Chapitre 9
À ces mots, le plancher - avec nous dessus - avança très vite. Le décor défila à une allure incroyable devant mes yeux. C'était un spectacle enivrant, sûrement ; effrayant, peut-être.
Mais il n'y avait dans ma tête de la place que pour la perplexité. Je ne comprenais même pas ce que je faisais ici. Tout s'était enchaîné si vite...
Nous avancions, encore et encore, pourtant quelque chose me dérangeait. Je ne me sentais pas... à l'aise. Même si au milieu d'un monde aussi farfelu une chose pareille était difficile à affirmer, je voyais qu'il y avait un truc qui n'allait pas. Je ne sentais ni le vent qui s'écrasait sur ma figure, ni le manque d'équilibre qui aurait du survenir.
C'est certainement Maria qui contrôle ça, pensai-je.
Avec un soupir, je choisis de laisser tomber la complexité de la magie, avant qu'une migraine ne se manifeste. D'ailleurs, j'étais toujours à me demander, à l'instar de Léo, pourquoi mes cheveux volaient sans raison apparente.
Laissant de côté ce problème futile, je décidai de me jeter à l'eau.
- Vous me devez des explications, il me semble, finis-je par dire.
- C'est vrai... reconnut l'impératrice. Je suppose que tu veux savoir quelle est cette épreuve du néant ?
- Oui... Enfin, non. Je voulais d'abord éclaircir un certain point.
Maria m'interrogea du regard. Je plantai le mien dedans.
- Qu'avez-vous encore manigancé ?
- Moi ? s'indigna-t-elle, en écarquillant des yeux innocents.
- Vous.
L'immortelle fit une moue boudeuse. J'eus envie de frapper son visage parfait. À la place, je lâchai :
- Vous avez fait en sorte que je sois choisie par les immortels. Cette... cette Juliette, dis-je, c'était votre complice n'est-ce pas ? J'ai bien réfléchi, elle a hésité à vous aider. Et puis je l'ai vue vous lancer un regard oblique... Avouez que tout cela était un coup monté pour que le peuple me choisisse pour l'épreuve !
La femme resta choquée.
- Tu... tu es très observatrice...
Vraiment ? Je retins un sourire.
Dans le but qu'elle ne nie pas si j'avais raison, je lui avais balancé ma théorie comme une vérité. Ruse que vous avez peut-être déjà utilisée vous-même. En tout cas, cela avait marché, et j'en étais assez fière.
J'haussai les sourcils dans l'attente d'une réponse plus claire.
- Tant qu'à faire, avoua-t-elle, je voulais profiter du moment où nous serions seules pour te poser quelques questions...
Je réagis instantanément.
- Ah non ! Ça je ne crois pas ! C'est vous qui avez intérêt à répondre aux miennes !
L'impératrice grimaça.
- Je me doutais que tu allais répondre un truc de ce genre-là. Mais... Léo m'a parlé d'un concept... une question, une réponse, je crois... que tu utilises avec Jey.
- Oh lala, mais c'est hors de question ! Vous rêvez.
La femme à l'aspect de déesse poussa son petit rire cristallin.
- C'est comme tu veux, chantonna-t-elle. Tu n'es pas obligée d'accepter.
Lui sauter à la gorge ? Avec plaisir, si mes pieds n'étaient pas toujours attachés...
Même si je me doutais que la tentative était vaine, j'essayai de me terrer dans le silence.
- Bon, c'est d'accord... maugréai-je, à peine quelques minutes après.
Maria ne prit même pas le temps de savourer sa victoire.
- Que s'est-il passé ? chuchota-t-elle aussitôt. Si ce n'est pas toi, qui a tué ces personnes et pourquoi refuses-tu de le dire ? Quel est ton secret, Hélène ?
Encore ces questions ! Allait-on finir par me lâcher avec ça ?
- Le commandant les a tuées. Je n'ai pas de secret, je cherche juste à protéger mon entourage.
- Moui, tout ça j'avais cru comprendre. Mais enfin, pourquoi toi ? Que s'est-il réellement passé ?
- C'est quoi l'épreuve du néant ? répliquai-je.
L'impératrice soupira. Fort heureusement, elle me livra la réponse.
- Personne ne sait en quoi elle consiste vraiment, excepté que c'est une épreuve courte et dangereuse, passable par les mortels du Nouveau-Monde seulement... (Était-ce là le nom de notre univers ?) Il est dit que celui qui la réussit détient la sapienta, une espèce de parchemin datant de plusieurs millénaires, renfermant le secret pour quitter ce monde maudit. Pas d'entourloupe, Hélène. Une fois que tu l'as, tu me le ramènes, et ce sans le lire... si tu survis. Est-ce que c'est bien compris ? N'oublies pas que je détiens tes amis...
- Bien sûr... Et je suppose que je ne peux pas refuser. Mais, si je peux me permettre, pourquoi vouloir quitter votre monde ? Vous êtes immortels, non ? Ça ne changera rien d'un monde à un autre, rassurez-moi.
- Si, justement, ça changera. Tu n'as pas encore vingt ans, donc tu n'a pas senti le changement s'opérer. Tu vis normalement, pour l'instant, tout comme tes amis et Juliette ; mais restez encore un peu et vos membres se glaceront, et vous arrêterez de vieillir. Le seul moyen réversible, c'est votre monde.
- Je vois... marmonnai-je.
- Pourquoi caches-tu ta beauté ? riposta-t-elle.
- Co... Comment...?
Ses yeux brillèrent de malice.
- Je suis observatrice, ricana-t-elle. Alors ?
- J'ai faim.
- Hélène !
- Non c'est vrai, j'ai vraiment faim ! Vous savez depuis combien de temps je n'ai pas mangé ?
Elle eut un air mal à l'aise, désemparé.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Ce n'est rien... Je ne mange plus depuis mes vingt ans, voilà tout. J'oublie bien trop souvent vos besoins, désolée.
- Oh...
- Ce n'est pas grave, on arrive bientôt, tu vas pouvoir te restaurer.
- On arrive ? Mais où est le néant, exactement ?
Elle leva vers moi ses prunelles accusatrices.
- C'est à toi de répondre...
Elle dut comprendre à mon expression que je ne le ferai jamais. Elle soupira.
- Très bien. Sur la machine que vous avez appelée le détecteur, qui, soit dit en passant, provient d'ici, vous avez pu observer un cycle, celui des saisons. Et au centre... un espace délimité.
- Le néant... murmurai-je.
Maria hocha la tête.
Alors, à cet instant, la vitesse du plancher ralentit peu à peu, puis se figea carrément.
L'impératrice me sourit, mais je ne l'imitai guère, histoire qu'elle ne s'imagine pas que l'on était redevenues "amies". Ce qu'elle avait osé nous faire, et ce qu'elle osait me faire encore maintenant, était révoltant. Peu importe que ce fusse pour la survie de son peuple.
Doucement, les étaux refermés autour de mes pieds se desserrèrent, tandis que nous touchions le sol. Aussitôt, je sautai à terre pour découvrir ce qui m'attendait.
Le sol était de nouveau vert : il avait perdu sa blancheur éclatante. Or s'il n'y avait plus de neige, l'atmosphère restait glaciale. Une modeste maison forestière se tenait devant moi. Très jolie, et très... rassurante. Je ne voyais pas du tout pourquoi j'avais tant eu peur d'affronter cela.
Nous semblions être à la lisière de la forêt...
Oui, c'était bien cela. Je scrutai la maison, au milieu de quelques arbres dispersés, puis regardai derrière moi, où il n'y en avait plus aucun.
Il n'y avait que... Il n'y avait rien, au fait.
Intriguée, je me dirigeai vers l'endroit. Atteignant le rebord, je pus admirer un gouffre noir, profond, et interminable. Gouffre qui s'étendait à perte de vue. Tout à coup, ma peur se justifia un peu plus, et le mot "néant" prit un peu plus de sens.
Maria me tira soudain en arrière.
- Attention, dit-elle.
- Vous avez raison. Ce serait bête que je décide de me suicider, persiflai-je.
- En effet. Attends moi-là, je vais me débrouiller pour faire de quoi manger.
Elle partit, et j'en profitai pour m'asseoir sur le rebord du gouffre. Mes pieds pendirent dans le vide, et cela me donna des frissons. Regarder dans le trou béant me faisait peur, et je le savourai. Pour une fois, ce n'était pas une de ces terreurs insoutenables qui me paralysaient et qui me faisaient suffoquer. Non, je ressentais juste ce petit malaise envahissant, presque agréable. Cette sensation là était la bienvenue. Elle était mon amie.
Quelques minutes défilèrent, quand une odeur embauma mes narines. Je me redressai, reniflai l'air à plein nez. Quel fumet savoureux !
Mon ventre émit un bruit que j'aurais préféré taire.
Sans attendre, je me levai, pour constater que l'odeur venait de la maison : la porte était ouverte, et on pouvait voir derrière les derniers rayons de soleil de la journée qu'une fumée légère en sortait.
Je m'y dirigeai rapidement, pour ne pas dire en courant. J'avais plus faim que jamais.
Quand j'entrai, la première chose que je vis, ce fut Maria, au fourneau. Elle finissait tout juste de cuire ses légumes et sa viande.
- Comment avez-vous fait ? demandai-je dès que je vis les aliments.
- Oh, c'est très simple à cuisiner, m'assura-t-elle. Ça m'étonne que tu ne saches pas le faire !
- Pas ça... bougonnai-je. Je parle de comment vous vous les êtes procurés.
- J'ai mes ressources, affirma-t-elle avec un clin d'œil.
Je ne savais plus quoi dire.
- Vous avez trouvé du gibier, en plein Hiver ? Et trouvé le temps de le préparer ?
Elle ignora ma question et me servit le tout dans une assiette.
- Tu ne réponds pas à mes questions, je ne vois pas pourquoi je répondrai aux tiennes.
- Très bien... dis-je entre mes dents.
La seule raison pour laquelle j'étais encore polie, c'était l'assiette qu'elle ne m'avait pas encore tendue.
Heureusement, elle finit par me la donner, couverts fournis, et je m'empiffrai avec un bonheur incommensurable de cette merveilleuse nourriture. Je dus manquer de m'étouffer une bonne demi-douzaine de fois. (Ce n'était pas un coup monté de Maria, si ?)
En un mot, ce fut délicieux. Mais, inutile de le préciser à l'immortelle, hein !
Pendant tout ce temps, ses yeux inquisiteurs me détaillèrent avec une grande curiosité. Quand, l'estomac bien rempli, j'eus enfin terminé, je me dirigeai jusqu'à l'évier et nettoyai mon assiette. Maria me suivit sans rien dire.
Quand tout fut propre, je la remerciai et lui tendis la vaisselle. Elle la prit entre ses mains sans me lâcher du regard.
Elle allait me déclarer sa flamme, ou quoi ?
- Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogeai-je, agacée.
- Je pense que tu vois les choses de façon toujours trop compliquée.
- Ah oui ?
- Oui.
Elle ouvrit soudain un placard sur sa gauche. Je découvris l'intérieur, totalement blanc. Sur les différentes étagères, différents aliments étaient disposés.
Un frigo...
Je me sentis un peu bête. Avec un soupir, l'impératrice m'emmena ensuite jusqu'à la pièce voisine. Un petit endroit, constitué seulement d'un lit.
- Euhm... On va avoir un problème, annonçai-je, mal à l'aise. Il n'y a qu'un seul lit.
L'immortelle sourit de nouveau.
- Quoi ?
Je percutai.
- Ne me dites pas que vous ne dormez pas non plus !
- Tu as deviné.
- Je rêve...
Si je pouvais me permettre, le fonctionnement de son corps était vraiment bizarre.
L'immortelle sortit enfin de la pièce. J'étais exténuée.
- Dors bien, dit-elle. Demain, c'est le grand jour.
Une vague de colère me parcourut alors. Je lui claquai la porte au nez. Après quoi, je la verrouillai à double tour, histoire que cette folle ne s'y introduise pas pendant la nuit.
Le grand jour... songeai-je à contrecœur. Pour une épreuve courte et dangereuse.
Jey, Rose, Léo... souhaitez-moi bonne chance.
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