Live Free And Happy (2)

Après quelques secondes, j'obtiens un résultat, mais il est bien loin de celui que j'espérais, puisque c'est le blason de la ville de Santiago au Chili. Sauf que je ne connais personne venant de là-bas, je connais des personnes de plein de nationalités différentes, mais aucun n'est chilien, je n'y suis même pas allée une seule fois les pieds au Chili ! Vraisemblablement, ça n'a rien à voir avec la personne qui m'a donné le carnet dans mon rêve ou mon épisode de mort imminente, puisqu'elle m'était familière. À moins que le rapport soit juste trop tordu pour que je le comprenne, dans tous les cas, ça ne m'apporte aucun indice concret.

Je feuillette alors le carnet pour voir s'il n'y aurait pas un autre dessin quelque part, mais il n'y a rien, c'est le seul croquis.

Abandonnant mes recherches pour trouver le rapport entre Santiago et mon carnet, je prends juste le stylo et je programme un voyage pour retourner à la soirée des Century quelques minutes à peine après mon départ et pour y rester cinq heures. Ça me parait déjà beaucoup vu que ça me fait repartir à dix heures du matin, mais je préfère prendre de précautions, au pire, j'attendrai mon retour dans le présent dehors. Dans tous les cas, si là, la fête n'est pas terminée, je ne sais plus quoi faire, je fais déjà comme si la soirée allait durer quinze heures – au fond, ce n'est pas complètement tiré par les cheveux vus le monde qu'il restait à cinq heures du matin, mais quand même.

Une fois ça de fait, je me change et remets les mêmes vêtements que la veille, ne pouvant clairement pas avoir troqué ma tenue contre une autre en cinq minutes. Et c'est en me préparant que je trouve l'excuse idéale pour retourner à la soirée : j'ai oublié mon manteau là-bas, je suis bien obligée d'aller le récupérer, c'est le seul que j'ai. Quand je suis prête, je vérifie que j'ai bien noté toutes les informations dans le carnet, rien qu'au cas où.

Puis je récupère mon portable et je regarde vite fait les nouvelles publications sur Instagram, mais je m'arrête face à une photo à laquelle je ne m'attendais pas, puisque c'est une de Terrie Century, figée dans la pose des Jumeaux Century – mains liées et poings levés –, au côté de son frère en statue.

C'est très troublant pour moi, déjà normalement, ce genre de photo, je les ai toujours vues avec Warren qui prenaient la pose, pas Terrie. La dernière fois que j'ai regardé, elle était morte comme dans ma première réalité, mais vraisemblablement, ce n'est plus le cas, j'ai encore dû changer quelque chose au cours des derniers voyages, mais impossible de dire quoi encore moins quand, pendant mes trois dernières fois dans le passé, j'ai beaucoup parlé à Terrie, ça pourrait être à n'importe quel moment.

J'ai presque envie de vérifier sur Internet, mais j'imagine bien l'idée, Terrie n'est pas morte le 21 juin 1986, mais son frère est mort du SIDA le 22 août 1993. En tout cas, mine de rien, en plus de me faire bizarre, cette photo me montre bien les différences entre celle-ci et celle que j'ai toujours connue. Déjà, ce n'est pas tout à fait le même paysage, même si c'est dans la même ville. La statue n'a pas non plus la même forme, la posture est bien la même, mais les Jumeaux Century ne portent pas les mêmes tenues de scènes. Mais logiquement, elles doivent correspondre à celle du dernier concert de Warren en 1988, comme celle dont je me souviens, ce sont les tenues qu'ils portaient au Wembley en 1986, le dernier de Terrie.

Ce qui me perturbe le plus, c'est de voir Terrie avec des cheveux gris et encore, là, elle est dos au photographe, alors je ne vois pas son visage, je n'étais clairement pas prête mentalement. Pour moi, Terrie est figée à jamais à trente-six ans et c'est Warren qui vieillit, alors que maintenant c'est l'inverse – sauf qu'il est mort à quarante-quatre ans, mais c'est la seule différence. Je ne me suis toujours pas faite à l'idée, en plus, pour ne pas m'aider, en ce moment, je côtoie les Jumeaux Century quand ils ont vingt-trois ans. Mais même comme ça, elle est magnifique...

Depuis que je lui ai sauvé la vie, par je ne sais trop quel miracle, je ne l'ai toujours pas vue en photo actuellement. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, après tout, j'ai décidé de découvrir Terrie au fur et à mesure... Mais peut-être que je n'en aurai plus jamais l'occasion et je suis curieuse. Je clique donc sur son profil.

Une fois dessus, je découvre plusieurs photos d'elle maintenant, qui est d'ailleurs bien conservée pour une femme de presque soixante-dix ans et elle ressemble beaucoup à son frère au même âge, c'est déstabilisant. Même si la ressemblance entre les Jumeaux a toujours été frappante, elle se voit de plus en plus avec le temps. Et malgré le fait qu'elle est vieillie, c'est toujours la même, elle paraît égale à elle-même, le même sourire, la même liberté, la même beauté.

Enfin non, beauté n'est sans doute pas le bon terme pour la définir; elle n'a jamais été belle, elle n'est pas pour autant moche, elle est juste « banale ». Oui, c'est ça, banale, la première fois que tu la vois, tu la trouves banale, mais après l'avoir vu régulièrement, tu te dis qu'en fin de compte, elle est plutôt belle et quand tu commences à avoir vu des dizaines de photos et vidéo d'elle, tu constates qu'elle est en fait magnifique, elle est juste hors-norme et indéfinissable, parfaite à sa manière.

Étant pour une fois raisonnable, j'éteins mon téléphone, je ne vais clairement pas regarder les 152 photos de Terrie maintenant – ou quand que ce soit, soyons réalistes – et je pars me coucher, espérant seulement m'endormir vite pour avoir moyen de dormir un peu une fois rentrée de la fête.

De retour à la soirée, je me retrouve presque exactement au même endroit que celui où j'ai disparu, je n'ai donc pas à faire le tour de la maison en étant uniquement éclairée par les étoiles et les fenêtres. C'est plutôt une bonne chose, je peux retrouver facilement à l'intérieur par la porte de la cuisine. Je rentre alors en tâchant d'être naturelle et de paraître normale. Dans la pièce, tout Her Majesty, Ann et Becky n'ont pas bougé. Rien d'étonnant vu le peu de temps où je suis partie, pour eux, ça ne fait même pas dix minutes, ils n'avaient pas de raison de changer de pièce en si peu de temps, surtout qu'ils sont tous encore là à discuter devant des bouteilles de bière.

Maintenant que je suis sobre, je remarque qu'ils sont tous plutôt alcoolisés, pas au point d'être complètement bourrés, mais suffisamment pour ne pas être complètement cohérents. D'un autre côté, je ne suis pas sûre que leur discussion puisse me permettre de bien juger vu qu'ils sont en train de parler de leur prochain album. Et honnêtement, je ne vois pas comment c'est possible de parler de Why Not Jazz ? avec des mots simples, concrets et logiques.

Peut-être même que je ne comprends pas tout ce qu'ils disent et que je rate le vrai sens de certaines de leurs phrases. Si ça tombe, eux, ils sont parfaitement clean et je ne comprends absolument rien, seulement parce qu'ils parlent de l'album le plus tordu de leur carrière. Enfin non, il n'est pas réellement tordu, il est juste un peu étrange, magnifique, original et indescriptible, il représente presque à lui seul toute la carrière du groupe, cet album est juste fascinant.

Après plusieurs minutes, ils finissent par décider de quitter la cuisine pour rejoindre la pièce principale où a encore lieu la soirée. Je les suis et très vite, Warren se retourne en me regardant d'un drôle d'œil, comme si j'avais quelque chose qui n'allait pas. Pendant plusieurs secondes, j'ai peur que ce soit parce que je suis de trop, mais ce serait idiot, Ann et Becky ne font pas non plus partie du groupe, pourtant elles sont là aussi – ils les connaissent depuis plus longtemps, mais quand même. Et je ne comprends pas plus quand Warren s'arrête et me demande :

— Tu as changé quelque chose, non ?

— Pas à ma connaissance...

J'ai remis la même jupe, le même t-shirt et les mêmes chaussures, je ne vois pas ce que j'ai pu modifier... Même après un coup d'œil inquiet à ma tenue, je ne comprends pas mieux, pourtant, je n'ai rien mis à l'envers ni rien changé.

— Ah ouais ? J'aurais juré que tu avais fait un truc à tes cheveux.

C'est une blague, tout ce que j'ai fait, c'est les laver et les démêler, ils ne sont même pas humides, personne ne remarque un détail pareil, surtout qu'avec la nature de mes cheveux, je peux en prendre soin pendant des heures, à la fin, ils seront exactement les eux-mêmes : toujours aussi crépus, toujours aussi volumineux, toujours aussi en bataille. Je ne comprends même pas comment il a pu remarquer quoi que ce soit.

— Pourtant, je n'y ai rien fait, menté-je, n'allant sûrement pas lui expliquer que je me suis lavée, puisque j'ai eu toute une journée entre cinq heures et cinq heures cinq du matin.

Il hausse les épaules, paraissant ne pas comprendre, mais ce n'est pas très grave, il est bien obligé de rater cet épisode-là, je peux difficilement lui dire que je viens du futur et que je voyage dans le temps toutes les nuits. Il reprend alors la conversation avec le reste de Her Majesty, tandis que je rejoins Ann et Becky pour discuter avec elles plutôt que de suivre attentivement la conversation du groupe par rapport à l'album – même si c'est passionnant, ils sont quand même en train de parler de l'un des albums les plus marquants de leur carrière, qui plus est, mon favori.

Après plusieurs dizaines de minutes ou peut-être plus d'une heure – je n'arrive pas à savoir, je n'ai aucune notion du temps et le soleil ne peut pas m'aider, vu qu'il se lève à neuf heures en décembre à Londres, alors que chez moi...–, beaucoup d'invités commencent à partir, ce qui accapare Warren. Mais le reste de Her Majesty continue de parler, leur discussion est seulement moins sérieuse.

Très vite, voyant qu'il ne reste plus qu'une dizaine de personnes et que le volume de la musique baisse de plus en plus, je crains que la soirée se finisse et que j'aie prévu beaucoup trop de temps. Mais nous parlons encore tous, sans que qui que ce soit n'ait l'air fatigué et je ne compte pas m'en plaindre, c'est vraiment quelque chose de génial de discuter avec les membres de son groupe préféré.

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