Chapitre 4
Dès le lendemain, Jey me réveilla tôt. Il avait l'air tendu, tout en étant pour le moins déterminé. Je me posais beaucoup de questions sur la nature de notre "voyage", mais n'en soufflai pas mot. Jey paraissait bien trop préoccupé pour me répondre. Léo, lui, avait l'air bien heureux de cette expédition, à croire qu'il l'attendait depuis longtemps.
- On doit aller vers le sud-ouest, nous apprit le soldat tandis qu'il enfilait adroitement son manteau, puis enfin son sac à dos.
Malgré moi, je sentis l'adrénaline monter et s'insinuer dans tout mon corps. Encore une aventure pour ma vie compliquée !
- C'est moi qui garde le détecteur, ajouta-t-il en lançant un regard méfiant à son soi-disant ami.
Celui-ci haussa les épaules et me lança un regard amusé. Je me retins de rire, même si à la place de Jey, j'aurais déjà fait une crise de nerfs devant l'attitude de Léo.
Je m'aperçus de l'allure bien étrange de notre trio. Entre moi et mes secrets, l'humeur changeante de Léo, qui passait de la maturité à la gaminerie et... lui. Cet homme. Celui qui m'avait sauvé la vie en le payant très cher, et si déterminé à retrouver sa sœur ! Je l'admirais. Pendant tout ce temps, c'était ça qu'il m'avait fallu : ce courage, cette force... cette puissance inébranlable. Mais il y avait autre chose. Une chose étrange, quant à sa présence à la fois trop brute et trop douce, qui me rendait sceptique.
Jey me tira de mes pensées en me tendant un sweat à capuche. J'étais sur le point de lui demander pourquoi, quand je me rappelai soudain que ma tête était mise à prix. Aïe ! Si je me mettais à oublier ce genre de détails - détails, hum ! - je ne ferai plus long feu. Je le remerciai d'un signe de tête, soucieuse de briser le silence qui n'était depuis ce matin qu'interrompu par ses instructions. Quand je l'enfilai, je remarquai qu'il était imprégné d'une odeur familière... son odeur. (Je voudrais bien vous la décrire, or je ne peux pas. Elle avait pour moi une constance trop particulière, presque inimitable.)
Enfin parés, Léo et moi sortîmes de la maison, que Jey verrouilla. Une fois dehors, nous suivîmes Léo comme prévu. Il était censé nous conduire à sa voiture qu'il avait garée non loin d'ici. Le comique blond nous emmena dans plusieurs petites ruelles, souvent lugubres et effrayantes, mais je le suivis sans protester, Jey sur mes talons.
N'y tenant plus, je ralentis le pas pour me placer au côté de celui-ci. Je le questionnai :
- Parle-moi de ta sœur ?
Il émit un faible sourire, les yeux pétillants à son évocation.
- Que veux-tu savoir, la fille aux secrets ?
Ignorant sa pique, je poursuivis :
- Comment était... comment est-elle ? Quel âge elle a ? Comment elle s'appelle ?
- On se lance dans une expédition pour retrouver ma sœur disparue, et c'est ça que tu veux savoir ? Comment elle s'appelle ?
- Oui ? fis-je.
Il secoua la tête.
- Elle s'appelle Rose, elle va avoir neuf ans... et elle est extraordinaire. Tout le temps souriante, épanouie, si... gentille !
C'était une des rares fois où je voyais Jey sourire. Mais sa bouche retomba d'un seul coup quand il murmura :
- Et si fragile...
Je fis mine de ne pas le remarquer. Ni ça, ni ses poings contractés qui tremblaient de fureur.
Léo choisit ce moment pour se retourner et nous dire d'avancer. Je ne sus pourquoi, mais en observant Jey, il choisit plutôt d'accentuer son allure, à lui.
- Je suis désolée, dis-je sincèrement. On va la retrouver.
Il produit une espèce de grognement mais se détendit tout de même. Encore cinq minutes de marche et nous atteignîmes notre but.
- Tin-din ! dit Léo en nous dévoilant sa voiture, bras écartés, sourire aux lèvres. Voilà ma bonne vieille bagnole, nous assura-t-il, tapotant le capot.
Vieille, oui, en effet. La voiture était d'un gris sale, si délabrée que je me demandais comment elle tenait encore debout. Je n'en connaissais même pas le logo. Jey et moi échangeâmes un regard.
- Le côté positif, c'est qu'on ne se fera pas remarquer, grommela-t-il.
- Je te signale que c'est une voiture, déjà. Après, si tu veux faire le chemin à pieds...
- Ça ira, assurai-je en montant à l'arrière.
Léo monta côté conducteur, tandis que Jey me rejoignit à l'arrière.
- Tu ne vas pas devant ? lui suggérai-je.
- Ça va aller, rétorqua-t-il en scrutant Léo comme s'il n'avait pas décidé s'il allait l'égorger ou non.
Je commençai alors à me poser des questions sur leurs différents.
La route se passa sans encombre. Nous nous arrêtâmes quelques fois pour acheter des sandwiches, mais jamais très longtemps : Jey voulait que ce voyage se finisse au plus vite. Quand la nuit tomba, Léo poussa un gros bâillement sonore.
- On va devoir se trouver un logement pour la nuit. Je ne suis pas Superman. O.K. pour conduire, mais j'ai le droit à une nuit de repos.
Voyant que Jey ne répondait pas, je lui certifiai :
- Bien sûr. Ça va de soi.
- Il n'y en a pas beaucoup par ici, mais il me semble avoir vu une auberge. Ça ira ?
- Certainement.
Je lançai un regard interrogateur à Jey. Il hocha la tête.
- C'est parti ! lança Léo.
Il se gara devant et nous sortîmes tous dans la nuit humide et sombre. Même dans l'obscurité, l'auberge n'avait pas l'air fameux. Une pancarte à demi accrochée au devant de celle-ci indiquait : « Chez Lili et Joe ».
Je m'apprêtais à franchir le seuil, quand Jey me stoppa. Il m'enfila d'un mouvement rapide ma capuche, sans émettre un son.
(J'étais bien contente de l'avoir quand le rouge me monta soudainement aux joues : quelle idiote j'étais !)
Ensuite, il m'enlaça d'un bras, sa carrure imposante cachant ma silhouette, et nous entrâmes. À l'intérieur, une demi-douzaine d'hommes attablés, ayant chacun un grand verre de bière à la main, parlaient bruyamment. Léo s'était déjà glissé jusqu'au comptoir.
- Trois chambres s'il vous plaît, demanda-t-il poliment.
La dame mal fringuée qui se trouvait derrière hocha la tête après un sourire séducteur. Je me pinçai les lèvres pour ne pas rire. Il devait avoir légèrement moins de vingt ans, la femme, largement plus de trente cinq. Celle-ci nous tendit deux clés qu'elle glissa sur le comptoir.
- Je vais chercher la troisième, assura-t-elle avant de s'éclipser.
Quelqu'un me tapota dans le dos. Je me retournai, surprise.
- Salut, beauté ! me lança un gars barbu qui, je m'en doutais, avait trop bu (l'haleine nauséabonde m'avait mise sur la piste).
Je ne savais trop que faire, je me détournai donc vivement en direction du comptoir - maudite beauté ! L'homme, n'appréciant sûrement pas l'indifférence dont je venais de faire preuve, tira sur ma capuche et me retourna. Découvrant mon visage, ses yeux fous brillèrent d'excitation. Un frisson me parcourut, tandis qu'il souriait, laissant soudain paraître de méchantes dents jaunâtres (celles qui restaient).
- Ça te dirait...
- Non merci ! couinai-je.
Il fronça les sourcils, ne sachant pas vraiment comment prendre ma réponse surprenante face à son charme apollinien.
Il tendit la main vers moi, mais Jey l'arrêta.
- Elle a dit non, grogna-t-il.
L'homme baissa son bras et Jey lâcha prise. Là, le lâche en profita pour lui asséner un coup de poing dans la poitrine. Jey le stoppa adroitement et le lui rendit (un peu plus fort, je présumais). Titubant, il s'avança tout de même vers moi.
- Tu es sûre que tu ne veux pas...
- TU NE LA TOUCHES PAS ! s'écria-t-il, fou de rage. Ou je te défonce le crâne !
Vaincu, le barbu retourna s'asseoir. Je m'aperçus alors que tout le monde nous observait, en particulier un des hommes attablés, qui me détaillait avec stupeur. Je ne compris pas tout de suite. Il fallut qu'il fasse des murmures pressés aux autres hommes et qu'il montre d'un signe une affiche dans un coin du mur. J'y jetai un coup d'œil moi aussi et... me vis moi, en noir et blanc. C'était mon avis de recherche. Mon sang ne fit qu'un tour.
- On décampe, murmurai-je à Jey en attirant d'un signe de tête son attention sur l'affiche.
Déjà, un des hommes s'était levé, et les autres n'allaient pas tarder à l'imiter.
- Léo ? fit Jey.
- Oui oui, attends, je prends la dernière clé.
-Léo ? le ton plus prévenant.
Celui-ci détourna à peine la tête. Tous les hommes étaient debout à présent.
- Léo, on se casse ! s'écria-t-il en nous prenant tout les deux par le bras tandis que la bande d'hommes se lançaient à notre poursuite.
Nous détalâmes et Jey ne nous lâcha que lorsque l'on fut arrivés jusqu'à la voiture, pour nous permettre de monter. Je m'y glissai et claquai la portière derrière moi. Nous nous étions à peine engouffrés à l'intérieur qu'un Léo paniqué se mit à chercher fébrilement la clé. Alors, la portière s'ouvrit brutalement et un cri d'effroi s'échappa de ma gorge. Un homme à l'allure de motard, coiffé d'un bandana noir, me tirait par le pied. Je reculai vers Jey qui m'attrapa et me maintins contre lui. Le moteur gronda.
- Démaaaarre ! hurlai-je.
Le motard était à présent à moitié entré dans la voiture. Je lui plaçai un coup de pied violent contre la mâchoire et son crâne vint percuter brutalement le plafond de la voiture. Par chance, ce fut à ce moment qu'elle partit en trombe, et l'homme bascula à l'extérieur.
On s'éloignait déjà. Le souffle court, je tremblais de partout rien qu'en imaginant ce qu'ils auraient fait en m'attrapant. Le calme était revenu, on n'entendait plus que le moteur bruyant de la vieille. À contrecœur, je m'extirpai des bras de Jey pour fermer la portière, mais je revins tout de même m'y blottir. J'avais l'impression de profiter de sa gentillesse, en lui imposant de m'apaiser ainsi, mais le fait est que j'en avais besoin, et que je n'étais pas aussi intègre que lui.
Voyant qu'il ne disait rien, je murmurai, consciente de ne pouvoir parler à haute voix sans trembler :
- Merci... je suis si désolée de vous causer tous ces problèmes.
Il me tourna vers lui, et, surprise, j'essuyai la larme dont je venais de prendre conscience. Il m'adressa un demi-sourire.
- Ne t'inquiète pas pour ça... m'assura-t-il sur le même ton. Les problèmes, on se les attire tous seuls, même sans toi.
Il me serra un peu contre lui pour tenter de faire cesser mes tremblements. Quelques minutes après, je m'endormis plus paisiblement.
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