Épilogue


38 heures plus tard...



Lorsque j'émergeai de ma léthargie, mes yeux s'ouvrirent sur un Jey endormi. Il était inconfortablement installé sur une chaise à côté de moi, la tête et les mains tombantes.

    Mon corps, encore douloureux, reposait sur un lit dur, dans une pièce sobre et claire. Désorientée, je clignai des yeux pour optimiser ma vue et examinai la pièce.

    Je pus distinguer, juste en face de moi, une télévision grisâtre suspendue au mur. Le son était coupé, mais les images d'une chaîne d'information y défilaient continuellement.

    À proximité de Jey se trouvait une fenêtre derrière laquelle le décor n'était composé que d'une immense branche d'arbre, cachant la vue de tout autre paysage. À ma droite demeurait un hideux rideau tiré, d'un orange à vous crever les yeux.

    Mon dernier souvenir datait d'une étreinte dans l'appartement du commandant... puis il y avait eu les ténèbres. Alors où nous trouvions-nous ?

    Je ne parvins à comprendre où j'étais que quand j'inspirai l'air à pleins poumons : ce fut l'odeur caractéristique des hôpitaux qui s'engouffra dans mes narines.

    Tant bien que mal, je réussis à me redresser, non sans gémir. J'avais mal à peu près partout.

    Le bruit qui émana de ma bouche, pourtant si peu audible, modifia soudain la douce respiration régulière de mon soldat, qui se tortilla. Je me maudis en comprenant que j'avais troublé son sommeil.

Doucement, il ouvrit tour à tour ses deux yeux.

    Jey m'observa quelques temps de sa mine attendrissante du réveil, puis entrouvrit la bouche de stupeur avant de bondir sur ses jambes.

    - Hélène ! Tu es réveillée.

    - Oui...

    Était-ce en soi un miracle ?  Pourtant, Jey me dévorait des yeux.

    - J'ai dormi combien de temps ? demandai-je.

    Il jeta un rapide coup d'œil à l'heure qu'affichait la télé.

    - Au moins une journée et demie, je dirais.

    - Une journée et demie ! m'exclamai-je en tentant de me redresser un peu plus.

    Il posa de suite une main sur mon épaule.

    - Hey, doucement... Il vaudrait mieux que tu restes allongée. Le docteur a dit que tu n'avais rien de grave, mais que tu serais faible au réveil.

    - Foutaises !

    Je m'assis au bord du lit. Savoir que j'étais restée si longtemps endormie me donnait tout à coup l'envie de m'échapper de cette salle étroite.

    Jey soupira.

    - Hélène, je t'en prie, je me sens déjà assez mal comme ça...

    Je m'étonnai.

    - Mal ?

    - Oui. Je te rappelle que c'était censé être moi, allongé sur le lit d'hôpital, grinça-t-il. Ce qui s'est passé... Mathilde me l'a raconté, et j'ai même forgé une théorie sur l'Ancien-monde... Mais...

    Il fronça les sourcils, d'une façon intense et sincère, comme s'il avait tiré une autre conclusion.

    - Tu n'aurais pas dû prendre de tels risques... on serait tous les deux morts pour rien.

    Combien de fois avais-je déjà entendu ces derniers    mots ? Quand allait-il comprendre que c'était nous deux ou rien du tout ?

    - "Merci" aurait été suffisant, rétorquai-je.

    Il fixa le sol, vaincu, et un sourire angélique apparut au coin de sa bouche. Jey leva ses prunelles profondes vers moi, les enfonça dans mon âme comme lui seul savait le faire.

    - Merci.

    Je détournai la tête, faussement exaspérée. J'allais lui répondre, quand la télé attira subitement mon attention.

    - Mais... c'est le commandant ! m'écriai-je.

    En effet, il passait sur l'écran une séquence vidéo où marchait vivement le pire des hommes, suivi par un tumulte de journalistes surexcités.

    Jey ne sembla nullement surpris. Je me jetai sur la télé-commande posée sur la table de chevet et montai le son. La voix de la journaliste ne tarda pas à retentir.

    -... procès du commandant Sanfèvre aura donc lieu le 20 novembre. Des soldats préalablement sous ses ordres ont témoigné de leur étonnement, une interview de Yannick Burnel...

    Je me tournai vers Jey, fébrile. Émerveillée.

    - Notre plan a marché ? Mathilde a vraiment tout filmé et a envoyé la vidéo aux journaux télévisés !

    Je n'en revenais pas.

    - Elle l'a aussi posté sur à peu près tous les réseaux sociaux, ajouta Jey.

    Alors toutes ces souffrances n'avaient pas été vaines ; nous avions vraiment réussi.


*


    Le vent soulevait mes cheveux et les faisait flotter en embardées irrégulière et apaisantes. Je contemplais avec sérénité le vaste parc de l'hôpital, et plus particulièrement Rose et Chris qui se promenaient un peu plus loin. La petite avait l'air extrêmement attentive aux paroles de mon frère, qui, lui, affichait une mine discrètement amusée. J'avais été si heureuse de les retrouver... comme si nous nous étions séparés il y a des années.

    Avant d'entamer leur promenade - car Chris avait promis à Rose de lui montrer quelque chose d'extraordinaire -, la petite fée avait tiré ma veste.

    - Hélène, avait-elle dit, j'ai trouvé ça sur un mur, je crois que c'est pour toi.

    Elle m'avait tendu un papier délabré et ri mélodieusement, puis les deux s'en étaient allés pour quelques temps.

    J'aurais aimé les accompagner, mais il m'était pour le moment impossible de tenir plus de dix secondes sur mes jambes sans aide, et je ne souhaitais pas les importuner.

    Quoi qu'il en soit, j'attendis qu'ils se soient assez éloignés et dépliai le présent avec une vive curiosité. Ma réaction se déroula en deux temps : j'eus un moment de choc... puis un rire.

    Ce que je tenais entre mes mains, c'était mon avis de recherche. Il y avait ma tête en noir et blanc, affichée en gros plan, et en dessous, les écritures "criminelle recherchée"... qui avaient été barrées au marqueur.

    Et l'auteur anonyme de cet acte y avait griffonné le mot "héroïne" à la place...

    Une bouffée de reconnaissance m'envahit.

    - Merci, murmurai-je à son impossible intention.

    Quelques secondes plus tard, Jey me rejoignit sur le banc. Il s'assit dessus et posa ses coudes sur ses genoux, observant sûrement, à mon exemple, sa merveilleuse sœur.

    - Alors ? finis-je par demander. Tu comptes me faire part de ta théorie ?

    Il me sourit de ses lèvres pleines et séduisantes, et me prit la main. Comme d'un besoin impérieux, je la serrai.

    - Bon, d'accord...

    Il chercha ses mots quelques temps, se décida enfin à parler.

    - Maria a dit que les mortels n'atteignant pas vingt ans dans l'Ancien-monde ne devenaient pas immortels, avança-t-il avec hésitation. Mais je pense que ce monde nous affecte tout de même. Sans nous donner les pouvoirs volontaires et... contrôlables des habitants, peut-être nous en reste-il... tu vois quoi... des échos ?

    Il renifla.

    - Mais ce n'est qu'une hypothèse.

    Mes yeux pétillèrent, admiratifs.

    D'après lui, nous étions, d'une certaine façon, toujours reliés à ce monde merveilleux ?

    Pour une raison que j'ignorais, cette idée me séduisait. Peut-être que quelque chose me manquait, là-bas... Ou quelqu'un.

    - Une hypothèse tout bonnement brillante !

    Il était vrai que la proposition de Jey se tenait. Elle était même plus que plausible. Ou peut-être, si cela était un écho, était-ce le résonnement de la gratitude des habitants, pour l'issue que nous leur avions apportée ?

    - Tu exagères !

    - Je suis optimiste, lui rappelai-je.

    Nous nous observâmes longuement, alors que je me rappelais que mon "titre" était né au beau milieu d'une forêt d'un autre monde.

    Jey pivota légèrement la tête et se pencha vers moi. Je sentis son souffle s'approcher et me conquérir.

    Et soudain, je perçus, derrière son épaule qui s'était mue, deux silhouettes au loin : un homme et une femme aux aspects familiers, tournés dans notre direction. Mes yeux s'agrandirent.

    L'une d'elle était celle d'un blond au sourire renversant.

    C'est alors que Jey scella ses lèvres délicates aux miennes.

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