Dear Love (3)
Heureusement, Terrie ne semble pas perturbée par mon long temps d'hésitation. C'est déjà une petite victoire, je ne sais pas vraiment comment justifier que je ne me souvienne pas du titre de la musique sur laquelle elle croit que j'ai dansé il y a moins d'une heure. Il faut décidément que j'apprenne à mentir, rien que pour ça c'est une bonne chose que je ne revienne plus après ce voyage. En plus, je ne suis pas à l'aise avec le fait de cacher tant de choses à une personne que je considère comme étant une amie, ce n'est pas bon, je n'aime pas ça.
Définitivement, c'est une bonne chose que ce soit le dernier voyage que je fasse en 1972, comme ça, après, plus de problème au niveau des mensonges, je lui dis simplement adieu et je ne lui parle plus jamais en espérant seulement de ne pas trop souffrir d'avoir perdu une si belle amie.
Parfois, je voudrais vraiment que tout soit plus simple.
— Un classique, remarque Terrie après que le silence se soit un peu installé entre nous.
— Les classiques plaisent toujours, rigolé-je comme pour me justifier.
— Ça, c'est certain, affirme-t-elle un peu trop sèchement comme si elle avait un problème avec les classiques, ce qui est presque probable vu comme elle a détruit les conventions musicales une à une.
Ne voulant pas rentrer dans un confit d'idée pendant les dernières heures que je vais passer avec Terrie Century, je reviens discrètement sur le sujet de la danse. C'est bien moins épineux et ça a au moins le mérite de ne pas trop avoir changé en cinquante ans, il n'y a pas eu beaucoup de nouvelles danses, les principales existant depuis longtemps, ce qui me permet de parler assez librement sans trop me poser de questions. En plus, plus nous parlons, plus je vois à quel point c'est un sujet qui intéresse Terrie, qui paraît fascinée par ce sport. Elle finit même par m'avouer pendant le repas qu'elle aurait toujours eu envie de faire de la danse de salon, mais qu'elle n'a jamais pris le temps de prendre des cours.
D'un certain sens, ça m'étonne, c'est quelque chose qui ne correspond pas totalement à la personnalité que Terrie a montrée aux médias. Mais d'un autre, plus je la côtoie, plus je la trouvais différente que la star que je connais si bien, alors après tout, peut-être que cette vraie « elle » aime la danse, on ne peut pas vraiment apprendre à connaître une personne à travers des interviews. Si je n'étais pas censée partir dans moins de six heures, je lui proposerais même de lui donner un cours, j'en donne régulièrement et ça me ferait hyper plaisir d'apprendre à danser à mon idole. Mais là, ça va être un peu trop juste niveau temps, surtout si je veux continuer à discuter avec elle.
Alors je ne dis rien et nous continuons la conversation, finissant même par changer de sujet et par parler de tout et de rien pendant plusieurs heures, assises au comptoir du restaurant. Mais nous finissons par nous faire chasser du pub par le patron qui se plaint du fait que nous soyons là depuis plus de cinq heures et que nous n'ayons commandé qu'une petite pizza et deux bières. Nous nous retrouvons donc dans la rue, la nuit et le froid, alors qu'il n'est même pas dix-huit heures.
C'est certain que j'adore Londres, mais c'est tout de même très perturbant comme temps. Normalement, chez moi en décembre, il fait trente degrés et plein soleil jusqu'à vingt et une heures, là, c'est presque l'opposé complet.
Mais ça ne nous empêche pas de continuer de parler, à moitié assis sur un pont, juste devant le bar. Ni elle ni moi n'ayant la motivation de marcher plusieurs minutes pour trouver un banc qui de toute manière sera tout aussi froid et peut-être mouillé ou un autre pub, parce qu'il fait quand même froid dans ce pays ! Ça ne semble même pas gêner Terrie, je ne sais pas comment elle fait, je suis sûre qu'on est proche du zéro degré pourtant.
Je ne sais pas combien de temps nous restons là, je n'ai ni montre ni point de repère, mais je ne m'inquiète pas tant que ça de l'heure. Le temps passe peut-être vite, mais pas assez pour qu'il soit déjà vingt heures.
— Shit ! jure Terrie en plein milieu de notre discussion. Il est déjà dix-neuf heures trente !
Déjà, c'est le moment ! J'ai vraiment aucune notion du temps ici, c'est une horreur !
— Ça va, il me reste encore un peu de temps, je dois partir vers vingt heures moins dix, affirmé-je plus pour la rassurer qu'autre chose, même si au fond, je panique aussi un peu, vingt minutes c'est tellement peu et je ne suis pas prête mentalement.
— Peut-être, mais je voulais te montrer quelque chose avant que tu partes... Ça devrait encore pouvoir le faire... Attends-moi là, je reviens.
Je n'ai même pas le temps de dire quoi que ce soit qu'elle s'en va, me laissant seule. Je la suis des yeux, me demandant ce qu'elle peut bien vouloir me montrer. Vraiment intriguée, j'attends son retour impatiemment. Quand elle revient, elle a un carnet en cuir de la taille d'un livre dans la main et même si je ne l'ai jamais vu, même en photo, j'ai une petite idée de ce que c'est : son carnet de musique; là où Terrie Century a écrit toutes ses musiques ainsi que celle de son frère.
S'il est comme Warren l'a décrit pour justifier les nouvelles musiques signées au nom de sa sœur après la mort de cette dernière dans ma première réalité, ce carnet est une véritable mine d'or, le saint Graal que tous les fans de Her Majesty veulent voir.
J'ai presque l'impression d'halluciner, si c'est vraiment ça, ce n'est même pas le rêve, c'est genre magique. J'en ai des frissons. Je n'oserais même pas y toucher, c'est beaucoup trop beau pour être vrai, ça paraît impossible, je dois me faire des films, ce n'est pas possible autrement.
— Viens, juste sans mon carnet de musique, je ne peux pas te montrer grand-chose, justifie-t-elle un peu rouge.
Mon Dieu ! C'est le plus beau jour de ma vie ! Je n'ai pas halluciné, c'est exactement ça ! J'ai envie de sauter partout et de hurler de joie ! Je ne peux même pas, c'est ça le pire, ce serait vraiment trop bizarre comme réaction ! C'est vraiment dur de son contrôlé ! C'est beaucoup trop bien !
Tentant de masquer ma joie, je la suis dans les rues en essayant de marcher normalement et de ne pas sautiller partout. Elle, elle ne dit rien, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais ça m'arrange, je serais bien incapable de discuter normalement. Nous finissons par arriver dans une rue que je reconnais puisque c'est celle où habite Leroy. Pendant quelques instants, je me demande ce que nous pouvons bien venir faire ici et c'est seulement quand nous rentrons dans le magasin de musique sous l'appartement de King que je comprends que nous venons là pour les instruments et non pour Leroy. En nous voyant entrées, la vieille dame qui tient la boutique sort par la porte de dernière en prétendant vouloir fumer, mais ça paraît suspect trop suspect, je pense surtout que Terrie lui a demandé, avant de venir, de nous laisser seules à notre arrivée, mais je n'arrive pas à savoir pourquoi...
— J'ai une demande un peu bizarre à te faire... En fait, j'ai écrit une nouvelle musique... et je la verrais vraiment bien au piano... Ça ne te gênerait pas de la jouer ?... Enfin juste ce que j'ai déjà fait... Et ce n'est pas une obligation, tu as le droit de refuser... c'est juste une demande... J'aurais même dû te demander avant de venir ici... De toute...
J'ai déjà remarqué qu'elle paraissait presque stressée à des moments aujourd'hui, je ne savais pas si je me faisais des histoires ou non. Mais maintenant, j'en ai la certitude, elle est clairement angoissée. Je commence même à me demander pourquoi, dans tous les cas, ça a un rapport avec la chanson qu'elle veut me montrer, enfin, me faire jouer plutôt.
— Ça ne me gêne absolument pas, l'interromps-je vraiment heureuse. Inutile de te justifier, si tu veux tout savoir, ça me ferait même très plaisir.
— Cool... En plus, c'est bien, tu l'entendras en exclusivité mondiale, c'est toi qui m'a inspiré la musique, alors tu as le droit de l'entendre avant tout le monde, déballe-t-elle très vite sous mes yeux étonnés.
Je crois même que je vais finir par penser que je suis vraiment en train de rêver, ce n'est pas possible autrement. Terrie est vraiment en train de dire qu'elle m'a écrit une chanson ?! C'est à peine croyable, comment une chose pareille peut arriver dans la vraie vie ?! Je n'aurais même pas pu imaginer ça dans mes rêves les plus fous !
Elle se tourne dos à moi avant de poser le carnet ouvert sur un piano électrique. Je regarde alors les notes, qui ne sont pas écrites sur une portée, mais qui sont plutôt écrites au-dessus des rythmes. Même si ça ne doit être qu'une ébauche, ça devrait ressembler à une des musiques de Her Majesty, mais non, ce qui me montre sans doute que je ne suis pas une petite inspiration, mais une grosse énorme.
Une fois que j'ai lu une fois le morceau, je pose mes mains sur le clavier et je commence à jouer. Je dois faire quelques petites erreurs et ne pas être tout à fait en rythme, mais ça sonne quand même très bien et c'est vraiment beau et entraînant, j'adore la façon dont c'est écrit. Quand je l'ai joué une fois, Terrie me corrige sur les petites imperfections – principalement dû à ses B qui ressemblent à des A – et me demande de rejouer. C'est ce que je fais, mais cette fois, vers le milieu de la musique, Terrie commence à chanter, ce qui me déconcentre un peu à cause de la surprise :
— Cher amour, si loin et si proche à la fois, je voudrais être avec toi, si seulement tu m'aimais, parce moi, je t'aime. J'aimerais t'avoir à mes côtés, j'aimerais être avec toi, mais je ne peux pas, nous sommes trop loin, trop loin, beaucoup trop loin, pourtant, nous sommes proches dans mon cœur parce que je t'aime, parce que je t'aime, cher amour.
Ce refrain, je le connais, normalement, il n'est pas chanté comme ça, mais je le reconnais quand même, c'est celui de Dear Love de Dean Marsch, pas de Terrie Century, c'est certain, je n'en ai aucun doute. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, elle chante cette chanson pour moi, ces mots sont pour moi. Dear Love est pour moi. Dear Love est une déclaration d'amour à mon égard...
Choquée et un peu perdue, j'arrête de jouer, ne regardant que Terrie finir de chanter, me demandant comment je dois réagir, comment je dois interpréter la chaleur au creux de mon ventre. Je suis comme figée, complètement ahurie, que faut-il faire ? Elle se penche un peu vers moi, comme pour avoir mon approbation et même si je ne devrais pas, j'agis sur un coup de tête et comble l'espace entre nous et l'embrasse.
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