Chapitre 7


Léo sembla paniquer.

- Hé, on se calme là. Je n'ai jamais revu Rose avant aujourd'hui.

- Mais... protesta la voix à peine audible de la concernée, enfin Léo... tu étais , il y a quelques jours.

- Non, j'étais dans le hangar...

- Ma sœur n'est pas une menteuse, tonna Jey.

- Je n'ai pas dit ça. Peut-être qu'elle me confond avec quelqu'un d'autre ou je ne sais quoi...

- Bien sûr ! rugit-il. Peut-être qu'il y a ici ton sosie avec la même face de clown !

- Puisque je te dis que j'ai rien fait ! hurla l'autre à son tour.

- Calmez-vous, ordonna soudainement Maria.

Elle laissa sa voix cristalline résonner quelques temps ; poursuivit.

- Ceci est un malentendu. Léo est bel et bien venu ici...

Je remarquai Jey, prêt à lui sauter à la gorge.

-... mais ne s'en souvient pas. Nous lui avons effacé la mémoire après l'avoir interrogé.

Cette révélation nous fit tous le même choc.

- Com... comment ça ? bégaya enfin Léo. Je... je suis déjà venu ici ? Et vous m'avez interrogé ?

- Oui, affirma Maria comme si ses dires étaient l'évidence même.

- On peut savoir pourquoi vous avez fait une chose pareille ? voulus-je savoir, furieuse pour mon ami.

- Cela va de soi. Cette manœuvre était... nécessaire. Nous avions besoin de vérifier que vous n'étiez pas dangereux pour notre monde. Nous avons donc fait venir Léo ici à partir du hangar, puis nous l'avons redéposé sur votre chemin, comme il nous l'avait demandé.

- J'ai dit ça, moi ? s'étonna l'intéressé.

- Tu ne voulais pas laisser tomber tes amis, lui apprit Rose.

Si après ça Jey était toujours sceptique, je n'avais plus de doute. Je me frayai un passage pour serrer Léo dans mes bras (j'entendis vaguement le soldat maugréer sa désapprobation).

- Je suis désolée d'avoir douté de toi, dis-je. Je n'aurai pas du : tu es un super ami.

Après avoir tourné la tête vers Jey, il me remercia, et je me dégageai de notre brève étreinte amicale.

Tout le monde se tourna ensuite vers Maria. Nous attendions nos explications. Celle-ci gigota sur son espèce de trône.

- Couvrez-vous, je vous amène dehors. Je répondrai à toutes vos questions, c'est promis.

Aaaah, enfin ! songeai-je.

Sans attendre, Arthur partit nous chercher des vêtements plus chauds. Il revint quelques temps après avec d'épais manteaux en fourrure qu'il nous distribua à chacun.

Je ne sais pas pour les autres, mais le mien m'allait parfaitement. Il était étonnamment léger et très agréable à porter.

Dès qu'on les eut enfilés, Maria ouvrit la porte pour que nous puissions sortir sans avoir à patienter plus longtemps dans la chaleur étouffante de l'intérieur.

Au moment où je franchis le seuil, une rafale de vent s'écrasa sur mon visage. Pourtant, le temps que les autres me rejoignent, je réalisai que je n'avais pas froid. Je caressai la fourrure de mon manteau, profondément reconnaissante pour la chaleur qu'elle m'apportait.

Maria nous entraîna dans le village. À peine avions-nous franchi quelques mètres en son cœur que Léo s'adressa à elle, muni d'un regard intense et rempli de reproches.

- Vous êtes consciente, lança-t-il, que je me suis battu pour regagner la confiance de Jey et que vous avez fait de mes chances... des confettis ?

Elle fixa le sol, releva la tête.

- Je le sais Léo, et j'en suis désolée. Mais je n'avais pas le choix, en tant que Grande Impératrice de l'Ancien-Monde, je me dois de protéger les habitants des rares nouveaux venus.

- Grande Impératrice ... Ça va, vous n'avez pas les chevilles qui gonflent ? ronchonna-t-il.

- Nous t'avons posé beaucoup de questions sur tes compagnons, poursuivit-elle, et nous avons conclu que vous n'étiez pas dangereux pour notre monde. Même si les informations sur Hélène étaient un peu... maigres (elle me lança un regard intrigué), nous comptions sur les épreuves des Grands Mages pour tester vos qualités morales, ainsi qu'en apprendre encore un peu plus sur vous.

- Arrêtez de parler de nous comme si l'on était des chiffres, grommela Jey.

Je crois être la seule qui l'entendit. Rose peut-être aussi, puisqu'il lui tenait la main. En tout cas, Maria ne fit pas de remarque.

- Qui sont les Grands Mages ? demandai-je alors.

L'Impératrice réfléchit quelques temps, continuant sa marche lente dans la neige, tandis que je suivais avec fascination le balancement que subissait sa robe légère à chacun de ses pas.

- Je vous raconterai tout cela quand nous serons arrivés.

- Et on va où ? demandâmes-nous en même temps.

- Aux Archives, nous apprit Arthur.

Je sursautai. Depuis quand nous accompagnait-il celui-là ?

Quelques minutes passées, Maria et Arthur s'arrêtèrent devant un vieil édifice, terne et délabré. Contrairement à toutes les autres habitations qui semblaient faites de matériaux un minimum luxueux, celui-ci était fait de bois.
Personnellement, sa façade extérieure me donnait l'envie de m'enfuir en courant. Malgré cela, Maria nous indiqua l'endroit comme notre destination.

"Les archives" avait précisé Arthur. L'extérieur de l'édifice avait-il un rapport avec la fonction qu'on lui attribuait ? Un endroit ancien qui conservait les secrets du temps passé...

Au moment où je m'apprêtais à y entrer, dernière succédant Arthur, je remarquai que nous avions été suivis. Un véritable cortège de personnes "immortelles", si j'ose les appeler ainsi, s'était arrêté juste derrière nous.

Elles formaient un groupe d'ombres pâles, endormies, semblables à des zombies habillés. Il me sembla, cependant, pouvoir déchiffrer leurs expressions. En me concentrant, je pus y lire le chagrin, la colère, la peur et même le reproche, cela variant entre les individus, et constituant un mélange pour certains. Et ça en devenait effrayant. Je cherchais obstinément une quelconque expression positive, de joie ou pourquoi pas d'espoir, mais les regards étaient tous froids comme la glace. Et chacun des yeux, que ce soit d'hommes, de femmes ou d'enfants étaient ancrés dans les miens.

Alors que j'étais au bord de la panique devant leurs mines motivant mon angoisse, Arthur me tira soudainement à l'intérieur.

Il referma la porte d'une main, sans me lâcher.

- Hey, dit-il, ça va aller. Ils sont justes un peu remontés, mais tu devrais comprendre pourquoi dans quelques instants.

Il desserra sa main de mon bras, fouilla mon regard pour s'assurer que j'allais bien, puis s'en alla rejoindre les autres. Ils s'étaient un peu avancés au milieu de cette salle immense, aux rayons innombrables de livres, vieux papiers et objets étranges ou singuliers qui suscitèrent ma curiosité.

Le plafond était en forme de dôme, et le sol, en plancher, grinçait sous mes pas. À part au centre, où il y avait un cercle métallique de quatre mètres de diamètre. En remarquant que nos compagnons l'avaient déjà atteint, nous accélérâmes un peu la cadence.

Quand nous arrivâmes jusqu'à eux, les garçons m'interrogèrent du regard. Je leur fis signe que je leur expliquerai plus tard. Jey se montra particulièrement insistant, et je levai mes yeux au ciel pour le rassurer.

Maria finit par se racler la gorge.

Les réponses, enfin.

- Avant d'entamer les révélations, je vais vous demander de vous placer en dehors du cercle.

Une fois sa demande exécutée, elle nous dévisagea tour à tour, tout comme l'avait fait autrefois l'homme-corbeau en Automne. Alors, ses pieds s'élevèrent à quelques centimètres, puis à un mètre et demi du sol.

À l'instant où elle se tint à cette improbable hauteur, au centre même de la surface en métal, ses yeux blancs apaisants changèrent soudain de couleur. Ils se firent verts. Puis, la seconde d'après, virèrent au jaune. Enfin, ils furent à la fois jaunes et rouges, puis redevinrent blancs.

C'était assez, comment dire... assez flippant.

Puis l'immortelle se mit à parler de sa voix claire et résonnante :

- Personne ne sait comment fut créé l'Ancien-monde, dit-elle, mais un conte nous dit comment les saisons ont été instaurées.

Alors, autour d'elle, sur le cercle métallique apparurent les quatre saisons. Elles étaient représentées à quatre extrémités distinctes.

- Trois mages aux pouvoirs fabuleux divisèrent notre monde en quatre saisons, qu'ils avaient pu étudier en observant votre monde. Et pour protéger la population des intrus immoraux faisant preuve d'hypocrisie, de lâcheté, d'égoïsme ou de démotivation, ceux-ci créèrent des sortilèges indéfectibles à chaque passage de saison.

Les mages en question se matérialisèrent. Certes, il me fallut un moment pour réaliser que c'étaient bien eux. En effet, alors que je les imaginais vieux et trapus, ces mages étaient terriblement jeunes, et d'une beauté renversante.

- Fascinés par le temps qui leur était inconnu, sauf pour les enfants qui grandissaient jusqu'à l'âge de vingt ans, ils prirent un malin plaisir à respecter le sens du cycle temporel dans la circulation entre les saisons. Car oui, dans ce monde, personne ne vieillit, et il n'y a pas le moindre indice de temps pour se repérer. Même les jours sont artificiels ici.

La phrase "Le cycle du temps n'est pas modulable" vint s'écrire partout sur le sol. Pas seulement sur le cercle, mais aussi sur le plancher.

Sur les murs et le plafond aussi, constatai-je.

« Le cycle du temps n'est pas modulable ! » semblait crier toute la salle.

- Or, quand le temps pour vous s'est arrêté et que la délivrance de la mort n'existe pas, la monotonie devient un fléau destructeur d'âmes.

Sa voix avait cessé d'être sûre. Maria parlait à présent dans un murmure.

- Vous avez besoin d'un espoir qui illumine vos journées, d'un petit elfe souriant. Vous... vous avez besoin de Rose.

Elle leva un regard triste et... qu'était cette autre émotion ? De la culpabilité ?

Sur ce, elle fit un petit signe du menton, et le temps que je détourne la tête j'avais déjà entendu le cri.

Un cri perçant, à vous déchirer l'âme.
Celui de Rose.

Horrifiée, je constatai que celle-ci se débattait dans les bras robustes d'Arthur, et pour une raison qui me troublait, Jey restait planté là, le regard furieux, mais tout à fait immobile.

À l'instant où je bougeai pour tenter de la secourir, des étaux métalliques se refermèrent autour de mes chevilles. Dans quel pétrin nous étions-nous encore fourrés ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top