Chapitre 6

Après avoir échangé quelques mots supplémentaires pour rassurer Kora, je la quittai, laissant son regard bienveillant derrière moi. Je traversai les couloirs silencieux, mes pas résonnant doucement sur le sol de pierre, jusqu'à ma chambre. Une fois à l'intérieur, je fermai la porte, me retrouvant seule avec mes pensées.

La pièce était modeste, presque austère, mais elle remplissait son rôle. Au centre trônait un grand lit aux draps immaculés, simples mais confortables. Une énorme penderie occupait un coin de la pièce, remplie d'une dizaine de vêtements soigneusement accrochés. Cela reflétait bien les limites de ma vie ici. Je n'avais pas la liberté de quitter l'enceinte de la communauté sans une autorisation stricte, et tout écart risquait de m'exposer à un jugement sévère devant les conseillers.

En conséquence, ma garde-robe provenait presque exclusivement de Kora. Elle avait une prédilection pour les robes élégantes et classiques, sans se soucier de mon style ou de mes préférences. Hélas, j'avais peu de choix, mais heureusement Éric m'avait souvent sauvé en m'apportant des vêtements que sa sœur Olivia n'utilisait plus. Olivia en profitait pour passer me voir de temps à autre, et malgré la situation, ces moments étaient des bouffées d'air frais dans mon quotidien.

Le reste de la chambre se résumait à un bureau en bois collé contre le mur. Sa surface blanche et lisse était vide, à l'exception d'un carnet et d'un crayon que j'utilisais parfois pour griffonner mes pensées ou dessiner des croquis sans prétention. Les garçons avaient souvent critiqué cette pièce, la qualifiant de "trop impersonnelle". Peut-être avaient-ils raison. Aucun tableau, aucune photo, rien ne personnalisait cet espace que j'appelais pourtant "ma chambre". Mais cela me convenait. Dans un monde où tout semblait chaotique et changeant, ce vide, cette simplicité, avaient quelque chose de rassurant.

Je me laissai tomber sur le lit, regardant le plafond sans vraiment le voir. Mes pensées s'égarèrent vers le bracelet toujours fermement attaché à mon poignet. Je le fis tourner doucement sous la lumière tamisée, observant la pierre scintiller faiblement. Qu'est-ce que cela signifiait vraiment ? Pourquoi était-il collé à moi, refusant de me quitter ?

- Pourquoi je n'arrive pas à retirer ce putain de bracelet, me répétai-je en boucle.

Lorsque mes doigts effleurèrent la pierre centrale du bracelet, probablement un rubis, une étrange sensation m'envahit à nouveau. Cette fois, ce ne fut pas une simple décharge, mais une vision encore plus nette et vivante qui s'imposa à mon esprit.

Je me vis, debout près du lit où reposait la princesse. Cependant, à la différence de la première vision, elle était éveillée. Ses yeux pétillants d'intelligence et de mystère étaient fixés sur moi. Ses lèvres remuaient, mais je ne parvenais pas à entendre ce qu'elle disait. Tout semblait irréel, comme si j'étais spectatrice d'une scène dont je faisais pourtant partie.

Soudain, la vision s'évanouit aussi rapidement qu'elle était venue, me laissant à nouveau dans ma chambre. Mon cœur battait la chamade, et mes doigts tremblaient légèrement.

- Attends, quoi ? C'était quoi encore ce truc ? murmurai-je, tentant de reprendre mes esprits.

Alors que je posais une main sur mon front pour calmer le tourbillon de pensées qui m'envahissait, un bruit sourd retentit dans le couloir. Il résonna comme un écho lointain, mais suffisant pour me tirer de mes réflexions.

Je me redressai brusquement, les sens en alerte. Quelque chose clochait. L'obscurité qui emplissait ma chambre sembla soudain plus lourde, presque oppressante. 

La voix douce, forte et mélodieuse résonnait encore dans ma tête, comme si elle s'adressait directement à mon âme. Sous le choc, je perdis l'équilibre et tombai lourdement au sol, le cœur battant à tout rompre.

Je me relevai précipitamment, secouée mais curieuse, et ouvris la porte de ma chambre. Mon regard scruta le couloir faiblement éclairé, mais il n'y avait personne. Juste le silence, pesant et étrange, qui enveloppait l'endroit.

- Kally, j'ai besoin de toi, résonna de nouveau la voix, cette fois plus insistante.

Je me retournai brusquement, persuadée que cette voix venait de derrière moi. Mon souffle s'accéléra. Mais là encore, il n'y avait rien, personne. Le vide.

- Mais qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? murmurai-je, la gorge serrée, essayant de contenir ma panique. Mon chuchotement résonna faiblement dans le couloir, comme si l'espace lui-même se moquait de mon désarroi.

Je me collai contre le mur froid, tentant de rationaliser ce qui se passait. Était-ce un rêve ? Une hallucination ? Ou bien... quelque chose de bien plus inquiétant ? La voix avait prononcé mon nom avec une telle précision et une telle urgence que cela ne pouvait être une simple coïncidence.

- Kally... viens, s'il te plaît, reprit-elle, douce mais emplie d'une détresse poignante, me donnant presque l'envie irrépressible d'obéir.

Un frisson parcourut ma colonne vertébrale, et mes mains se mirent à trembler légèrement. Cette voix semblait connaître des choses sur moi que même moi j'ignorais. Une étrange chaleur émanait du bracelet à mon poignet, comme s'il réagissait à cette mystérieuse invocation. Je le fixai, la pierre rouge semblant scintiller légèrement dans l'obscurité.

- Aide moi Kally ! réitéra-t-elle toujours en criant. C'est tous ce que je te demande, reprit-elle plus doucement cette fois.

Curieuse, et peut-être un peu inconsciente, je me mis à avancer, mes pas résonnant faiblement sur le sol de pierre froide. L'église, pourtant familière, semblait différente dans le silence oppressant de la nuit. Mes mains effleuraient les murs, comme si le contact pouvait me rassurer.

Je fis un pas dans la salle de réception, là où, quelques heures plus tôt, je me trouvais entourée des autres membres de la communauté. Désormais, l'immense pièce était vide et baignée dans une pénombre étrange, comme si les ombres elles-mêmes s'étaient densifiées.

- Continue, Kally. Tu y es presque. Avance encore, susurra la voix, douce et insistante.

Je serrai les poings. Presque où ? Pourquoi cette voix semblait-elle m'attirer comme une lumière dans l'obscurité ?

- Qui êtes-vous à la fin ?! demandai-je, ma voix trahissant un mélange de colère et de peur.

Je tournai dans un autre couloir, celui qui menait à l'infirmerie. Mon regard balayait les alentours, mais il n'y avait toujours personne. Rien que les vieilles portes closes et l'écho de mes propres pas.

- Avance et tu verras bien, répondit la voix, énigmatique. Tu n'es pas loin. Tu vas voir que...

Le silence retomba, coupant la phrase en plein vol.

Je m'arrêtai net, mon souffle suspendu. Je tendis l'oreille, espérant capter la suite ou entendre un indice, un bruit, un mouvement. Mais rien.

- Je vais voir que quoi ? réclamai-je d'une voix basse, presque suppliante.

Ma patience commençait à s'effilocher. L'incertitude et le mystère me rongeaient. Je me mis à tourner lentement sur moi-même, scrutant chaque recoin de ce couloir faiblement éclairé, à la recherche de ce qui m'appelait.

La voix resta silencieuse, comme si elle m'avait abandonnée à ma perplexité. Je réalisai alors que mes pas m'avaient guidée, inconsciemment ou non, jusqu'à la porte de l'infirmerie. Derrière celle-ci, je savais que reposait la princesse des ombres, toujours plongée dans un sommeil profond.

Je posai ma main sur la poignée froide et hésitai une seconde avant d'ouvrir doucement la porte. La pièce était sombre, paisible, bercée par le faible bourdonnement des machines qui maintenaient la princesse en vie. Quand j'allumai la lumière, une clarté douce enveloppa l'endroit, révélant le lit où elle était allongée, exactement comme lors de ma dernière visite.

Je fus frappée par une étrange déception. La vision que j'avais eue en touchant le bracelet n'était donc pas la réalité. La princesse était toujours endormie, paisible, comme figée dans le temps. Je refermai doucement la porte derrière moi et m'avançai lentement, mes gestes inhabituels, comme si je craignais de perturber l'équilibre fragile de cet instant.

Il y avait un tabouret près du lit. Je m'y assis, posant mes coudes sur mes genoux, mes mains croisées devant moi. Je fixai son visage immobile, ses traits si fins, si délicats.

- Qu'est-ce que je fais ici, sérieusement ? murmurais-je à moi-même.

Ce n'était pas ma reine. Ce n'était même pas une alliée. Si elle se réveillait, qu'est-ce qui garantissait qu'elle ne chercherait pas à se venger de ceux qu'elle croyait responsables de la chute de son peuple ? Des siens. De ses parents.

Je fermai les yeux un instant, luttant contre l'orage de pensées qui m'assaillait. Peut-être n'étais-je là que par culpabilité ou par un besoin maladif de comprendre.

Je soupirai profondément, le son brisant le silence paisible de la pièce. Mon regard glissa sur son corps, sur la lente montée et descente de son buste au rythme de sa respiration.

C'était alors que je remarquai quelque chose que je n'avais jamais voulu admettre pleinement : elle était encore une enfant, comme moi. Peut-être un peu plus jeune, peut-être un peu plus âgée, mais qu'importe ? Elle aussi ne connaîtrait jamais ses parents.

Et je savais ce que cela signifiait. La solitude, le poids des attentes impossibles, le sentiment d'être arrachée à une vie que l'on méritait, pour être projetée dans un rôle que l'on n'avait jamais demandé.

Si elle se réveillait – non, quand elle se réveillerait – elle ferait face à un monde étranger qui attendrait tout d'elle. Un monde dont elle ne connaissait rien, où elle n'avait aucun repère.

Je serrai les poings, ressentant une étrange empathie mêlée de crainte.


Je laissai échapper un souffle incertain et baissai les yeux vers la princesse. Son visage paisible ne trahissait aucune émotion, et pourtant, je sentais un poids invisible peser sur mes épaules.

Votre Altesse, murmurai-je doucement, même si vous ne serez jamais ma reine, vu ce que je suis...

Ma voix s'interrompit un instant, mais je repris avec plus de conviction :

J'aimerais que vous sachiez que je ferai tout pour vous aider à vous réveiller.

Bien sûr, aucune réponse ne vint. Juste le silence, oppressant et pesant.

Je ris intérieurement, un son amer et discret. Qu'est-ce que je faisais ici, à parler à un corps inerte comme si cela changeait quoi que ce soit ?

Merci, Kally, intervint soudain la voix, douce et assurée. J'ai confiance en toi.

La surprise me fit sursauter violemment. Je m'écartai instinctivement de la princesse, manquant de peu de tomber une nouvelle fois. Le tabouret, lui, s'écrasa bruyamment au sol. Mon cœur battait à tout rompre, et mes pensées se brouillaient.

Mais avant que je ne puisse vraiment analyser la situation, une lumière intense jaillit de mes paumes, éclatante et chaude, enveloppant le corps frêle de la princesse. La force de l'éruption me projeta violemment contre le mur derrière moi, m'arrachant un cri de douleur. Mes mains me brûlaient, comme si elles étaient marquées par une énergie que je ne comprenais pas.

Je me redressai lentement, respirant avec difficulté, et portai instinctivement mes yeux sur la princesse. Ses paupières, fermées depuis si longtemps, tremblaient doucement. Un frémissement à peine perceptible.

Je restai figée, les yeux rivés sur ce léger mouvement, mon souffle suspendu. Puis, aussi soudainement que cela avait commencé, tout s'arrêta. Le calme revint, la lumière s'éteignit, et la pièce retomba dans un silence pesant.

- Qu'est-ce que... balbutiai-je en scrutant son visage, redevenu immobile.

Mon esprit s'emballait, jonglant entre crainte, incompréhension et une pointe d'excitation.

Sous le choc, je restai figée, incapable de bouger. Ce n'était pas tant la douleur ou la fatigue qui m'immobilisaient, mais un mélange d'incrédulité et de peur. Mon corps semblait lourd, comme ancré au sol par un poids invisible.

Je tentai de me redresser, m'appuyant maladroitement contre une table proche pour m'aider. Mais à peine avais-je exercé une pression que la lumière éclatante jaillit à nouveau de mes paumes. Plus intense, plus incontrôlable.

Un souffle puissant m'arracha à mon équilibre, me projetant violemment contre le mur de l'infirmerie. Cette fois, la collision me coupa le souffle, et une douleur sourde pulsa dans ma tête. Mon champ de vision vacilla un instant, les contours de la pièce devenant flous.

Je luttai pour garder les yeux ouverts, cherchant désespérément à reprendre mes esprits. Tout semblait tourner autour de moi.

C'est alors qu'un mouvement attira mon attention.

Je levai péniblement la tête et restai bouche bée. La princesse, immobile depuis des années, ouvrait lentement les yeux. Ses paupières s'écartèrent pour révéler des iris d'un bleu profond, lumineux et perçants.

Avant même que je ne puisse réagir, elle se redressa avec une fluidité surprenante, presque irréelle. Son regard se posa sur moi, et elle m'offrit un sourire éclatant, sincère et chaleureux. Un sourire qui semblait tout droit sortir d'un rêve.

Mon souffle se coupa une nouvelle fois, mais cette fois, ce n'était pas dû à la douleur.

- Comment... ? balbutiai-je, incapable de détacher mes yeux d'elle.

C'était impossible. Totalement, absolument impossible.

Et pourtant, elle était là, vivante, éveillée, me regardant comme si tout cela était parfaitement normal.

Je fixai mes mains, retournant mes paumes comme pour m'assurer qu'elles étaient bien les miennes. La lumière avait disparu, et leur apparence était redevenue tout à fait normale. Pourtant, le souvenir de l'éclat fulgurant restait gravé dans mon esprit.

- C'est quand même pas moi qui ai fait ça ? demandai-je, plus pour moi-même que pour obtenir une réponse.

Une voix douce et mélodieuse me tira de mes pensées :

- Bonjour, et merci de m'avoir réveillée, Kally.

Je relevai la tête, abasourdie. C'était elle. La princesse, bien éveillée, me fixait avec un regard empli de gratitude et de sérénité.

Sa voix, identique à celle qui m'avait guidée depuis ma chambre, résonna en moi, confirmant ce que je redoutais à demi-mot : c'était bien elle qui m'avait appelée. Elle semblait incroyablement calme, presque détachée, comme si se réveiller après des années de sommeil n'avait rien d'extraordinaire.

Je la détaillai, incapable de détourner les yeux. Sa peau, d'une perfection irréelle, rayonnait d'une lueur presque éthérée, comme si le temps n'avait eu aucun impact sur elle. Ses cheveux blonds bouclés encadraient son visage délicat, tombant en cascades soyeuses sur ses épaules frêles.

Mais ce furent ses yeux qui m'hypnotisèrent le plus. D'un bleu profond, parsemés de reflets argentés, ils semblaient contenir un océan de sagesse et de mystère. Ils dégageaient une impression de calme et d'apaisement, comme une promesse silencieuse que tout irait bien.

Je n'arrivais pas à parler, les mots me manquaient. Elle, en revanche, semblait parfaitement à l'aise, comme si elle avait attendu cet instant toute sa vie.

- Euh... avec plaisir... euh... Wow, m'exclamai-je maladroitement, comment c'est possible ça ?

- J'en suis pas réellement sûr, mais je peux te poser une question ?

-  Euh oui bien sûr, tout ce que vous voudrez mademoiselle.

- Qui suis-je ?

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Voilà un chapitre plus cour cette fois mais bon voilà j'espère qu'il plaira quand même.

L'histoire va pouvoir enfin commencer maintenant que la princesse se réveille, mais...

Pourquoi ne se souvient elle de rien ?

Comment Kally a bien pu la réveiller ? Et surtout d'où sortait cette lumière ?

Que pourra nous révéler cette jeune princesse tout juste de retour dans le monde ?

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