Chapitre 2
Cet endroit était terriblement déroutant, avec ses doucereuses odeurs florales, son obscurité effrayante, mais son climat apaisant.
Tout aussi étonnant que les feuilles des arbres étaient vertes, et les fleurs diverses en cette saison d'automne, on trouvait facilement des baies dans les alentours.
Donc, sans compter les provisions que contenaient nos sacs à dos, nous n'avions aucun mal à nous nourrir. Il faisait agréablement chaud et seule la nuit était un peu frisquette.
La veille, nous avions parcouru un maximum de distance, jusqu'à la tombée de la nuit, épuisés. Hélas, je présumais que nous avions encore pas mal de terrain à couvrir.
Je me réveillais pour affronter mon deuxième jour dans ce fascinant Ancien-monde...
- Salut ! fit une voix.
Je souris. Jey. J'étais bien heureuse de ne pas m'être retrouvée seule ici.
- Salut, dis-je d'une voix enrouée. Bien dormi ?
- Tu te rappelles quand tu as dis que j'étais pessimiste ?
- Hum.
- Ouais, eh bien ! Je préfère poser la question à ton éternel optimisme !
- Eh bien j'ai très bien dormi, merci.
Il s'esclaffa.
- Devine ce que j'ai trouvé ?
Il sortit de son sac un tissu rempli de fruits roses.
- Des framboises ! m'exclamai-je. J'adore ça !
- Je sais.
Je fronçai les sourcils.
- Comment ?
- Tu l'as dit, affirma-t-il, avec un sourire.
C'était probable. N'empêche que je ne m'en souvenais pas. Ce garçon avait une sacrée mémoire ! Il s'installa à côté de moi et me tendit les fruits.
- Le petit déjeuner est servi.
Nous dégustâmes notre délicieux repas, et je pus savourer quelques temps le sucre et l'acide si caractéristi-ques des framboises.
Cependant, une fois qu'elles furent englouties, nous nous mîmes en route sans attendre. Je me retins sans cesse de ronchonner à cause des courbatures de la veille. Jey lui, avançait d'un pas sûr et rapide.
Malgré mon aptitude à marcher longtemps, je me fatiguai vite.
Je lui demandai de ralentir le pas, ce qu'il fit... avant de progressivement retrouver son allure précédente.
- Jey... le suppliai-je.
- Oh, pardon ! J'avais oublié.
C'est étrange comme ses excuses étaient sincères.
- C'est rien.
Il se plaça à mon côté et nous poursuivîmes, sans nous écarter du chemin, notre interminable voyage.
Je souris quand des oiseaux chantèrent en cœur, amoindrissant la frayeur que me procurait cet endroit incroyable.
Nous marchâmes quasiment toute la journée et à l'heure où le soleil menaçait de se coucher, à l'heure ou nous allions faire halte pour nous reposer, Jey me tira soudainement le bras, me forçant à me tourner.
- Là-bas, regarde ! On dirait une clairière !
Il avait raison. Pas très loin de nous, je pus voir une étendue verte et plate. Sauf que contrairement à notre forêt obscure, elle était claire et inondée de soleil.
Cela lui donnait un aspect... irréel.
Comme la fois précédente, nous courûmes vers ce paysage merveilleux.
J'allai continuer et le franchir, quand Jey me retint.
- Attends.
Il plaqua sa main contre la paroi que je n'avais pas vue. Ses doigts tapotèrent contre la vitre.
- On est toujours piégés, constata-t-il.
Un sentiment de déception me parcourut. Mais avant que le désespoir n'ait pu avoir son mot à dire, une lueur dorée miroita soudainement à l'emplacement de la vitre. Elle se mit à onduler et tournoyer, pour, sans surprise, former des lettres.
Quelques secondes plus tard, on put y lire :
"Dis-le."
Je me retournai vers Jey, qui était aussi perplexe que moi. Alors que mon regard vira à nouveau sur l'inscription, les mots se transformèrent une nouvelle fois.
"Ce que tu ne veux PAS lui dire."
À peine l'eussé-je lu, que le message s'évanouit en une poudre dorée.
Je n'eus pas besoin de réfléchir : soudainement je songeai à mon histoire. Dangereuse - mortelle - pour quiconque l'écoutait.
L'angoisse s'empara de moi, mes yeux s'emplirent soudainement de larmes.
Je ne veux pas qu'il meure.
M'efforçant de les ravaler, je me rendis compte que Jey m'observait intensément. Il m'interrogea d'un regard attristé.
- Ce... ce n'est rien, me repris-je. Juste... qu'il y a des choses qui doivent rester secrètes. C'est mieux ainsi.
Il expira lentement, plongé dans ses réflexions.
- Hélène...
Je levai les yeux vers lui. Mon regard s'enfonça dans ses prunelles noires de nuit. Il chuchota de sa voix suave :
- S'il te plaît. Je crois qu'on ne passera jamais si...
- Non.
- Écoute, reprit-il, c'est comme si cette épreuve avait été faite exprès pour nous. Quand tu as lu cette phrase, tu as tout de suite su de quoi elle parlait. Je t'en supplie. Pour Rose. Pour... pour moi. Dis-moi "ce que tu ne veux pas dire". Je te promets de le faire également, car j'ai sûrement mon mot à dire, moi aussi.
Je secouai la tête. Des larmes coulèrent sans ma permission le long de ma joue.
- Il va te tuer.
Il prit mon visage entre ses mains.
- S'il te paît, m'implora-t-il. J'en assumerai les consé-quences.
- Pas moi, répliquai-je.
- Ma sœur vaut tellement plus que cela... soupira-t-il.
Il laissa soudain tomber ses mains et se détourna, en proie à une profonde réflexion.
Je n'avais pas d'autre choix, je m'en doutais. Je savais qu'il avait raison, que je devais lui dire... seulement comment m'y résoudre, tout en sachant qu'il risquait de perdre la vie par la suite ?
Non, c'était hors de question.
Pourtant il continuait à plaider sa mortelle cause.
- Hélène... aide-moi.
Ses mots me torturaient. Je secouai derechef la tête et il s'approcha, tout près. Tout près de moi.
- Tu pourrais peut-être m'en dire une partie seulement ? Une phrase, rien qu'une phrase. Ça ne compromettra sûrement pas ma vie ?
Je restai silencieuse. Il fouilla mon regard en agrippant ses mains autour de mes bras.
- Hélène, fais-le pour moi, répéta-t-il inlassablement. J'ai besoin de retrouver ma sœur.
Après quelques secondes, je me dégageai de son emprise et lui tournai délibérément le dos.
Je fermai les yeux, fort...
Et me lançai.
- J'étais soldate, moi aussi, avouai-je.
Ma phrase résonna dans le silence environnant.
Ce fut tout, hélas.
Je compris que je devais continuer. Ce que je fis, le cœur serré.
-... une simple petite soldate, quand le commandant en chef m'a repérée lors d'un entraînement basique. Il était alors de passage. (Du coin de l'œil, je remarquai les yeux de Jey, écarquillés de surprise.) Il a déclaré que j'avais du potentiel, et, soi-disant pour me former, cet homme a exigé que je le suive partout. Que j'assiste à certains conseils de guerre, pour apprendre des choses...
Là dessus, la vitre se craquela.
Je sursautai, puis soupirai en saisissant, soulagée : c'était le "signe", j'avais rempli ma part du contrat. De toute façon, je n'en aurais pas dit plus. Je ne pouvais pas en dire plus.
Pour moi, le message était clair : c'était au tour de Jey. C'était à lui d'être honnête, à lui de briser le silence, et la vitre par la même occasion.
Pourtant, il restait médusé et muet comme une carpe.
Je reniflai, séchai mes larmes.
- Et toi, demandai-je, la voix brouillée par l'émotion, tu sais aussi ce que tu es censé dire ?
- Oui... finit-il par avouer.
- Et donc ?
- C'est plus court.
- Et ? insistai-je.
Son regard se perdit sur le sol. De façon à peine audible, il finit tout de même par articuler une phrase.
- Je... je crois que j'éprouve des sentiments envers quel-qu'un.
Il me sembla entendre à nouveau la vitre se fissurer.
Je n'en étais pas sûre.
Tout à coup, je n'étais plus certaine de rien. Le monde paraissait faux, irréel, improbable. Jey leva ses yeux vers moi, et mon sang afflua à une vitesse fulgurante dans mes veines.
Là, la vitre se brisa pour de bon. Elle émit un son terrible et s'échoua sur le sol à grand bruit. Il plut des morceaux de verres à côté de nous, mais je ne m'écartai même pas.
Car ce monde n'était pas le mien. Parce que j'allais me réveiller. Mais si cette réalité était mienne, si tout cela se passait vraiment... Était-il possible qu'il parlât de moi ?
Jey entra sans difficulté derrière la barrière, m'entraînant avec lui, sans que je ne me départisse une seule seconde de mon hébétement.
Alors que le soleil tirait sa révérence, j'eus vaguement conscience de la chaleur étouffante qui régnait dans l'atmosphère.
Et sur l'herbe, un mot d'or flamboya : "honnêteté", avant de s'estomper.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top