Chapitre 8


- Jey, Jey ! sanglotait la petite Rose. Ar... Arthur... pourquoi tu fais çaaa ?

- RENDEZ-LA-MOI ! vociféra Jey.

Maria secoua lentement la tête.

- Non.

- S'il vous plaît ! s'écria-t-il, des trémolos dans la voix.

Mais Rose et Jey n'y gagnèrent que le silence.

- Maria, je ne rigole pas avec vous ! continua le grand frère. Libérez-moi, bon sang !

La femme à l'allure de déesse le toisa d'un air supérieur que je trouvai... mal feint. Malgré l'effort qu'elle faisait pour garder son statut, la peine était terriblement perceptible sous les traits de l'impératrice.
Une peine... composée d'une tristesse et d'une compassion dont elle était victime.

Pourtant, elle ne semblait pas se rendre compte. La situation la dépassait forcément.

Car le savait-elle ? Était-elle au courant ? Que Jey était prêt à tout pour récupérer sa sœur, quoi qu'il en coûte ? Et que nous étions là, avec lui, quoi qu'il arrive, quoi qu'il se passe ! Nous le soutiendrions, et nous nous battrions pour Rose, c'était certain.
Nous ne la laisserons pas faire.

Mais l'immortelle resta muette devant la colère grandissante de Jey.

Et tandis que mon cœur se serrait devant son visage assailli par diverses émotions, formant cette expression suppliciée qui me torturait moi-même, je remarquai que le corps de mon ami était en train de trembler.

- Jey...

J'avais l'envie folle de courir jusqu'à lui et de le serrer dans mes bras, mais pour la même raison que je ne pouvais aller secourir Rose, je ne pouvais venir l'étreindre.

- S'i... S'il vous plaît... murmura-t-il alors. Laissez-la-moi. Tout mais pas elle, s'il vous plaît, pas elle... Pourquoi vous faîtes ça, pourquoi vous me l'enlevez ?

Le ton de sa voix me déchira. Je n'avais jamais rien entendu de tel. Nul sur cette terre n'avait dû ouïr un son plus triste et tourmenté que sa supplication. Cette complainte... ce... ce gémissement.

De toute ma vie, je n'avais connu qu'une seule personne assez cruelle pour ne pas s'en émouvoir du tout.
Et ce n'était sûrement pas Maria.

Un court moment, celle-ci ouvrit la bouche et écarquilla les yeux, en une parfaite expression de surprise. Elle ne s'attendait pas à voir cela, c'était sûr. Le robuste, le puissant Jey, celui qui ne semblait jamais avoir pleuré, qui choisissait la colère plutôt que la tristesse, la suppliait, en cet instant, de lui rendre sa sœur.

Soudain affligée, l'immortelle tendit les mains vers le sol, ferma les yeux, et le plancher frémit soudain. Je me retournai plusieurs fois, apeurée. Que ce passait-il ?

Alors, dans un craquement sonore, je vis Léo, debout, une part du plancher encore sous lui, s'élever.

Quelques secondes après, ce fut mon tour. Le bois qui m'entourait dans un rayon proche se détacha soudainement, et je me retrouvai à la hauteur de Léo. Puis, avec une infinie douceur, Jey lévita aussi.

Sa belle salle des archives, Maria venait de l'anéantir.

Bien fait, songeai-je.

L'impératrice redescendit gracieusement au sol, et marcha avec allure jusqu'à la sortie, nous entraînant avec elle, tel un aimant humain -ou de je ne sais quelle espèce.

Alors que je scrutais le sol à un mètre sous moi, je me rendis soudain compte... J'étais en train de voler.

Le rêve de toute personne, me rappelai-je soudain.

Même si j'étais affolée par la situation, tourmentée par Jey en colère et détruit par une Rose retrouvée à nouveau perdue... Un rictus dut se former au coin de mes lèvres.

En me retournant une dernière fois vers la salle des archives, je constatai qu'Arthur et Rose s'enfonçaient dans les rayons, et que ! Le sol s'était reconstruit de lui-même...

Pffff...

À l'instant où Maria ouvrit la porte, des cris mécontents vinrent agresser mes oreilles. Il semblait y avoir un débat dans la rue. Les gens hurlaient, criaient, vociféraient. À tel point que ça en devenait insupportable.

À quel propos ? Je l'ignorais : toutes s'entremêlaient, ce qui les rendait inintelligibles.

- Silence ! s'égosilla Maria, une fois qu'elle eut posé le pied dehors.

Et le tintamarre s'arrêta avant qu'elle n'eut achevé son mot. Les gens affluèrent autour de nous, et se placèrent devant elle en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire.

- Chers citoyens ! commença l'immortelle. J'ai écouté vos demandes et tenu promesse, en digne gouverneure de ce monde. Voici les trois intrus à l'Ancien-monde : Jey, Hélène et Léo. Vous savez déjà tous qui ils sont.

Des murmures fusèrent aussitôt. Quand Maria ouvrit la bouche, ils stoppèrent net.

- J'ai écouté votre requête, reprit-elle, celle de garder Rose à nos côtés, quoi qu'il en coûte.

La foule qui s'était autrefois canalisée hurla pour approuver ses dires.

- Rose est notre raison de vivre ! rugit une voix.

- Elle fait la joie de notre monde, et nous ne l'abandonnerons pas ! tonna une autre.

Pendant ce laps de temps, l'impératrice nous scruta, en particulier Jey, puis leva la main pour intimer le silence.

- Mais.

Tout le monde, la populace y compris nous, retint son souffle.

- Rose tient à son frère, et aux deux autres personnes ici présentes. Et elle ne sera jamais heureuse sans. J'ai bien peur que sa joie de vivre qui nous est si précieuse ne s'efface sans la présence de ces trois individus. Or, ils comptent la ramener chez eux, ce qui est intolérable.

Tous l'acclamèrent sans se faire prier.

- Relâchons-les ! proposa une voix. Laissons-les avec Rose : de toute façon, personne ne sait comment quitter ce monde !

Pardon ? Personne ne sait comment quitter ce monde ? C'est ce qu'il venait de dire ? Je crois que je devins livide.

- À vrai dire, j'avais une meilleure idée... avança Maria.

Ah oui ? songeai-je, sarcastique.

Elle laissa un silence pour que ses mots les percutent au mieux, puis ajouta :

- Avez-vous donc oublié l'épreuve du néant ?

Aucune réaction ne s'ensuivit, cette fois. Ni murmures, ni cris. Seulement de l'ébahissement.

- C'est une bonne idée, finit par admettre une voix. Mais... il ne sert à rien de mettre leurs trois vies en péril. Il n'en suffit que d'une.

- Hum, en effet, je n'avais pas songé à cela, dit l'impératrice, et je devinai qu'elle jouait la comédie. Alors qui sélectionnerez-vous ? N'oubliez pas, que, malgré la grande importance de cette épreuve pour l'avenir de notre peuple, c'est une vie de mortel que nous mettons en jeu.

Alors, en plein centre de la foule, il y eut un mouvement. Quelqu'un s'avança parmi les immortels. C'était une femme toute menue. Ses cheveux bruns étaient relevés en un chignon magnifique.

Elle se mordait fortement la lèvre inférieure, comme si elle voulait se retenir elle-même de parler. Mais elle finit par ouvrir la bouche.

- Quitte à risquer une vie... raisonna-t-elle, risquons celle de la meurtrière.

Sa remarque fut accueillie par un concert d'approbations.

Avec horreur, je réalisai qu'elle parlait de moi.

Chaque immortel se mit à amplifier le bruit, à gesticuler comme un sauvage. Des personnes livrées à la "monotonie" ? C'était ce qu'avait dit Maria ? Elle allait entendre parler de moi. Enfin, hum... quand je me serai débarrassée de ces étaux à mes chevilles et de cette situation loufoque...

Tout à coup, un homme me rejoignit en courant et sauta sur mon morceau de plancher, qui se tenait à quelques centimètres du sol blanchâtre. Il prit ma main droite et la leva vers le ciel, l'air triomphant. La foule rugit de plus belle. Et j'eus encore plus peur.

- C'est d'accord, alors. Je l'y emmène ! Toi Juliette, dit l'impératrice en désignant la fille au chignon, emmène les garçons au chaud. Veille à ce qu'ils ne manquent de rien, c'est compris ?

- Compris, acquiesça-t-elle.

Maria tendit la main et les bouts de plancher des deux garçons se réduisirent en poussière. Ceux-ci retombèrent maladroitement dans la neige, puis se relevèrent et s'époussetèrent aussitôt.

Alors que Maria se dirigeait vers moi, mes amis accoururent. De nombreux immortels leur barrèrent le passage.

- Laissez-nous passer ! cria Jey.

- Mais, bordel ! hurla mon autre ami. Qu'est-ce que vous comptez lui faire ?

- Juliette vous expliquera tout, répliqua l'impératrice.

Sans attendre, elle monta avec moi sur le bois pendant que l'homme qui était dessus en descendait. Puis nous prîmes de l'altitude. D'un seul coup, je fus soulagée que mes pieds soient si bien attachés.

Tout le monde criait mon nom, s'époumonait à loisir. J'entendais tous ces : "Hélène, Hélène ! Hélène, Hélène !", je voyais toutes les bouches se mouvoir.

Il n'y avait que trois personnes qui restaient figées : Léo, qui me fixait d'un air apeuré, Jey qui me toisait avec inquiétude... et cette Juliette, qui me regardait étrangement.

Elle venait peut-être de réaliser qu'elle s'était méprise en me traitant de meurtrière. En tout cas, je l'espérais.

Alors qu'on avait atteint un bon nombre de mètres, Maria me prit la main, et j'eus un frisson de dégoût.

- En route vers le néant.

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