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Leiah se laissa choir dans le dossier de la petite chaise inconfortable sur laquelle elle était installée. C'était bien loin de son fauteuil moelleux face à la cheminée. Si moelleux, qu'il lui fallait, à chaque fois, moins d'un quart d'heure pour s'endormir quand son corps entrait en contact avec le cuir qui le recouvrait. Elle aurait préféré être chez elle, son plaid sur les jambes, à siroter du vin chaud tout en observant les flammes danser dans la cheminée.
— Poursuivez ! l'invita l'inspecteur Altmann.
« J'ai rencontré Tony quatre mois plus tard. Lors d'un séjour entre sœurs à la montagne organisé par Ava pour le Nouvel An. Pour l'occasion, elle avait loué un magnifique chalet à un kilomètre d'une station de ski dans les Alpes françaises. Elle s'était occupée de tout, même des billets d'avion pris en première classe. Depuis quelque temps, elle se permettait de grosses dépenses que je savais financées par Tony. Il était évident que son salaire de serveuse ne pouvait lui payer la moindre de ses nouvelles acquisitions. Ce qui m'inquiétait, c'est qu'elle ne s'en cachait pas et qu'à cette allure, Vince n'allait pas tarder à découvrir l'existence de Tony. »
Leiah fit une pause, les souvenirs affleurant à sa mémoire.
« Elle me l'a présenté à une soirée la veille de notre retour, reprit-elle. Il était vêtu d'un pull en laine bariolé et d'un simple jeans. Je lui trouvai quelque chose de sombre. Je ne saurais trop vous expliquer pourquoi, mais malgré ses sourires et son attitude bienveillante envers Ava, je ne l'appréciai pas.
J'eus très vite l'impression que cette antipathie que je ressentais à son égard était réciproque. Normal, je n'étais pas comme ma sœur à boire ses paroles et à rigoler à toutes ses blagues, même les plus stupides. Je demeurai sur la réserve, ne prenant part à la conversation que lorsque Ava, de son regard assassin, m'y obligeait. Elle n'était pas dupe, elle avait compris que je n'appréciais pas son Tony, mais tenait à ce que je n'en laisse rien transparaître. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je serais partie en les laissant en plant au beau milieu de la soirée. De toute façon, Tony, par des allusions douteuses, me faisait comprendre que j'étais de trop.
Je ne comprends toujours pas comment Ava fit pour ne rien capter. Elle ne réagit même pas quand, avec un air condescendant, il se moqua ouvertement de moi.
« Le brouillon qui précède la perfection. » Lança-t-il quand Ava nous présenta.
Il y eut aussi ce moment où Ava proposa que nous repoussâmes d'une journée la date de notre retour pour aller skier avec Tony arrivé seulement la veille. Il répondit en me fixant droit dans les yeux : « Oh non, ce n'est pas nécessaire, je ne vais pas en plus de l'équipement me traîner un boulet. »
Cette fois encore, Ava ne dit rien. Ni à ce moment ni à tous les autres où il m'envoya des piques. »
L'inspecteur Altmann fronça les sourcils.
— Vous décririez donc Anthony Escott comme quelqu'un d'antipathique.
— Écoutez, je ne le décris pas. Je vous rapporte des faits, répondit Leiah dans un calme forcé.
Elle ne se pliait pas à cet exercice de gaieté de cœur, si en plus elle devait être interrompue par des commentaires qu'elle jugeait inutiles, elle finirait par craquer.
— Mmm...
— Vous voulez des faits ou des jugements ? Parce que là, il faudrait reprendre depuis le début, ajouta Leiah agacé.
— Poursuivez !
« Depuis sa rencontre avec Tony, je trouvais en Ava quelque chose de changé. J'en eus la confirmation deux mois après notre retour. Comme je vous l'ai dit au début, Ava est loin d'être parfaite. Elle a toujours été une petite rebelle, mais jamais en vingt-trois ans, elle ne s'était fait arrêter lors d'un contrôle.
Les policiers qui l'avaient appréhendée avaient rapidement remarqué ses pupilles dilatées et avaient entrepris une fouille de son véhicule qui avait conduit à la découverte de trente grammes de cocaïne dans la boite à gants.
Avant Tony, c'est à peine si on avait le droit de fumer près d'Ava. Elle vouait une haine terrible à la drogue sous toutes ses formes et ceci pour la simple raison qu'elle détruit le corps et le cerveau, deux choses auxquelles Ava tenait fortement.
— De la cocaïne, Ava ? s'emporta Leiah, les mains crispées sur le volant. Comment as-tu pu faire cela ?
Ava étendit ses jambes chaussées d'escarpins sur le tableau de bord, un sourire narquois aux lèvres.
— Ça va, ne viens pas me faire la morale avec ton haleine de tabac, rétorqua-t-elle.
Leiah sentit une pointe de colère.
— La fille à l'haleine de tabac, elle, ne s'est jamais fait arrêter, riposta-t-elle. Tu imagines la tête des parents s'ils apprennent ça ?
— Non, parce que tu ne leur diras rien, n'est-ce pas ?
Leiah la fixa, les yeux étincelants.
— Seulement si tu me racontes comment c'est arrivé, objecta-t-elle.
Ava soupira, baissa la vitre, laissant entrer l'air frais de la nuit.
— J'étais à une soirée avec Tony et ses potes et ça a comment dire... dégénéré. annonça-t-elle en disciplinant ses boucles châtains.
— Je croyais qu'il était avocat. Comment peut-il t'entraîner dans une chose pareille ?
Ava baissa les yeux.
— Tu serais surprise de voir à quel point les avocats savent s'amuser.
Leiah secoua la tête.
— Consommer des substances illicites avec sa copine et la laisser s'en aller toute seule en voiture au beau milieu de la nuit complètement stone ? Je ne vois pas en quoi c'est amusant.
Ava releva la tête, les yeux froids.
— On n'a jamais eu la même notion de fun, de toute façon.
— Peut-être, mais avant on avait la même notion de danger et d'interdit, insista Leiah.
— Avant...
— Avant Tony, précisa l'aîné. Ce type a une mauvaise influence sur toi, à cause de lui tu...
— Ne te fatigue pas, l'interrompit sèchement Ava. Rien de ce que tu pourras dire ne me fera le larguer.
« Qu'est-ce que je pouvais répondre à ça ? Pour l'avoir vu naître, je savais qu'elle ne plaisantait pas et comme elle l'avait elle-même formulé, rien de ce que je pouvais dire ne l'aurait fait rompre. Si l'entêtement était une discipline olympique, Ava serait sûrement la détentrice de la médaille d'or.
Jusque-là, je savais qu'Ava était têtue, mais j'ignorais si elle était tombée amoureuse de Tony ou si elle se laissait entraîner par l'argent. Une chose est certaine, je ne voyais pas d'issue heureuse à tout ça. Le fait qu'Ava pense avoir le contrôle de choses que je voyais lui échapper m'effrayait.
Il n'y a rien de pire qu'une chute aveugle. On ne se voit pas tomber, de ce fait, impossible de prévoir l'atterrissage. La réalité peut être douloureuse quand on la regarde en face, mais elle l'est encore plus quand elle nous saute dessus brusquement et nous arrache du cocon d'illusions que nous nous sommes créés. »
— Vous avez l'air certaine que quelque chose clochait dans la relation de votre sœur avec Anthony Escott. Y a-t-il quelque chose qui vous a amené à le penser ? L'interrogea l'inspecteur Altmann.
Leiah hocha la tête et répondit : « Ava et moi sommes très proches. Enfin aussi proches que peuvent l'être deux sœurs si différentes. Pour être sincère, je pense que cette différence que tout le monde énonce en parlant de nous, n'existe en réalité pas. La plupart des mots d'Ava sont une de mes pensées refoulées. Disons qu'elle est en quelque sorte l'incarnation de mon moi intérieur, la personnification de ce que j'aurais voulu être, mais que je n'ai pas le courage d'assumer. Je notai donc avant tout le monde les changements qui s'opéraient en mon extension. Même les plus infimes.
Je remarquai les lignes noires qui se formaient sous ses yeux et qui devenaient plus foncées chaque jour. Je remarquai son changement de style vestimentaire. Elle avait toujours été dans la provocation, mais là, on aurait dit qu'elle était en compétition avec les Kardashians pour déterminer la plus vulgaire. J'ai remarqué sa nouvelle façon de trier les aliments pendant les dîners. Elle picorait quelques légumes et laissait trôner au milieu du plat tout ce qui n'était pas acceptable pour un lapin. J'en déduisis qu'elle s'était lancée dans un de ces régimes minceurs que faisaient les femmes avides de plaire.
Qui pouvait lui en vouloir dans cette société où la maigreur est à la mode, où on reçoit des regards de travers et est presque taxé d'obèse quand on est au-dessus du trente-six ? Ava était un quarante. Un quarante certes, mais un magnifique quarante avec un corps étonnement ferme pour quelqu'un qui n'avait pour seule activité physique que le lever de coude. Activité qu'elle pratiquait plus intensément ces derniers mois et qui figurait sur la longue liste des changements que j'avais notés. »
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