Chapitre 16
L'air frais du matin caressa mon visage tandis que je me faufilais hors du bâtiment, prenant soin de ne réveiller personne. Le ciel était encore teinté des nuances douces de l'aube, un mélange de bleu pâle et de rose léger qui s'étendait à l'infini. C'était exactement ce dont j'avais besoin : un moment de solitude, loin des regards pesants et des questions incessantes.
Marcher sur cette île inconnue, sentir la brise salée m'effleurer la peau, entendre le bruit lointain des vagues s'échouer contre les falaises... tout cela m'apaisa légèrement. C'était si différent de l'oppression du bal d'hier soir, de cette salle remplie de pierres scintillantes et de conversations superficielles. Ici, au moins, je pouvais respirer.
Je laissai mes pas me guider au hasard, longeant les sentiers bordés d'arbres et de fleurs sauvages. L'île était plus vaste que je ne l'avais imaginé. Par endroits, la nature semblait avoir repris ses droits, recouvrant de lierre des structures anciennes et fissurées. Tout ici dégageait une étrange atmosphère, entre le mystère et la tranquillité.
Mais mon esprit, lui, restait agité.
Évidemment, elles avaient insisté. "Une robe ferait meilleure impression." "Tu dois montrer que tu es digne d'être écoutée." "C'est une question d'image." Blablabla.
Elles ne comprenaient pas.
Mettre une robe serait justement la pire des stratégies. Soudainement, après des années à m'habiller d'une certaine façon, je me pointerais en tenue élégante devant le Conseil ? Cela paraîtrait trop calculé. Trop faux. Comme une tentative désespérée de plaire, et donc, une raison de plus pour eux de douter de mes intentions.
Non. Si je voulais avoir une chance, je devais rester fidèle à moi-même. Être honnête. Et surtout, ne pas leur donner la moindre raison de croire que je cachais quelque chose... même si, en réalité, c'était le cas.
Le parfum du foin et du cuir flottait dans l'air tandis que je traversais l'écurie, effleurant doucement les flancs des chevaux qui s'y trouvaient. Leurs robes brillaient sous la lumière naissante du matin, allant de l'ébène profond au blanc pur, en passant par des teintes fauves et gris acier. Chacun d'eux semblait posséder une prestance unique, une noblesse naturelle que je ne pouvais qu'admirer.
J'ai toujours rêvé d'en monter un. Sentir leur puissance sous moi, le vent fouetter mon visage à pleine vitesse... Mais ce rêve était resté hors de portée. Là d'où je viens, les chevaux sont un luxe, une rareté inaccessible. Pourtant, cet amour persistant, ce fantasme d'enfant, n'avait jamais disparu.
Un dernier regard sur ces créatures majestueuses, et je fis demi-tour. Mais à peine avais-je franchi le seuil que je ressentis un frisson étrange.
Un regard.
Celui qui vous épie sans se cacher, qui s'attarde juste assez longtemps pour faire naître une tension sous votre peau. Une alerte silencieuse qui fait hérisser les poils de vos bras sans que vous compreniez vraiment pourquoi.
Je ne tournai pas la tête. Je fis comme si de rien n'était, poursuivant mon chemin d'un pas mesuré. Mais à l'intérieur, mes pensées tourbillonnaient. Qui m'observait ? Depuis quand ? Et surtout... pourquoi ?
La plage. Il me fallait bouger, me vider l'esprit. Peut-être que cette sensation s'évaporerait avec l'effort, avec le sable sous mes pieds et la mer pour seule compagnie.
Sans attendre, j'accélérai le pas, quittant l'écurie d'un mouvement fluide. Mais ce pressentiment, cette impression d'être suivie, ne me quitta pas tout à fait.
Enfin arrivée l'impression que l'on m'observait ne m'avait toujours pas quitté, cela voulait dire que l'on me suivais bel et bien, c'est certain maintenant mais pourquoi ?
- Sortez de là. Je sais que vous êtes là aller, exigeais-je à voix haute sans me retourner.
Toujours rien. C'est bon il m'a cherché.
- Bon bah je vais venir vous chercher moi-même alors, informais-je l'espion en m'avançant dans sa direction.
Je levais ma main dans la direction de la personne, en formant une légère barre d'ombre dans ma paume, l'espion en sortit de sa cachette presque immédiatement et je pus enfin voir son visage, un visage reconnaissable.
Jack se redressa lentement, les mains levées en signe de reddition, un sourire en coin étirant ses lèvres. Il ne semblait pas du tout gêné d'avoir été pris sur le fait.
- Jack ? Mais qu'est ce que tu fais là ?
- Bah, tu voulais être seule, j'imagine... Mais on est sur une île où la moitié des gens voudraient te voir disparaître, alors disons que je préférais rester dans le coin. Juste au cas où.
Ses paroles auraient pu sembler anodines, mais quelque chose dans sa voix me fit froncer les sourcils. Il plaisantait à moitié. Il était vraiment inquiet.
Je laissai tomber la barre d'ombre qui s'effaça aussitôt comme de la fumée.
- Tu sais que je peux me défendre, pas vrai ?
- Oh, ça, je le sais, confirma-t-il en croisant les bras. Mais avoue que t'es contente que je sois là.
Je soufflai, levant les yeux au ciel avant de reporter mon regard sur lui.
- Non.
- Mensonge.
- Jack...
Il haussa un sourcil, attendant que j'admette ce que je refusais de dire à voix haute. Évidemment qu'une part de moi appréciait sa présence. Mais je n'allais certainement pas lui faire ce plaisir.
- Et toi alors ? insistai-je en croisant les bras à mon tour. Pourquoi t'es pas sorti quand je te l'ai demandé, crétin ?
Son sourire s'agrandit.
- Parce que je voulais voir combien de temps tu mettrais à me trouver.
- Vraiment ?
- Non. Je voulais éviter de me prendre un truc dans la tête.
Je ne pus m'empêcher de rire légèrement en imaginant la scène. Il n'avait pas totalement tort, si ça avait été quelqu'un d'autre, je n'aurais pas hésité une seconde à attaquer.
Il se passa une main dans les cheveux, son sourire s'adoucissant légèrement.
- Bon... maintenant que tu m'as trouvé, on fait quoi ? Tu continues ta balade, ou je peux t'accompagner ?
Je pris une seconde pour réfléchir. Il avait peut-être gâché ma solitude, mais étrangement, je n'étais plus aussi pressée d'être seule.
- Jack ? Mais qu'est ce que tu fais là sérieusement ?
- Bah on est sur une île où tout le monde te déteste alors je voulais juste..
Veiller sur moi, finis-je mentalement sa phrase. Je trouvais son action ridicule sachant pertinemment que je n'aurais fait qu'une bouchée d'un assaillant quelconque. Mais d'un autre côté je savais que personne d'autre ne se serait inquiété de cette manière pour moi.
- C'est bon j'ai compris allez viens, l'invitais-je à me suivre finalement.
- Quoi ?
- Je contais faire quelques exercices sur la plage. On va pouvoir s'entrainer plus efficacement comme ça.
- Si tu veux mais on fait...
Je ne lui laissai pas le temps de terminer sa phrase et, d'un geste rapide, lançai un coup de pied précis en direction de son bras. Comme prévu, il esquiva habilement, reculant légèrement pour éviter l'impact. Son instinct prit aussitôt le relais et il tendit la main pour saisir mon bras, pensant reprendre le contrôle de l'affrontement.
Mais c'est exactement ce que j'attendais. Son attention étant désormais focalisée sur mes mouvements supérieurs, il négligea l'équilibre de ses appuis. Sans hésiter, je pivotai sur moi-même et fauchai ses jambes d'un balayage net et précis. Pris par surprise, il bascula en arrière et s'effondra sur le sable sans même avoir eu le temps de se rattraper.
Jack avait réagi au dernier moment, agrippant mon poignet avec une poigne ferme, mais je n'avais pas anticipé ce geste. En un instant, son élan me tira avec lui, et nous basculâmes ensemble vers l'arrière.
Le problème, c'est que notre chute ne s'arrêta pas là. L'élan nous fit glisser le long d'une petite pente sablonneuse, nous entraînant dans une roulade incontrôlée. Le monde tourna autour de nous dans un tourbillon de sable et d'air, et avant que je ne puisse vraiment comprendre ce qui se passait, je sentis Jack resserrer son étreinte autour de moi. Il m'avait attirée contre lui, me protégeant de son propre corps, encaissant le pire de la descente.
Quand nous nous arrêtâmes enfin, étalés sur le sol, je mis quelques secondes à retrouver mes repères. Je me redressai aussitôt, mon cœur battant encore fort, et, sans réfléchir, lui assénai une tape sur l'épaule—peut-être un peu plus violente que prévu.
— Aïe ! protesta-t-il en grimaçant et en serrant son bras comme s'il venait de subir une blessure grave. Pourquoi j'ai mérité ça, cette fois ?
Je le fusillai du regard en pointant son état lamentable.
— Tu n'avais qu'à pas tenir mon bras, abruti ! Maintenant, regarde dans quel état tu es !
Il était recouvert de sable de la tête aux pieds, ses cheveux en bataille, et quelques égratignures parsemaient ses genoux et ses bras. Un vrai spectacle.
Je me redressai à moitié, prête à me dégager, mais je me rendis vite compte que son emprise sur mon poignet était plus forte que je ne l'avais anticipé.
Jack avait atterri sur le dos, mais au lieu de lâcher prise, il en profita pour inverser la situation. Avec une rapidité surprenante, il tira sur mon bras et, avant que je ne puisse réagir, me fit basculer de sorte que je me retrouvai allongée sur le sable, lui au-dessus de moi, un sourire triomphant sur le visage.
- Tu joues sale, grognai-je en tentant de me libérer.
- Je t'apprends simplement à toujours anticiper, répliqua-t-il en haussant un sourcil. Tu m'as bien eu avec ton balayage, mais tu as baissé ta garde trop vite.
- Tu veux une médaille ?
- Non, mais j'aime bien cette position, plaisanta-t-il.
Je sentis mes joues chauffer légèrement, ce qui m'agaça encore plus. Je plissai les yeux, puis sans prévenir, je fis pivoter mon bassin et projetai mon genou vers son flanc. Pris de court, il perdit l'équilibre juste assez pour que je puisse inverser les rôles à mon tour.
Cette fois, c'était moi qui le maintenais au sol, mon avant-bras pressé contre son torse.
- Tu disais ? lançai-je avec un sourire satisfait.
Jack éclata de rire, les yeux pétillants d'amusement.
- Impressionnant, je l'admets.
Je levai un sourcil, pas certaine d'avoir bien entendu.
- Tu viens de reconnaître que j'ai gagné ?
- J'ai dit que c'était impressionnant, nuance.
Jack...
- Bon, d'accord. Un point pour toi, Kally.
Je le relâchai enfin et me relevai, époussetant le sable de mes vêtements. Il fit de même, secouant ses cheveux déjà en désordre.
Jack me fixa un instant, son expression se faisant un brin plus sérieuse, et je sus immédiatement qu'il allait aborder un sujet que j'aurais préféré éviter.
— Dis-moi, c'est TOI qui vas parler devant dix personnes, dont au moins sept ne t'aiment pas particulièrement... et je sais qu'au moins l'une d'elles souhaiterait même ta mort assurée. Tu vois de qui je parle ?
Je soupirai, levant les yeux au ciel.
— Arrête de me le rappeler, tu veux bien ?
Il haussa les épaules avec un air faussement désinvolte.
— Oui, mais ils sont professionnels. Ils prendront le temps d'évaluer tout ça en fonction des circonstances, j'en suis sûr, tenta-t-il de me rassurer.
Son ton manquait cruellement de conviction, et je levai un sourcil sceptique.
— Tu as peut-être raison... On peut espérer, après tout.
— J'ai toujours raison, voyons, précisa-t-il avec un large sourire satisfait.
Cette fois, je ne pris même pas le temps d'hésiter. Mon poing rencontra son épaule avec une force modérée mais bien placée.
— Aïe ! protesta-t-il en riant.
— Quel prétentieux, je te jure...
Il se frotta l'épaule en continuant de sourire, et malgré moi, je sentis la tension de la conversation s'adoucir. Oui, l'entrevue avec le Conseil serait une épreuve. Mais au moins, en cet instant, j'étais encore là, à échanger des piques avec lui. Et c'était suffisant pour me donner un peu de courage.
Jack me fixait avec une intensité inhabituelle, ses yeux brillants d'une émotion que je peinais à décrypter.
— Non, mais sérieusement, tu as toujours su te faire entendre, parfois un peu trop d'ailleurs, ajouta-t-il avec un sourire en coin. Mais je suis sûr qu'ils t'écouteront. Et s'ils ne le font pas, Eric et moi, on se lève et on vient t'aider illico, c'est moi qui te le dis.
Je baissai la tête, jouant nerveusement avec un grain de sable du bout de mes doigts.
— Ouais... mais tu sais bien qu'à leurs yeux, je ne suis qu'une atrocité. Une gardienne de l'ombre, une menace à éliminer au plus vite.
À peine avais-je terminé ma phrase qu'il se redressa et, sans prévenir, posa ses mains sur mes joues refroidies par l'air du matin. Son regard avait changé, plus sombre, plus perçant. Une lueur étrange y passa, fugace, mais suffisamment marquante pour me donner un frisson.
Pourquoi ? Pourquoi cette réaction ?
— Euh, Jack, tu...
— Arrête !
Sa voix claqua, brutale et inattendue, me faisant sursauter légèrement. Jack ne s'emportait jamais, jamais. C'était une règle immuable, un fait établi. Et pourtant...
— Arrête de te prendre la tête et d'écouter tout ce que ces crétins sans cervelle disent sur toi ! s'exclama-t-il, sa prise sur mon visage se raffermissant juste un instant avant qu'il ne se radoucisse légèrement. Tu n'es pas une menace, pas une abomination. Tu es plus exceptionnelle que la plupart des plus grands gardiens de lumière.
Sa voix se fit plus douce, plus sincère.
— Et tu es tellement forte et talentueuse... Tu pourrais me mettre au tapis en trois secondes si tu le voulais vraiment.
Je sentis mes joues chauffer légèrement sous ses doigts, mais il n'y prêta aucune attention et poursuivit, un sourire presque tendre au coin des lèvres.
— Et aussi ridicule que je peux l'être... j'adore ça.
Un silence s'installa, suspendu dans l'air frais du matin, empli d'émotions que je n'arrivais pas encore à nommer. Mais une chose était certaine : Jack était sérieux. Plus que jamais.
Je restai figée, comme pétrifiée par ses paroles d'une intensité inédite. Personne ne m'avait jamais dit ce genre de choses. Même pas Kora.
Mon cœur battait à un rythme irrégulier, ma gorge s'était soudain asséchée, et mes pensées étaient un chaos total. Pourtant, contre toute attente, un rire m'échappa. Léger d'abord, presque timide, puis un peu plus franc, comme une bulle d'air remontant à la surface après une longue plongée en apnée. C'était étrange, inhabituel... mais terriblement libérateur.
Jack me fixa, surpris, avant de sourire en coin.
— Tu vois ? Ces gens sont si néfastes que même toi, ça t'étonne de t'entendre rire.
Il marqua une pause, ses yeux me scrutant avec cette sincérité désarmante qui me déstabilisait à chaque fois.
— Et pourtant, c'est magique quand tu ris. Ton visage s'illumine, et ça te rend encore plus magnifique que tu ne l'es déjà.
Il se recula soudainement, comme s'il venait de réaliser ce qu'il venait de dire. Je le vis détourner la tête brusquement, une rougeur évidente grimpant le long de son cou et s'étalant jusqu'à ses joues. Sans un mot, il tourna le dos, tentant maladroitement de reprendre contenance.
Quant à moi, je restai là, figée, le regard perdu sur son dos. Dans mon esprit, des centaines de voix s'élevaient, s'entrechoquaient, se disputaient pour décider comment réagir. Devais-je répondre ? Faire une remarque ironique pour alléger l'ambiance ? Feindre l'indifférence ?
Mais rien ne venait.
Parce qu'au fond, une part de moi ne voulait pas briser cet instant.
Comme poussée par un instinct que je ne comprenais pas moi-même, je me levai et m'assis juste en face de lui, effaçant la distance qu'il avait tenté d'installer.
Jack releva légèrement la tête, me scrutant en silence, une lueur indéchiffrable dans le regard. L'air marin jouait avec ses cheveux, les ébouriffant légèrement, et je dus lutter contre l'envie soudaine de passer mes doigts dedans.
Je pris une inspiration, cherchant mes mots.
— Merci, Jack.
Il haussa un sourcil, surpris par mon ton sérieux.
— Merci ? répéta-t-il doucement.
Je hochai la tête avant d'ajouter :
— Merci, tu as rempli ton super rôle d'ami.
Un silence. Son sourire se figea légèrement, et un soupir lui échappa avant qu'il ne lâche dans un murmure :
— Ouais... je suis... ton ami. Et c'est normal.
Son sourire avait perdu de son éclat, et quelque chose en moi se serra. Pourquoi est-ce que j'avais dit ça ? Pourquoi ces mots sonnaient-ils aussi faux alors qu'ils étaient censés être justes ?
Mon ami.
La phrase résonnait dans mon esprit comme une évidence et une erreur à la fois.
Je n'étais même pas sûre de ce que je ressentais exactement, mais une chose était certaine : j'avais envie de me baffer.
Je n'étais vraiment pas normale.
Jack me regarda avec attention, son regard devenant plus perçant, presque inquisiteur. Je savais qu'il n'allait pas lâcher l'affaire tant que je ne lui aurais pas tout dit, et honnêtement, une part de moi voulait qu'il sache. Qu'il comprenne à quel point tout cela me perturbait.
— Tu sais, j'ai plein de trucs dans ma tête en ce moment, avouai-je en soupirant. Et je comprends même pas la moitié.
Il croisa les bras, attendant que je développe.
— Comme les gardiens morts il y a deux jours, le réveil d'Élira que je ne m'explique toujours pas... ce fichu bracelet de vision qui ne veut pas me quitter... Carlos... et ça.
Je désignai le collier que je portais autour du cou, celui de ma mère. Je l'avais mis ce matin sans trop y réfléchir, comme une évidence, un besoin. Peut-être pour me raccrocher à quelque chose, à un souvenir, à un espoir.
Jack baissa les yeux vers le bijou, l'examinant un instant avant de revenir vers moi.
— Dis... tu as eu des visions avec ce bracelet depuis que tu l'as récupéré au bras de Scarlet ? me demanda-t-il, adoptant ce ton sérieux dont il avait le secret.
Je me mordis la lèvre. Bien sûr qu'il allait poser la question.
— Eh bien... en fait...
— Kally, grogna-t-il légèrement, sentant que je lui cachais quelque chose.
Je levai les mains dans un geste innocent.
— Oui, c'est moi, je sais, plaisantai-je pour détendre l'atmosphère avant de redevenir plus sérieuse. J'aurais dû prévenir, mais...
— C'est bon, je ne te reproche rien, souffla-t-il en secouant la tête. Mais j'aurais bien voulu être au courant. Et je suis sûr qu'Eric aussi.
Je détournai le regard. Évidemment, Eric. Toujours là dans la balance.
— Oui, bah... c'est bon, lâchai-je finalement. J'ai eu plusieurs visions en réalité.
Jack resta silencieux un instant, comme s'il attendait que je continue de moi-même.
— Et ?
Je pris une grande inspiration.
— Et elles sont étranges... très étranges.
- Du genre ?
Jack m'observa avec intensité, essayant d'assimiler ce que je venais de lui dire.
— Du genre ? demanda-t-il, m'incitant à développer.
Je ne me fis pas prier. Après tout, il avait raison de poser des questions, et puis ce n'était pas bien compliqué pour lui de me faire parler.
— Eh bien... du genre une princesse endormie et moi à ses côtés. Puis quelque temps après, la même image, mais avec une princesse bien réveillée et en pleine forme.
Jack fronça légèrement les sourcils, réfléchissant à ce que cela pouvait signifier.
— Ok... mais encore ?
J'inspirai profondément avant de continuer.
— Avant que Kora ne me donne le collier, j'ai vu un homme, une femme et sûrement leur enfant. Une famille, en apparence normale... Mais après, j'ai vu cette même femme courir vers une église et laisser son enfant à Kora. Et juste avant ça, elle a lancé un jet de lumière.
Jack écarquilla légèrement les yeux. Il comprenait immédiatement où je voulais en venir.
— Ce qui est impossible, murmura-t-il, comme pour finir ma pensée.
J'hochai la tête.
— Exactement.
— Cet enfant, c'était toi, c'est ça ?
Je baissai les yeux, triturant instinctivement le pendentif du collier entre mes doigts.
— C'est ce que je pense, oui... Toujours aussi perspicace, toi.
Jack ne répondit pas tout de suite. Il attendait que je termine.
— Enfin bref... je suis complètement perdue maintenant, soufflai-je. Kora a dit que c'était ma mère... mais selon la vision, ma mère serait une Gardienne de Lumière. Si j'ai tout suivi, c'est impossible.
Jack passa une main dans ses cheveux, visiblement tout aussi troublé que moi.
Jack posa une main sur mon épaule, son regard plongé dans le mien, cherchant à m'apaiser.
— Effectivement, c'est impossible, sinon on le saurait. Le Sort de l'Interdit serait apparu, et tu aurais été tuée... ainsi que ton père, en l'occurrence.
Je déglutis en entendant ces mots. Le Sort de l'Interdit... Ce fléau qui avait marqué l'histoire de notre monde de la manière la plus brutale possible.
Ce sort était une lueur marquant les enfants hybrides, nés d'une union entre un être de l'Ombre et un Gardien de Lumière. Tous avaient été exterminés après l'attaque contre la famille Hélios, sous prétexte qu'ils représentaient une menace pour l'équilibre des forces. Une potentielle rébellion à venir. L'enfant et son parent de l'Ombre étaient exécutés sur-le-champ, tandis que le Gardien de Lumière, lui, était épargné... mais condamnés à voir ses proches disparaître. À souffrir seul. Ce qui, selon moi, était encore pire qu'une mort immédiate.
Je laissai mon dos s'affaisser légèrement, fatiguée de réfléchir à tout ça.
— Tu vois, je suis perdue de chez perdue, moi, maintenant, soufflai-je.
Jack croisa les bras, son regard toujours fixé sur moi, mais avec moins d'intensité.
— Peut-être que tu as mal vu, après tout. Tu viens juste de récupérer ce bracelet, alors il est possible que tes visions ne soient pas encore très claires.
— Peut-être, oui, murmurai-je. Mais je suis sûre de ce que j'ai vu.
Je passai nerveusement une main dans mes cheveux, me sentant étouffer sous la pression de ces révélations.
— Mais... aaah, je... je sais plus moi, à force !
Jack laissa échapper un soupir et se rapprocha légèrement.
— Hé... Calme-toi, Kally. Personne ne te demande d'avoir toutes les réponses tout de suite.
Il marqua une pause avant d'ajouter plus doucement :
— Mais quoi qu'il en soit, tu n'es pas seule.
Je levai les yeux vers lui, légèrement surprise par sa sincérité.
— Tu manques d'éléments, c'est tout, intervint une voix douce, nous prenant par surprise, Jack et moi. Instinctivement, nous nous éloignâmes légèrement l'un de l'autre, presque coupables sans raison.
— Ah, Élira, tu m'as surprise, soufflai-je en posant une main sur ma poitrine.
— Excusez-moi, c'était une conversation privée, c'est ça ? demanda-t-elle en souriant malicieusement, une lueur amusée dans le regard et un sous-entendu évident dans la voix.
— Non, non, pas du tout, tu te trompes ! répondîmes-nous d'une même voix, Jack et moi.
Elle nous dévisagea un instant, puis, avec un petit rire, prit place à nos côtés. Le vent faisait danser ses longs cheveux blonds, et d'un geste fluide, elle les attacha en une tresse rapide.
— Bref, reprit-elle en changeant de sujet, je pense que tu oublies quelque chose d'important. Si tu veux plus de détails sur ce que tu as vu...
— Ah oui ? Et quoi donc ? demandai-je en haussant un sourcil.
— Le bracelet, évidemment. Depuis que tu l'as, tu as dû apprendre certaines choses sur son fonctionnement, non ?
Je fronçai légèrement les sourcils en repensant à mes expériences avec l'objet.
— Oui... En touchant la pierre et en pensant à quelqu'un ou en parlant de cette personne, je peux voir un fragment de son passé... ou de son avenir, je pense.
Élira hocha la tête, pensive.
— Tu peux aussi voir son présent, si on suit la logique, ajouta-t-elle.
— Ah... Oui, maintenant que tu le dis... Eh bien, super, j'imagine, répondis-je avec un mélange de perplexité et d'appréhension.
— Et ça marche aussi avec les objets, affirma-t-elle avec assurance.
Je clignai des yeux, surprise par sa certitude.
— Et comment tu sais tout ça, au juste ?
Elle sembla réfléchir un instant, avant de hausser légèrement les épaules.
— Je ne sais pas vraiment, je le sais, c'est tout.
Jack, qui était resté silencieux jusque-là, plissa les yeux avec curiosité.
— Comme si la mémoire te revenait ? proposa-t-il.
Élira le fixa quelques secondes, puis esquissa un léger sourire.
— Peut-être bien... murmura-t-elle.
Jack me regardait avec une lueur d'excitation mêlée à de la curiosité dans les yeux. Il tapotait légèrement le sable du bout des doigts, impatient.
— Bon alors, Kally, tu veux essayer ou pas ? demanda-t-il, son ton trahissant son envie de savoir.
Je pris une profonde inspiration. L'idée de voir quelque chose de plus précis sur mon passé était à la fois excitante et terrifiante. Mais après tout, qui ne tente rien n'a rien, non ?
— Qui ne tente rien n'a rien, comme on dit, répondis-je, tentant de masquer mon appréhension sous une touche d'assurance.
Avec précaution, je passai mes doigts autour du pendentif suspendu à mon cou. Le métal était légèrement tiède contre ma peau, probablement à cause du contact prolongé. Je le retirai lentement, sentant un frisson me parcourir l'échine, comme si une partie de moi hésitait encore.
Jack et Élira m'observaient en silence, leurs regards braqués sur le bijou.
Je tendis la main et approchai le collier de la pierre incrustée au centre de mon bracelet. À peine les deux objets furent-ils à quelques centimètres l'un de l'autre qu'une légère vibration parcourut mon poignet. Un courant d'énergie presque imperceptible, comme une tension statique, s'éleva dans l'air.
Mon souffle se suspendit.
La pierre se mit à luire doucement, pulsant d'une lueur profonde et chaleureuse, comme un battement de cœur.
""""""
Je me sentis une nouvelle fois projetée dans un espace flottant, une bulle isolée du reste du monde. Tout autour de moi n'était que brume et flou, comme si la réalité peinait à se former. Mon corps semblait à la fois présent et absent, sans poids, comme si je n'étais qu'un spectre errant à travers le temps.
Petit à petit, la pièce autour de moi gagna en précision. Les contours se dessinèrent lentement, les formes devinrent plus nettes, et l'espace s'élargit jusqu'à révéler une scène plus claire. L'atmosphère était paisible, tamisée par la lumière vacillante d'une lanterne posée sur une table en bois. Un fauteuil à bascule craquait doucement dans un rythme régulier.
Une femme était assise dessus, son corps bercé par un mouvement lent et apaisant. Son visage restait flou, insaisissable comme une ombre dans mes souvenirs. Pourtant, un détail attira immédiatement mon attention : son ventre arrondi. Elle était enceinte, et pas qu'un peu. À vue d'œil, elle en était à huit mois, peut-être plus.
Je restai figée, observant cette scène presque intime, sans savoir encore ce que j'étais censée comprendre. La femme caressait doucement son ventre du bout des doigts, comme si elle murmurait silencieusement à l'enfant qu'elle portait.
Un léger bruit derrière moi me fit pivoter.
Un homme se tenait là, debout, à quelques pas de moi. Il était jeune, 25 ou 27 ans tout au plus, et portait une expression à la fois grave et tendre. Ce qui attira mon regard, ce fut autre chose. Quelque chose d'irréel, d'impossible.
De grandes ailes blanches s'étendaient dans son dos, d'un blanc si pur qu'elles semblaient presque irréelles. Elles frémissaient légèrement, retenant à peine leur majesté.
— Un ange ? soufflai-je, incapable de détourner mon regard.
La femme interrompit son mouvement et se redressa légèrement, comme si elle m'avait entendue. Mon cœur fit un bond. Je reculais précipitamment, cherchant instinctivement une excuse, n'importe quoi pour justifier ma présence. Mais avant même que je puisse ouvrir la bouche, l'homme aux ailes passa à travers moi, comme une brume perçant un rayon de lumière.
Un frisson me parcourut.
Ils ne pouvaient ni me voir ni m'entendre.
Tant mieux.
Un frisson me parcourut alors que la scène se déroulait devant moi, empreinte d'une étrange solennité.
— Térénos, vous êtes là, révéla la femme enceinte d'une voix douce mais empreinte d'une certaine émotion.
L'homme aux ailes immaculées inclina légèrement la tête en guise d'acquiescement avant de faire un geste fluide de la main. Une douce lumière se matérialisa devant lui, tourbillonnant lentement avant de laisser place à un landau.
À l'intérieur, un nourrisson dormait paisiblement, emmitouflé dans un nid douillet bordé de dentelle rose.
Une petite fille.
La femme enceinte porta une main à son ventre arrondi, un sourire tendre illuminant son visage flou.
— Elle est magnifique, cette petite, souffla-t-elle avec une douceur infinie, contemplant le nouveau-né avec admiration.
L'ange, Térénos, sourit à son tour, son regard empli d'une sagesse ancienne.
— La vôtre le sera bien plus encore, ma chère.
— Je vous remercie, mon ami, murmura la femme, une sincère gratitude dans la voix.
Térénos s'approcha lentement, un éclat protecteur dans ses yeux.
— Elle veillera sur votre fille comme un ange gardien. Tel est son destin.
La future mère posa une main sur son ventre, comme si elle pouvait déjà sentir le lien qui unissait ces deux enfants.
— Je ne vous remercierai jamais assez de veiller sur nous, Térénos.
L'ange inclina de nouveau la tête, une expression bienveillante sur son visage.
— C'est un plaisir pour moi, vous le savez. Et bientôt, votre fille sera entre de bonnes mains avec...
Je n'entendis pas la fin de sa phrase.
Un violent tourbillon m'arracha brusquement à la scène, me projetant hors de cette vision.
Tout devint flou, indistinct.
Avant que l'obscurité ne m'enveloppe complètement, je parvins à distinguer un dernier détail.
Un château.
Celui de la famille Hélios.
Je le reconnus immédiatement grâce aux nombreux livres que Kora m'avait prêtés. Ses tours imposantes, ses murailles immaculées, son aura mystique...
Puis, plus rien.
"""""
Jack me secouait doucement par les épaules, son regard perçant trahissant une inquiétude sincère.
— Kally, ça va ? demanda-t-il d'une voix légèrement tremblante.
Je clignai des yeux, encore un peu sonnée par la vision qui venait de me frapper de plein fouet.
— Oui, oui, c'est bon. C'est rien, le rassurai-je en prenant une profonde inspiration.
— Qu'as-tu vu ? s'enquit Élira, plus calme mais non moins attentive.
Je fronçai légèrement les sourcils, essayant d'ordonner mes pensées chaotiques.
— Euh... j'ai vu ma mère... enfin, je crois que c'était elle. Elle était dans un château et... je pense qu'elle travaillait pour tes parents, Élira, ou du moins qu'elle avait un lien avec eux. Elle était proche d'un ange.
Jack haussa un sourcil, sa méfiance naturelle reprenant le dessus.
— Un ange ? répéta-t-il, son ton légèrement plus suspicieux. Ça existe vraiment ?
Je hochai la tête avec conviction.
— Oui. D'après ce que j'ai vu, il s'appelait Té... Térén... Térénos ! C'est ça, Térénos.
À l'instant où je prononçai ce nom, Élira se figea complètement. Son regard se vida, son corps se tendit comme si une force invisible l'avait frappée de plein fouet.
— Térénos est un ange gardien... c'est son rôle... tout comme...
Sa voix s'étrangla, laissant place à un silence oppressant.
— Élira ? Tu vas bien ? s'inquiéta Jack, prêt à la soutenir si elle vacillait.
Elle sembla revenir à elle brutalement, portant une main tremblante à son front.
— Ou... oui, c'est bon. J'ai... j'ai été perdue pendant un instant.
Son souffle était saccadé, et je pouvais voir la lueur d'un trouble profond dans ses yeux.
Quelque chose dans ce nom l'avait secouée bien plus qu'elle ne voulait l'admettre.
- Et pas qu'un peu, lui dit Jack en l'aidant à se redresser puis se tournant vers moi. Autre chose Kally ?
Je pris une inspiration, cherchant les mots justes pour décrire cette nouvelle pièce du puzzle qui ne faisait qu'embrouiller davantage mon esprit.
— Eh bien... il y avait un nourrisson, une toute petite fille qui devait avoir mon âge à l'époque. Si j'ai bien compris, elle devait devenir mon ange gardien.
Jack haussa un sourcil, perplexe.
— J'imagine que ça ne t'aide pas plus à régler tes soucis.
Je laissai échapper un rire nerveux.
— Non, pas du tout. En fait, ça empire tout. Maintenant, j'ai une histoire d'ange gardien sur les bras.
Élira nous observait en silence, l'air pensive. Je pouvais voir qu'elle réfléchissait à toute vitesse, essayant sûrement de trouver un sens à ce que je venais de révéler. Mais avant qu'elle ne puisse parler, Jack s'étira en poussant un soupir exagéré.
— Je pense qu'on devrait rentrer. D'abord, pour manger, et ensuite, pour se préparer pour l'audience. Et honnêtement, je dois me changer, parce que là, je suis dans un sale état.
Il n'avait pas tort. Son pantalon était couvert de sable, ses bras portaient encore les égratignures de notre roulade imprévue, et ses cheveux étaient dans un désordre absolu. Moi, de mon côté, je devais me recentrer avant l'audience.
— Oui, allons-y vite, acquiesçai-je en me levant.
Nous prîmes la direction du domaine, le silence s'installant peu à peu entre nous. Mes pensées tourbillonnaient, et je pouvais presque entendre celles de Jack et d'Élira faire de même.
Dans quelques heures à peine, j'allais devoir me présenter devant mes dix pires cauchemars. Je croisai les doigts en espérant ne tuer personne... ou ne pas me faire tuer moi-même.
___________________________
Encore un chapitre plus long (je suis fier de moi, oui oui) j'ai été inspiré cette fois et j'espère vraiment l'être encore quelque temps, le temps d'écrire quelques chapitres de plus bon bah on se revoit au chapitre 17.
A+
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top