Chapitre 1

C'était un jour d'hiver froid et dur. Un jour où chacun préfère rester chez soi, au chaud dans son canapé, une tasse de thé dans les mains, à regarder les flocons tomber du ciel et venir recouvrir le paysage d'une fine couche de blanc immaculée. Je marchais énergiquement, mes pas crissant sur le givre gelé du trottoir. Je sortais de mon cours de littérature et je n'avais qu'une idée en tête, rentrer chez moi. Je frottais vigoureusement mes mains frigorifiées par le froid. D'une main, je rabattis mon bonnet rouge et je remis en place ma grosse écharpe en laine. Des flocons de neige me piquaient les joues et se déposaient par dizaine sur mes cils. Je clignais des yeux et j'expirais profondément. Un nuage de buée se forma instantanément avant de disparaître. Je marchais déjà depuis de longues minutes lorsque je remarquai que j'étais suivie. J'accélérai instinctivement le pas. L'homme doubla l'allure. Je sentis mon cœur paniquer. Je feignais pour l'instant l'indifférence. Les rues étaient presque désertes par ce temps-là. Selon mon itinéraire ordinaire, je devais continuer une centaine de mètres tout droit avant d'emprunter une ruelle sur la gauche. L'homme s'était maintenant dangereusement rapproché de moi. Je me retournai momentanément l'air inquisiteur. Mauvaise idée. L'homme m'empoigna par le bras et m'apostropha beaucoup trop près de moi à mon goût. Je pus sentir son haleine chargée d'alcool. Je paniquai sans comprendre ce que l'homme me disait. Je réussis cependant à me dégager et je me mis à courir droit devant moi sans réfléchir. Il fallait que je trouve un endroit où il y avait du monde. 

Soudain, je sus exactement où aller : la gare. Je bifurquai à droite, non sans manquer de glisser et de m'étaler par terre. J'arrivai aux portes de la gare le souffle coupé et l'haleine en feu. Je m'empressai de rentrer à l'intérieur. Je ne dirais pas qu'il y faisait chaud mais au moins le vent ne soufflait pas ici. Je m'avançai un peu perdue, encore sous le choc de cette rencontre improviste. J'observai les lieux, curieuse. Quelques voyageurs pressés circulaient, traînant leurs lourdes valises derrière eux ou transportant un cartable noir qui devait sans aucun doute comporter des documents importants. Je me détendis devant cette masse d'énergie humaine. Je longeais les vitres me séparant des quais lorsque j'aperçus un piano à queue dans un coin. Je vérifiais que personne ne m'observait et je m'approchais de l'instrument. Je soulevais délicatement le couvercle qui grinça en s'ouvrant. Je m'assis devant cette étendue de touches blanches et noires. Ma main glissa le long du clavier sans émettre un seul son. Certaines touches étaient si poussiéreuses que j'en eu les doigts noirs. Peu de personnes devaient l'utiliser. J'avais toujours aimé jouer du piano, malgré le fait que je n'avais pas commencé très tôt. Un professeur de musique venait toutes les semaines m'aider à améliorer les morceaux que j'avais choisi de jouer. L'atmosphère hivernale et le temps neigeux m'inspirèrent un morceau de Ludovico Einaudi, Nuvole Bianche. Les notes jouées emplirent peu à peu mon esprit jusqu'à l'isoler du monde extérieur. Les sons se succédèrent, s'enchaînèrent et se croisèrent de façon mélodieuse. La mélodie valsait devant moi et agitait mes doigts sans qu'ils puissent s'arrêter. Je pouvais rester des heures ainsi à jouer avec les notes, les gammes et les octaves. Mes doigts s'arrêtèrent sur les dernières notes du morceau. J'entendis des applaudissements dans mon dos. Je me retournai quelque peu gênée et mon regard s'arrêta sur un groupe de sans-abris assis par terre, le sourire aux lèvres. Ils s'arrêtèrent d'applaudir et leur regard se tournèrent vers un homme barbu d'une trentaine d'années ou plus, je ne saurais dire. Son visage avait l'air jeune mais sa barbe le vieillissait incontestablement. Il se leva et s'avança vers moi d'un pas nonchalant. Immédiatement, le souvenir trop récent de ma rencontre fortuite me revint en mémoire...

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