It Was Meant To Be (3)
— C'était bon ? finis-je par oser demander, ayant un peu peur des remarques.
Je suis sans doute trop habitué à ce qu'il y ait Warren dans la pièce, lui qui trouve toujours ou presque des imperfections – mais les morceaux finissent systématiquement par être des pépites, alors c'est plutôt bien.
— Oui, je pense, viens voir ce que tu en penses, le son est meilleur ici, dit Dean, sans vraiment se mouiller, mais ce n'est pas son avis que je veux, c'est celui de Ruth, c'est sa chanson, c'est elle qui sait le mieux ce que ça doit donner.
Je soupire, au moins, avec mon frère, on a une réponse précise. Ayant beaucoup trop peur de faire tenir mon instrument en équilibre contre un mur, avec mon sens très approximatif du « c'est bon, ça ne tombera pas », je pose ma contrebasse par terre, avant de les rejoindre. Après un ou deux bidouillages, Leroy me fait écouter le nouveau morceau, qui est franchement pas mal pour une première prise, je ne sais pas ce que nous pourrions faire pour que ce soit mieux, mais il manque encore un petit quelque chose.
— Qu'est-ce que tu en penses, Ruth ? demandé-je à mon amie.
Je ne donne même pas mon avis et je prends garde à ne pas dire ce que j'en pense, c'est sa chanson à elle, son avis compte plus que tout. Sans parler du fait que Ruth n'aime pas trop les questions, surtout sur une musique qu'elle a composée, et qu'elle a due mal à être fière de son travail. Alors si par malheur, j'expose une quelconque opinion, nous ne saurons jamais exactement ce qu'elle en pensait, elle voudra simplement recommencer, sans nous dire haut et fort ce qui devrait être modifié. Et nous finirons par aboutir à un résultat très satisfaisant, mais qui ne ressemblera pas à ce qu'elle avait imaginé.
— C'est bien...
— Mais ?... l'encouragé-je.
— Je ne sais pas trop, il manque un petit quelque chose...
Elle n'ajoute rien, mais je la laisse réfléchir sans insister. Heureusement, les deux garçons ont compris ma technique et ne dise rien non plus. Ça fait déjà plusieurs années qu'ils me laissent gérer les musiques de ma meilleure amie, ils savent qu'ils n'ont ni le feeling ni le tact pour obtenir le bon résultat. Normalement, Warren s'en mêle toujours un peu – et il s'en tire d'ailleurs très bien –, mais aujourd'hui, il n'est pas là. Après quelques secondes de silence, Ruth finit par ajouter hésitante :
— Ta partie n'est pas assez puissante... et forte... et libre... Et celle de Leroy manque d'émotion... et de sentiments.
J'ai presque envie d'en rire, Leroy a fait une dizaine de fois la prise avant d'enfin pouvoir avoir un « là, c'est la bonne » de la part de Ruth, mais apparemment, après réflexion, elle ne colle pas parfaitement au reste. D'expérience, c'est particulièrement désagréable comme moment.
— Je savais que j'avais bien fait d'apporter ma guitare, affirme-t-il simplement sans se prendre vraiment la tête.
— Bon, j'y retourne du coup, annoncé-je en partant directement pour regagner le studio.
Je reprends ma contrebasse et me réinstalle avant de leur dire que je suis prête. La musique se diffuse de nouveau dans mon casque et je commence à jouer en me concentrant presque entièrement sur les paroles, pour capter toute leur émotion, toute leur profondeur, toutes leurs vérités, tentant ainsi d'interpréter au mieux, les notes de It Was Meant To Be. À la fin, je me suis presque trop abandonnée à la musique, ce qui rend les dernières notes encore plus perturbantes.
— C'est parfait ! s'exclame la compositrice sans attendre que je pose la question.
— Tu es sûre de toi ?
D'accord, cette prise sonnait très bien, mais au point d'avoir le droit à un parfait.
— Quasiment oui.
Traduction, je risque d'y retourner.
— Du coup, j'ai fini, là ? vérifié-je, juste par précaution.
— Oui, mais ne te barre pas, je veux ton avis sur la musique finale, remarque-t-elle en me regardant droit dans les yeux à travers la vitre.
Cette fille ne me connaît pas du tout par cœur, ce n'est pas du tout mon genre de partir en plein milieu d'une séance d'enregistrement, uniquement parce que j'ai terminé. Ce n'est pas comme si je haïssais le temps passé au studio, c'est une perte de temps monumentale – je plains d'ailleurs très fortement tous les scientifiques qui doivent se taper les conférences –, mais ça fait malheureusement partie du boulot. Je ne dis rien et les rejoins après avoir soigneusement remballé ma contrebasse.
C'est alors au tour de Leroy d'aller dans le studio, mais pour lui, la première prise n'est pas la bonne, puisqu'il n'a pas du tout révisé le morceau avant de venir. La deuxième est guère mieux, ni même la suivante. Bon pour tout dire, il nous faut six prises avant d'avoir la perfection, soit trente bonnes minutes de griller, voire plus. Je pense que c'est surtout dans ses moments là que je n'aime pas les studios. Mais on ne va pas se mentir, après tout ça, la musique est parfaite et elle dégage même encore plus d'émotion qu'avant. C'est même ce que je dis à Ruth et ce n'est pas seulement pour la rassurer, c'est aussi la vérité.
J'allais m'apprêter à dire au revoir aux membres du groupe et partir, mais au même moment, le téléphone du studio sonne. Cette fois, c'est Dean qui décroche, mais il me passe le combiné assez vite en disant que c'est pour moi. Je récupère le fixe et c'est la voix de Warren qui m'accueille.
— Terrie, je suis vraiment désolé pour ce matin, je...
— C'est bon Warren, c'est rien, je sais que tu n'étais pas dans ton état normal.
— Oui, mais j'aurais tout de même dû venir avec toi, je suis désolé...
— Je te promets que ce n'est pas grave.
— OK, mais je suis quand même désolé de te demander un service maintenant... hésite-t-il, la voix tremblante.
— Quoi comme service ? l'interrogé-je un peu méfiante, quand il pend des pincettes comme ça, c'est que ce qu'il va me dire ne me plaira pas.
— Il y a des dizaines de journalistes devant chez nous... On dirait qu'ils ont remarqué que tu étais au studio sans moi...
Il n'a pas besoin de m'en dire plus, je vois exactement la situation, ça fait presque dix ans que mon frère ne supporte plus les journalistes, il en a même peur, c'est quasiment impossible pour lui de sortir s'il y en a devant la porte. En tout cas, il est incapable de les affronter seul, il a toujours besoin que quelqu'un soit avec lui, c'est le seul moyen qu'il arrête de se terrer chez lui. Il n'aurait même pas dû préparer le terrain comme ça avant, ce n'est pas parmi les demandes que je refuse.
— Tu es seul ? vérifié-je juste au cas où, me doutant bien de la réponse.
— Non...
J'imagine que trop bien la presse à scandale face à cette information.
— OK, ne bouge pas, j'arrive. Ne t'en fais pas, je serais là dans trente minutes, max, promis. En attendant, fait en sorte que ton ami ne soit pas vu.
— Merci... Dit-il avant de raccrocher.
— Bon, j'y vais vraiment cette fois, annoncé-je à nouveau aux autres avant de partir.
Je mets ma contrebasse dans le coffre et je monte en voiture avant de démarrer. Je prends alors la route, sans faire d'excès, je n'ai pas menti à mon jumeau sur le temps que je vais mettre à le rejoindre, il est donc inutile de me presser, il n'est sans doute pas à cinq minutes près. Je dois reconnaître que je fais aussi ma petite vengeance personnelle au passage par rapport à ce matin. Qu'à moitié concentrée sur la circulation, étant donné que je serais capable de la faire les yeux fermés, je me perds presque dans mes pensées et mes inquiétudes.
Après déjà plusieurs minutes, je sors de l'autoroute et commence à prendre les petites routes de campagne menant à chez moi. Suite à plusieurs kilomètres, j'arrive à la voie ferrée, qui est ouverte, mais à peine me suis-je engagée que j'entends un train arrivé de ma gauche. Je n'ai le temps de ne rien faire avant que la locomotive ne me percute. Le choc est assourdissant, autour de moi, tout vole en éclat. J'ai l'impression que mon corps se fracture sous le choc, mais je n'ai pas mal, je me sens juste partir vers un endroit où il n'y aura jamais de billet retour.
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