Chapitre 6

            

J'essayais de penser à autre chose qu'aux dangers que je faisais courir aux deux autres personnes présentes dans la voiture.

    Difficilement.

    Bien que je ne le leur aurais jamais avoué, je m'étais attachée à ces deux garçons, et je supportais mal de mettre constamment leur vie en péril.

    L'anxiété chargeait l'air tandis que nous approchions peu à peu de notre but. Les doigts de Jey tapotaient à un rythme régulier sur son accoudoir. Hormis celui du moteur, c'était le seul son qui venait troubler le silence qui s'était installé depuis notre conversation.

    - On y est bientôt, annonça-t-il, les yeux fixés sur le détecteur. Une heure et on arrive.

    Je m'efforçais de ne pas songer à l'endroit où nous allions débarquer, ainsi que les horreurs que nous allions possiblement voir.

    Rose avait-elle été kidnappée ? Dans quel but ? Et même si l'on parvenait à la retrouver, qui disait qu'elle était vivante ?

    Après tout, Léo nous avait clairement expliqué que l'engin pouvait pister n'importe qui, mais il n'avait pas précisé s'il était nécessaire que la personne soit vivante !... J'imaginai Jey, impuissant, découvrant la mort de sa chère sœur... et fus saisie d'un terrible frisson.

    Pour me distraire, je détaillai la machine qu'il avait entre les mains. Je trouvai soudainement curieux que Léo ait réussi à la voler. Une telle technologie devait être infiniment précieuse. Être capable de repérer une personne, en n'étant muni que de son vêtement, ça relevait carrément...  de la magie !

    Je pouffai quand ce mot traversa mon esprit, et Jey me lança un regard oblique. En retenant un soupir, je priai pour que ce trajet se finisse vite. J'en avais assez de le voir ainsi angoissé.

    À mon avis, Léo aussi, car il se mit à siffloter comme pour détendre l'atmosphère.

    J'étais toujours plongée dans mes pensées quand la voiture s'arrêta.

    Tout à coup, à son instar, le monde parut se figer.
     Il n'y eut plus aucun bruit, aucun mouvement, aucun souffle.

    Quatre secondes.

    Ce fut le temps que l'on mit à se dévisager, avant de jaillir hors de la voiture. L'empressement qui me dominait me rendit un peu maladroite, et je manquai de trébucher en sortant. Je me rattrapai au dernier moment et parvins à ne pas tomber. Je refermai ensuite la portière, trop heureuse que personne ne fut témoin de ma maladresse.

    En levant la tête, je découvris aussitôt où nous avions fait escale.

    Le colza grouillait sous mes pieds et s'étendait à perte de vue en des champs lointains. Et parmi ce jaune infatigable qui s'étalait à l'horizon, je ne distinguais rien, hormis ce vieux hangar, planté juste devant nous.

    Cet endroit était si étrange, et si peu rassurant, que je me pinçai discrètement le bras pour vérifier que je ne rêvais pas. Une légère douleur me convint de la réalité.

    Je m'approchai alors instinctivement de mes compagnons. J'étais à gauche, à côté de Jey, Léo à sa droite. À trois, on se dressait sur cet endroit improbable et terrifiant.

    Quelque chose me toucha la main, mais je ne sursautai pas. C'était un geste calme, tellement doux. Sa main se referma sur la mienne. Je la serrai, et mon cœur tambourina dans ma poitrine.

    - Ça va aller, me dit silencieusement le regard brûlant de Jey.

    En affichant un sourire encourageant, j'esquissai un pas. Les autres m'imitèrent, et nous entrâmes dans cet endroit lugubre.

    J'étais plus que consciente de notre témérité, de notre stupidité inimitable. On risquait gros, peut-être pour rien. Mais je n'étais pas une froussarde, et s'il y avait la moindre chance de réanimer la lueur manquante dans les yeux de Jey, alors je n'hésitais pas une seconde.

    La porte était entrouverte, je la poussai.

    L'intérieur était si sombre !

    Je plaçai prudemment un pied devant l'autre et un froid épouvantable me dévora jusqu'aux os. Même s'il y avait du soleil, pour une raison qui m'échappait, sa lumière n'éclairait l'intérieur qu'à un ou deux mètres.

    Sans attendre, Léo tourna Jey et piocha trois lampes torches dans son sac. Après quoi il le referma, puis nous en tendit une à chacun. Nous les allumâmes presque simultanément et nous avançâmes un peu plus.

    Ne voyant personne surgir, éventuellement alerté par les lumières, nous prîmes notre courage à deux mains et nous nous dirigeâmes au cœur des ténèbres.

    On explora le centre, puis les murs, enfin chaque recoin.

    Malheureusement, en fouillant tout l'endroit, nous constatâmes qu'il était totalement désert. La peur, qu'on avait ressentie jusqu'alors, se mua lentement en panique.

    Surtout pour Jey. Des questions me tourmentèrent aussitôt.
     Avait-on fait tout ce chemin pour rien ? Tous nos efforts pour retrouver Rose avaient-ils été vains ? Et surtout, me demandai-je en me pétrifiant : n'avait-t-on pas bercé Jey d'espoirs inutiles ?

    Au bout d'une heure de recherche dans l'endroit vide, Léo fut le premier à se décourager. Il sortit tristement dehors, me laissant, moi, avec un Jey fou de désespoir. Il cherchait frénétiquement dans tous les recoins, encore, encore et encore. Je tentai de le raisonner.

    - Jey...

    Il tourna vivement la tête vers moi, comme suspendu à mes paroles.

    - Jey, je suis vraiment désolée.

    - Non, répondit simplement celui-ci.

    - Jey...

    - On n'a juste pas cherché au bon endroit. On va la trouver.

    - Mais...

    - Je ne partirai pas sans Rose. Je suis venu ici pour la ramener. Alors je la ramènerai, affirma-t-il avec une détermination à couper le souffle.

    Frappée, je lui répondis instinctivement :

    - Et je te suivrai partout, jusqu'à ce qu'elle soit à tes côtés.

    Tout à coup, le sol se mit à gronder.

    - Qu'est-ce qui se passe ?

    Je basculai et tombai à terre quand le plancher se déroba sous mes pieds. Je n'en revenais pas. Le sol était bel et bien en train de se mouvoir. Je résistai à l'envie de me pincer de nouveau. Doucement, le plancher commença à tourner, puis d'un seul coup, beaucoup, beaucoup plus vite.

    Je regardais Jey, dépassée. Lui aussi était par terre, et l'effroi se lisait sans difficulté sur son visage. La pièce tournait tellement vite à présent que je fermai les yeux.

    J'oubliai tout.

    Pourquoi j'étais ici, dans quel but. À cet instant précis, j'aurais été incapable de vous dire mon nom, si on me l'avait demandé.

    Tout ce dont j'étais consciente, c'était de la salle qui tournait et du cri assourdissant que je poussais. C'était normal, non ? C'était ce que l'on faisait lorsque l'on était sur le point de mourir dans d'atroces souffrances ?

    Si c'était la fin, je voulais le voir une dernière fois. J'aurais aimé qu'il sourît, mais c'était déjà ça.

Au prix d'un effort considérable, j'entrouvris les yeux... et constatai qu'on ne tournait plus. Mon ami finit par les ouvrir lui aussi, et j'eus l'impression de voir mon reflet dans sa mine effarée et terrifiée. Détachant mon regard du sien, j'observai les alentours, ahurie, et me rendis compte qu'on n'était plus du tout dans ce vieux hangar.

    - Ce n'est pas possible, déclara Jey, mettant à haute voix mes pensées.

    En effet, ça ne l'était pas.

    Car, comment pouvait-il être possible que l'on fût à ce moment même en plein milieu d'une forêt ?

    Je me redressai et me mis debout. D'impressionnants arbres nous entouraient. Il y avait un panneau en bois planté dans le sol. Il était vieux, et les lettres qui y étaient inscrites étaient difficilement lisibles. Je réussis tout de même à déchiffrer :


« Bienvenue dans l'Ancien-monde,
Votre détermination vous a permis de franchir la première épreuve. »

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