Chapitre quatre : ✨
-Artémis ?
-Oui ?
-Je pense que nous arriverons dans environ quarante cinq minutes.
-D'accord, merci. Kean, tu as entendu Alejandro ?
-Moui !
Le petit est énergique, il aide Guerios à cravacher les chevaux. En vrai, il ne fait strictement rien, mais c'est déjà ça. Il est bien trop petit, trois ans et demi, c'est jeune pour être aussi autonome.
Si hier nous n'avions qu'un cheval pour tirer son lourd fardeau, l'étalon s'est porté volontaire ! Il n'a pas voulu nous quitter, et s'est même placée sur le chemin de la charrette. Nous l'avons arnaché, et a peine installé qu'il s'est mis à avancer. Il faut croire qu'il semble penser avoir une dette envers nous.
Je l'avoue, je me suis prise d'affection pour l'animal, cette semaine à ses côtés n'ayant qu'aggravé la chose.
Ça me fait penser qu'il n'a pas de nom ! L'autre cheval est une jeune jument bai qu'on a appelée Enoraa. Je crois qu'Enoraa aime bien l'étalon, elle ne faisait que le regarder !
-Alejandro ?
-Mmh ?
-Il faudrait trouver un nom à l'étalon, cela le rallierai à notre cause encore plus solidement.
-Choisis, j'ai baptisé Enoraa comme ma jument, alors baptise le comme le tien.
-Bien.
Je prend mon temps, détaillant la robe de jais de l'animal, lui donnant une couverture parfaite la nuit. Puis, une illumination.
-Je sais.
-Vas-y, dis le moi.
-Yemaao.
-Avec un ou deux "a" ?
-Deux, comme Enoraa.
Je me tourne vers Kean, lui demandant ce qu'il pense du nom que j'ai choisi, ce à quoi il répond par un hochement de tête énergique. Je pense que dès qu'il aura quatre ou cinq ans, je lui offrirai un poulain pour qu'il sache monter dès son plus jeune âge.
-Tu en aura un plus tard, toi aussi !
-Ouiiii !
La route n'est pas longue, mais éprouvante. Les cailloux sur le chemin sont dérangeant, et surtout qu'ils nous font tanguer en se coinçant sous les roues. Je finis par m'endormir, bercée par le bruit de sabots.
Lorsque j'ouvre les yeux, je suis émerveillée par l'océan d'étoiles au dessus de ma tête. Je repère certaines constellations, d'autre pas, et d'autres encore légèrement troubles.
Les étoiles, ça a toujours été mon échappatoire. La nuit où le clan Péneas à détruit mon village, après avoir dit adieu à ma famille, je suis allée avec Kean dans une plaine à quelques kilomètres du champs de bataille. J'avais installé le nourrisson dans un boudin de tissu, où il s'est immédiatement assoupi. Moi, je n'ai pas dormi de la nuit. Le massacre continuait de se jouer dans ma tête, repassant tous les passages, du début à la fin. Si je sentais les larmes au bord de les paupières, aucune ne s'est échappée de mes yeux. Durant ce moment qui m'a semblé infiniment long, les étoiles semblaient briller pour moi. C'est sans doute depuis ce jour que mes nuits ne dépassent pas cinq heures, me réveillant par des cauchemars incessant.
Je n'aime pas en parler, ni même y faire allusion, car c'est ce que je considère les cauchemars comme une faiblesse. Faire des cauchemars, c'est être faible. Et moi, je ne suis pas faible.
Certaines fois, c'est mon corps qui refuse de s'endormir. Alors qu'il n'y a rien dans l'air, j'ai parfois l'impression d'étouffer, de suffoquer, de mourir étranglée... Je n'en parle pas non plus.
Me relevant doucement, je constate que Kean et Alejandro dorment à point fermés sur notre deuxième paillasse. Je sors de la charrue, enfile mes bottes, prends ma veste, et commence à marcher. Je ne sais pas où je vais, mais j'y vais.
Les étoiles brillent, me rappelant cette nuit cauchemardesque. Un mal de tête fulgurant me prends, me faisant vaciller. Un souvenir vient m'assailler le crâne, et je tombe sur les genoux sous l'assaut des souvenirs. Je prends ma tête entre mes mains, et tente de calmer la douleur en donnant des coups de tête dans le tronc d'arbre auquel je suis adossée.
Une branche craque, et ce simple son me permet d'oublier, ne serait ce que quelques secondes, le calvaire que je vivais. Le temps de retrouver mes esprits qu'une énorme ombre s'approche de moi. Yemaao me donne un coup de naseaux, et je me relève en souriant doucement.
Après deux bonnes heures de marche, j'aperçois enfin notre charrue au loin. Je m'écroule sur le matelas, Yemaao près de moi, et pour la première fois depuis longtemps, une larme salée dévale la joue pour s'écraser dans mon cou. Une deuxième la suit quand je repense à ce que mon père m'avait dit, quand j'étais petite.
«Je t'aime jusqu'aux étoiles, et plus encore.»
Mon père n'est pas quelqu'un de démonstratif. Il m'avait dit ces mots alors qu'il pensait que je dormais. C'est lui qui m'a enseigné cette leçon fondamentale :
"Peurer, c'est être faible. Tomber, c'est s'avouer vaincu."
J'empêche mes yeux de déverser des larmes, j'en ai déjà trop lâché. Je n'ai jamais dis à Kean que je l'aime. Je veux le faire, mais j'ai l'impression que si je le lui dit, ça va finir par se retourner contre moi. Tout fini un jour par se retourner contre moi. Je sais qu'un jour, Kean me détestera. Il me haïra de l'avoir arraché à sa famille, il me tiendra pour responsable de leur mort. Je saurai que je n'ai rien fait, mais ce sera dur tout de même. Alors je profite de chaque jour avec lui comme le dernier, ou j'essaye.
Ce n'est pas compliqué pourtant ! Trois mots, sept lettres, un sens ! Je t'aime ! J'ai beau l'hurler dans ma tête, les mots ne franchissent pas la barrière de mes lèvres. Si seulement je n'étais pas aussi insensible ! Je me frappe le front de mon poing, une fois, deux fois, dix fois, si bien que je finis par me relever d'un coup, cours à la rivière, me déshabille, et saute dans la rivière glacée. Je me laisse flotter, mes membres engourdis par le froid glacial. Je ressens ce que j'ai toujours cherché, l'adrénaline. Je sais que si je reste ici sans bouger, je finirai pas m'évanouir et sans doute mourir.
Plusieurs fois, je me dis que je vais sortir, mais je ne le fais pas, me disant qu'une minute de plus, ça ne fait rien de mal. Et puis ce qui devait arriver arriva, je me sentis partir. Je m'insulter, mais je ne bouge d'un poil. Je me laisse partir en arrière, et sombrer.
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