RÈGLE N°1
NE PAS INVITER D'AMIS
Il était une fois, une histoire qui commence très mal.
Je vous explique : je m'appelle Andrew, et depuis plusieurs heures je suis enfermé dans le sous-sol de ma maison à cause d'un jeu stupide.
Rectification : depuis plusieurs heures nous sommes enfermés dans le sous-sol. Je sais ce que vous devez vous dire : comment est-ce que trois adolescents avec un minimum syndical d'intelligence peuvent-ils finir dans un sous-sol sombre et humide ? Ça fait trois heures que je me pose la même question que vous. Et pourtant, elle avait plutôt bien commencé cette soirée.
Ça faisait cinq ans que mon père était au chômage. Alors quand un beau jour, le directeur d'une entreprise de téléphonie avait été assez fou pour bien vouloir enfin l'embaucher, je peux vous assurer que cela avait été le plus beau jour de sa vie. Du jour au lendemain, il n'avait plus eu d'yeux que pour son nouveau patron. Et « Monsieur Hacbart par-ci », et « Monsieur Hacbart par-là », et « Monsieur Hacbart a fait ci », et « Monsieur Hacbart a dit ça ».
Non mais je vous assure : du « Monsieur Hacbart » on en a mangé pendant des mois et des mois ! Mon père dormait Hacbart, se douchait Hacbart, mangeait Hacbart, roulait Hacbart... Je peux vous jurer qu'à la fin, avec ma mère on s'était demandés s'il n'allait pas finir par tout plaquer pour recommencer une nouvelle vie avec son patron ! Il y avait de quoi se poser des questions.
Alors forcément, le jour où le très honorable et divin cher Monsieur Hacbart avait proposé à mon père et à Maman d'aller dîner avec lui et sa femme dans un restaurant très chic de la ville, ça avait été l'overdose de joie. Pire que des supporters de foot lors d'un but pendant la coupe du monde. Pire qu'un gamin le jour où il reçoit sa première console. Pire. Le seul avantage dans cette histoire, ça avait été le fait que Monsieur Hacbart ait demandé à ce que ma mère vienne aussi. Maman qui allait rencontrer Monsieur Hacbart, vous croyez sincèrement que mon père allait la laisser y aller en claquette-chaussette ? Des claquette-chaussettes devant Monsieur Hacbart ?! Que nenni mes amis.
Non, mon père avait été jusqu'à piocher dans le compte réservé à mes futures études pour pouvoir acheter à ma mère une robe de chez Chanel, des escarpins Louboutin, un sac à main Louis Vuitton, et un collier avec plus de diamants que je n'ai de cheveux sur la tête. Le tout devait valoir plus que tout ce que mon père avait pu gagner depuis qu'il avait été embauché. Un malade ce type, c'est moi qui vous le dis ! Mais bon, ce n'était pas ma mère qui allait s'en plaindre. Et pour son fils unique et bien-aimé, me direz-vous ?
— Andrew ?! Pas question qu'il vienne ! Tu veux ruiner ma carrière ?!
C'est précisément ce que mon père avait répondu à ma mère quand elle lui avait posé la question. Merci beaucoup Papa. Résultat des courses, pendant que mes parents mangeaient des truffes et du caviar avec l'incarnation terrestre de Dieu - d'après mon père -, moi j'étais assis sur le canapé - une assiette de raviolis refroidis en travers des jambes - tout seul devant la liste de règles que ma mère avait scotchée à la télé avant de partir.
C'est à peu près à ce moment-là que j'avais décidé de demander à Joe et Willy de passer - même si c'était précisément une des choses que ma mère m'avait interdite de faire.
Willy était arrivé en premier. Il habitait à quelques pâtés de chez nous, dans une maison qu'il partageait avec sa mère, une grosse bonne femme qui passait son temps entre son travail de caissière, son frigo, et son lit. Et là, il avait beau être huit heures moins quinze, elle était sûrement déjà aux pays des rêves.
Pour Joe, c'était plus compliqué : sa maison se situait à l'autre bout de notre petit patelin, et il était censé garder ses deux petites nièces tous les soirs, puisque sa sœur et son beau-frère travaillaient de nuit dans un restaurant. Au bout d'une demi-heure, j'avais regardé à la fenêtre en entendant un bruit de clochette. J'avais dû me retenir de ne pas hurler de rire. Joe était en train de dévaler la petite pente qui menait vers chez moi, assis sur un vélo rose Dora l'Exploratrice. Willy avait été moins gentil que moi. Il avait ouvert la porte d'entrée et s'était mis à crier :
— Tûtûtûtûûû Dora !!! Tûtûtûtûûû Dora !! Tûtûtûtûûû Dora !!! Tûtû...
— Ta gueule Babouche !! avait répliqué Joe.
J'aurais bien ajouté quelque chose si je n'avais pas vu les rideaux bouger chez ma voisine. À la place, j'avais fait signe à mes amis de faire moins de bruit. Pas question que les parents rappliquent ! Joe avait laissé son magnifique vélo dehors avant d'entrer.
— T'as réussi à négocier avec ta sœur pour venir ? lui avais-je demandé.
— T'as de l'humour toi. Non, j'ai dû négocier avec les jumelles pour que, si quelqu'un appelle, elles disent que je suis aux toilettes, ou un truc comme ça.
— Et elles, elles ont quoi en échange ?
Il avait levé les yeux au ciel et soupiré.
— Mon IPhone.
J'étais mort de rire.
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