Chapitre six : 🩹

-Venez dont par ici, j'ai du poisson frais !

-De belles pommes rouges, vertes, jaunes !

-C'est du véritable cheval, élevé dans une ferme locale !

Les paroles des commerçants se mêlant aux airs de musique, nous progressons dans les grandes allées du marché. Ce matin, au réveil, nous avons constaté une baisse considérable de notre nourriture. Il était formel que nous allions faire des provisions.

Nous passons devant un stand de sucreries, et j'en achète quelques une pour mon ange, Kean. J'en profite pour en offrir un peu à Guerios, et en prendre pour moi. Nous ne nous inquiétons pas pour l'argent, avec son service chez les Péneas, Alejandro a amassé une belle somme, assez pour nous permettre de vivre pendant au moins cinq ans. Nous avons choisi, d'un accord commun, de voyager dans une charrette de pauvre, car les bandits ne manquent pas. Mieux vaut prendre notre temps plutôt que de finir fauchés.

Une mélodie se fait entendre par dessus toutes les autres. Je reconnais la musique de mon enfance. Alors que les souvenirs affluent, je me dirige naturellement vers l'origine du son. Là, debout, se tiennent deux musiciens, un flûtiste, et un pianiste. Sur une chaise est posé un violon. J'ai, plus jeune, appris à jouer de cet instrument, et ma première musique fut celle qu'on entend.

Je m'avance, sous l'oeil intrigué et étonné des spectateurs en cercle autour des musiciens, m'empare de l'instrument, et me saisit de l'archet. La première note qui s'en échappe me remplis d'une joie intense. Cela fait tellement longtemps que je n'en ai pas joué !

Quand la dernière note résonne, le groupe se fait applaudir, et moi avec. Je reposé le violon, et esquisse un mouvement pour retourner près des deux hommes, quand une main m'arrête. C'est le pianiste.

-Mademoiselle, vous êtes douée.

-Et bien, merci.

-Cela va peut être vous paraître étrange, mais je souhaiterais vous faire cadeau de quelque chose.

-Dites moi.

Il se retourne, et me tends le violon avec lequel j'ai joué. Je m'étonne, mais il me rassure.

-Je m'en suis fait offrir un autre, celui ci est, je l'avoue honteusement, usé.

-Ne vous en inquiétez pas ! J'ai une préférence pour les vieux instruments, je les trouve moins capricieux et plus simple à manier.

Après une dernière remerciade, je salue l'homme d'une révérence, puis rejoins mes amis. Alejandro me sourit avant de me féliciter. Kean me demande une chanson, et je me lance dans un solo endiablé, sous les rires et le brouhaha.

Une fois ma musique finie, nous nous décidons enfin à acheter de la nourriture. Alors qu'Alejandro est du côté des fruits et légumes, Kean et moi allons vers les pommes de terre et le pain. Nous sommes devant la boulangerie quand un grand bruit cause le silence.

Un homme vient de tomber du haut de son échelle ! Quelques femmes courent vers lui, et crient d'effroi, car sa jambe forme un angle étrange. Un homme, habillé de façon à ce qu'on le remarque pas, s'approche, et replace la jambe du blessé dans un cri déchirant. Deux autres personnes viennent vers le patient et sortent du matériel médical.

Le public commence à se désintéresser de l'incident quand une pression sur ma jambe se fait sentir. Kean, en larmes, se colle à moi, comme s'il était en effroi devant la scène. Je m'abaisse à son niveau, et lui parle d'un ton calme et maternel.

-Qu'est ce qu'il y a, bonhomme ?

Il n'arrive pas à trouver ses mots, alors s'il me montre le monsieur et sa propre jambe.

-Tu as eu peur pour le monsieur ?

-Nan.

Il me remontre avec insistance sa jambe, puis l'homme.

-Tu as eu peur quand sa jambe s'est tordue ?

-Moui.

-Oh mon cœur, le monsieur va mieux maintenant, tu as vu ?

Il me serre contre lui, enfouissant sa tête dans mes cheveux. Je me relève en le portant, et paye la boulangère déboussolée par l'incident qui vient de se produire. Je rejoins Alejandro devant l'entrée du marché, je crois que Kean s'est endormi. Nous rentrons en silence à la charrette, où je range les provisions dans un coffre sous le plancher.

Alors que nous roulons, Alejandro me pose une question qui me fait réfléchir.

-Pourquoi cherches tu réellement ta vengeance ?

Je réfléchis quelques instants, puis répond d'une voix empreinte de mélancolie.

-J'ai longtemps cru que c'était pour venger ma famille, puis je me suis rendu compte qu'il y avait autre chose.

-Quoi dont ?

-C'est aussi pour me venger, mais je veux aussi me prouver que j'en suis capable. Toute ma vie au village, j'ai été entraînée, forcée, battue même. Mais jamais je ne me suis prouvé, à moi, que j'en valait la peine. Je le sais, je manque cruellement d'entraînement, de force, de technique, c'est pour ça que j'aimerais que tu me formes aussi sévèrement que tes anciens soldats.

-Bien sûr, si c'est ce que tu veux. C'est beau, de savoir qu'on en vaut la peine.

Nous laissons planer le silence, puis je le comble.

-Et toi alors, tu veux aussi te venger, mais j'ai l'impression que c'est plus personnel derrière ce que tu montres.

-Tu es douée pour discerner les gens. Effectivement, ce n'est pas que de la vengeance non plus. J'ai une fille, tu sais ? Sans doute pas. Quand elle est née, sa mère et moi ne pouvions la garder chez nous, la guerre menaçant d'éclater à tout moment. Elle a été adoptée par une tante éloignée. Kaelynn Péneas avait promis de subvenir à leurs besoins, mais dès qu'il m'a renvoyé, il a arrêté de leur envoyer de l'argent. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue, mais je suppose qu'elle est morte de faim.

-C'est horrible. Je ne suis pas douée avec les mots, mais sache que je suis avec toi.

-Tu sais, je te remercie d'être venu le chercher ce jour là, j'aurai fini par me suicider, alors merci de m'avoir sorti de cet enfer qu'est la culpabilité.

-Merci à toi de m'aider, alors que Kean et moi n'avions rien.

Nous nous sourions, et je m'endors sur l'épaule de mon ami. De mon premier et seul ami.

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