CHAPITRE 6.
Lorsque la porte se referma sur Noah, il se sentit aussitôt étouffé. Les muscles engourdis et exténué, il retira ses chaussures dans l'entrée et renifla un moment ; il avait cessé de pleurer, mais le froid glacial à l'extérieur lui avait mis la goutte au nez. Les yeux rivés sur ses pieds, il traça dans le couloir et même s'il sentit la présence de ses parents qui s'étaient réunis dans la cuisine, il les ignora. Gravir les escaliers lui sembla être, sur le moment, une épreuve insurmontable ; ses jambes étaient lourdes, ses pieds lui faisaient mal et ses poumons semblaient ne plus fonctionner. Son dos glissa contre la porte de sa chambre, une fois qu'il l'eut refermée et verrouillée, et il profita d'être seul pour se remettre à pleurer.
Ni Adam ni sa mère, réunis à table comme s'il s'agissait d'une réunion de crise, ne l'avaient interpellé ni suivi dans l'escalier. Le souvenir du regard de son père, déçu et en colère, lui donna l'impression de ne pas être à sa place. Comme s'il était de trop dans cette maison maintenant qu'il avait avoué avoir trahi son père. S'il l'avait pu, il ne serait pas rentré ce soir ; seulement où aurait-il pu aller ? Chez Dylan ? Chez Fiona ? Chez l'un de ses coéquipiers ? Il ne s'en sentait pas capable. À la patinoire, en espérant qu'Isaac pourrait le rejoindre ? Non plus, il trouvait cela trop déprimant.
Alors que l'aiguille des heures de sa montre approchait des onze heures du soir, Noah la retira de son poignet et quitta ses vêtements. En boxer, il regarda son reflet dans le miroir de sa chambre et esquissa un petit sourire en remarquant les suçons d'Isaac. Autrefois violacés, ils avaient viré rose pâle et ne tarderaient pas à disparaître. Noah espéra plus fort que jamais qu'ils pourraient remettre ça bientôt : il en avait besoin. Les bras d'Isaac lui manquaient et il rêvait, là, qu'il puisse le serrer dans ses bras. Seulement, et bien qu'il crevait d'envie de l'appeler, il n'en fit rien : car Isaac, mené par le bout du nez par son père, s'entraînait toujours plus tard que les autres lors des soirs d'entraînements. Parfois même jusqu'à l'épuisement, jusqu'à ce qu'il ne tienne plus sur ses patins. Et même si Noah souffrait et voulait absolument lui parler, il ne put se montrer égoïste : Isaac aurait besoin de sommeil ce soir et il ne voulait pas l'inquiéter avant qu'il n'aille se coucher.
Ce fut donc seul, les larmes aux yeux et les sanglots à la gorge que Noah se glissa sous sa couette. Son corps cessa de tressauter sous l'assaut de sa crise de larmes lorsque, une heure et demie plus tard, il tomba de fatigue sans pouvoir lutter.
X X X
Aucune odeur agréable de pancakes ou de café ne réveilla Noah ce matin-là. En revanche, la sonnerie de son portable sembla lui marteler le crâne et il l'éteignit, précipitamment, avant de se rouler en boule sous sa couette. Après la soirée chaotique et la nuit terrible qu'il avait passées, il n'avait aucune envie de se lever.
De plus, alors que le sommeil commençait déjà à le regagner, il se souvint qu'il était exclu du lycée ce jour et se maudit d'avoir oublié de désactiver son alarme. Exténué, il se rendormit comme une masse et ni Julie, ni Adam, n'osèrent monter lui dire « ce n'est pas parce que tu es exclu que ce sont des vacances ».
Lorsqu'il quitta finalement son lit trois heures plus tard, l'eau chaude de la douche qu'il prit, espérant qu'elle le détendrait, eut l'effet escompté. Il frotta énergiquement ses cheveux, son corps, son visage et s'enveloppa dans une serviette de bain moelleuse et se regarda dans le miroir. Les yeux gonflés par les larmes de la veille et ses insomnies, Noah se trouva hideux. Sans entrain, il s'empara du sèche-cheveux et le tourna vers son crâne. Un jogging et un sweat plus tard, en chaussettes, il descendit au rez-de-chaussée et fit irruption dans la cuisine. Ses parents étaient là, assis à table, tels qu'il les avait aperçus la veille au soir. Julie faisait couler sur ses pancakes une rasade de sirop d'érable et Adam, lui, touillait son café avec une cuillère à thé.
— Salut.
Noah se força, sans grand engouement cependant. Il n'osa pas lever les yeux vers ses parents et se précipita simplement vers le plan de travail, sur lequel il prépara son mug de café et se remplit un bol de céréales. Même s'il avait envie ce matin-là d'oeufs brouillés et de bacon, il ne trouva pas le courage de se les préparer.
— Bonjour mon chéri.
À la grande surprise de Noah, Julie se leva de table pour le saluer et, son bras autour de son dos, déposa un baiser sur sa tempe ; comme s'il était encore un petit garçon. En temps normal Noah se serait plaint de ce contact, car il considérait qu'il n'était plus un bébé et que sa mère était trop sur son dos, mais cette étreinte fut ce matin-là la bienvenue. Sans même user de mots, Julie lui disait à travers cette douce attention qu'elle ne lui en voulait pas et acceptait le choix qu'il avait fait.
— Tu as bien dormi...?, hésita-t-elle.
— Non...
Le regard que posa sa mère sur lui et le petit sourire qu'elle lui adressa, triste, sembla lui dire : « ne t'inquiète pas, ça va s'arranger ». Ou, du moins, c'était ce que Noah espérait. Charlie l'avait prévenu qu'Adam, protecteur envers lui et en colère contre McGill, risquerait de réagir de la sorte. Mais il lui avait aussi dit, sûr de lui à 99%, qu'il finirait également par se calmer : car Adam aimait son fils. Car, au fond de lui et malgré cette guerre puérile, c'était un homme bon et mature.
Ce fut pour cette raison que Noah s'installa à sa place habituelle, près de son père. Ce dernier, installé en bout de table, ne leva pas les yeux sur son fils. À vrai dire, il était tant perdu dans ses pensées qu'il avait à peine perçu sa présence. Il avait passé sa nuit à imaginer son fils dans les bras d'un McGill, et cela lui avait passé l'envie de prendre son petit-déjeuner : il avait la nausée.
— Tu comptes m'ignorer longtemps ?
Noah posa la question sur un ton désagréable et agacé. Lorsqu'il réalisa qu'il n'obtiendrait aucune réponse de son paternel, qui semblait porter plus d'intérêt à son café plutôt qu'à lui, Noah planta sa cuillère dans son bol de céréales et l'enfourna dans sa bouche. Malgré la présence rassurante et chaleureuse de sa mère, Noah s'empressa d'avaler son petit-déjeuner afin de quitter la pièce au plus vite. Les marches de l'escalier en bois grincèrent sous ses pas lorsqu'il remonta à sa chambre et la porte claqua lorsqu'il s'y enferma. Triste et désœuvré, il se laissa simplement tomber sur son lit, son ordinateur portable à la main, et l'alluma. Il y connecta ses AirPods et, dans sa bulle, lança un film d'action qu'il ne suivit pas vraiment, trop occupé à penser à Isaac et à son père qui ne lui adressait plus un mot.
Il ne quitta son repaire qu'aux alentours des une heure de l'après-midi, affamé et à moitié endormi. La maison était déserte, abandonnée de Julie et d'Adam qui étaient partis travailler, et il erra dans les différentes pièces sans le moindre but. Ses yeux se posèrent sur les photos de famille, sur les trophées que ses parents et lui avaient remportés, sur les bibelots ramenés de leurs lieux de vacances passés. Il contempla tout ça avec nostalgie, se demandant si son père lui pardonnerait et s'ils pourraient, à nouveau, poser insouciants sur une photo de famille ou si ce temps était bel et bien révolu.
Et bien que l'espoir grandit en lui tout au long de la journée, espérant corps et âme qu'Adam finirait par lui parler, Noah fut forcé de constater, en fin d'après-midi, que la pilule n'était toujours pas passée.
— Ça a été...?
— Oui.
La réponse que lui donna son père ne fut pas glaciale, mais simplement expéditive. Il ne s'attarda pas, déposa ses affaires sur le petit bureau installé dans un coin de la pièce à vivre, et plongea la tête dans le réfrigérateur à la recherche d'un encas.
— Au fait !
Contrarié et peiné, Noah se ficha pas mal du fait que son père soit dispos ou pas à l'écouter. Il avait lâché une bombe la veille et s'apprêtait à en lâcher une autre, fier de lui, alors que Julie venait de faire à son tour irruption dans la cuisine.
— J'avais envoyé un dossier pour l'université de Boston. J'ai été accepté. Isaac partira avec moi.
Julie s'exclama, agréablement surprise, et Adam échappa maladroitement le paquet de chips qu'il essayait d'ouvrir. Son regard trouva celui de son fils qui, un instant plus tard, s'éclipsa afin de s'en retourner à sa chambre. Afin d'éviter d'entendre l'altercation entre ses parents, Noah connecta ses écouteurs et écouta, le plus fort que ses oreilles purent le supporter, un album d'AC/DC.
Ce fût peu avant l'heure du dîner que la lueur d'espoir au bout du tunnel sombre, la touche de douceur dans ce monde de brute, lui réchauffa le coeur : le prénom d'Isaac s'afficha à l'écran de son téléphone et même si le bonheur envahit son corps et courut dans ses veines, une larme roula le long de sa joue lorsqu'il décrocha :
— Hey.
— Salut.
Noah imagina Isaac à l'autre bout du fil, son visage adorable dissimulé dans la capuche de son hoodie tandis qu'il marchait, paisiblement, dans la rue. Il pouvait entendre le vent et le souffle peu régulier de son petit-ami. En revanche sa voix, elle, était douce et paisible. Chaleureuse, même. Telle une étreinte, une caresse. Elle lui réchauffa le coeur.
— Tu m'as manqué, souffla Isaac.
— Et toi tu me manques. Tout le temps.
Noah s'assit sur son lit, en tailleur, et ramena un oreiller tout contre son ventre. Il y planta ses coudes, son téléphone contre son oreille et les yeux rivés sur les motifs psychédéliques de sa couverture.
— Comment tu vas ?, lui demanda Isaac.
— Pas bien.
— Comment ça ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Il commença à réfléchir à une façon de lui annoncer la chose ; seulement, il savait aussi que réfléchir à un long discours ne servirait à rien. Isaac péterait un câble dans tous les cas, alors à quoi bon essayer de limiter les dégâts ?
— J'ai tout dit à mon père.
Comme s'il s'agissait d'un film, Noah eut l'impression que quelqu'un avait appuyé sur le bouton de marche arrière et il se revit, la veille au soir, au centre de la glace face au grand Adam Banks. Et même s'il aurait préféré garder à l'esprit le regard plein d'amour et d'inquiétude que son père avait posé sur lui, il ne restait ancré dans sa mémoire que le souvenir de son regard froid, déçu et distant. Jamais il n'avait eu aussi mal que depuis qu'Adam l'ignorait.
— Pardon ?
Noah renifla. Les larmes lui montèrent si vite qu'il fut incapable de les retenir plus longtemps. Il se sentait si seul, si faible. Tout ce qu'il voulait, c'était un câlin du garçon qui, il en était sûr, lui passerait un savon d'ici quelques secondes à peine. Or, contre toutes attentes, Isaac souffla tendrement :
— Pourquoi t'as fait ça Noah ?
— Parce que je pouvais plus le garder pour moi. Je t'aime... j'aimerais ne plus avoir à me cacher. J'aimerais que tout le monde sache.
— Noah...
— On peut se voir ce soir...?, couina Noah entre deux sanglots. J'ai besoin de te voir.
— Je sais pas..., hésita Isaac.
— Je t'en prie.
Jamais Noah n'avait insisté pour voir Isaac. Même lorsqu'il en crevait d'envie et que ce dernier lui répondait non, il l'acceptait toujours sans la moindre objection car il savait à quel point la situation était compliquée pour son petit-ami. Mais ce soir-là, il fut incapable de ne pas le supplier : il en avait besoin, peu importe ce qu'Isaac pourrait lui dire de vive voix. Qu'ils s'engueulent ou pas lui importait peu ; il voulait juste le voir, le sentir près de lui.
— Vers une heure ?, proposa Isaac.
— J'y serai. À toute.
Noah eut à peine le temps d'entendre Isaac lui murmurer un « je t'aime » avant de raccrocher. Il s'affairait déjà à préparer son sac et ses patins alors que, derrière la porte de sa chambre, Adam Banks était bien décidé à savoir où comptait se rendre son fils alors que la nuit était tombée.
X X X
Noah gara sa voiture sur le parking de la patinoire de Saint-Paul à une heure moins dix du matin, au plus près de la porte d'issue de secours. Il ne repéra aucun signe de la présence d'Isaac et, cette fois-ci, fut obligé de bidouiller lui-même la serrure de la porte de secours – et accessoirement ancienne entrée des sportifs. Il prit soin qu'elle ne se referme pas pour de bon lorsqu'il entra dans le bâtiment et, armé de son portable, éclaira les couloirs dans lesquels il déambula. Son sac à dos termina sa route sur un banc de touche bancal sur lequel il s'assit. Il en extirpa ses patins, les passa à ses pieds en en noua les lacets, ainsi qu'une lampe torche dont les piles ne tarderaient pas à lâcher. Armé de sa lampe, il marcha jusqu'à la piste et la déposa sur la rambarde. Il s'élança sur la glace, le coeur gonflé d'un indescriptible sentiment de liberté, à l'instant où Adam s'installait discrètement en haut des vieux gradins, dans l'ombre.
Bien décidé à savoir où comptait se rendre son fils, Adam était resté éveillé toute la soirée et s'était tenu prêt à ressortir du garage sa vieille moto. Lorsqu'il avait aperçu Noah se faire la belle, au beau milieu de la maison supposée endormie, il s'était emparé de son casque et l'avait suivi à distance. Et en aucun cas il ne s'était attendu, malgré tous les films qu'il s'était faits, à le trouver là, sur la glace, à une heure pareille. Le voir patiner ainsi dans l'ombre et dans le brouillard, voir son ombre danser sur la glace et entendre le bruit des lames briser ce silence de cathédrale lui donnait des frissons : c'était beau. Il retrouvait là le Noah de l'enfance, le Noah de quelques mois en arrière, qui semblait au paradis une fois grimpé sur la glace. Aux yeux d'Adam, son fils dégageait là un charisme puissant et électrisant ; il put ressentir ses émotions, sa peine, sa colère et son bonheur. Son coeur de père fier fit un bond dans sa poitrine lorsqu'une silhouette, qu'il n'avait pas vue ni entendue arriver, s'élança sur la glace à son tour. Et malgré l'obscurité, il reconnut aussitôt Isaac McGill.
Noah fit volte-face sur ses carres lorsqu'il entendit le son de patins dans son dos. Sans surprise il aperçut Isaac, ses boucles en bataille sur sa tête, vêtu d'un jean et d'un maillot des Bruins de Boston. Noah esquissa un sourire, puis sentit son ventre se tordre délicieusement. Son coeur, lui, se réchauffa d'amour et avant même qu'Isaac ne se soit planté devant lui, il se sentit comblé.
— Hey.
— Salut...
La grande main d'Isaac glissa sur la taille de Noah lorsqu'il s'arrêta brusquement devant lui, un doux sourire aux lèvres et le regard pétillant de bonheur. Il était tout aussi heureux que Noah de retrouver son petit-ami, ici au beau milieu de la nuit. Il lui avait manqué, et sentir son corps musclé contre lui et sous des doigts lui fit du bien, tout comme son odeur qui vint titiller ses narines.
— Comment tu vas ?, souffla-t-il.
— Pas bien.
Alors Noah expliqua ; pourquoi il avait tout dit à son père, comment il avait réagi, à quel point il avait peur qu'il ne l'accepte et ne lui pardonne jamais. Les larmes ne coulèrent pas car, à prononcer ces mots à voix haute, il ne perçut pas la peine, ni même la douleur. La seule émotion qu'il ressentit à ce sujet, tellement qu'elle semblait faire bouillir le sang dans ses veines et dévorer ses entrailles, c'était la colère.
— Tu sais ce que m'a dit Charlie ?, fit-il. Il m'a dit qu'on n'est pas nos pères et que leurs problèmes ne devraient pas être les nôtres. Et il a raison, putain ! Pourquoi c'est si difficile alors que... qu'on a rien fait de mal ? Pourquoi ils nous pourrissent la vie comme ça ?!
Du haut des grandins, et ce malgré la distance, Adam entendit tout. Les mots, prononcés fortement et désespérés, firent écho dans tout son être : son fils souffrait. C'était évident.
Seulement, voir Isaac McGill poser ses mains sur lui, caresser son visage et déposer un baiser sur ses lèvres lui donna la nausée. Mais malgré cette vision, il ne put cependant pas détourner le regard : il voulait tout voir, tout entendre. Il était curieux ; curieux de voir comment cet idiot de McGill se comportait auprès de son fils.
— Il finira par l'accepter, Noah.
Noah fronça les sourcils, les yeux posés sur Isaac qui venait de lui voler un petit baiser. Il se noya un instant dans ses iris bleus avant de retrouver un peu de prestance, et lui demanda :
— Comment tu peux en être aussi sûr ?
— Parce que ton père est un type bien, répondit Isaac de sa voix suave. Contrairement au mien.
Ce fut à cet instant précis que Noah remarqua l'énorme hématome au niveau de son épaule, et la nausée le prit. Cette fois-ci, ses larmes s'embuèrent de larmes et il se mit à tourner autour d'Isaac tel un lion autour de sa proie, les mains tirant son maillot avec frénésie afin de tenter de le lui retirer.
— Noah arrête !, s'enerva Isaac qui détestait être confronté ainsi.
— Non j'arrête pas ! Enlève-le !
— Noah...
— TOUT DE SUITE !
Depuis les gradins, Adam Banks pensa dans un premier temps qu'ils étaient en train de se disputer, voire de se battre. Les battements de son coeur s'emballèrent et sa respiration s'accéléra. Or, lorsqu'il vit le maillot des Bruins tomber sur la glace et les doigts de son fils se poser sur un torse recouvert de bleus – si intenses qu'il les perçut même dans l'obscurite – sa curiosité fut d'autant plus piquée au vif : comment ça « ton père est un type bien, contrairement au mien ? ».
— Noah, souffla Isaac.
— Pourquoi tu le laisses faire ?! Tu t'es regardé ? Putain Isaac !
— J'ai pas le choix...
— Quoi ?! Parce que tu crois que tu le mérites, peut-être ? Il t'a dit que t'es qu'une merde et t'as finis par le penser ? Tu penses que c'est normal ?!
Noah était en colère. Pour lui – et cela aurait été le cas de n'importe qui d'autre – savoir que son petit-ami était battu par son propre père lui mettait le coeur et le cerveau à l'envers. Il n'en dormait dès fois pas de la nuit, se demandant en boucle s'il était en sécurité ou si son père, comme souvent, avait décidé d'en faire ce jour-là son bouc émissaire. Et le pire dans tout ça, c'était le sentiment d'impuissance ; il ne pouvait rien faire pour l'en empêcher. Même s'il avait longtemps hésité à contacter les services sociaux, de façon anonyme, il s'était résigné : il était le seul à savoir ce qu'endurait Isaac et ce dernier ne lui aurait jamais pardonné.
— Non, je ne pense pas ça. C'est juste... c'est mon père, Noah.
— Non, je suis désolé, ça c'est pas un père.
Agacé et le cœur lourd, Noah patina quelques mètres en arrière puis fit volte-face. Depuis les gradins, Adam Banks le regarda patiner tandis qu'Isaac, triste, était resté au centre de la piste où ils s'étaient retrouvés. Ce ne fut qu'après quelques tours de piste de Noah qu'Isaac se décida à le rejoindre. Le cœur de Noah loupa un battement et un sourire illumina malgré tout son visage lorsqu'Isaac, dans son dos, referma ses bras autour de lui. Ils patinèrent ainsi quelques minutes, libres, se murmurant des mots doux qu'eux seuls ne purent entendre.
— Je t'aime, Noah.
Noah esquissa un sourire et se retourna. Il ne glissa sur la glace que grâce à la poussée d'Isaac et, agrippé à ses épaules, se noya dans ses yeux bleus.
— Moi encore plus.
Isaac esquissa un sourire tandis que son coeur, dans son thorax, semblait cesser de battre : il se sentit chanceux. Chanceux d'avoir un petit-ami aussi merveilleux que Noah. Chanceux d'avoir un copain aussi courageux, qui avait osé dire la vérité à son père alors que lui se cachait de tout depuis trop longtemps. Il n'attendait qu'une chose : qu'ils quittent le Minnesota pour Boston. Même s'il avait appréhendé au début, depuis que Noah lui avait fait miroiter une vie à deux il ne faisait qu'y penser. Il en rêvait.
— On joue ?
Isaac extirpa de la poche de son jean un puck, qu'il laissa tomber sur la glace. Noah lui fit un clin d'œil, engagea le palet avec la lame de son patin, et le fit glisser vers les cages. Lorsqu'ils n'avaient pas de crosse, c'était ainsi qu'ils s'amusaient ; un genre de soccer sur glace, sans ballon mais avec un palet. Noah marqua un but, Isaac en marqua deux, et ils ne cessèrent de se disputer gentiment le palet en riant aux éclats.
Adam, du haut de ses gradins, ne put retenir un sourire : ils avaient l'air heureux. Bien ensemble. Il n'avait plus entendu son fils rire ainsi depuis des lustres. Il le revoyait aussi patiner comme à l'époque, libre, gracieux, passionné. Il le sentait vivant, tout simplement. Comme si Isaac était sa bouffée d'air frais, sa raison de vivre, et cela le dérangea autant que cela lui réchauffa le cœur.
Les deux garçons terminèrent leur partie une dizaine de minutes plus tard, à bout de souffle et morts de rire. Ils firent quelques tours de piste à une allure lente afin de retrouver leur souffle puis, enfin, s'arrêtèrent sur la glace. Après un bref instant de silence, Isaac prit Noah par la taille et lui dit :
— T'inquiète pas pour ton père..., souffla Isaac. Vraiment, je suis sûr qu'il l'acceptera.
— Je l'espère... j'ai pas envie d'avoir à choisir entre toi et lui.
Adam l'entendit, tout simplement car ils avaient cessé de parler tout bas. Ils s'étaient même arrêtés près de la lampe, juste devant les gradins dans lesquels se trouvait le père de famille, et semblaient danser enlacés sur la glace. Isaac, tendre, posa une main sur la joue de Noah et effleura ses lèvres du bout de son pouce en avouant d'une voix douce :
— Moi je te choisirais toi.
— Moi aussi, admit Noah.
— Ne dis pas n'importe quoi.
— Quoi ? Tu crois que s'il me pose un ultimatum je vais m'y plier ? M'enfermer dans sa rancoeur, dans ma famille, plutôt que vivre ma vie comme je le veux ? C'est mort.
Ils s'embrassèrent et Noah, désireux, posa ses mains sur le dos d'Isaac. Toujours torse nu, ce dernier frissonna au contact des mains chaudes de son petit-ami sur sa peau qui, exposée à la fraîcheur du bâtiment, semblait glacée. Lorsque Noah glissa ses mains sur ses fesses, puis glissa ses doigts sous son boxer au niveau de ses reins, il laissa échapper un soupir d'aise.
— Qu'est-ce que tu fais...?
— Tu es gêlé..., souffla Noah. Viens...
Noah avait envie de son petit-ami. Il avait passé près d'une semaine sans le voir et, à chaque fois qu'il le retrouvait, il ne pouvait s'empêcher de ne ressentir pour lui que de l'amour. Il y avait aussi la passion, le désir, l'envie. L'envie de s'abandonner dans ses bras, de le sentir tout contre lui. Il lui prit donc la main et l'emporta vers les vestiaires, après une brève halte afin d'enfiler leurs protèges lames.
Adam, surpris, patienta quelques instants dans l'obscurité totale - car ils étaient partis avec la lampe. Puis, lorsqu'il réalisa qu'ils ne reviendraient pas de si tôt malgré leurs sacs posés en bord de piste, il extirpa son portable de sa poche et s'éclaira afin de regagner la sortie. Le dédale de couloirs, ainsi plongé dans le noir, lui sembla bien lugubre et angoissant. Une porte grinça au loin, il suivit le bruit, et parvint quelques secondes plus tard devant de vieux vestiaires. Il entendit des rires, puis le bruit de l'eau coulant dans les douches. Et même s'il savait qu'il n'aurait pas dû pousser la porte, il ne put s'y résigner ; il voulait être sûr, être fixé. Lorsqu'il l'entrouvrir, à peine, il aperçut dans l'obscurité son fils et son petit-ami enlacés et nus.
— Je t'aime tellement...
Noah ferma les yeux et sourit tout contre les lèvres d'Isaac lorsque ce dernier prononça ces mots. À califourchon sur ses cuisses fortes, il ondula des hanches et frissonna lorsqu'il sentit sa virilité titiller son point sensible. Un gémissement se bloqua dans sa gorge, il s'agrippa à ses boucles, et trembla :
— T'es à moi...
Adam referma la porte et fut reconnaissant que l'obscurité de la pièce ne lui ait pas permis de voir clairement ce qu'il s'y passait. Et malgré lui, même si l'idée de voir son Noah en plein ébat avec un McGill le rebutait, il ne put nier l'évidence : ils s'aimaient véritablement.
. . .
Hey. Voilà le chapitre 6. Vous en pensez quoi ? J'étais tellement débordée cette semaine que j'ai cru que je n'arriverais jamais à finir de l'écrire. Je vous souhaite un bon week-end ! (et j'attends vos commentaires ;) ) xo
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