Now Remind Me (1)
J'effectue une dernière petite retouche de mes lèvres sous le regard amusé de mon jumeau, comme si c'était interdit de se faire belle. Je reconnais que je me maquille uniquement pour le concert, mais ça n'a jamais été interdit de se faire belle pour son public.
Une fois prête, j'attends à mon tour, notre fabuleux Leroy King a décidé d'être en retard. Un jour, je vais le tuer, je ne sais pas ce qu'il fiche, mais je vais le tuer. Heureusement qu'il n'a pas prévu de tenue de scène et qu'il n'a pas à s'échauffer la voix, sinon il serait en retard par rapport à l'horaire imaginaire que nous nous sommes imposé. Je suis d'accord que le public ne s'en rendra jamais compte, mais c'est tout de même la moindre des politesses d'arriver à l'horaire convenu, surtout quand tous les autres sont arrivés.
Quand il franchit enfin la porte, j'ai quelques secondes de surprises, Leroy s'est mis sur son trente-et-un ! Je suis très sérieuse, costard, cravate, chemise blanche, il n'est même pas couvert de peinture et même ses cheveux mi-longs sont sagement plaqués sur son crâne, c'est à peine si l'on devine ses boucles. Ça fait cinq ans que je le connais et jamais au grand jamais je ne l'ai vu aussi propre sur lui, il est méconnaissable !
— C'est quoi cette tenue, mec ? s'étonne Dean aussi impressionné que moi, pourtant il côtoie King depuis encore plus longtemps que moi !
— Oh ça... J'avais un rendez-vous aujourd'hui, élude-t-il sans donner plus de détails et en commençant à virer sa veste et sa cravate.
D'un coup, le charme est rompu, Cendrillon est redevenue une souillon. Sans les artifices, je vois bien que sa chemise blanche n'est pas aussi immaculée que ce que j'avais cru et une fois un peu déboutonné et sorti de son pantalon, Leroy récupère un style plus conventionnel. Et quand il passe les mains dans ses cheveux pour les ébouriffer, il est définitivement redevenu lui-même.
— Un rendez-vous ? Genre un rendez-vous galant ? Dans cette tenue ? rigole Warren, ne semblant pas y croire.
— Pas un rendez-vous galant, il est dix-huit heures, ce n'est plus le moment, n'allez pas commencer à croire que j'ai une copine. Dans tous les cas, ça s'est éternisé, je n'ai pas fait gaffe à l'heure.
— Je vais t'acheter une montre un jour, vraiment, je suis sérieuse, répliqué-je ne relevant pas l'histoire du rendez-vous qui ne tient pas la route.
Après tout, aucun d'entre nous ne comprend pourquoi il a mis cette tenue, en tout cas, sûrement pas pour un rancard, mais aucun risque que ce soit pour une raison professionnelle, Leroy a fait les Beaux-Arts avant d'être guitariste dans notre groupe. Le mystère restera entier sachant que nous devons vraiment monter sur scène maintenant que nous sommes tous là et à peu près prêts.
Nous quittons donc la petite pièce qui nous sert de vestiaire avant de faire quelques mètres pour rejoindre la scène. Une fois le rideau passé, nous nous retrouvons sur la scène du bar que nous avons choisi sur un coup de folie. Demain, nous allons sans doute nous faire arracher la tête par notre manager ou notre avocat, au choix, pour avoir donné un concert gratuit sans leur en avoir parlé avant. Heureusement que les deux hommes sont de nos amis, ça atténuera notre peine. Pour notre défense, nous avions envie de clore l'année sur un petit concert minimaliste comme nous en avions l'habitude avant de sortir notre premier album. Un petit élan de nostalgie n'a jamais fait de mal à personne, le succès nous est arrivé dessus sans trop prévenir, nous avons encore du mal à nous y habituer, c'est notre droit.
Dans la petite pièce, il n'y a personne à part Ann, l'une de mes meilleures amies que nous avons prévenues du concert. Nous en avions bien parlé à plusieurs de nos amis, sauf Andrew et Eddie bien sûr, nous ne voulions pas leur causer encore plus de problèmes auprès de notre producteur. Et parmi tous ceux au courant, seule Ann a pu se libérer et venir.
Je m'arrête près d'elle quelques instants pour lui demander si elle veut manger avec nous après le petit concert et je n'ai même pas encore fini de poser ma question que Ruth nous rejoint. Nous restons donc là à discuter un peu avant de nous installer sur scène avec nos instruments. À partir de là, nous ne sommes plus une bande de potes, nous sommes un groupe de musique avant un concert. Pour l'instant, ça n'y ressemble tellement pas que je n'arrive même pas à stresser. Par contre, quand Ruth effectue son petit roulement de tambour et que les portes s'ouvrent sur le bar, la pression monte d'un cran.
En moins d'une minute, une vingtaine de personnes a déjà envahi la salle, avec en tête, une jeune femme métisse qui se démarque clairement du lot. J'ai presque l'impression que c'est une apparition fantomatique, comme si elle n'avait pas vraiment sa place ici. Elle doit avoir à peu près mon âge et elle est admirablement belle... Je ne sais pas exactement ce qui fait ses charmes, peut-être son visage couvert de grains de beauté, comme si c'était des taches de rousseur, peut-être ses cheveux crépus qui encadrent son visage ou alors ça vient de son expression qui mêle tristesse et enthousiasme. Mais elle est indescriptible, hors du temps.
— Salut, tout le monde ! s'exclame mon Jumeau en me ramenant à la réalité.
Normalement, c'était à moi de dire cette phrase... J'étais tant concentrée sur cette fille que je l'avais complètement oubliée... Je suis très nulle et mon frère va sûrement me le reprocher. En un seul coup d'œil, je vois très bien qu'il a capté « l'objet » de mon inattention... En quelques secondes à peine, la chaleur me monte au visage tandis que notre petit public s'extasie devant la simple phrase de Warren...
— Wouah, vous êtes chaud ! m'exclamé-je en rigolant, tentant de me ressaisir.
La plupart du temps, puisque je parle en premier, c'est plutôt Warren qui sort ce genre de phrases au public, mais là, pour me rattraper, je m'y colle, même si ça ne fait pas très naturel venant de moi.
— Tu penses qu'ils nous ont reconnus ? questionne Warren me volant clairement ma réplique, je suis persuadée de l'avoir déjà sortie lors d'un concert cette année.
En tout cas, nous avons tout de même bien emballé la foule vu le oui général auquel nous avons le droit, et moi en attendant, je me suis remise dans le concert de manière beaucoup plus sérieuse.
— Prête Terrie ? demande Warren moqueur.
Il doit penser que je ne suis toujours pas totalement concentrée, parce que normalement, soit nous parlons au public, soit il fait le jeu de mots, mais nous ne faisons pas les deux à la fois. Ce concert commence très bien...
— Allons-y !
J'ai à peine sortie ma réplique que Ruth démarre la cadence à la batterie, cette fois, le concert débute vraiment.
♚
J'ai fait attention tout le show de ne pas vraiment regarder la jeune femme, ce qui n'est honnêtement pas des plus faciles, c'est même plutôt très dur, parce que non seulement elle est vraiment juste en face de la scène, mais en plus elle est comme envoûtée par notre musique, comme si elle la ressentait dans chacune des cellules de son corps, se laissant entraîner dans une danse pour toutes musiques, comme si elle était incapable d'y résister. Mais dans l'ensemble, j'ai plutôt bien réussi, je ne me suis pas fait trop déconcentrer, vraiment je ne comprends pas ce qui m'arrive, c'est vraiment la première fois que je suis comme ça et vraiment, c'est désagréable d'être dans une situation précaire.
J'entame la dernière chanson de notre petit concert, Now Remind Me et pendant que je joue le refrain, je la revoie, éternellement en face de moi, les yeux fermés, des larmes coulant sur ses joues se balançant d'un côté et d'un autre. Soudain, elle semble plus jeune, plus innocente, plus fragile aussi... Mais surtout, elle me rappelle furieusement quelque chose, je ne sais pas d'où, mais je suis sûre de la connaître. Je n'ai pas eu cette impression tout à l'heure, mais maintenant, je ne peux plus la chasser, je veux savoir d'où je la connais, c'est comme une nécessité. Pourtant je n'arrive pas à me la remettre, je sais que je l'ai déjà vu, mais d'où ? Ça semble tellement lointain...
Je ne sais pas par quel miracle je continue de jouer du violon et encore moins comment j'arrive à chanter ma partie, presque par automatisme, mais j'y arrive.
Après de brèves salutations à la foule quand la musique est terminée, nous quittons la scène et je me retourne une dernière fois et là, je comprends. C'est Débrah... J'en ai la tête qui tourne... C'est impossible, ça ne peut pas être Débrah, ça ne peut pas être quelqu'un qui m'a connu enfant, je refuse... Pourtant, je ne suis convaincue que c'est elle, aucun doute possible ! Mais c'était censé être une amie imaginaire ! Je ne veux pas croire qu'elle existe vraiment, c'est impossible ! Elle ne peut pas m'avoir connue enfant. Je refuse d'être face à une personne qui sait qui je suis. Qui sait vraiment qui je suis. Et qui, pire que tout, ne me connaît pas suffisamment pour protéger mon secret.
Je ne veux pas croire qu'elle est réelle, je préfère encore me penser folle. Je préfère encore me tromper lourdement et être totalement à côté de la plaque. Mais je n'ai aucune preuve d'avoir raison ou tort, absolument aucune. Malgré tout, je suis sûre de deux choses, Warren n'a jamais vu Débrah quand nous étions enfants et là, il l'a vue aussi bien que moi. Soit, je deviens complètement folle. Soit, j'ai un gros problème. Mon cœur bat à cent à l'heure et je n'ose même plus me retourner... Je suis sûre de moi pourtant, je suis persuadée que ma Débrah ressemblait exactement à ça, en beaucoup plus jeune, mais exactement à ça. J'espère vraiment me tromper complètement.
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