Dear Love (2)
Et effectivement, à peine une ou deux minutes plus tard, nous voyons arriver la voiture de Charles, le meilleur ami de papa, qui a toujours tendance à être en retard, mais pas cette fois. Il vient tout de suite nous voir et présenter ses condoléances, mais ça sonne faux, non pas parce qu'il ne le pense pas – ses yeux déjà rouges le prouvent bien –, plutôt parce que cette simple phrase est trop mécanique, trop peu naturelle, trop répétée, personne ne peut la dire vraiment, du moins je n'ai encore entendu personne le prononcer avec le cœur, si l'on peut dire ça ainsi. De toute manière, j'ai arrêté d'écouter les mots, maintenant, je ne regarde plus que les visages pour savoir si la personne compatit réellement.
Après les voitures commencent à s'enchaîner et rapidement, un triste ballet de noir se met en place face à nous et quand il se finit, tous les invités sont assis sur des chaises, annonçant le début de la cérémonie.
Ayant organisé un enterrement comme mon père l'aurait voulu, il n'y a pas de cérémonie religieuse, – même s'il était croyant, il a toujours trouvé les messes mortuaires déprimantes et bien trop longues – il n'a jamais voulu que ses proches soient désespérés durant ses obsèques. Il voulait encore moins qu'ils ne s'ennuient lors de ses funérailles. Alors à la place, les personnes qui le veulent passent chacune leur tour pour prononcer quelques mots, faire un discours, passer une musique ou n'importe quoi d'autre du type, mais rien d'attristant.
Quand c'est au tour de ma mère, je l'avance sur le devant de la petite estrade et je retourne à ma place au premier rang juste avant qu'elle commence à parler :
— Je devrais sans doute te dire à quel point je t'ai toujours aimé, que je t'aimerais toujours et que ta mort me fera toujours de la peine, affirme-t-elle en regardant la tombe, ne s'adressant qu'à lui. Mais ce serait déprimant et si tu étais là, tu ne voudrais pas que je dise ça. Alors à la place, je ne vais pas me tourner vers le futur, je ne vais même pas penser à l'instant présent. Non, je vais plutôt me remémorer tous les beaux moments qui resteront dans ma mémoire à jamais.
» Je vais me rappeler chacun de ces instants, mais je vais surtout me souvenir de notre première rencontre, quand j'étais encore ballerine, quand je t'ai vu pour la première fois et que j'ai su que je t'aimerai à jamais, que pour toi j'irai au bout du monde. C'est grâce à toi que je suis là aujourd'hui, grâce à toi que j'ai deux merveilleux enfants, grâce à toi que je suis heureuse, grâce à toi que j'ai accompli mes vrais rêves, grâce à toi que j'ai ouvert les yeux. Ce n'est que de ça dont je vais me rappeler à jamais.
Elle me lance encore un regard pour me demander de la remettre à sa place initiale et je me lève tout de suite pour le faire. Avant de me tourner vers mon frère pour interroger silencieusement afin de savoir s'il veut être le suivant ou si c'est à mon tour de parler. C'est donc après avoir eu son approbation que je monte sur la petite estrade juste à côté de la tombe de mon père.
— J'avais préparé une sorte de discours, mais maintenant je trouve ça horriblement bête. Comment peut-on être sincère sans être vraiment spontané ? Alors je vais laisser tomber ce fichu papier, affirmé-je en repliant la feuille que je venais de sortir. Et simplement vous citer les paroles d'une musique que j'ai fait redécouvrir à mon père il y a quelques années déjà : j'aimerais t'avoir à mes côtés, j'aimerais être avec toi, mais je ne peux pas, nous sommes trop loin, trop loin, beaucoup trop loin, pourtant, nous sommes proches dans mon cœur parce que je t'aime.
» OK, je plaide coupable, c'est encore une musique de Her Majesty, Dear Love pour être plus précise. Elle ne parle pas vraiment de l'amour d'une fille à son père. Mais elle illustre très bien ce que je ressens et papa a toujours aimé cette chanson, « un excellent slow, disait-il, le genre de musique sur lequel j'aurais dansé à mon mariage si je l'avais connue à temps », ajouté-je en arrachant un petit rire aux invités qui doivent sans doute très bien voir mon père dire ce genre de chose. Je t'aime, papa...
Et c'est en étant de nouveau proche des larmes que je descends et regagne ma place. C'est alors Arthur que s'installe devant l'estrade pour parler à son tour :
— Je n'ai jamais été doué avec les mots, encore moins avec les discours, alors je ne vais pas parler longtemps, tu m'en excuseras papa si jamais tu m'entends de là-haut... Je n'ai peut-être pas toujours été le fils modèle dont tu rêvais d'avoir, je n'ai sans doute pas toujours été délicat avec toi, j'ai souvent été gros balourd, à ne jamais avoir les bonnes paroles au bon moment, mais sache que je t'aime et tu vas horriblement me manquer...
Après Arthur, il s'enchaîne plusieurs personnes qui disent encore quelques mots et une fois que tous ceux qui voulaient parler l'ont fait, un étrange défilé se met en place où chacun jette une poignée de terre sur la tombe de mon père.
Je reste avec ma famille jusqu'à ce que tous les invités soient partis, mais nous ne restons pas jusqu'à ce que la tombe soit rebouchée, nous partons avant. Je ramène alors ma mère à l'hôpital et Arthur et moi restons avec elle le reste de la journée, ne rentrant chez nous qu'à la nuit tombée. Une fois arrivés, nous allons tout de suite nous coucher, n'ayant ni lui ni moi, d'humeur pour nous poser devant la télé.
Ce soir, je ne veux pas programmer de voyage et je m'y tiens cette fois, plus par respect pour mon père que par réelle envie de ne pas partir cette nuit. Au contraire, j'adorerais y retourner cette nuit encore... Juste pour rire et vivre. Je dois bien avouer que j'adore le Londres des années 70, je m'y sens bien. Pas seulement parce qu'il y a Her Majesty, mais aussi parce que j'adore l'ambiance là-bas, le rythme de la ville, les personnes, l'absence de la technologie, le dépaysement, tout... Je ne sais pas trop comment expliquer... c'est tellement difficile à décrire... cette sensation de bien-être quand je suis là-bas, c'est beaucoup trop dur d'y mettre des mots...
Mais je sais bien que ce n'est qu'une illusion, c'est comme lorsqu'on est en vacances dans un pays étranger, on y aime la culture, les habitants, tous, mais si l'on y passait toute notre vie, on trouverait ça aussi nul que notre pays d'origine, peut-être même pire.
En attendant, illusion ou non, ça ne change rien au fait que je sois bien là-bas et que j'aime y passer mes nuits... Je compte d'ailleurs programmer un nouveau voyage dès demain matin, je ne vais pas me le cacher, j'y suis trop bien pour m'en passer... J'en ai presque honte quand j'y pense... c'est tellement bête comme truc, pourquoi est-ce que je ne pourrais pas, comme tout le monde, aimer un pays dans le présent ? Au lieu de tomber amoureuse du passé ? Ce serait beaucoup plus simple, je pourrais y retourner en vacances et tous et tous. Mais non, c'est bien trop difficile d'être comme tout le monde de temps en temps... il faut vraiment que j'arrête de réfléchir et que je dorme une bonne fois pour toutes, rien que pour rattraper tout mon retard de sommeil, ce serait déjà bien.
♚
Je ne vais pas dire que c'est plus simple maintenant de s'endormir en ayant chaud, mais c'est de moins en moins compliqué dans tous les cas, peut-être que je m'habitue à avoir trop à chaud pour dormir. Surtout que cette fois, je ne peux pas mettre la rapidité sur le compte de la fatigue, je n'ai pas eu une journée épuisante et j'ai bien dormi la nuit dernière. Chose sûre, c'est que je ne vais pas me plaindre de déjà être dans les rues de Londres en 1972.
Malgré le fait que logiquement il soit pile midi, Terrie m'attend déjà à l'intérieur du bar, à croire qu'elle est toujours en avance, dans tous les cas, à chacune de nos rencontres, elle arrive avant moi. Ne cherchant pas plus à comprendre, je rentre dans le pub pour la rejoindre.
— Hey ! Alors cette compète ? me demande-t-elle quand je prends un tabouret au comptoir à côté d'elle.
— Euh... Quatrième, affirmé-je en me rendant compte que je n'avais pas du tout pensé à ces détails.
J'espère qu'elle ne posera pas trop de questions ou sinon, je vais devoir improviser et je suis vraiment nulle pour ça, je ne suis clairement le genre de personne capable de changer dix fois sa version des faits quand elle ment. Là par exemple, j'ai dit que j'ai fini quatrième, mais dans dix minutes, je suis capable de dire que j'ai terminé sixième, ce qui peut rapidement être très suspect.
— Cool ! C'était sur quelle musique d'ailleurs ? demande-t-elle vraiment par curiosité, rien de méchant, mais dans le contexte, sa question tombe un peu mal.
Vite, une musique de danse connue, n'importe laquelle du moment qu'elle date d'avant soixante-douze, je m'en fous de l'artiste, ça peut être les Beatles, les Rolling Stones, Jimi Hendrix, Bob Dylan, The Who, The Beach Boys. Vraiment n'importe qui, tout me va, même un artiste français comme Joe Dassin ou Johnny Hallydey, je veux seulement trouver une foutue musique. Mais dans la panique, aucun titre ne me vient, rien, c'est le néant, les rares noms qui me viennent en tête sont soit trop récent soit de Her Majesty, à croire que je ne connaisse que ça !
Le pire, c'est que c'est complètement faux, mes parents et mon grand-père ont suffisamment forgé ma culture musicale pour que je connaisse plein de musiques pas forcément modernes, mais là, aucune ne me vient à l'esprit, vraiment aucune. J'ai l'impression qu'il se passe une éternité avant que j'arrive enfin à trouver une mélodie dansante, connue et « vieille » :
— Jailhouse Rock de Elvis Presley.
Maintenant, j'ai presque honte de ne pas y avoir pensé plus tôt, c'est une musique hyper connue, un classique pour ceux qui dansent le rock'n'roll, j'ai même dansé plusieurs fois dessus. Ça aurait dû être l'un des premiers titres qui me viennent à l'esprit tant elle est classique.
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