CHAPITRE 4.

La lueur orangée de la lampe, à travers la brume glaciale de la patinoire, semblait réchauffer la glace. Au fil des minutes, les piles avaient perdu de leur puissance et la lumière était désormais faiblarde, instable, prête à s'éteindre à tout moment. Le silence était roi, uniquement brisé par le sifflement du vent, qui s'était levé contre les taules du toit du bâtiment.

Dans cette obscurité agréable, blotti contre Isaac sous plusieurs épaisses couvertures, Noah de sentait comme au paradis. Nu, ses jambes étaient enlacées à celles de son petit-ami tandis que son visage, lui, était posé sur son cœur. Sa joue gauche, celle qui n'était pas contre la peau chaude d'Isaac, était fraîche à cause de l'atmosphère glaciale qui les entourait. Seulement, dans son cocon de chaleur, Noah ne s'en préoccupa pas : il avait chaud. Entre les couvertures et le corps nu et bouillant d'Isaac contre le sien, il était à des lieues de réaliser que la température ne dépassait pas les dix degrés.

Noah avait posé sa main sur le torse d'Isaac, au niveau de ses côtes, et caressait en rythme avec son pouce sa peau chaude. Le gras de son doigt frôlait de temps à autres son téton et Noah finit par se dire, car Isaac ne réagissait pas, qu'il s'était endormi. Sa respiration, sur laquelle il avait calqué son propre rythme, était posée et légère. Et depuis qu'ils avaient joui, s'étaient allongés l'un contre l'autre et blotti sous les couvertures, Noah n'avait pas rouvert les yeux : il était trop bien, mais ne parvenait cependant pas à trouver le sommeil. La peur d'être surpris – même s'il y avait peu de chances – et ses secrets l'empêchaient de s'apaiser pleinement. Lorsqu'Isaac bougea ses jambes entre les siennes et se racla la gorge, Noah souffla :

— Tu dors...?

— Non.

Isaac sourit et souffla contre le front de Noah, sur lequel il déposa un petit baiser. Lui aussi avait passé la dernière heure les yeux fermés, à simplement apprécier la présence de Noah près de lui.

— Il faut que je te parle de quelque chose.

Noah vint se blottir un peu plus contre le corps d'Isaac. Si cela avait été possible, il aurait aimé pouvoir ne faire qu'un avec lui ; que leurs corps se mêlent, se mélangent. Il aimait trop sa chaleur, son odeur, la texture moite de sa peau et ses formes, ses muscles. Il voulait être toujours plus proche de lui.

— Dis-moi ?

Noah ouvrit les yeux à son tour, soudainement angoissé. Il appréhendait la réaction d'Isaac plus que toute autre chose. Son inspiration fut profonde mais tremblante, et il ne put s'empêcher de frissonner avant d'avouer dans un souffle :

— J'ai envoyé un dossier pour une université.

Il aurait aimé lâcher la bombe d'un seul coup mais préféra laisser à Isaac le temps d'encaisser la nouvelle : il n'avait jamais été question d'université auparavant. L'une des premières choses que Noah avait apprises à propos d'Isaac était qu'il ne rêvait que d'une chose : quitter le lycée – diplôme en poche de préférence – et ne rien faire d'autre que se consacrer au hockey.

— Oh... et bien, c'est cool. Où ça ?

Isaac esquissa un sourire, même si la nouvelle lui fit un effet tout drôle : Noah voulait étudier. Le fait qu'ils ne soient visiblement pas sur la même longueur d'ondes, focalisés au même point sur le hockey, lui ôta les mots de la bouche. Seulement, et même si l'idée de se retrouver loin de Noah l'inquiétait, il décida de se réjouir pour lui : ce n'était pas comme s'il allait partir à l'autre bout du monde.

— À Boston...

Une fois de plus, Noah referma ses yeux. Ils ne lui furent pas utiles pour comprendre que la réaction d'Isaac était bien celle à laquelle il s'était attendu ; il n'avait pas besoin de voir pour savoir qu'Isaac était surpris, sous le choc. Sous sa main, Noah sentit les abdominaux d'Isaac se contracter. Il le sentit également bouger contre lui, car le bouclé souhaitait s'extirper de leur étreinte, mais il le retint contre lui : il ne voulait pas qu'il s'en aille, qu'il s'énerve, qu'il lui en veuille. Il déposa alors un baiser sur sa peau, au niveau de son coeur, et laissa son front reposer contre son muscle pectoral. Il huma son odeur, apprécia la chaleur de sa peau, et se blottit un peu plus contre lui dans l'espoir que leur étreinte permettrait à Isaac de s'apaiser. En effet, il était impulsif et ce genre d'annonce, inattendue et douloureuse, était du genre de celles qui pouvaient le faire vriller en moins de deux.

— ... et je veux que tu viennes avec moi.

Le jeune Banks en rêvait ; partir loin de Minneapolis, des Mullets, de son père, lui semblait être la meilleure chose à faire. Il voulait prendre son envol, se débrouiller par lui-même – scolairement et sportivement – et vivre sa vie à sa façon. Il fantasmait sur un renouveau, une nouvelle vie qu'il souhaitait partager avec Isaac.

— Tu te fiches de moi ?

Grâce à sa force, Isaac se libéra de l'étreinte de Noah et se décala sur le côté. Le visage déformé par le choc, ses traits tirés, il posa sur Noah un regard perdu et surpris. Assis face à son petit-ami, son torse découvert, la froideur de la patinoire lui arracha un frisson.

— Pourquoi l'université ? Pourquoi si loin ? Pourquoi tu m'en as pas parlé plus tôt... ?

La situation était aux yeux d'Isaac totalement incompréhensible. Il ne comprenait pas pourquoi Noah lui avouait ça, là, alors qu'il était toujours allé dans son sens lorsqu'il lui parlait de sa hâte de quitter le lycée afin de se consacrer uniquement et pleinement au hockey. Ils en avaient discuté un grand nombre de fois, et jamais Noah ne lui avait fait part de son envie de poursuivre ses études. Là, non seulement il découvrait qu'ils n'étaient pas sur la même longueur d'ondes, mais aussi que Noah souhaitait quitter carrément la ville – avec lui qui plus est. Il se sentait mis au pied du mur, devant le fait accompli, et ne se sentit même pas la force de s'énerver : tout ce qu'il voulait, c'était comprendre.

— Parce que j'ai réfléchi, dit Noah. Le hockey c'est toute ma vie, je veux passer pro, en vivre. Mais je me dis aussi que c'est un sport où les blessures peuvent...

— J'vois pas le rapport, maronna Isaac.

— Le rapport ? On n'est jamais à l'abri qu'une blessure soit plus que superficielle. Certains joueurs ont vu leur carrière voler en éclats à cause de ligaments croisés, par exemple. Imagine je me blesse et je ne peux plus jamais jouer à haut niveau ; je gagne ma vie comment sans diplôme ?

Isaac devait admettre que Noah n'avait pas tort, seulement il refusait de voir la vérité en face : jouer au hockey était tout ce qui comptait à ses yeux. Il ne voulait pas de diplôme, ni même entendre parler d'université. Il voulait les entraînements, la glace, les matches. Il voulait Noah, et ne supportait pas l'idée qu'il puisse s'en aller étudier à Boston ; passer pro c'était leur rêve à tous les deux, et même s'ils s'aimaient en secret, au fond de lui – tout comme Noah – il espérait qu'ils pourraient y arriver ensemble.

— Noah...

— On est doués, Isaac. Et pas parce qu'on s'appelle Banks et McGill, comme certaines personnes ont tendance à le penser. Si je suis admis à l'université... on peut se barrer d'ici. Je comprends que t'aies peur pour ta carrière mais...

Noah se traîna sur le matelas jusqu'à Isaac. Il posa sa main sur sa cuisse chaude sous la couverture et la pressa un moment. Sa main, ensuite, dériva sur les reins de son copain. Il adorait sentir sa peau nue sous ses doigts ; cela le rendait dingue, l'embrasait. Malgré le désir ardent qu'il ressentit au contact de sa chaleur, il s'efforça de constater calmement :

— ... tu es doué. T'as besoin de personne pour trouver une équipe qui te permettra de briller, et encore moins de ton père.

Isaac sentit les sanglots nouer sa gorge lorsqu'il comprit ce que Noah, derrière ses belles paroles de diplôme, essayait de faire : partir loin, lui demander de le suivre, était une façon pour lui de le protéger de son père. Il aurait pu tout aussi bien postuler pour une université du coin, là où il n'aurait jamais été question de déménagement, mais il avait opté pour Boston. Il avait opté pour une ville lointaine, dans laquelle ils auraient aménagé ensemble, loin de la violence de son père et de la pression qu'il lui mettait. Méritait-il seulement d'avoir un petit-ami aussi extraordinaire ? Il n'en était pas certain.

— Noah...

— Pars avec moi.

Ses doigts dans les cheveux bouclés et doux d'Isaac, Noah grimpa sur les cuisses de son copain et plaqua son front contre le sien. Yeux fermés, agrippé aux boucles sur sa nuque, Noah l'implora :

— Si je suis admis... je t'en supplie pars avec moi... t'es pas obligé d'étudier. Tu peux trouver une équipe, jouer, t'entrainer... tout ce que tu veux, mais suis-moi. Je t'en prie...

Jamais Noah n'avait ressenti une telle douleur dans le ventre. Jamais les bras d'Isaac, refermés autour de lui, ne lui avaient fait un tel effet. Il pensa au calvaire que vivait Isaac au quotidien, aux traces de coups sur son corps magnifique, et cela lui donna la nausée : il voulait l'éloigner de tout ça, qu'il trouve la force de se détacher de l'emprise de son père. Il voulait le protéger, lui offrir une vie meilleure.

— D'accord...

Isaac l'embrassa, le coeur battant à tout rompre dans son thorax. Il avait peur, n'était pas sûr de lui, mais ce fut la seule chose qu'il fut capable de dire. Vivre avec Noah, loin de tout ? L'idée était plus que tentante, même si l'inquiétude concernant le hockey, sa carrière, venait ternir le magnifique tableau d'un avenir commun à Boston.

Ils refirent l'amour, la douleur au ventre et l'amour dans les gestes. Leurs corps exténués et moites de sueur retombèrent sur le matelas quelques minutes plus tard et, malgré leurs inquiétudes, ils trouvèrent cette fois-ci le sommeil.

Ce ne fut que bien plus tard, à l'aube, qu'ils furent forcés de se séparer afin de rentrer chez eux.

X X X

— Lève-toi feignasse !

Noah se réveilla en sursaut, secoué dans son lit par des mains fortes. Un rire stupide parvint à ses oreilles et, après le bref laps de temps qui permit à son cerveau de se mettre en marche, il ouvrit les yeux et s'exclama :

— Charlie ?!

— Alors p'tite tête, ça roupille ?

— Mais qu'est-ce que tu fais là ?!

Parrain et filleul se sautèrent dans les bras, heureux de se retrouver après tant de mois passés sans nouvelles. Charlie Conway s'assit au bord du lit et serra très fort son petit protégé dans ses bras ; il n'avait pas d'enfant, et considérait Noah comme tel. Pour Noah, Charlie était bien plus qu'un parrain ; c'était à la fois un grand-frère, un oncle, et un meilleur-ami.

— C'est l'anniversaire de ton père aujourd'hui, je ne pouvais rater ça pour rien au monde.

Noah se raidit et écarquilla les yeux : il avait oublié ce détail. Non pas parce qu'il ne se rappelait plus de la date de l'anniversaire de son père, mais simplement car il ne savait même plus quel jour il vivait. Depuis des semaines, Isaac accaparait tellement ses pensées qu'il ne pensait à rien d'autre qu'au jour où il le reverrait enfin – les dates lui importaient peu.

— Ne me dis pas que tu avais oublié ?, ricana Charlie.

— Non... non, bien entendu.

— Prends-moi pour un con.

Charlie se munit d'un oreiller et frappa la tête de Noah avec. Ce dernier se vengea, s'emparant d'un oreiller à son tour et frappant de toutes ses forces. Morts de rire, ils cessèrent leur bataille lorsque Julie beugla depuis le rez-de-chaussée :

— Le petit-dej est prêt !

Les deux garçons quittèrent la pièce, se chamaillant comme deux enfants dans le couloir. Noah grimpa sur le dos de son parrain avant l'arrivée aux escaliers, que Charlie dévala à grande vitesse jusqu'à s'arrêter dans la cuisine, les larmes aux yeux et mort de rire. En tant que parrain, et malgré la différence d'âge évidente entre lui et Noah, il adorait passer du temps avec lui : il se sentait redevenir adolescent, insouciant, et se permettait des stupidités qu'il ne se permettait plus dans la vie de tous les jours.

— On se croirait dans une colonie de vacances, pouffa Julie en déposant une assiette de pancakes sur la table.

Bien entendu, Noah s'installa à côté de son parrain. Il lui avait tellement manqué au cours des derniers mois que l'avoir là, près de lui au petit-déjeuner, lui donnait l'impression d'être sur un nuage. Il fut si heureux de le retrouver qu'il en oublia même Isaac, le temps de quelques minutes, ce qui lui fit du bien.

— Je suis désolé, papa... j'avais oublié.

Adam Banks esquissa un sourire tandis que sa femme et Charlie déposaient devant lui deux paquets cadeaux.

— Ce n'est pas grave, Noah. Vous avez gagné une demi-finale hier ; c'est ça mon cadeau.

Noah fit la moue, tandis qu'un horrible sentiment de culpabilité lui tiraillait les entrailles : il se détestait. Comment avait-il pu oublier l'anniversaire de son père ? Il le regarda ouvrir ses cadeaux en réfléchissant à une manière de se racheter, mais sentit un frisson lui remonter l'échine : Adam, malgré son sourire et ses belles paroles, semblait en colère. Tout comme le père connaissait si bien son fils, Noah connaissait son père par coeur et voyait très bien, dans ses yeux, que quelque chose n'allait pas. Lui en voulait-il d'avoir oublié ? Non, ce n'était pas ça.

Le petit-déjeuner se termina cependant dans la bonne humeur, Charlie racontant nombreuses anecdotes à propos de sa carrière actuelle d'entraîneur des Stars de Dallas. Tandis qu'il parlait et que Noah buvait ses paroles, ce dernier remarqua bien vite que son parrain portait un pyjama. De toute évidence, il avait passé la nuit dans la chambre d'amis comme il le faisait toujours lorsqu'il revenait passer quelques jours à Minneapolis. Il se sentit idiot de ne pas l'avoir remarqué, tandis qu'il était rentré en douce chez lui au petit matin.

Une fois les retrouvailles matinales terminées et les pancakes dévorés, Charlie quitta la table afin de monter prendre une douche à l'étage. Julie, elle, s'affaira à ranger le bazar qu'elle avait mis dans sa cuisine lors de la préparation des différents mets du petit-déjeuner. Noah se retrouva alors seul face à son père, assis à table, qui le fixait d'un air perplexe. N'y tenant plus, Noah souffla :

— Quoi...?

— Tu étais où, hier soir ?

Noah déglutit. Rares étaient les fois où son père lui parlait ainsi ; froid, autoritaire, mais étrangement calme. On aurait dit le calme avant la tempête. Le regard que posa son père sur lui sembla lui dire " réfléchis bien avant de me répondre " et Noah eut la nausée.

— Chez Dylan à la soirée, je te l'ai dit que je risquais de rentrer tard.

— C'est faux.

La chair de poule naquit sur la peau de Noah, partout, et les poils se dressèrent sur ses bras. Sa nuque se mit à lui piquer et il sentit la nervosité lui tirailler les boyaux. Il s'apprêta à mentir à nouveau, à nier, mais Adam lui coupa l'herbe sous le pied :

— Charlie a débarqué à l'improviste. Je t'ai téléphoné pour te prévenir ; je savais que tu serais heureux de le retrouver. Tu ne me répondais pas alors je suis allé chez Dylan, tu n'y étais pas.

— Je... j'étais parti chercher..., tenta Noah.

— Arrête.

Noah baissa les yeux. Les larmes commençaient à lui monter et, à nouveau, la réalité le rattrapa et le frappa en pleine face : lui et Isaac vivaient dans le secret. Et à cet instant précis, jamais il n'avait eu autant envie que ce ne soit pas le cas. Il aurait aimé pouvoir dire à son père où il était, sans avoir à mentir, et s'en réjouir. Il aurait aimé lui dire qu'il avait passé la nuit avec son petit-ami, qu'il était amoureux et heureux avec lui. Seulement c'était impossible et il n'était en aucun cas prêt à l'avouer ce jour-là.

— Tu étais où ?

— Hem... je...

À l'instant où Adam posa la question, en colère quant au fait que son fils lui mentait, il remarqua une marque violacée dans le cou de son fils. Cette dernière se perdait sous le col du maillot de hockey qu'il utilisait comme pyjama, mais il ne put que la remarquer : elle était énorme, la couleur intense, récente.

— Tu étais avec une fille ?, tenta-t-il. Tu peux me le dire, Noah, si tu as une copine... c'est de ton age.

— J'ai pas de copine putain !

Noah s'énerva. Il ne supportait plus cette façon qu'avait son père de lui parler de filles, de copines, de chéries. Pourquoi semblait-il si évident qu'il sorte avec une fille ? Pourquoi Adam n'envisageait pas qu'il puisse aimer les garçons ? Il ne le supportait plus ; tout comme il ne supportait plus que son père lui parle de Fiona sans jamais comprendre qu'elle n'était qu'une amie.

— Alors où étais-tu ?!, s'agaça Adam. Tu me dis que tu vas quelque part et, oh surprise, tu n'y es pas !

— J'ai pas de comptes à te rendre, je fais ce que je veux.

— Non, justement, tu ne fais pas ce que tu veux. Tu vis sous mon toît et...

Les pieds de la chaise de Noah raclèrent le sol si fort que le bruit monta même jusqu'à la salle d'eau, faisant grimacer Charlie qui se douchait. Alertée par le vacarme dans la pièce à vivre, la mère de famille fit son apparition à l'instant où Noah, triste et en colère, cracha à l'attention de son père :

— Oh non, j'crois pas. T'as rien à dire concernant ce que je fais de mon cul.

Les yeux grands écarquillés, Julie observa son fils avec un air mi-surpris mi-décu : comment ça, son cul ? Elle réalisa soudain, en voyant elle aussi le suçon qui se cachait sous le col de son maillot, qu'il n'était plus le grand bébé qu'elle avait élevé. Adam, lui, sentit la colère lui monter. Seulement, sidéré par la façon dont son fils venait de lui parler, il ne dit rien.

Cinq minutes plus tard à peine, alors que Charlie quittait la salle d'eau et cherchait à connaître les raisons de l'engueulade qu'il avait partiellement entendue, la porte d'entrée de la maison claqua : habillé à la va-vite, Noah s'était enfui. AirPods dans les oreilles et rollers aux pieds, enfilés en quatrième vitesse dans le garage, il quitta le quartier.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?, demanda Charlie qui fit irruption dans la pièce à vivre.

— Je n'en sais rien.

Agacé et perdu, Adam tenta de téléphoner à son fils plusieurs fois au cours de la journée, en vain.

X X X

La nuit commençait à tomber, tout comme la fraicheur d'ailleurs. Les lumières de Minneapolis s'allumaient une à une et, assis sur un banc, Noah inspira profondément : il devait rentrer chez lui. Isaac n'avait pas répondu à ses appels et il n'avait aucune envie de s'isoler chez ses coéquipiers qui, tout comme son père il en était sûr, lui demanderaient de rendre des comptes sur son départ précipité de la soirée. Fiona – il l'avait eue au téléphone – n'était pas en ville. Autrement dit il était coincé, obligé de rentrer chez lui s'il ne souhaitait pas passer la nuit dehors, et cette perspective lui donnait mal au ventre : il n'avait aucune envie de voir son père, qu'il avait d'ailleurs ignoré toute la journée.

Son téléphone dans sa main, Noah désactiva le mode avion et attendit quelques instants de recevoir les notifications : 15 appels et tout autant de messages de son père, quelques-uns de sa mère et de ses coéquipiers, mais aucun d'Isaac. Cela lui serra le cœur, et triste, il ne put s'empêcher de lui envoyer :

SMS, DE : Noah.
06:02 PMJe t'aime.

Une larme roula sur sa joue à l'instant où, alors qu'il pensait que personne ne le trouverait, il entendit le son de rollers glissant sur le bitume. Lorsqu'il se retourna, il ne put que remarquer Charlie qui roulait vers lui, à l'aise sur ses patins, même magnifique. Dès qu'il chaussait des patins, que ce soient à glace ou à roulettes, le grand Charlie Conway dégageait un charisme incroyable.

— Comment tu m'as trouvé ?

Noah posa la question, les yeux baissés sur ses pieds, lorsque son parrain se laissa tomber à ses côtés sur le banc. Il remarqua qu'il portait les vieux rollers de son père, ceux qu'il ne portait plus depuis longtemps.

— On passait des heures ici quand t'étais gosse, je savais que tu serais là.

— J'aurais pu être à la patinoire, marmonna Noah.

— Tes patins sont dans ta chambre.

— Pourquoi t'es là et pas papa ?, demanda froidement Noah.

— Oh, il voulait venir te chercher lui-même, avoua Charlie. Mais je lui ai dit que c'était pas une bonne idée.

Noah esquissa un sourire. Même s'il était agacé par le fait que son père n'ait pas fait lui-même le déplacement, il comprit pourquoi c'était son parrain qui s'était pointé : car il était neutre, que c'était son meilleur-ami, et qu'ils pourraient discuter. Charlie se préoccupait de lui, et voulait en parler loin de la famille.

— Il m'a raconté ce qui s'est passé ce matin, dit Charlie. Tu m'expliques... ?

Noah fit « non » de la tête avec vigueur. Pour lui, il n'était pas envisageable d'avouer la vérité comme ça, là, sur un coup de tête. Pas alors que Charlie, avant d'être son parrain, était le meilleur-ami de son père et détestait tout autant McGill qu'Adam. Seulement, lorsque l'homme passa un bras autour de ses épaules afin de l'attirer à lui et lui adressa quelques mots, Noah se sentit en confiance :

— Je suis ton parrain, Noah. Je suis là pour toi, tu le sais. Tu peux tout me dire ; je n'ai aucun compte à rendre à ton père. Ça restera entre nous, OK ? Quoi que tu puisses me dire.

Noah n'appréhendait pas de faire son coming-out, que ce soit auprès de ses parents et encore moins de Charlie. En effet, il savait que ce dernier se réjouirait pour lui pour la simple et bonne raison qu'il était lui-même marié à un homme ; à l'un de ses joueurs, même. Seulement... il y avait un McGill dans l'équation et, ça, c'était beaucoup plus compliqué à faire accepter.

— Papa est convaincu que j'ai une copine, et que j'ai passé la nuit avec elle.

— Et alors, c'est pas le cas ?

Charlie taquina, son doigt titillant le suçon au creux du cou de son filleul. Noah grogna, marmonna un petit « arrête » et s'éloigna de son parrain. Il se tourna sur le banc, de manière à lui faire face, et vint craquer ses doigts sur ses cuisses. Leurs patins se heurtèrent et son cœur se serra : était-il vraiment sur le point d'avouer le plus gros secret de son existence ? Oui, de toute évidence. Il ne pouvait plus le cacher, avait besoin d'en parler à quelqu'un de bien plus important que son amie Fiona. Quelqu'un qui, de par sa bonté et sa neutralité, pourrait peut-être l'aider, le guider, le conseiller.

— J'ai un copain.

— Oh.

Le sourire qui étira le coin des lèvres de Charlie fit sourire Noah, un bref instant, lorsqu'il trouva le courage de regarder son parrain. Ils étaient pareils sur ce point-là et, lorsque leurs regards se croisèrent, ils se sentirent un peu plus sur la même longueur d'ondes. Perdu, Charlie demanda tout bas :

— Comment il est ce garçon ?

— Il est parfait.

Noah sentit son cœur se gonfler de bonheur, d'amour, et son ventre se réchauffer : oui, Isaac était parfait. Il était doux, attentionné, romantique et intéressant. Il avait tout pour lui, le comblait de bonheur. Il l'aimait, malgré les difficultés, malgré leurs différences.

— Il te rend heureux ?

— Oui. Quand je suis avec lui, quand on patine... je me sens... libre. Comme si c'était là ma place, avec lui sur la glace.

Charlie sentit ses yeux s'embuer de larmes, ému : lui aussi ressentait ça avec son mari. Lorsqu'ils se retrouvaient sur la glace après les entraînements, rien que tous les deux, il avant l'impression de n'avoir besoin de rien d'autre que ça dans sa vie. Le fait de réaliser que son filleul vivait une relation aussi intense, qu'il avait de toute évidence trouvé sa moitié, lui réchauffa le cœur : il était heureux pour lui. Perdu, cependant, il souffla :

— Pourquoi tu n'en parles pas à tes parents ? Tu sais très bien comment ils sont, ils l'accepteraient sans l'ombre d'un doute.

— Je sais, sourit tristement Noah, mais ce n'est pas si simple.

— Pourquoi tu dis ça ? Tu l'aimes, c'est l'essentiel.

— Justement..., souffla Noah. J'suis pas censé l'aimer.

Un sanglot se bloqua dans la gorge de Noah, brisant sa voix sur le dernier mot. Il fit la grimace, le ravala et ferma les yeux. Lorsque Charlie posa une main protectrice sur son genou, l'incitant à parler, il se mit à renifler ; car ça faisait mal. Pourquoi l'amour faisait-il si mal, était si compliqué ? Pourquoi n'était-il pas libre d'aimer qui il voulait, sans avoir peur de ce que les gens penseraient ?

— Comment ça ? Noah...

Du bout de son pouce, Charlie vint cueillir la larme qui roula sur la joue de son petit protégé. Lorsqu'il prit conscience de la souffrance que ce dernier gardait en lui, et ce depuis bien longtemps apparemment, il ne put s'empêcher de maudire le monde entier ; Noah ne méritait pas de souffrir.

— Promets-moi que tu le diras pas à papa.

— Noah, qu'est-ce qu'il se passe ?, s'inquiéta Charlie.

— Promets-le moi.

Même s'il était terrifié à l'idée de parler un jour à son père de sa relation avec Isaac, Noah tenait à ce qu'il l'apprenne de sa bouche et non de celle de quelqu'un d'autre. Il voulait être celui qui lâcherait la bombe et qui, par la même occasion, n'aurait aucune difficulté à avouer à quel point Isaac McGill, en apparence si semblable à son idiot de père, était parfait. Il voulait assumer. Personne n'avait le droit d'en parler à sa place. Et il le ferait lorsqu'il se sentirait prêt.

— Je te le promets.

Malgré sa peur, Noah remarqua la sincérité dans les yeux de son parrain : il ne parlerait pas. Il ne le trahirait pas. Alors, comme pour se donner du courage, il vint prendre sa main dans la sienne et la serra très fort avant d'avouer, les yeux rivés sur leurs doigts, d'une petite voix :

— C'est Isaac McGill.

Charlie ferma les yeux et inspira profondément alors que, malgré lui, ses muscles se tendaient un à uns. Il sentit la panique, l'appréhension et la surprise l'envahir. Une seule question, cependant, lui traversa l'esprit : comment Noah allait-il gérer ça ? Bien qu'il détestait McGill également, la colère qu'il ressentait à son égard n'était en aucun cas comparable à la haine que lui vouait Adam. Neutre tel que Noah le considérait, Charlie Conway était suffisamment hors-conflit pour faire la part des choses : Noah et Isaac n'étaient pas leurs pères. Le fils, bien qu'idiot sur la glace voire violent – il l'avait vu à l'œuvre – pouvait être différent une fois la patinoire quittée. Et puis, aussi, il connaissait Noah par cœur : s'il sortait avec un McGill, malgré la guerre entre leurs pères, il devait avoir une très bonne raison. Charlie s'imagina qu'Isaac – tout comme son mari – était de ces garçons pour lesquels on ne peut que tomber. Un sourire étira le coin de ses lèvres et, sans plus attendre, il vint serrer Noah contre lui.

— Tu as le droit d'aimer qui tu veux, Noah. Ne pense jamais le contraire.

Noah aussi esquissa un sourire, parfaitement au courant des difficultés qu'avait eues Charlie à assumer sa relation ; il s'était épris d'un homme alors qu'il pensait être purement hétérosexuel, et en avait beaucoup souffert. Le tapage médiatique que cela avait provoqué, l'entraîneur sortant avec l'un de ses joueurs, l'avaient beaucoup affecté. Il s'était entendu dire, bon nombre de fois, que leur relation n'avait pas lieu d'être voire qu'elle était malsaine ; telle qu'aurait pu être décrite une relation entre un professeur et un élève. Mais ils s'aimaient, s'étaient mariés, et c'était la plus belle preuve de leur amour aujourd'hui.

— Mais papa...

— Ton père t'aime, le coupa Charlie. Alors même s'il réagira certainement comme un con lorsqu'il l'apprendra... il finira par comprendre et l'accepter. Tu es son fils. Tu es ce qui compte le plus pour lui.

S'il y avait une chose que Noah avait toujours aimée chez Charlie, c'était celle-ci : il trouvait toujours les bons mots. Aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir, son parrain avait toujours trouvé les mots justes lorsqu'il ne se sentait pas bien, doutait de lui-même ou de ses talents au hockey. En tant que meilleur-ami, grand-frère et confident, Charlie avait toujours été pour lui une sorte de repère, une oreille attentive vers laquelle il se tournait lorsqu'il avait besoin de conseils ou d'être rassuré. Ce soir-là n'échappa pas à la règle et, à l'entente de ces mots, Noah se sentit un peu mieux ; même s'il se comportait de façon puérile envers McGill, son père était un homme bon, et il voulait croire en une fin heureuse.

— Je croyais que tu allais me détester..., souffla Noah. Que tu allais être en colère...

— Vous n'êtes pas vos pères, constata Charlie. Je n'ai pas le droit d'être en colère contre toi pour ça. Même si, c'est clair, tu aurais carrément pu flasher sur quelqu'un d'autre..., plaisanta-t-il.

Les deux garçons échangèrent une étreinte virile et Noah, soulagé d'un poids, laissa même ses larmes couler. Pleurer lui fit du bien et, lorsqu'il sécha ses joues avec la manche de son hoodie, il se sentit bien mieux. Plus léger.

Ce fut après avoir vérifié son téléphone et constaté qu'Isaac lui avait envoyé un SMS que Noah quitta le city-stade, aux côtés de son parrain. Ils patinèrent sur les boulevards et dans les rues de Minneapolis jusqu'à la maison Banks et, avant d'y entrer, ils se firent la promesse de faire comme si de rien n'était. 


.   .   . 


Hey. Petit (mais un peu long quand même) chapitre 4. Encore une fois je poste à l'arrache avant de me poser tranquillement et d'éteindre mon ordi. Et encore une fois je l'ai écrit sur mon téléphone (et ne me suis pas relue) donc désolée s'il y a des fautes de frappe. Dîtes moi s'il vous a plu, je tiens énormément à avoir vos retours ! xo

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