Chapitre 11
Les yeux de Reine Malicia brillaient d'un éclat presque surnaturel, son regard vert perçant ancrant chaque détail en moi avec une précision glacée. Elle n'avait pas changé, et pourtant, tout en elle semblait hors du temps. Son apparence, impeccable et parfaite comme toujours, trahissait ses siècles d'existence, mais elle en usait comme d'un atout, semblant éternellement jeune. Ses cheveux blancs étincelants, aussi purs que la neige sous un ciel sans nuage, encadraient son visage pâle d'une beauté irréelle. Elle incarnait une sorte de déesse glaciale, une femme dont l'aura imposait instantanément le respect, et même la peur.
Elle s'avança vers moi avec une vitesse déstabilisante, et avant même que je puisse réagir, elle me prit dans ses bras. Une étreinte trop forte, trop pressante, qui m'étouffa presque, comme pour me rappeler l'intensité de sa présence et son pouvoir sur moi. Je restai un moment figée, la respiration coupée, mais au fond, je savais que c'était une manœuvre calculée de sa part.
— Tu m'as tellement manqué, Kally chérie, murmura-t-elle en me relâchant enfin, me permettant de reprendre mon souffle, et tu es devenue une bien belle jeune femme, dis-moi. Ses mots, teintés de douceur, avaient une pointe de possession, comme si elle s'était appropriée cette période où je l'avais oubliée. Deux ans sans te voir, c'est long, tu sais.
Son sourire s'étira, à la fois charmeur et dangereux. Il y avait quelque chose de réconfortant dans sa voix, mais je savais qu'il s'agissait d'une façade. Elle cherchait toujours à manipuler, à jouer avec les émotions des autres.
Je pris une profonde inspiration, cherchant à reprendre le contrôle. Elle voulait sûrement raviver une vieille connexion entre nous, mais je ne comptais pas me laisser emporter par ses manœuvres. Je redressai les épaules et croisa son regard, défiant cette fois son influence.
— C'est très gentil, Malicia, répondis-je calmement, mais que faites-vous ici, dans notre église ? Je laissai un léger ton de méfiance se glisser dans mes paroles. Vous n'êtes pas vraiment la bienvenue.
Elle esquissa un sourire, à peine perceptible, mais je le sentis.
— Et bien, je suis venue te voir pour parler en réalité, dit-elle d'une voix calme mais ferme, chaque syllabe semblant calculée, comme si elle pesait chacune de ses phrases pour en tirer quelque chose de plus.
Je frissonnai légèrement à ses mots. La raison pour laquelle elle était venue me voir n'était sûrement pas aussi innocente qu'elle voulait bien le faire croire.
— Moi mais pourquoi faire ? demandai-je, un air de défi dans ma voix. Je savais bien qu'elle ne venait pas juste pour discuter. Il y avait toujours un sous-texte avec Malicia. Toujours.
Elle haussait légèrement un sourcil, comme si elle se délectait de ma méfiance avant de répondre, son sourire presque imperceptible.
— Et bien, depuis un certain temps, je ressens comme des vibrations étranges émanant des ombres, expliqua-t-elle en me regardant intensément, un éclat d'intrigue dans ses yeux. Je voulais avoir de tes nouvelles et te demander ton avis sur la question. Elle marqua une pause, son regard se détournant un instant vers mes amis avant de reprendre. Et on m'a aussi rapporté l'incident d'hier soir.
Elle inclina légèrement la tête, comme une reine accordant une compassion feinte, avant de s'adresser directement à mes compagnons.
— Je suis sincèrement désolée pour la mort de vos compagnons, Aros.
Ce mot, "Aros", me frappa immédiatement. Je savais ce que cela signifiait : il n'était pas simplement un mot, mais une empreinte symbolique d'une culture ancienne. Aros, dérivé des runes des mages, symbolisait la continuité de la vie, mais aussi le poids de la perte. Il rappelait que, bien que la vie continue, chaque vie prise laissait une empreinte indélébile dans le monde. C'était leur manière, à eux, de rendre hommage aux défunts, sans jamais oublier.
Je n'avais pas de mots à dire pour le moment, mais la simple mention de ce mot par Malicia me perturbait. Elle n'était pas ici simplement pour poser des questions sur les ombres ou pour offrir des condoléances.
Je la fixais attentivement, mes yeux se serrant légèrement en écoutant ses paroles. Malicia, la reine des mages et des sorciers, ne manquait jamais d'une touche d'arrogance dans ses discours. Elle savait parfaitement que ses mots étaient là pour manipuler, pour influencer et semer le doute. Elle ne venait pas chercher des réponses, mais des alliés, des confirmations. Elle voulait m'impliquer dans ses préoccupations, et je savais bien que ses intentions n'étaient pas aussi innocentes qu'elle voulait le faire croire.
— Vous devriez en parler avec le Conseil plutôt qu'à moi non ? fis-je, me recentrant sur le sujet, espérant détourner l'attention de ses stratégies de manipulation.
Elle haussait une épaule d'un geste négligent, un sourire qui semblait plus amusé qu'autre chose étirant ses lèvres. Ses yeux verts, perçants et calmes, ne me quittaient pas, scrutant mes réactions avec une intensité qui trahissait une certaine forme de mépris envers les autorités qu'elle jugeait inférieures à elle.
— Tu sais bien que je ne fais pas confiance en ses membres contrairement à la confiance que je te porte. Et puis, c'est toi la reine des ombres, que pourraient-ils m'apprendre ces pantins ?
Son ton était empli de condescendance, mais aussi d'un certain respect, voire d'une admiration mal placée. Elle me connaissait assez pour savoir que ses mots auraient probablement l'effet qu'elle recherchait.
"Reine des ombres", un terme qui me mettait mal à l'aise, car je n'étais pas cette figure qu'elle peignait. Je n'étais qu'une jeune femme avec un pouvoir qu'il fallait apprendre à maîtriser, pas une reine. Cependant, j'en avais assez de ces flatteries déguisées, aussi je ne laissai rien paraître sur mon visage et poursuivis.
— Je suis loin d'être une reine. Et puis, qui vous a tenu au courant de l'attaque de cette soirée ? l'interrogeai-je brusquement, une question qui avait besoin de réponses.
Ma voix s'était fait plus tranchante, car quelque chose ne collait pas. Si un sorcier avait été présent dans le cimetière ce soir-là, je l'aurais immédiatement perçu, ou plutôt... senti. La magie qu'ils déploient est imposante, presque palpable dans l'air, et un sorcier débutant pourrait difficilement la cacher de manière efficace. Si ce n'était que cela, pourquoi je n'avais rien ressenti cette nuit-là ?
Je la scrutais, cherchant la moindre trace de nervosité dans son regard. Aucune. Malicia semblait trop sûre d'elle, trop calme, trop contrôlée.
La magie qu'ils dégagent est tellement puissante qu'il serait impossible de la masquer à mes sens. À moins qu'il ne sache comment me cacher sa présence...
Aucun sorcier ne connaissait cette technique, à part elle et son fils, les deux membres de la famille royale. Et c'était là que mes doutes grandissaient.
- Je suis au courant de beaucoup de choses, poursuivit la reine des sorciers souriante face à moi. Et oui mon fils m'en a informé comme tu as du effectivement t'en rendre compte, répondit-elle à mes pensées.
— Mason est ici ? répétai-je, presque plus pour moi-même que pour elle, comme si cette information seule pouvait rendre l'atmosphère un peu plus légère, un peu plus chaleureuse.
Je réalisai que j'étais un peu trop enthousiaste. J'avais toujours eu du mal à saisir ce que signifiait être un véritable ami. Est-ce qu'un ami, c'était simplement quelqu'un de sympa avec qui on passe du temps ? Ou quelqu'un qui accepte tes défauts, tes faiblesses, et qui ne cherche pas à t'utiliser ? Mason, pour moi, était un peu de tout ça. Il était celui qui avait su m'apprendre, sans juger, quand aucun maître des lumières n'avait voulu le faire. C'était un sorcier, mais il avait bien plus de tolérance et de sagesse que tous ceux que j'avais rencontrés dans mon monde de gardiens et d'êtres de lumière. Quand Kora n'était pas là pour me guider, c'était Mason qui m'avait pris sous son aile, m'enseignant non seulement les bases de la magie des ombres, mais aussi à comprendre ce que cela signifiait pour moi, à maîtriser ce pouvoir sans me laisser engloutir par lui.
Je me rendis compte que j'étais en train de chercher du réconfort dans cette pensée, et un sentiment de chaleur envahit mon cœur. C'était rare que quelqu'un m'accepte sans arrière-pensée. Et Mason... il représentait un peu cette oasis d'amitié, même si je n'étais toujours pas sûre de ce que cela devait signifier. Mais au moins, j'avais l'impression de ne pas être seule face à tout ça.
- Je suis là Sorceline, retentit la voix du jeune au fond de la salle.
Mason sortit soudainement de derrière un mannequin d'entraînement, et avant même qu'il puisse dire un mot, je me jetai dans ses bras sans hésiter, comme si toute la fatigue accumulée disparaissait à l'instant où je retrouvais ce contact réconfortant. C'était instinctif, un geste spontané, une preuve que je savais où trouver un peu de paix dans ce monde trop souvent hostile. Les sorciers, je les comprenais mieux que quiconque. Ils étaient les seuls à ne jamais me juger, les seuls à m'accepter telle que j'étais. Et parmi eux, Mason, sans doute celui qui m'avait le mieux cernée. C'était grâce à lui que j'avais appris à apprivoiser cette magie des ombres qui avait souvent fait de moi un paria parmi les autres. Mason et sa mère, Malicia, eux, ils ne m'avaient jamais vu comme une simple anomalie à corriger. Ils étaient mes alliés, mes confidentes. Même si la situation politique des sorciers n'était pas idéale, même si Malicia devait constamment défendre sa position contre d'autres forces, je savais qu'elle ne céderait pas. Elle tiendrait son trône encore pendant des siècles. Quant à Mason... il devait souffrir en silence des attentes placées sur ses épaules, sous le poids des responsabilités qui pesaient sur lui à cause de sa mère, mais il ne disait jamais rien. C'était un vrai modèle de calme et de maîtrise de soi.
Mason, brun aux cheveux d'un noir profond, avait cette mèche blanche unique qui ressortait de la masse sombre de ses cheveux, une caractéristique aussi unique que lui. Un contraste frappant, une touche de lumière dans la vallée sombre formée par la cascade de ses cheveux. Ses yeux, un marron profond et chaleureux, avaient toujours cette lueur apaisante, comme s'il était capable de lire au-delà de ce que l'on montrait. Il était grand, impressionnant même, mais toujours aussi doux dans son attitude. C'était sans doute l'un des mages les plus puissants du monde, mais jamais il n'avait laissé cette puissance le corrompre ou l'éloigner de ce qu'il était réellement.
Lorsqu'il me relâcha enfin, je le fixai intensément et laissai échapper un petit sourire, un peu taquin, comme pour masquer la réelle affection que j'éprouvais pour lui.
— Qu'est-ce que tu fous ici toi ? lui demandai-je, feignant l'indignation alors qu'il était évident que j'étais simplement heureuse de le voir.
- Kally j'aimerais m'entretenir avec toi seule à seule d'un sujet sérieux, m'interpella une nouvelle fois Malicia.
Je jetai un coup d'œil à mes amis, observant leurs réactions. Eric, comme toujours, restait fidèle à lui-même : calme et implacable. Il semblait garder son air réservé, mais je savais qu'au fond de lui, il bouillait de curiosité. La présence de la Reine Malicia devait sûrement susciter des tas de questions dans son esprit, questions qu'il n'oserait pas poser directement, mais qu'il conserverait certainement pour plus tard. Il avait toujours cette étincelle d'intérêt pour tout ce qui échappait à sa compréhension.
Jack, quant à lui, ne faisait même pas semblant d'être discret. Son sourire s'étendait jusqu'aux oreilles, comme toujours, mais cette fois-ci, il y avait quelque chose de plus dans son regard. Il me scrutait, un peu trop intensément, et son regard passait alternativement de Mason à moi. Il n'avait pas besoin de mots pour me faire comprendre ce qu'il attendait de moi : il voulait des explications, tout de suite. Je savais qu'il n'allait pas tarder à me bombarder de questions une fois que l'occasion se présenterait.
Élira, elle, semblait fascinée par toute la scène. Son regard brillait d'admiration, surtout envers Malicia et Mason. Elle les observait comme si c'étaient des créatures mythiques, comme si elle ne pouvait pas croire qu'elle était en présence de telles figures. Intriguée et pleine d'énergie, elle recommençait à poser des questions sans la moindre gêne, inondant tout le monde de son insatiable curiosité. Sa capacité à s'intéresser à tout ce qui l'entourait, sans filtre ni retenue, me faisait sourire.
- Wow. D'où venez vous ? Comment on se sent quand on est reine ? Et comment on..
- Qui êtes vous jeune fille ? demanda Malicia en riant face à son enthousiasme enfantin. Je crois bien ne jamais vous avoir vu dans le coin ?
Je pris une grande inspiration et m'interposai, ne voulant pas laisser Élira trop déstabilisée par cette question qui, bien qu'innocente, pouvait être perçue comme une mise en scène de pouvoir.
- Il s'agit de la princesse Élira d'Hélios, dernière héritière au trône des gardiens de lumière. En tout cas, elle le sera à ses 18 ans, expliquai-je calmement, faisant en sorte de tempérer l'exubérance de la jeune princesse.
Le regard de Malicia s'éclaira de compréhension, et un sourire plus chaleureux s'étira sur ses lèvres.
- Ah oui, eh bien ravi de vous savoir en vie, mademoiselle Élira, ajouta-t-elle avec une légère inclinaison de tête. J'ai hâte de voir ce qui va suivre. Ses yeux se mirent alors à analyser la situation, comme elle en avait l'habitude, cherchant à déceler ce qui se cachait derrière cette rencontre.
La Reine des Mages, tout comme Mason, fit une révérence élégante devant Élira, un geste empreint de respect mais aussi d'un certain jeu de pouvoir. Je la suivis dans ce mouvement et, en un clin d'œil, Élira tenta de mimer le geste, un peu maladroitement, mais tout de même avec la grâce qui lui était propre. Elle comprenait vite, même si ses habitudes de royauté étaient encore loin d'être aussi raffinées que celles des sorciers.
En quittant la pièce, je sentis la tension retomber. Pourtant, en m'éloignant, j'entendis Mason parler à Eric, murmurant quelque chose que je ne pouvais saisir entièrement. Leur conversation me parut intime, presque discrète.
Mason s'approcha d'Eric avec un sourire en coin, un éclat amusé dans ses yeux. Il s'inclina légèrement, comme pour amorcer une conversation décontractée.
- Alors Eric, heureux de me revoir ? Qu'as-tu fait depuis la dernière fois ? Dis-moi. Sa voix était légère, mais il y avait une pointe de curiosité sincère dans le ton qu'il employait.
Je ne pouvais m'empêcher de remarquer l'attitude de Mason. Il semblait un peu plus... affecté que d'habitude, comme si un petit quelque chose s'était tissé entre lui et Eric. Peut-être que Mason avait un peu de béguin pour Eric, mais chut... tout le monde le voyait, sauf Eric lui-même, bien entendu. C'était d'autant plus évident dans sa manière de se tenir, dans ses regards furtifs et dans la façon dont il interrogeait Eric, toujours un peu plus intéressé par ses réponses que nécessaire. Mais je décidais de ne pas insister sur ce point, après tout, chacun a ses secrets.
Je me détournai légèrement de la scène, ramenant mon attention à Malicia, qui semblait prête à reprendre la conversation. Il était évident qu'elle avait ses propres préoccupations et, même si Mason et Eric échangeraient probablement quelques mots plaisants, il fallait que nous revenions à l'essentiel.
Malicia se mit à marcher en cercle autour de moi, ses talons résonnant doucement sur le sol silencieux de la pièce. Son regard était fixé loin devant elle, comme si elle cherchait à prendre la mesure de l'espace tout en méditant sur ses mots.
- Kally, c'est très grave. Ne sens-tu pas ?
La question, presque chuchotée, vibrait d'une tension que je ne pouvais ignorer. Pourtant, je n'éprouvais rien de particulier, ni frissons ni inquiétude, juste une curiosité grandissante.
- Je ne vois pas de quoi tu parles. Je devrais sentir quelque chose ?répondis-je en haussant légèrement les sourcils, l'incertitude emplissant ma voix. Je me sentais étrangement décalée, comme si l'évidence de ce qu'elle évoquait m'échappait.
Elle s'arrêta un instant, son regard perçant se fixant sur le sol alors qu'elle reprenait sa marche, plus lente cette fois, me scrutant du coin de l'œil sans croiser mon regard.
- Les ombres changent, elles sont différentes. Plus fortes. Plus colériques.
Je fronçai les sourcils, ne pouvant m'empêcher de me sentir un peu déstabilisée par ses mots.
- C'est vrai que c'est différent, et plus étrange, mais je vois pas...
J'avais un malaise croissant, un vide que je ne savais pas combler. Pourquoi cette sensation d'urgence ? Pourquoi cela semblait-il si important pour Malicia ?
Elle s'arrêta brusquement, pivotant pour me faire face, son expression grave.
- Et j'ai bien peur de te le dire, car le Conseil me l'avait interdit, mais tu as le droit de le savoir après tout, c'est de ta vie que l'on parle.
Ses paroles semblaient peser lourdement dans l'air, chaque syllabe provoquant un écho en moi. Mais à mesure qu'elle parlait, je sentais que mes repères se dissolvaient dans l'incertitude. Ses mots me perdaient davantage, m'enfonçant dans une confusion où même ma propre perception semblait se déformer.
- Malicia tu me fais peur là, dis moi. Qu'est ce que le Conseil me cache ?
murmura la voix de Kora, mais jamais je ne l'avais entendue emplie d'autant de peine et de doute. Il y avait dans son ton une sorte de supplication, une fragilité qu'elle s'efforçait toujours de dissimuler.
Je tournai la tête vers elle, intriguée et inquiète à la fois.
- Que se passe-t-il, Kora ? Puis, me retournant vers la reine des sorciers, je tentai de la presser. Malicia, dites-moi ce que vous vouliez me dévoiler.
Mais avant que la reine puisse répondre, ce fut Kora qui prit la parole. Elle s'avança doucement et saisit mes mains dans les siennes avec une maladresse inhabituelle. Son regard, plus sérieux et vulnérable que jamais, semblait fuir le mien.
- Tu sais que tu as été adoptée, n'est-ce pas ? demanda-t-elle, sa voix tremblante sous un poids qu'elle semblait porter depuis bien trop longtemps.
Je clignai des yeux, surprise par la tournure soudaine de la conversation.
- Oui, répondis-je avec calme, cherchant à comprendre où elle voulait en venir. Ma mère m'a abandonnée alors que j'avais quelques jours à peine, et tu m'as ramenée ici et élevée malgré le refus initial du Conseil. Tu t'es battue pour ça. Je connais cette histoire. Tu as toujours été honnête avec moi sur ce point, et je t'en suis reconnaissante.
Kora hocha doucement la tête, mais il y avait quelque chose d'indéfinissable dans son expression, comme si elle portait un fardeau bien plus grand.
- Oui, mais... commença-t-elle avant que sa voix ne se brise.
Son regard, habituellement si assuré, dévia du mien, et je fis un pas en avant pour combler l'espace entre nous.
- Kora, c'est d'accord. Dis-moi tout, l'encourageai-je, posant ma main sur la sienne dans un geste rassurant.
Mais au moment où ma peau entra en contact avec la sienne, une lueur éclatante jaillit de mon bracelet. Une chaleur intense enveloppa mon poignet, et avant même que je ne puisse réagir, une vision se déploya devant mes yeux.
C'était comme si le monde autour de moi disparaissait, remplacé par des images, des sensations, des souvenirs qui n'étaient pas les miens.
La vision était d'une clarté saisissante, comme si je me tenais là, spectatrice silencieuse d'une scène figée dans le temps. Devant moi se tenait une femme d'une beauté stupéfiante, d'une grâce presque irréelle. Sa chevelure sombre semblait capter et réfléchir la lumière, créant une aura presque divine autour d'elle. Ses traits délicats, empreints de force et de détermination, étaient adoucis par un soupçon de tristesse dans ses yeux.
À ses côtés se trouvait un homme, d'apparence jeune, peut-être dans la vingtaine, partageant la même élégance et noblesse qu'elle. Il tenait dans ses bras une petite fille, emmitouflée dans une couverture fine. L'enfant semblait paisible, ses minuscules mains agrippant instinctivement le tissu.
Le décor bascula soudain, me propulsant dans une forêt dense et sombre. La femme courait à perdre haleine, ses pieds effleurant à peine le sol recouvert de feuilles mortes. Elle jetait des regards rapides derrière elle, son visage marqué par une angoisse palpable. Dans sa main libre brillait une sphère de lumière éclatante, qu'elle lança en arrière d'un geste vif et précis.
Un cri déchirant retentit. Dans l'ombre, je vis une créature monstrueuse, semblable à celles qui nous avaient attaqués la nuit précédente, vaciller sous l'impact de sa magie. Mais l'instant de répit fut court, et la femme accéléra de nouveau sa course, son souffle irrégulier brisant le silence oppressant de la forêt.
Devant elle se dessina l'église de Chérilé, imposante et familière. Ses portes s'ouvrirent brusquement, et une silhouette émergea dans la lumière vacillante. Je reconnus immédiatement Kora, mais c'était une version plus jeune d'elle, peut-être dans la trentaine, le visage encore marqué par une certaine innocence, bien qu'une ombre de gravité planât déjà dans ses yeux.
La femme s'arrêta devant Kora, haletante, le visage mouillé de sueur et de larmes. Elle déposa précipitamment la petite fille dans ses bras, son regard désespéré suppliant une aide silencieuse. Puis, avec une délicatesse infinie, elle retira un collier qu'elle portait autour de son cou. Le pendentif scintillait faiblement, dégageant une chaleur presque apaisante.
Elle le passa doucement autour du cou de l'enfant, ses doigts tremblant légèrement.
- Protègez-la, murmura-t-elle d'une voix brisée, si basse qu'il me fallut tendre l'oreille pour l'entendre.
Kora hocha la tête, son expression fermée mais résolue. La femme recula d'un pas, jetant un dernier regard empreint de tendresse et de regret à la petite fille, avant de disparaître dans l'obscurité, poursuivie par l'ombre menaçante.
La vision s'estompa alors, et je revins brutalement à la réalité, vacillante, le souffle coupé.
- C'était... murmurai-je, incapable de mettre des mots sur ce que je venais de voir.
Lorsque je repris pleinement conscience, mon regard croisa celui de Kora et de Malicia. Leurs expressions étaient un miroir parfait de leurs émotions : Kora semblait à la limite de la défaillance, son visage livide marqué par une profonde peine, tandis que Malicia arborait une expression d'incompréhension mêlée d'une curiosité prudente.
- Tu vois mieux maintenant ? demanda Kora d'une voix empreinte d'une lourdeur émotionnelle, comme si elle savait déjà la réponse.
Je hochai lentement la tête, encore chamboulée par la vision.
- Cette femme que j'ai vue, c'est...
- C'est ta mère, oui, Kally, confirma-t-elle doucement, sa voix tremblant légèrement.
Le poids de ses mots s'abattit sur moi comme une enclume. Ma mère. Cette femme d'une beauté incroyable que j'avais vue dans la vision était donc celle qui m'avait donné la vie. Une chaleur étrange se diffusa en moi, mais elle fut rapidement éclipsée par une multitude de questions sans réponse.
- Tu as 17 ans maintenant, poursuivit-elle, comme pour rappeler une évidence qui semblait prendre un sens nouveau.
- Oui... Et alors ? soufflai-je, toujours dans l'attente d'un point culminant.
Kora inspira profondément, comme pour se donner du courage, puis sortit un objet de sa poche. C'était un pendentif doré, exactement le même que celui de ma vision, avec un cœur délicatement gravé en son centre.
- J'ai promis à ta mère de te donner ceci, dit-elle avec une solennité qui me glaça presque.
Elle tendit l'objet vers moi, et mes doigts tremblants l'effleurèrent avant de le saisir. Dès qu'il entra en contact avec ma peau, une vague de chaleur m'envahit, suivie d'une impulsion presque irrésistible : je voulais l'ouvrir. Non, je devais l'ouvrir.
Mais quelque chose dans l'air me retint. Peut-être était-ce le regard intense de Kora, ou bien la présence imposante de Malicia à mes côtés. Ce n'était pas le moment. Pas ici, pas maintenant.
Je serrai le pendentif dans ma main, le cœur battant à tout rompre, et jetai un coup d'œil à Kora. Elle semblait vaciller, ses épaules affaissées comme si un poids immense venait de la quitter, mais son teint restait aussi pâle qu'une feuille de papier. Elle était à deux doigts de s'effondrer.
- Je ne comptais pas le faire mais vu la situation je crois que c'est plus que nécessaire. Bon anniversaire Kally.
Le pendentif pendait autour de mon cou, son poids étrangement rassurant et oppressant à la fois. Mes doigts glissèrent sur le cœur gravé, tentant de trouver du sens dans les paroles qui s'échangeaient.
- Quelle situation, au juste ? demandai-je enfin, ma voix empreinte d'un mélange d'anxiété et de défi.
Malicia détourna brièvement les yeux vers Kora, comme pour vérifier si elle avait la permission implicite de poursuivre. Puis, avec la fermeté d'une reine habituée à annoncer de sombres vérités, elle prit la parole.
- C'est de ça que je voulais te parler, ma petite Kally, avant que Kora n'intervienne, dit-elle, son ton grave. Carlos s'est évadé de sa prison. Il est libre.
Le souffle me manqua un instant, mais avant que je ne puisse formuler une pensée cohérente, elle ajouta :
- Et il cherche à se venger de la famille Hélios et donc...
- Et donc d'Élira et de tous les gardiens de lumière, terminai-je, mon esprit reconstituant rapidement les pièces du puzzle.
Malicia hocha la tête, ses yeux verts perçants fixant les miens.
- Exactement.Elle marqua une pause, laissant le silence marteler l'ampleur de ses mots avant d'ajouter, Et il viendra te voir, toi, la dernière gardienne de l'ombre.
Un frisson glacial me parcourut.
- Mais...
Les mots moururent dans ma gorge. Je n'avais rien à ajouter, rien à contredire. La réalité était écrasante. Carlos, ce nom, cet être, était une légende noire dans les récits de Kora et dans l'histoire des mages. Un traître. Un destructeur. Un ennemi que tous croyaient à jamais emprisonné.
Le monde semblait soudain plus fragile, comme si sa liberté menaçait de briser un équilibre déjà précaire.
Je croisai le regard de Malicia.
- C'est une catastrophe, murmurai-je finalement, plus pour moi-même.
- Peut-être même le retour d'une guerre, ajoutai-je, ma voix se brisant sur la dernière syllabe.
Malicia s'avança et posa une main réconfortante sur mon épaule, mais cela n'atténua en rien le poids de ses paroles. Le pendentif autour de mon cou semblait brûler, comme une flamme d'ombre prête à s'embraser.
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Et dabadali un secret de plus et d'autre à venir, des mensonges et autres à suivre.
Que vas t-il se passer maintenant ?
Et bah je sais pas enfaite.
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