CHAPITRE 8
Noah était dans sa bulle. Concentré sur le laçage de ses patins, il ne distinguait que vaguement le brouhaha que produisaient ses coéquipiers autour de lui. Tous étaient installés à leurs places respectives, dans le vestiaire, devant les casiers qui leurs avaient été attribués. Certains laçaient leurs patins, d'autres plaçaient leurs plastrons et d'autres, écouteurs dans les oreilles, s'efforçaient de penser à autre chose qu'à la pression qu'ils sentaient peser sur les épaules.
De l'autre côté du couloir, dans le vestiaire des Moose, l'ambiance était la même. Isaac, à l'instar de Noah, était le seul membre de son équipe à se montrer particulièrement calme. Le regard sévère de son père et les rires moqueurs de certains coéquipiers à l'égard de l'adversaire n'auraient su le perturber : il ne pensait qu'à la glace.
— Tu te souviens de ce qu'on a dit ?
Le père d'Isaac s'installa à ses côtés, particulièrement tendu et nerveux. Isaac, lui, sentit son ventre se tordre : il n'était pas d'accord.
— Oui, déglutit-il. Faut que je sèche Banks.
— Parfait.
McGill senior quitta le vestiaire, prêt à rejoindre le banc de touche. Isaac baissa les yeux sur ses patins, dont il caressa les lames du bout du doigt, tandis que ses yeux s'embuaient de larmes. Malgré la pression que lui mettait son père, il était certain d'une chose : il ne voulait plus être ce garçon-là. Ce type de joueur-là. Il voulait jouer un match réglo, sans coups-bas, sans tricher. S'il gagnait, il voulait que ce soit grâce à son talent.
— Capitaine ?
De son côté, Noah sursauta lorsqu'un arbitre fit irruption dans le vestiaire une dizaine de minutes plus tard. Patins aux pieds, ce dernier semblait pressé et lui fit signe de le suivre. Il s'exécuta alors, ignora la tape encourageante que lui fit son père dans le dos, et déambula dans le couloir jusqu'au bureau des arbitres. Les battements de son coeur redoublèrent d'intensité lorsqu'il aperçut Isaac, beau comme un dieu vêtu du maillot des Moose. Ses joues s'empourprèrent et il sentit son ventre se réchauffer lorsqu'il se plaça à ses côtés. Isaac, lui, ressentit la même chose.
— Messieurs, rappel des règles.
Noah n'écouta pas. Même s'il ne jouait pas de finales tous les jours, les règles de bonne conduite étaient les mêmes qu'à l'accoutumée et il les connaissait déjà par coeur. En tant que capitaine, il se voyait expliquer à tous les matchs diverses consignes qui, à l'heure actuelle, lui semblaient – et étaient vraiment – rébarbatives. Elle le furent d'autant plus ce jour-là tandis que, tout près d'Isaac, il sentit le doigt de ce dernier frôler le dos de sa main.
— Hé.
L'arbitre quitta la pièce, Noah sur ses pas. Or, Isaac ne put s'empêcher de l'interpeller et de l'attraper tendrement par le poignet. Un coup de pied bien placé fit se refermer la porte, contre laquelle il plaqua doucement le corps brûlant de son petit-ami.
— Quoi...?
Noah souffla. Le souffle chaud d'Isaac qu'il sentit glisser tout contre sa gorge l'embrasa. Il se maudit d'être si déconcentré par ses lèvres pulpeuses et ses beaux yeux bleus. Seulement, il savait qu'il était incapable de l'ignorer : il l'aimait. Il en était fou.
— Mon père m'a demandé de te blesser, avoua Isaac.
— Oh.
Noah ferma les yeux, peiné mais pas le moins du monde surpris : il en avait toujours été ainsi. Isaac et lui avaient toujours été en compétition l'un contre l'autre et, avant qu'ils ne soient ensemble, Isaac s'était toujours comporté sur la patinoire tel un prédateur sur sa proie.
— J'le ferai pas, assura Isaac. Ni sur toi, ni sur personne. J'en ai marre de passer pour un abruti. Et si on gagne, je veux que ce soit parce qu'on l'aura mérité et non pas parce qu'on aura triché.
Ils s'étreignirent alors, blottis l'un contre l'autre, leurs coeurs tambourinant à vive allure dans leurs thorax. Chacun apprécia la chaleur, l'odeur et la tendresse de l'autre le temps de quelques secondes, apaisés et heureux d'être là.
— Tu vas gagner..., souffla Noah. T'es le meilleur.
— Non... c'est toi le meilleur.
Noah le pensait réellement, mais Isaac savait que ce n'était pas le cas. Il reconnaissait être un bon joueur, techniquement parlant, mais il savait parfaitement qu'il n'était pas au niveau de Noah. Si lui avait le talent technique, Noah lui avait tout ; la maturité, l'état d'esprit, la technique et le cerveau. Soit toutes les qualités nécessaires pour devenir – et être – un bon joueur.
— Je t'aime.
Ils se séparèrent à contrecoeur, tenus par leurs obligations. Le couloir était désert et personne ne trouva donc suspect qu'ils sortent, tous les deux, d'une pièce exiguë et close. Ils rejoignirent leurs vestiaires respectifs, motivèrent leurs troupes, et rejoignirent la glace par deux entrées différentes. L'échauffement débuta alors, même si ni Noah ni Isaac n'éprouvaient le besoin particulier de s'échauffer. Ils patinaient depuis si longtemps qu'ils se sentaient toujours opérationnels d'entrée de jeu.
Les exercices techniques collectifs et personnels s'enchaînèrent durant une vingtaine de minutes. La patinoire se remplissait à vue d'oeil, faisant monter la pression de tous les joueurs sans exception. Certains fans arboraient les maillots de leur équipe préférée tandis que d'autres semblaient neutres. En revanche, tous étaient munis d'une canette de soda, d'un verre de bière, ou bien d'un seau de popcorns. Les enfants, fascinés, étaient descendus devant les vitres afin d'observer aux plus près les joueurs. Quelques uns étaient munis de pancartes, encourageant leur grand frère ou simplement leur joueur favori.
— On gagne ensemble !
Quelques secondes avant le début du match, Noah passa dans le rang que formait son équipe afin d'échanger une étreinte virile avec ses coéquipiers. En tant que capitaine, il était chargé de galvaniser et d'unir ses troupes avant la bataille. Car oui, c'était bien de cela qu'il s'agissait ; un match face aux Moose n'était pas un match comme les autres. Les deux équipes savaient que ce serait intense, fort et difficile. Douloureux aussi.
— Allez !
Isaac, lui, se contenta de claquer les nuques de ses garçons. Son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine et l'impatience de fouler à nouveau la glace le galvanisait. Au fond de lui, et même si son père aurait été fou de le savoir, il ne désirait pas gagner. Tout ce qu'il voulait, l'intérêt de fouler la glace ce jour, était de montrer au Monde quel genre de garçon, de joueur, il était vraiment. Quelque part, cette finale était l'occasion de se racheter une conduite. Peu lui importait la réaction de son père.
L'arbitre siffla, puis avança le premier vers l'entrée de la glace. S'en suivirent les joueurs, qui s'étaient lancés regards noirs et provocations dans le couloir ; cela faisait partie du jeu. Juste avant que leurs lames ne foulent la glace les épaules de Noah et Isaac, qui ouvraient la marche en tant que capitaines, se frôlèrent. Depuis le banc de touche sur lequel il était installé, Adam esquissa un sourire en les voyant s'échanger un regard avant de se séparer. Les équipes s'alignèrent sur la glace, de part et d'autre des arbitres, sous les acclamations hystériques des fans. Lorsque le speaker entama le discours d'avant match et que la foule se tût, l'hymne national se fit entendre ainsi que les chants de toutes les personnes présentes dans la patinoire.
Noah fixa un point invisible devant lui, tête haute et main sur le coeur. Tout comme Isaac, il hurlait à pleins poumons les paroles du Star-Spangled Banner. Il avait appris à gérer ses émotions et à ne plus pleurer, avec le temps, mais cela lui procurait toujours autant de frissons. L'hymne se termina, les joueurs se placèrent – sur la glace ou sur le banc – et l'arbitre rejoignit le centre de la piste.
Noah et Isaac, en tant que capitaines, se confrontèrent pour engager le premier palet du match. Casques sur la tête et crosses sur la glace, ils se regardèrent dans les yeux et se sourirent sincèrement avant que l'arbitre ne laisse tomber le puck sur la glace. Plus réactif que Noah, Isaac s'en empara et le fit glisser vers ses attaquants. Contrairement à d'habitude, il ne profita pas du cours laps de temps qui suivit l'action pour bousculer Noah ; il se contenta de glisser, de jouer, avec son équipe. Dans sa barbe Noah rala, agacé de s'être fait piquer le palet sous les yeux, et se plaça sur la piste. Il défendit son camp en attaquant, agile et rapide sur la glace, et parvint à piquer le palet à l'adversaire.
À la fin du premier tiers-temps le score était encore de 0 à 0. Dans la cabine des commentateurs qui diffusaient le match à la radio et sur les réseaux sociaux, les commentateurs complimentaient les deux équipes pour leur combat acharné, la propreté de leur jeu et l'efficacité de leur défense. Dans les gradins, les supporters s'impatientaient et certains commençaient même à parier sur l'équipe qui ouvrirait le score, ils l'espéraient, au cours du second tiers-temps.
— Les garçons je n'ai rien de particulier à vous dire, déclara Adam. Continuez comme ça et les efforts finiront par payer, faites-moi confiance.
Noah souffla, rassuré par les paroles de son père et coach. Il donnait son maximum sur la glace pour gagner, et savait que c'était le cas de ses coéquipiers également. Il n'aurait pas supporté que le coach leur en demande plus ; ils étaient déjà au maximum de leurs capacités.
— Y a que moi qui trouve bizarre que McGill ait encore tué personne ?, demanda Dylan après avoir bu une gorgée d'eau. Il prépare quelque chose, j'en suis sûr.
Les Mullets acquiescèrent et Noah échangea un regard complice avec son père. Comme si Dylan lui avait passé le mot, de l'autre côté de la patinoire, McGill senior agrippa le poignet de son fils alors que ses garçons entraient sur la glace.
— Tu fous quoi, Isaac ? Pourquoi Banks est encore sur la glace ?!
Isaac hocha la tête d'un air entendu, puis se libéra de la poigne de son père. Il abaissa la visière de son casque, fit tourner sa crosse entre ses mains et se plaça sur la glace. Son équipe remporta l'engagement et il se retrouva bien vite le palet contre sa crosse. L'adrénaline qu'il ressentait depuis le début du match le fit filer à toute vitesse vers les buts adverses. Il se sentit capable de marquer un but tout seul, ayant repéré un espace entre les défenseurs. Seulement, il avait oublié à quel point Noah était aussi rapide que lui. Lorsqu'il se retrouva en tête à tête avec lui, se disputant le palet tout en filant vers les buts, les mots de son père lui revinrent à la mémoire ainsi que de vieux souvenirs ; l'année précédente, là encore, il l'aurait bousculé d'un coup d'épaule dans la mâchoire.
— Isaac !
Il entendit son père hurler quelque part, non loin de lui, mais l'ignora. Son regard croisa une dernière fois celui de Noah avant qu'il ne tire. À son grand bonheur, le palet entra dans la cage et vint débloquer le score à l'avantage des Moose. Noah se frappa le casque du bout de la crosse, regrettant d'avoir si mal défendu face à son petit-ami. Tout comme cela était le cas pour Isaac, il se sentait incapable de lui faire du mal. De le bousculer. De se rebiffer contre lui. Et cela l'ennuyait. Quelque part, il se dit un instant qu'il aurait préféré jouer contre un Isaac qui n'aurait pas été son petit-ami ; cela aurait été plus simple.
— Changement de ligne !
Noah quitta la glace sous les ordres de son coach et s'installa sur le banc tandis que quelques de ses coéquipiers prenaient la relève. Il releva sa visière, but une gorgée d'eau, et profita de cet instant de répit pour respirer profondément. Discrètement, Adam se pencha à son oreille et lui dit :
— Noah je comprends que tu n'aies pas envie de le mettre en échec mais on joue une finale. Tu peux pas te permettre d'épargner Isaac. Remporte tes 1 contre 1.
— Je sais.
Noah ferma les yeux, le temps de quelques secondes, puis reporta son attention sur le match. Aiden marqua un but, ce qui le fit hurler de joie et d'excitation. Le score passa à 1-1 et la fin du second tiers temps retentît. Les joueurs regagnèrent leurs bancs de touche et débriefèrent avec leurs coachs. Adam lâcha :
— Il y a une faiblesse sur leur aile gauche. Et Keith au centre est blessé. Exploitez cette faille ! C'est maintenant ou jamais.
Noah hocha la tête, entendu. Il ne leur restait que vingt minutes pour remporter la victoire. Aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir, jamais Noah n'avait joué de match aussi serré. Une égalité à 1 partout au début de la troisième période témoignait des talents défensifs et de la détermination des deux équipes ; personne ne voulait encaisser de but.
— Isaac ! Tu te fiches de moi ou quoi, qu'est-ce que tu fous ?!
On entendit McGill senior hurler depuis le banc adverse. Noah tourna la tête en sa direction, tout comme Adam et ses coéquipiers. Sur la glace, le bruit de la surfaceuse ne permit pas de masquer la colère du coach des Moose :
— Si tu fais pas ce que je te dis tu peux dire au revoir à l'équipe l'année prochaine ! Il est temps que tu obéisses !
Noah bondit sur ses pieds, terrorisé à l'idée que McGill senior puisse être capable de violenter son fils devant témoins. Discrètement, Adam le retint par le maillot et lui lança un regard qui se voulut rassurant.
— Je t'ai obéi toute ma vie, cracha Isaac. J'en ai marre de passer pour un connard à cause de toi !
Sans même attendre la réaction de son père, Isaac se libéra de sa poigne et grimpa sur la glace. La dernière période de la rencontre fut lancée et même si McGill père souhaitait donner une bonne leçon à son fils en le collant sur le banc jusqu'à la fin du match, il n'en fit rien : même s'il ne blessait personne, son fils restait le meilleur joueur de son équipe sur la glace. S'il le sortait, il perdrait l'un de ses meilleurs éléments et verrait la victoire s'éloigner.
Noah aussi reprit sa place sur la glace et remporta l'engagement. Il passa le puck à Dylan, puis le récupéra ensuite. Il fila à toute vitesse le long de la piste, prêt à tirer dès qu'il aurait atteint la ligne bleue. Seulement, à l'instant où il posa un patin sur cette dernière et ajusta son tir, l'un des défenseurs adverses – qu'il n'avait pas vu venir – le plaqua avec virulence contre la rambarde. Il échappa le palet, lâcha sa crosse, et s'écroula le souffle coupé sur la glace. L'arbitre siffla.
— Noah, eh, Noah !
Les coéquipiers de ce dernier se regroupèrent autour de lui. Sonné, Noah fut incapable de se relever sans l'aide d'un tiers. Debout sur ses patins, ses genoux tremblotèrent et il réalisa que ses yeux voyaient des étoiles. Une douleur dans la mâchoire lui permit de comprendre qu'il venait d'être victime d'une charge à l'épaule illégale.
— Ça va Banks ?
Noah hocha positivement la tête mais Adam décida de le sortir. Il restait quinze minutes de jeu et le jeune joueur râla :
— Papa j'veux pas...
— T'es pas en état.
C'était vrai, et ce fut pour cette raison que Noah n'insista pas. Il but de l'eau, inspira profondément et s'efforça de retrouver ses esprits : il voulait remonter sur la glace au plus vite.
— Tu vois, c'était pas si compliqué.
Sur la glace, Isaac regarda son coéquipier lui lâcher ces quelques mots avant d'être envoyé en prison pour sa faute. Il sentit la colère bouillir en lui et chercha son petit-ami des yeux. Lorsqu'il le vit assis sur le banc, l'air dépité, il sentit son cœur se serrer : la place de Noah était sur la glace.
Le match reprit et Noah eut honte de réaliser qu'il observait plus les mouvements d'Isaac – qu'il trouvait magnifique – plutôt que ceux de ses coéquipiers. Il se tendit sur le banc lorsque les Moose marquèrent un but et que le score passa à 2-1. Il trépigna d'impatience sur le banc, sa crosse entre ses mains et le feu dans les patins ; il voulait jouer. Seulement, il serra les dents lorsqu'il réalisa que son épaule lui faisait si mal qu'il peinait désormais à bouger son bras.
— Ça va ?
Adam, qui surveillait son fils du coin de l'œil depuis qu'il était sorti, avait remarqué les grimaces qui déformaient de temps à autres son visage ; comme s'il souffrait. Comme si quelque chose n'allait pas.
— Oui, t'inquiète pas.
Tous deux, tout comme McGill senior de son côté de la touche, levèrent les yeux vers le panneau d'affichage. Il ne restait que six minutes de match et les Moose menaient encore au score. Dans les gradins les supporters des deux équipes étaient sur les nerfs. Julie, installée avec certains proches et amis des joueurs de son mari, se rongeait les ongles avec tant de nervosité qu'elle semblait prise de folie. Ses mains tremblaient, tout comme ses jambes, à l'instar de tous les fans des Mullets qui croyaient encore au miracle.
Miracle qui se produisit à une minute de la fin lorsque Kenneth intercepta une passe des Moose et fila tout droit vers la cage. Noah s'était levé et, malgré sa douleur lancinante à l'épaule, frappait de toutes ses forces sur la rambarde pour encourager Kenneth qui semblait voler sur la glace. Ses coéquipiers, sur le banc à ses côtés, firent de même. Lorsque Kenneth bouscula Isaac d'un coup d'épaule, se fraya un passage dans la dernière ligne défensive et marqua le but de l'égalisation. Sur leur banc de touche, les Moose hurlèrent de désespoir tandis que les Mullets hurlèrent de bonheur : tout n'était pas encore perdu.
— Allez les gars ! Lâchez rien, putain, allez !
Et Noah eut raison d'encourager ses coéquipiers, malgré les larmes de frustration qui embuaient ses yeux – car il voulait être sur la glace : ce but à la dernière minute, alors que les Moose se voyaient déjà remporter la coupe, les avait définitivement perdus. Leur confiance et leur conviction venaient d'en prendre un coup et, paniqués, cela les poussa à la faute ; un geste antisportif de l'ailier des Moose, au grand désespoir d'Isaac, venait de concéder un tir de pénalité pour les Mullets. Sur le panneau d'affichage, il ne restait que quatre secondes à jouer.
— Qui tire, les mecs ?, demanda Dylan aux garçons qui s'étaient regroupés près du banc de touche.
— Noah.
Ce fut Adam qui répondit, à la grande surprise de Noah qui pensait son match terminé. Il sécha ses larmes, se redonna une contenance et bondit sur ses pieds. L'adrénaline de la victoire qui se profilait avait fait taire la douleur de son épaule. Il se sentait prêt, plus que jamais, à endosser cette responsabilité : s'il marquait ils gagneraient à coup sûr. Il n'avait pas le droit à l'erreur.
— Tu te le sens, mec ?, s'inquiéta Kenneth.
— Carrément.
Encouragé par ses coéquipiers qui lui donnèrent toute leur confiance, Noah déposa son casque sur le banc de touche et sauta sur la glace. Il prit le temps de patiner jusqu'à l'arbitre, appréciant la glace sous ses lames ainsi que leur crissement agréable. La plupart des fans s'étaient tus dans la patinoire, impatients et stressés. Noah tenait l'issue du match au bout de sa crosse ; tous étaient pendus à ses gestes. Julie, quelque part au milieu de la foule, pleurait déjà comme un bébé.
— Vous êtes prêt, Banks ?, lui demanda l'arbitre.
Noah lança un regard vers son équipe, amassée dans un coin de la patinoire, et sur celle d'Isaac. Il le repéra là, près des cages, ses yeux rivés sur lui. Noah fut attendri de voir qu'Isaac ne semblait en aucun cas déçu ; au contraire il semblait fier, heureux pour lui. Et cela lui donna la force, le courage, et l'empêcha de culpabiliser si toutefois son tir décrochait la victoire face à lui.
— Oui.
Le palet tomba sur la glace, puis l'arbitre siffla. Concentré et apaisé comme jamais il ne l'avait été auparavant, Noah l'engagea de la lame de son patin et le récupéra contre sa crosse. Et s'il avait appris plusieurs tactiques depuis sa plus tendre enfance, celle qu'il décida d'appliquer ce jour-là lui venait d'une personne qu'il portait énormément dans son cœur : Gordon Bombay. L'entraineur qui avait appris à son père, chez les Ducks, à jouer pour l'honneur et avec son cœur. Un homme qui l'avait vu grandir et qui, lui aussi, lui avait appris autant de choses qu'Adam et Charlie réunis. Alors il feinta, les yeux rivés sur les cages. À ce niveau de compétition, il n'avait plus besoin de regarder son puck pour savoir qu'il le maitrisait. Lorsqu'il compta dans sa tête la troisième feinte consécutive, il prit un instant pour inspirer, ajouta son tir et tira.
Les hurlements, l'euphorie autour de lui, la lumière rouge et la sirène lui indiquèrent qu'il avait réussi. Tout comme le palet qui tomba sur la glace, au fond de la cage, derrière le gardien de buts des Moose qui s'en retourna tête baissée vers son banc de touche.
— Noah t'es le meilleur !
Il se mit à pleurer. La pression accumulée depuis des semaines et les sacrifices qu'il avait faits au cours de sa vie payaient enfin. Même s'il avait gagné des finales étant plus jeune, celle-ci était de loin la plus belle. Il était le plus heureux des garçons, en cet instant – à l'exception peut-être d'Isaac qui était plus fier que jamais, malgré la défaite.
Tout autour de la patinoire, les organisateurs et la ligue s'affairaient à préparer la remise des médailles et du trophée. Lorsqu'Adam vint rejoindre ses garçons sur la glace, les coéquipiers de Noah le laissèrent enfin respirer.
— Je suis tellement fier de toi Noah.
— Moi aussi, papa, je suis fier de toi.
Père et fils s'étreignirent longuement. Noah avait cessé de pleurer mais ses yeux, comme ceux de son père, demeuraient larmoyants.
— Alors, on se sert de ma triple esquive pour gagner les finales ?
Le cœur de Noah fit un bond dans sa poitrine lorsqu'il vit Gordon Bombay, son mentor, planté derrière eux sur la glace. Il portait un joli costume-cravate et un badge de la ligue était accroché sur sa veste. Ses cheveux blancs et sa barbe de la même couleur trahissaient son vieil âge mais la lueur dans ses yeux témoignait de sa passion immortelle pour le hockey. De plus, voir le fils de l'un de ses meilleurs joueurs – et amis – remporter la victoire ce jour emplit à lui aussi son cœur de fierté.
— Gordon !
Noah et l'ancien coach des Ducks échangèrent une accolade virile avant que le vieil homme ne soit appelé près du trophée. Les équipes se réunirent au centre de la piste, chacune de leur côté de la ligne rouge, et attendirent. Les Moose furent les premiers à se voir remettre leurs médailles, en bons seconds, et partirent s'isoler dans un coin de la patinoire. Isaac, malgré l'humeur massacrante de son père, l'ignora. Son cœur explosa dans sa poitrine lorsqu'il vit Noah, en tant que bon capitaine et sauveur du match, soulever le trophée.
— Isaac, reviens ici !, ordonna son père.
— McGill qu'est-ce que tu fous ?!, s'étonnèrent ses coéquipiers.
Mais Isaac, confiant et heureux, ne se soucia pas d'eux. Il patina vers le centre de la piste, tandis que les Mullets se dispersaient peu à peu. Kenneth partir avec le trophée vers sa famille descendue en bord de piste et les autres firent de même.
— Hé, Banks !
Noah sursauta, et la surprise pétilla dans ses yeux lorsqu'il vit Isaac patiner vers lui. Ses joues s'empourprèrent, son cœur loupa un battement, et il ne put s'empêcher de sourire comme un idiot. L'envie de se jeter dans ses bras le démangeait mais, devant tout ce monde, il n'osa pas ; il n'était pas sûr de savoir si Isaac était prêt à ça ou pas.
— Qu'est-ce que tu fais... ?, souffla-t-il.
— Ce que j'aurais dû faire depuis longtemps.
Sans se soucier des autres, de son père et de ses coéquipiers, Isaac agrippa doucement Noah par son maillot. Il l'attira à lui et baissa les yeux sur lui. Leurs cœurs battaient aussi vite l'un que l'autre et leurs souffles, erratiques, étaient sifflants. Malgré la sueur, les rougeurs sur leurs joues et leurs cheveux en pétard, tous deux se trouvèrent craquants à en mourir.
— Les gars McGill cherche des emmerdes à Noah !
Idiots – mais adorables – jusqu'au bout, les Mullets au complet paniquèrent en voyant le maillot de leur capitaine au creux des poings de leur ennemi juré. Ils s'élancèrent, tous sans exception, vers le centre de la piste : s'il fallait se battre et lui régler son compte, alors ils le feraient.
— Je t'aime, souffla Noah.
— Je t'aime, souffla Isaac.
Lorsque leurs lèvres se trouvèrent, que Noah passa sa main sur la nuque de son petit-ami et qu'ils fermèrent les yeux, plus rien d'autre ne semblait avoir d'importance. Ils étaient seuls, dans leur bulle, au paradis. Isaac assumait désormais, et se fichait pas mal de ce que pourraient penser son père et ses coéquipiers ; dans tous les cas, il ne serait plus là d'ici quelques mois et les Banks comptaient l'accueillir chez eux jusqu'au grand départ pour Boston. Il était fatigué de se cacher.
— Heu... Noah ?
Pendu aux lèvres de son petit-ami, Noah fut forcé de s'en séparer lorsqu'il sentit une présence gênante tout autour de lui. Lorsqu'il ouvrit les yeux et se recula légèrement, les lèvres brillantes du baiser qu'il venait d'échanger, il constata que ses coéquipiers et amis s'étaient plantés devant eux, les yeux grands écarquillés, sur le cul.
— Ah, heu..., bégaya Noah. C'est... on...
— C'est mon petit-ami, déclara Isaac. Depuis plusieurs mois.
Les garçons tombèrent des nues mais cela ne sembla poser de problème à personne, même si Noah savait qu'il leur faudrait certainement quelques jours pour digérer la nouvelle.
— ISAAC !
Lorsque McGill sénior entra sur la glace et marcha vers eux l'air hystérique, Noah glissa sa main dans celle de son petit-ami et serra ses doigts du plus fort qu'il le put : il était prêt à l'affronter, à lui dire ses quatre vérités. Cela avait assez duré. Or, Adam Banks en décida autrement :
— Je t'interdis de t'approcher, McGill. Si tu ne veux pas que j'appelle les services sociaux, tu ferais mieux de décamper. Et de ne pas faire d'histoires.
— De quoi tu...
— Tu sais très bien de quoi je parle.
Décidant que ce n'était ni le lieu ni le moment de se donner en spectacle, McGill lança un regard noir à son fils mais tourna les talons sans rien ajouter de plus. Isaac le regarda regagner les vestiaires et, à l'instant où un détail lui revint, Adam lui dit :
— Je vais récupérer tes affaires au vestiaire. Tu peux rester avec nous.
— Merci, monsieur Banks.
— Appelle-moi Adam. Après tout, je suis ton beau-père maintenant, c'est officiel, non ?
Sans un mot de plus et avec un sourire, Adam prit à son tour la direction des vestiaires.
Et alors qu'il ne restait plus qu'eux au centre de la glace, Noah et Isaac échangèrent un nouveau baiser. Un seul joueur avait levé le trophée ce jour-là, mais tous les deux avaient gagné.
F I N.
Hey mes amours. Bon déjà je m'excuse pour le retard dans la publication de ce chapitre. J'ai été débordée ces dernières semaines, une horreur. Ensuite, je n'ai pas grand chose à dire ; j'ai fait le choix de ne pas développer leur histoire plus loin que la fin du match : ils iront à Boston, ensemble, ne vous inquiétez pas. Et bien plus encore. J'espère que cette petite histoire vous aura plu. Merci de m'avoir lue, encore une fois. Je vous fais d'énormes coup de coudes (car on ne peut plus faire de bisous, covid oblige) et vous souhaite une bonne semaine. xo
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