Chapitre 4

- Comment ça se fait que tes cheveux volent ? me demanda Léo, alors qu'on avait bien entamé la marche.

- Comme si je le savais !

- Hum... fit-il en plissant les yeux. Et avec cette histoire de temps étrange, tu crois que Rose a attendu ici plus longtemps que prévu ?

J'entendis Jey grogner. Il tenait le détecteur à la main, couvant des yeux les kilomètres le séparant de sa sœur.

Fusillant mon ami du regard, je lui répondis en détachant chaque syllabe :

- On. N'en. Sait. Rien.

- Mais ça serait logique.

- Léo ?

- Oui ?

- La ferme.

- Ha ! s'exclama-t-il, bien trop joyeusement à mon goût.

Je retins un profond soupir : ce gars m'exaspérait. Au moins, à long terme, sa bonne humeur semblait conta-gieuse.

Soudain, je perçus un bruit dans le silence environnant. Je me figeai lorsque j'associai ce son à celui d'une arme que l'on charge. Un terrible frisson d'effroi me parcourut, mon souffle se retint brusquement.

- On ne bouge plus, intima une voix masculine derrière moi.

Je me raidis et levai les mains en l'air, signe que je n'opposerai pas de résistance, et me retournai lentement pour toiser notre agresseur.

Un homme vêtu de noir - mauvais signe... - braquait son arme sur moi. Il avait des traits vraiment banals, une expression étrangement sereine.

- Éloignez-vous d'elle, ordonna-t-il ensuite aux garçons.

Désarçonnés, ceux-ci s'entre-regardèrent. Puis ils sem-blèrent entendus.

En signe de réponse, Jey vint se placer juste devant moi, tandis que Léo lui dévoila sa langue.

Quels imbéciles !

Là, j'avais presque envie de les tuer moi-même. Presque...

Le sang battait avec violence à mes tempes, mon souffle retenu se fit haletant. Je pris alors conscience que mes deux amis ici présents étaient vraiment prêts à mourir avec moi. Pour moi.

Mais ça n'avait pas lieu d'être, et je ne le permettrai pas.

L'homme eut un sourire cruel. Sans qu'ils aient eu besoin de son signal, des dizaines de personnes sombres surgirent à l'unisson.

Certaines de derrière les troncs imposants des arbres, d'autres en hauteur, sur les branches les plus solides. Toutes pointaient leur arme sur moi. Des viseurs rouges ne tardèrent pas à apparaître sur mon corps.

- Ai-je besoin de répéter ?

Ne notant pas de réaction, l'homme poursuivit, toisant Jey :

- Toi, bouge. Si j'ai besoin de te descendre pour la tuer je n'hésiterai pas. Ce serait dommage de mourir aussi bêtement, railla-t-il.

Toujours pas de réaction.

- Jey ? Fait ce qu'il dit.

Il fit mine de réfléchir.

- Hum ? En quel honneur ?

Je me tournai vers Léo, suppliante. Cause perdue : celui-ci m'ignora et tenta de raisonner l'agresseur.

- Calme-toi, mec, on...

- Je suis parfaitement calme, rétorqua l'homme.

Chose qu'on ne pouvait nier. Son calme était à glacer le sang. Voilà sûrement pourquoi j'entendis l'autre grincer des dents. (Malgré tout mon effroi, je remarquai que l'homme était la première personne que j'avais vu clouer le bec à Léo...)

- Mais elle est innocente ! vociféra soudainement Jey, sa voix puissante déchirant la seconde de silence.

J'ignorais d'où il tenait cette certitude.

- Je m'en fiche. J'ai des ordres à respecter, répliqua froidement l'être serein. Je vais compter jusqu'à dix. (Il n'attendit pas de réponse et enchaîna :) Un...

- Bouge de là, Jey ! aboyai-je, mortifiée à l'idée qu'il puisse mourir dans dix secondes.

Il n'en fit rien.

- Deux... Trois...

- Arrête ça, siffla-t-il plutôt d'un ton méprisant.

- Quatre... Cinq... continua l'homme, plantant ses prunelles impitoyables dans celles de Jey.

- Jey, mon pote, tu devrais peut-être... suggéra Léo.

- Six... Sept...

- Dégage ! rugis-je.

- Écoutez-moi... s'obstina Jey.

- Huit...

-... vous êtes sur le point de tuer une innocente !

- Neuf...

- STOP !

Je le poussai de toutes mes forces, ce qui signifiait, hélas, même avec ma poussée d'adrénaline, de quelques centimètres. L'homme poussa un faux soupir.

- Dix.

Là dessus, je sentis quelque chose me plaquer au sol, puis une détonation explosa à mes oreilles.

J'ouvris mes yeux, que j'avais instinctivement fermés, et découvris Jey, penché sur moi, les yeux écarquillés de terreur. Soudain, je compris qu'il avait utilisé son corps pour protéger le mien. J'étouffai un cri.

- Jey ! Tu es blessé ?

Il était si proche de moi que je pouvais sentir son souffle sur ma joue, haletant.

Sans me répondre, l'ancien soldat tata mon ventre, examina mes jambes et vérifia mes bras très rapidement, d'une façon experte mais paniquée.

J'agrippai mes mains à ses avants bras. Geste qui le stoppa immédiatement dans sa manœuvre. Il n'avait pas l'air blessé, je voulais tout de même m'en assurer.

- Tu vas bien ? chuchotai-je.

Il n'eut pas l'occasion de me répondre. Car à l'instant où il ouvrit la bouche, notre agresseur plaça son arme sur sa tempe.

- Toi, je t'ai prévenu, susurra-t-il, agacé. Je n'ai aucun scrupule à te tuer. Mais dans mon immense bonté, je t'ac-corde une dernière chance.

Le corps du soldat se raidit, et je devinai son intention de bondir sur l'homme.

Lui aussi, apparemment...

- Ttt-tt, fit-il. Tu vois mes hommes sur les côtés ? Si tu fais un seul geste offensif, ils vous tuent tous. Y compris l'autre débile, là.

Je sentais son corps brûlant plaqué contre le mien. Alors, Jey, cet homme si protecteur et téméraire, me dévora de ses yeux tristes.

Il semblait comme résigné et acceptait son sort.

Acceptait son sort ? Non, non, non, non, non.... Ça ne se passerait pas comme ça !

Je rassemblai toute ma volonté pour lui lancer un regard glacial.

Il y répondit par un petit rire moqueur.

J'abandonnai alors cette pitoyable tactique et en choisis une autre.

- S'il te plaît, je t'en supplie... Tu m'as déjà sauvé la vie tant de fois... À quoi te sert de commettre cet acte... débile ?

J'avais parlé d'une façon rapide, implorante, paniquée. Il y eut deux secondes de silence, et je crus que l'homme allait enfin tirer.

- Si cet homme te tue, je veux qu'il me tue avec, mur-mura-t-il. Il croit dur comme fer que tu es une meurtrière, et que son acte est justifié. Mais il n'a rien contre moi, et je suis innocent. Il a beau dire qu'il n'aura pas de scrupule à me tuer... c'est faux ! On est tous hantés par nos choix dans ce métier. Sinon il aurait déjà à nouveau appuyé sur la détente.

L'homme grogna et chargea son arme. Jey l'avait provoqué.

- Mais... Mais... bredouillai-je, désarmée.

Je recommençais à pleurer comme une idiote. Comment avaient-ils réussi à me retrouver ?

- S'il te plaît ! l'implorai-je encore. Bouge !

Je pressai violemment mon poing sur son torse, de toutes mes forces. Cela sembla à peine l'effleurer.
Il n'ajouta pas un mot à ce qu'il avait dit précédemment et nous releva, se plaçant entre l'homme et moi. Celui-ci nous fixa deux secondes et secoua la tête. Puis, il leva sa paume en l'air, et serra le poing. Il était trop tard.

- Feu ! cria-t-il.

Cette fois, une centaine de coups de feu jaillirent. S'en était fini.

Trois cris se firent entendre au milieu des coups de feu. Puis le calme revint.



La douleur. Je la guettais depuis plusieurs instants, pourtant elle ne vint pas.

Et j'étais toujours là. Je toisai Jey et Léo et fus soulagée – bien qu'étonnée – de constater qu'ils étaient effectivement indemnes eux aussi. Les lasers rouges avaient disparu.

Mais qu'est-ce qui se passe à la fin ?

Hébétée, je me retournai vers l'homme. Je frémis quand ses yeux devinrent jaunes et rouges. Tout à coup, cette personne qui avait semblé vouloir me tuer, m'apparut soudainement comme... chaleureuse. Incroyable.

Il nous fixa tour à tour intensément, puis d'une seconde à l'autre, s'évanouit au sol et disparut.
Non, attendez !

Un corbeau s'envola à mi-hauteur et nous fixa de la même chaleur déroutante, et ses petits yeux, sensés être noirs, brillaient d'un éclat pareil à ceux de l'homme.

- Courrrage ! croassa-t-il.

Sur ce, il battit de ses ailes noires et s'envola adroitement, bientôt suivi d'une horde entière de son espèce, jaillissant des arbres et répétant comme un cri de guerre :

- Courrrage ! Courrrage ! Courrrage !

Je toisai la nuée sombre qui s'enfuyait à travers le ciel, les croassements de moins en moins audibles, et le décor autour de moi se métamorphosa.

Les arbres se dénudèrent, abandonnant leur toison verte, et le sol se tapit de feuilles rouges et jaunes, rappelant les prunelles du corbeau merveilleux. L'air se fit froid, et j'en frissonnai.
Je refermai ma bouche, restée bée pendant tout ce temps.

- On est en vie ! constata tout à coup Léo.

Il partit d'un rire tonitruant. Il courut vers moi, pris mes mains et sauta sur place comme un enfant le matin de Noël.

Je le suivis, bien que je fusse déroutée, et nous nous retrouvâmes tous les deux à faire des bonds de sauterelles.

Jey nous rejoignit, examina Léo, plongea son regard dans le mien, soulagé. Je m'arrêtai de sautiller.

- Ce que tu as fait était totalement absurde, lui reprochai-je. On serait morts tous les deux, sans aucune utilité pour personne.

- Ça faisait partie de l'épreuve.

Je haussai les sourcils.

Une épreuve... Peut-être. Sûrement.

- Tu le savais ?

Sans que je puisse expliquer pourquoi, cette perspective me décevait.

- Non, admit-il.

- Tu aurais pu mourir, m'obstinai-je alors.

Il m'adressa un sourire condescendant.

- Puisque ton optimisme semble définitivement mort, je vais te rappeler quelque chose.

Il écarta les bras, désignant tout autour de lui.

- On est parvenus en Automne.

Léo rigola, et je ne réussis pas à retenir mon sourire.

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