Chapitre 13



Toutes les pièces du puzzle se mettaient en place dans ma tête, tout s'assemblait... et concordait. Au sein de ma logique, un engrenage de conséquences me paralysait dans une intense réflexion.

    - C'est un miracle... entendis-je à peine murmurer Juliette.

    Je devinai qu'elle était profondément soulagée, elle comme la plupart des personnes ici. Léo lui sourit et chuchota quelques mots à son attention. Chacun se détendit, s'émerveilla du miracle.

Quant à moi, je me résolus enfin à toiser la seule personne à l'air préoccupé dans cette pièce. La femme qui dissimulait les secrets, et ce depuis le début.

    - Hélène, j'aimerais te parler, annonça Maria. Seule à seule.

    - Ça tombe bien, moi aussi, répliquai-je froidement.

    Elle m'indiqua l'étage, et je la suivis sans broncher. Atteignant le pied de l'escalier, je m'arrêtai tout à coup.

    - Jey, tu ferais bien de venir toi aussi. Léo, ajoutai-je en me retournant et transperçant son regard, on te confie Rose. Ne la lâche pas d'une semelle, c'est bien compris ?

    Celui-ci hocha la tête, plus sérieux que jamais.

    - Je te fais confiance, déclara Jey.

    Les voir ainsi réconciliés me fit chaud au cœur. Quelques jours auparavant, jamais le soldat n'aurait confié sa sœur à Léo. Leur entente me déchargeait d'un poids - certes mince - pour la circonstance difficile que nous allions devoir affronter.

    Alors que nous montions les escaliers, il nous parvint les chuchotements de Rose et Léo :

    - Qu'est-ce qu'ils vont faire ? demanda la petite, anxieuse.

    - J'en sais rien, fit Léo d'un ton détendu, peut-être manger des   chouquettes ?

    - Tu dis n'importe quoi ! s'exclama la petite dans un éclat de rire.

    - T'en es sûre ? C'est ce que je pensais, moi, pourtant... feignit-il de bougonner.

    Rose, si peu rassurée il y a quelques instants, rit joyeusement.
     Léo n'avait pas son semblable avec les enfants, c'était certain.

    Nous entrions dans la chambre dans laquelle j'avais dormi, quand je me rendis compte que je souriais, moi aussi, malgré toute la complexité de la situation.

    Le don de Léo ne s'arrête pas aux enfants, réalisai-je, il s'étend jusqu'à chaque personne qui croise son chemin...

    Le claquement de la porte derrière moi me ramena soudain à la réalité. Nous ne prîmes même pas le temps de nous asseoir. Je voulus prendre la parole, mais Maria me devança en chuchotant :

    - Vous avez vu ce hangar, n'est-ce pas ? devina-t-elle.

    Sans laisser Jey se remettre de sa surprise - car je ne l'étais pas -, elle enchaîna :

    - Écoutez, il est primordial que vous n'en parliez à personne.

    - Pardon ? dit Jey. On n'est pas idiots, on a compris que le hangar était l'issue de ce monde. Et vous voulez le cacher aux habitants ? Pour qui vous prenez vous ? Et puis d'abord, comment vous le savez ? Que faites-vous réellement ici, Impératrice ? conclut-il.

    - J'essaye juste de préserver mon peuple ! s'écria Maria, piquée au vif.

    Ses yeux avaient viré du doux bleu pâle à un blanc effrayant.

    - En les emprisonnant dans l'Ancien-Monde ? lâcha le militaire.

    - Tu fais fausse route, se défendit l'Impératrice. Tu n'as rien saisi.

    - C'est ça...

    J'hésitais à prendre le parti de l'immortelle, seulement... pour une fois, elle n'avait pas tort.

    - Je... Je suis de son avis, intervins-je, mal à l'aise.

    - Quoi ! rugit-il. Mais enfin, tu ne vois pas ce qu'elle essaye de faire ? Cette soi-disant protectrice les tient enfermés ici ! Elle sait comment le hangar est apparu et elle le garde pour elle seule ! Elle pourrait les sauver...

    - Laissons-la s'expliquer, proposai-je.

    Puis, en me tournant vers Maria :

    - Mais en premier lieu, j'aimerais savoir ce que vous avez murmuré à votre fils tout à l'heure.

    Celle-ci haussa les sourcils, aussi étonnée qu'amusée que je remarque sa cachotterie. Elle me fixa quelques instants.

    - Je lui ai demandé ne pas révéler mes mensonges, finit-elle par lâcher.

    - Parce que vous avez menti ! s'emporta l'homme de la pièce.

    - Oui... Je crois que c'était à propos de la sapienta, lui appris-je. Et je pense qu'en réalité elle savait tout : pourquoi le hangar est venu, où sont les disparus...

    - Attends je ne te suis plus là...

    Il se tourna face à moi.

    - Toi aussi tu sais ?

    J'hochai la tête. Sa bouche s'ouvrit, ses yeux s'agrandirent tels des soucoupes.

    - Comment ?

    Je lui souris pour le rassurer. D'un sourire à la fois malicieux, et que je savais irrésistible. La dernière chose dont j'avais envie, c'était qu'il perde l'inébranlable confiance qu'il avait en moi.

    - Je l'ai deviné. Tu sais... la réponse à tout ça tient en un mot unique.

    Devant son air perplexe, j'ajoutai :

    - Tu vois lequel ?

    Il secoua la tête en signe de réponse.

    Alors, je pris sa main dans la mienne, tandis que les pulsations de mon cœur s'accéléraient. Je me mis sur la pointe des pieds pour murmurer un mot au creux de son oreille. Un seul suffit.

    - L'amour, soufflai-je.

    - L'amour ? fit-il écho.

    - Oui...

    Mes pensées n'étaient plus très claires, la faute aux "boum, boum" continus de mon cœur qui m'empêchaient de me concentrer. J'essayai tout de même de raisonner.

    - Depuis que nous sommes arrivés ici, nous avons affronté des épreuves morales, plus honorables les unes que les autres. Il y a eu la détermination, l'honnêteté, le courage, l'altruisme... Il en a fallu pour venir dans ce monde, et pour franchir chacune des saisons. Alors... pourquoi n'en faudrait-il pas une pour sortir ?

    Il parut réfléchir à l'idée.

    - L'amour n'est pas vraiment une qualité morale, remarqua-t-il.

    Il caressa tout de même ma main.

    - Mais... quoi de plus magique ?

    Sur ce, Maria ouvrit le tiroir de la table de chevet, et en sortit ce pourquoi j'avais risqué ma vie. Un simple dossier, qui ne devait contenir à peine qu'une dizaine de feuilles. La sapienta.

    - Attendez, cette chose était dans la chambre où j'étais couchée ? J'en reviens pas...

    - C'est pourtant le cas. D'ailleurs je pensais que tu l'avais lue ! Tu as deviné tout cela toute seule ? Je suis étonnée... Mais passons !

    Elle ouvrit l'objet cartonné et en sorti une feuille aux motifs flamboyants, mais aux couleurs bien ternes à mon goût.

    Elle nous toisa quelques instants, se décida enfin à lire :




-Deux individus parviendront, en l'Ancien-Monde,
À passer de l'autre côté, brisant le mur.
Ils ouvriront une brèche cent vingt secondes
Par le baiser d'un amour incassable et pur.

Les cœurs font naître la lumière mais la neige,
La neige cessera son œuvre pour ce temps.

De la commissure des lèvres l'issue siège,
Si, à l'extérieur, se trouvent les deux amants.

Ni trois, ni quatre, pourront les accompagner...
Maintenant, pressez-vous, et quittez la prison,
La sagesse latine est de votre côté !
Et restez obstinés, honnêtes, braves, bons.
 




L'immortelle marqua une pause, puis récita l'alexandrin une autre fois.

    - D'accord ça se tient, admit Jey après un moment de silence. L'amour est bien la clé.

    - Ça veut dire quoi : "Ni trois ni quatre pourront les accompagner" et "La sagesse latine" ? l'interrogeai-je.

    - Je n'en sais pas plus que vous, mais par déduction, je dirais que vous pouvez emmener jusqu'à deux personnes avec vous. La sagesse latine désigne la sapienta, en latin, sagesse...

   - Deux personnes... c'est juste ce dont on a besoin, remarquai-je, perplexe.

    Voire... méfiante.

    - En effet, approuva Maria, c'est une troublante coïncidence.

    - Donc... si je comprends bien, raisonna Jey, ceux que vous dîtes "disparus" ne sont que les gens qui ont réussi à... s'évader ?

    - S'évader n'est pas le mot qui convient le mieux. Mon monde n'est pas une prison, malgré ce qui est dit dans le poème. Mais... c'est cela.

    - Mais c'est formidable ! Il faut prévenir tout le monde ! Les familles seront folles de joie !

    - Justement, non, nous n'en ferons rien, affirma-t-elle en s'affaissant sur le lit.

    Jey lâcha ma main, fit un pas vers elle, menaçant.

    - Essayez un peu de m'en empêcher... la défia le soldat.

    - Écoute-moi bien, Jey. Tu risques de tous les condamner en leur révélant une chose pareille.

    -Vous êtes folle ou quoi ? Ça ne va pas les condamner, mais les libérer.

    L'immortelle soupira d'exaspération. En vérité, je crois qu'elle nous pensait trop lents à réfléchir.

    - Ces gens veulent sortir plus que tout, dit-elle entre ses dents, ils feront tout pour tomber amoureux. Ils s'y efforceront... se forgeront quelque chose de faux... Et il ne se passera rien. Il faut impérativement que cet amour soit naturel.

    - Bah, excusez-moi, mais il n'y a pas l'air d'en avoir souvent, des amours naturels...

    - Jey, rétorqua-t-elle, es-tu déjà tombé amoureux d'une fille totalement déprimée et sans vie ?

    - Sûrement pas...

    Il avait répondu du tac au tac. Pourtant était-ce de la jalousie que j'éprouvais là ?

Jey a répondu par la négative. Il faut que je me calme.

    - Bref, on peut faire quelque chose ? demandai-je.

    - Rose les y aide beaucoup. Elle t'a sûrement raconté ses journées, Jey. Elle a donné beaucoup à cette populace d'anciens... zombies.

    Et voilà, le point délicat avait été soulevé... Rose.

    - Rose rentre avec nous, affirma Jey.

    - Coûte que coûte, surenchéris-je.

    Nous nous dressions contre elle, l'impératrice ne pouvait qu'obtempérer.

    - Je sais, je sais, fit l'immortelle, je trouverai autre chose.

    - Autre chose... ricanai-je.

    Avec Maria, "autre chose" me faisait un peu peur.

    - Ça n'est plus de votre ressort à présent. Il ne me reste pour vous plus qu'une question : quand est-ce que vous souhaitez partir ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top