lui.

— Laisse-moi deviner, l'interrompit l'ainée. Tu lui as dit que c'est toi la copine de Tony et que c'est à elle de dégager.

Ava sourit.

— Exactement !

— Et si elle avait raison ? Et si c'était toi « l'autre » ?

Ava haussa les épaules avec désinvolture.

— Si un mec te trompe, c'est qu'il ne te respecte pas. Alors respecte-toi toi-même en le quittant.

— Dans ce cas, si tu découvres que c'est toi la cocue, ce sera à toi de rompre, argua Leiah.

Ava ricana.

— Moi, je ne joue pas pour les sentiments, je joue pour de l'argent.

— Hum... commenta Leiah songeuse. Et si Tony était vraiment amoureux de cette fille ? Et si son intérêt pour elle allait au-delà du physique? Tu y as pensé ?

Ava secoua la tête.

— Il n'y a que le physique qui l'intéresse. Il aime les bimbos anorexiques.

— Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

— Si tu savais le nombre de fois où Tony, par des sous-entendus, m'a traitée de grosse.

— Il n'a pas osé ! S'insurgea Leiah.

— Tu sais, chaque homme a une part de salaud en lui. C'est soit tu vis avec, soit tu l'envoies bouler. Et pour l'instant, je n'ai pas les moyens de l'envoyer bouler.

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