Chapitre 10
Maria avançait lentement vers moi. Elle était vêtue d'une longue robe noire, aux motifs fins et compliqués.
Ça ne lui allait pas du tout. Pourquoi était-elle accoutrée ainsi ? Le terne n'était pas pour elle, la blancheur était sa couleur.
Quand elle arriva un peu plus près de moi, je distinguai ses yeux, de la même couleur que son vêtement. L'immortelle qui m'effrayait tant plaça une main derrière son dos. Quelques secondes après, elle en ressortit un couteau. Et elle s'approchait, encore et encore, sans que je puisse me départir de ma stupeur.
J'étais terrorisée. Par tout cela, et par son large sourire immuable. Figé, avide, cruel.
Pétrifiée, j'appelai au secours. Une voix me répondit aussitôt. Une voix que possédait mon cœur, familière, mais pourtant si méconnaissable.
J'en ai plus que marre de t'aider, cracha-t-elle.
Là-dessus, Maria disparut, aussitôt remplacée par Jey. Il me regardait sans me regarder, du moins je l'espérais.
Car ce dégoût peint sur son visage ne pouvait décemment pas m'être destiné, n'est-ce pas ?
Débrouille-toi toute seule, Hélène.
Mon cœur se déchira, tandis que Maria revenait à ses côtés. Ensemble, ils s'approchèrent pour me tuer...
*
Je me réveillai en sursaut, la respiration haletante. Ma peau était moite, mon cœur s'affolait.
C'est fini, songeai-je. Ce n'était qu'un cauchemar.
Tout à coup, ma porte se déverrouilla et s'ouvrit à la volée sur Maria. Je tressaillis de nouveau.
Puis respirai profondément. Maria était à nouveau Maria. Aux manières douces, à la robe blanche et aux yeux clairs.
- Ça va aller ? demanda-t-elle en s'approchant. Je t'ai entendue crier.
- Oui, c'est bon, merci.
J'avais crié, moi ? Je me redressai. L'immortelle me rejoignit et s'assit sur le rebord de mon lit.
- Je suis désolée, s'excusa-t-elle alors.
Je plissai les yeux, méfiante.
- De quoi ?
- Pour hier, ce que je t'ai dit, et ce que je te fais subir.
Elle fixait le sol d'un air attristé et coupable.
- Comprends bien que ce n'est pas contre toi, m'assura ensuite l'impératrice. Je me devais de le faire, en temps qu'...
- Je comprends, la coupai-je.
Celle-ci pivota vers moi, l'air surpris.
- Vraiment ?
Je hochai doucement la tête.
Là, à ma grande stupéfaction, la femme se pencha vers moi et me serra contre elle. Je fus d'abord mal à l'aise, puis je me détendis. Je plaçai un bras derrière le dos de l'immortelle, et... je réalisai que c'était exactement ce dont j'avais besoin. D'une étreinte.
- Ne croyez pas pour autant que je vous pardonne, dis-je.
- J'en suis certaine, murmura-t-elle en riant.
Je souris, rigolai presque.
L'impératrice avait réussi à me réconforter.
Une fois qu'elle fut sortie de la pièce, je me préparai. Après quoi, je me dirigeai vers la cuisine, pour engloutir le succulent petit déjeuner que Maria m'avait cuisiné.
Quand j'eus avalé ma dernière bouchée, elle m'indiqua qu'il était temps. Dès lors, l'angoisse s'empara de mon âme...
Alors que je rangeais mon assiette, Maria me stoppa. Elle me prit les couverts des mains et brandit le couteau vers moi.
Affolée, je fis un bon d'un mètre en arrière.
- Calme-toi, me dit-elle, l'air blessé. Je voulais juste t'aider. Aucune de nous ne sait ce qui t'attend là-bas. Ce couteau pourrait t'être utile, Hélène, tu devrais l'emporter.
Elle le posa sur le rebord de l'évier, et malgré ma répugnance et avec un peu d'hésitation, je choisis de garder l'arme sur moi.
Après tout, comme elle l'avait affirmé, je ne savais pas ce qui m'attendait.
Une fois armée, donc, je suivis Maria jusqu'au gouffre interminable.
- Nous y voilà, dit-elle, alors que nous étions au bord.
Comment ça ? Elle n'allait pas me demander de sauter, tout de même !
- Que dois-je faire ?
- Descendre...
À ces paroles, elle tendit le bras vers la maison. Elle fit un moulinet avec sa main, puis bougea ses doigts d'une manière très étrange. Enfin, elle fit un mouvement vers elle.
Alors que je la regardais d'un air éberlué, une masse de corde épaisse atterrit à nos pieds.
- ...avec ça.
- Vous êtes folle ou quoi ? On n'y voit rien là-dedans ! Comment aurai-je une prise pour ne pas tomber ?
- Je pourrais t'éclairer le temps que tu descendras, mais c'est tout ce que je peux faire.
- Super...
J'avais tout fait pour le masquer, or ma voix était chevrotante.
Sans attendre, la Grande impératrice m'attacha, en m'indiquant qu'elle avait fixé l'autre extrémité de la corde à un arbre robuste.
Je me mordis la lèvre, déglutis, et respirai profondément trois fois... avant de plonger dans le néant.
Comme promis, Maria émit une lumière puissante. Malheureusement, l'endroit restait pour le moins sombre et inquiétant. Et plus je descendais, plus la lumière diminuait, plus je tremblais dans l'obscurité.
Je plaçais un membre après l'autre, prudemment, lâchant un gémissement d'effroi quand ceux-ci dérapaient ou lorsqu'un bout de la paroi se détachait du mur.
Il me semblait entreprendre l'impossible, l'inconcevable.
Non, c'était cela : mes muscles fatigués entreprenaient l'interminable.
Il faisait si sombre, j'avais si peur. J'essayais de songer à mes amis, pour me donner du courage.
Quoi qu'il en soit, je m'enfonçais toujours plus dans les profondeurs de ce gouffre. La terreur dévorait mes entrailles, je n'étais plus qu'une jeune fille angoissée et torturée par un tourment grandissant. Par une épreuve à affronter seule. J'étais si seule...
Bien que je ne les visse pas, j'étais consciente de mes doigts écorchés et rougis à force de cette demi-heure à descendre. Alors que je déplaçais ma main pour la placer plus bas, mon pied glissa, et je perdis l'équilibre. Tout mon corps n'était plus soutenu que par ma main gauche. Je poussai un cri dans le vide environnant. Je n'eus pas le temps de placer mon autre main. Celle de droite glissa elle aussi...
Je tombai.
Je criais dans ma chute, songeant à ma vie avant ma mort, songeant à Léo, à Rose, à... à Jey.
Jey, je suis si désolée...
Ils seraient coincés à jamais ici par ma faute. Ou tenteraient eux aussi leur chance et me suivraient dans mon sort funeste. Je pensai à eux pendant une longue seconde, qui parut s'étirer à l'infini.
N'empêche, ça n'en restait pas moins une. Quand celle-ci rendit son dernier soupir, mon corps buta contre le sol.
- Aïe... gémis-je.
Tout le flanc gauche de mon corps était endolori, puisque c'était sur lui que j'avais atterri. Je sentais une douleur lancinante dans mon épaule, surtout. Mais j'étais vivante.
Je me relevai péniblement et me détachai de la corde, totalement inutile, sinon pour remonter. J'inspectai les alentours. Il y avait une porte juste devant moi. Peinte en blanc, comme pour qu'on la remarque. Je pris mon courage à deux mains, et la poussai...
Je ne découvris que l'obscurité, derrière. À mon grand étonnement...
À contre cœur, je plaçai mon pied à l'intérieur, fis un pas, enfin lâchai la porte. Cette dernière se referma aussitôt, me laissant dans le noir complet.
Effrayée, je l'ouvris à nouveau, et calai un caillou en dessous, histoire qu'elle tienne. Ça n'éclairait presque pas la pièce, mais c'était déjà ça. Je pouvais au moins sentir la différence quand j'ouvrais les yeux ou les fermais.
En plissant ceux-ci, il me parut discerner un point de lumière, au loin. Courageusement, mes jambes se mirent en route.
C'est là que commença ma marche.
Cinq minutes.
Cinq minutes, c'est si peu lorsque vous vous promenez dans un parc arboré et fleuri en la compagnie d'un vieil ami. Mais quand vous êtes seule, dans une noirceur quasi totale, alors chaque millième de seconde compte. Et cinq minutes deviennent une éternité.
Je finis par atteindre la source de lumière, qui n'était en fait qu'une autre porte, parsemée d'une multitude d'ampoules. À nouveau, j'entrai, tout en me demandant si j'allais encore tomber sur du noir.
Mais ce ne fut pas le cas. La vérité était bien plus effrayante. Ahurie, j'évaluai la troisième pièce.
Une grande allée constituée d'un tapis rouge sang demeurait devant moi, ses côtés surplombés par des statues d'hommes et de femmes grandeur nature, peintes aux couleurs réelles, ce qui les rendaient presque humaines, presque vraies. Comme d'authentiques êtres figés, qui tenaient, vers le haut plafond, un flambeau de leurs deux mains.
À l'extrémité du long tapis, il y avait une plus grande statue, imposante, qui arborait d'une expression fière une... une espèce de dossier, entre ses mains.
Dire que Maria avait parlé d'un parchemin datant de millénaires... il fallait vraiment qu'elle vérifie ses sources.
Je décidai, frissonnante, de m'engager sur le chemin, plaçant prudemment un pied devant l'autre. Tout autour de moi était surprenant et idéalement structuré, les torches formaient des contrastes angoissants sur les statues. Oh, cette épreuve semblait s'amuser sur la clairvoyance même.
Quelle ironie de l'associer au néant...
Au fur et à mesure que j'avançais sur le chemin tapissé, ma nuque se perla de sueur moite. Si ce n'était plus les ténèbres, le silence me mit soudain mal à l'aise. Il devint troublant, effrayant.
J'arrivai enfin devant la statue. Mon cœur battit plus fort encore, alors que j'ignorais que c'était possible. Ma main toute tremblante glissa jusqu'au dossier, que j'arrachai d'un bruit sec des mains de la statue.
Le mot "sapienta", était inscrit dessus en grandes lettres noires. Il n'y avait pas de quoi se tromper.
Mais, tandis que je tournai, triomphante, le dos à la grande statue, elle émit un son étrange. En me retournant, je constatai... qu'elle bougeait son bras. Puis ce fut au tour de sa tête : elle pivota son cou vers moi, et d'une façon horrifique, ses lèvres se retroussèrent lentement en une moue haineuse.
Je reculai instinctivement. À cet instant, toutes les autres statues commencèrent à se mouvoir, produisant un vacarme assourdissant.
C'est là que, tout à coup, je me mis à désirer le silence...
Saisissant ce qui allait se passer, je détalai. Oui, je pris mes jambes à mon cou, courant plus vite que jamais. Atteignant la porte et l'ouvrant, je risquai un coup d'œil derrière moi. J'appris que toutes les statues s'étaient mues, qu'elles avançaient vers moi... et qu'elles savaient courir.
J'atteignis la porte et la franchis sans ralentir, sans freiner le moins du monde. Deux secondes après, ce fut leur tour. Les statues couraient si vite, elles me rattrapaient peu à peu. Les bruits sourds de leur pas envahissaient la pièce, de la même façon que la peur m'avait envahie. Heureusement que j'avais calé un caillou sous la porte, sinon jamais je n'aurais eu de repère dans l'obscurité.
Ma course était folle, je pleurais en courant, et je courais plus vite que quand Jey m'avait poursuivie.
Parce qu'à présent j'avais une raison de vivre. Parce que je l'avais lui.
Leur course résonnante fut bientôt couverte par leurs cris déments.
Je risquai un coup d'œil derrière moi, et une bouffée d'espoir m'envahit, parce que j'avais gagné du terrain. J'allais m'en sort...
Mes pensées s'interrompirent quand je m'écroulai au sol. Une chose que je ne distinguais pas dans la pénombre m'avait happé la cheville. Je tentai de me relever, or malheureusement, celle-ci était ancrée au sol dans une sorte de mélasse, et je ne réussis qu'à trébucher une nouvelle fois.
Je paniquai en réalisant que les statues étaient tout près. Dix mètres. Pas moins. Je tirai alors ma jambe de toutes mes forces, l'effroi décuplant ma volonté de m'extirper de là.
Je crus que j'allais déchirer ma cheville, mais finalement le constituant collant céda. Parée à courir, je relevai la tête... et hurlai en trouvant la main de la géante de pierre a deux centimètres de ma gorge.
Je bondis en arrière et rampai tout en me retournant. Alors, je repris ma course comme si j'avais le diable aux trousses.
De toute façon, qui donc pouvait me certifier que ces monstres ne l'étaient pas : le diable en personne ?
Essoufflée, je finis tout de même par parvenir à la dernière porte, que je tirai violemment. Je ne pris pas le temps de saluer la lumière. Les yeux plissés à cause de celle-ci, je me ruai vers la corde.
Je tirai trois fois, comme nous l'avions prévu avec Maria, et elle commença à remonter. Les statues arrivaient, oh, elles étaient bien trop proches. Et elles risquaient d'utiliser ma corde pour me poursuivre.
Par un impossible miracle, j'avais encore le couteau sur moi. J'entrepris vivement de trancher la corde un peu plus loin d'où elle remontait.
Mais elles approchaient.
Mais la corde était robuste, et dure à couper.
Mais le reste de celle-ci remontait vers Maria.
Allez ! J'y suis presque...
Ensuite, tout se passa très vite. La première statue fit irruption dans la pièce. Ma corde se trancha. Le bout remonta. Je m'emparai du dossier que j'avais posé au sol et saisis la corde avant qu'elle ne m'échappe, mais l'homme happa mon pied de sa poigne de fer.
Sans réfléchir, je lâchai la corde et sortis mon couteau, que je plantai dans sa main.
Mais c'est une statue, me rappelai-je trop tard. Elle ne risque rien.
Étonnamment, mon arme s'enfonça dans sa chair, tandis qu'elle hurlait de douleur. Enfin libérée, je calai le dossier dans mon manteau et je bondis le plus haut possible pour attraper la corde.
La statue rugit, et les autres ne tardèrent pas à l'imiter...
Je crois que je leur avais échappé.
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