CHAPITRE XXXIV
Avril 1711, palais de Charlemagne, Walpurgis...
Là où les condamnés à mort étaient jetés en pâture à un dragon dans le Royaume du Magistère, l'Empereur Otton III, successeur de son frère depuis le grand hiver de 1709, préférait décapiter les conjurateurs. Jamais les têtes n'avaient autant roulées sous la baguette du bourreau impérial. Sur les remparts intérieur de Walpurgis, des pics ornés des têtes des condamnés se comptaient pour trois par créneaux. Une véritable purge ordonné par Sa Mage-Jesté Impériale après l'éventement d'un énième complot des Réfractaires. Markus Wolf, le chef de la Sûreté Impériale avait démantelé un nouveau réseau infiltré et avait fait preuve d'un zèle tout particulier. Dans toute l'Europe, la Brigade Invisible, unité d'élite secrète de l'Empereur, avait été envoyé pour mettre au jour les ramifications des Réfractaires. Elles avaient en France une implantation profonde et tentaculaire. Depuis près d'un an, Hector et ses Aurors traquaient et arrêtaient des groupuscules, des familles, des ligues et des cellules. En Juillet de l'année précédente, ils avaient arrêtés toute une assemblée à Montpellier et la Brigade Invisible leur avait tranché la tête sans exception. Hommes, femmes, enfants, vieillards. La répression était sans équivalent dans l'Empire depuis Guillaume le Conquérant. Par ailleurs, cela avait mit un terme définitif au processus de retrait de l'Angleterre qui, depuis 1707, et la dissolution de son Conseil des Sorciers, avait émis le souhait de se retirer du joug de Walpurgis. La crise politique, que le grand hiver de 1709 avait aggravé et maintenant ce règne cruel mettait en tension toute l'Europe des sorciers. La révolte couvait et Hector avait un mal fou à conserver le calme ne serait-ce que dans Paris. Il était allé demander une audience auprès de l'Empereur, pour qu'il rappelle sa Brigade Invisible, mais Otton III ne l'entendait pas de cette manière.
- Le Magistère est un vassal de l'Empire, et à ce titre, j'ai en tant que souverain légitime des sorciers, le droit de faire appliquer la justice Impériale comme bon me semble, commandant ! Hurlait l'Empereur qui refusait d'entendre raison.
- De part le traité de 1539, le Magistère est une part autonome de l'Empire. La loi y est faite par le Magistère et ses représentants, tant que Sa Mage-Jesté le Roy n'en exprime pas la demande auprès de votre Mage-Jesté ! Cria Hector d'une voix si forte qu'elle fit tinter les coupes que tenaient certains courtisan.
- Vous refusez l'autorité naturelle de votre souverain légitime ? Gardes, saisissez-le et tranchez-lui la tête !
- Vous n'en ferez rien !
Bertrand Bradefer venait de faire son entrée dans la salle d'audience, tandis qu'Hector, baguette en main, se tenait prêt à défendre sa tête.
- Bradefer, cracha l'Empereur. Vous voilà tout à point nommé pour défendre votre croup qui aboie décidément bien fort.
- Je vous concède que le commandant Balthazar possède une puissance vocale remarquable. Cependant, il semble qu'elle ne suffise pas à vous faire entendre raison. Notre Royaume est autonome, pas indépendant, mais votre politique répressive actuelle pousse de plus en plus notre Parlement et nos gens vers cette voie. Et vous savez ce qu'il adviendra de l'Empire lorsque la France en sera définitivement sortie. D'abord l'effondrement, ensuite la guerre. Sauf si vous voulez la guerre tout de suite.
D'un geste du bras, l'Empereur fit reculer ses Aurors. Hector n'en baissa pas sa garde pour autant. Otton soupira profondément.
- Et bien soit ! J'ordonne que la Brigade Invisible se retire du territoire administré par votre Magistère. Mais si jamais votre roitelet se laissait pousser des ailes et allait imaginer qu'il est devenu libre de son serment, je jure devant Merlin de réduire Paris en cendres.
- Comme il vous plaira, votre Impériale Mage-Jesté, minauda Bradefer en s'inclinant.
Hector fusilla l'Empereur du regard en se baissant avant de suivre son supérieur et Markus Wolf qui les rejoignit.
- Hector, si je dois encore une fois vous sauver de la sorte, je vous couperais la tête moi-même... Est-ce bien clair ?
- A vos ordres, Excellence, marmonna Hector en laissant le Surintendant le devancer.
- Vous êtes l'un des rares à s'opposer frontalement à notre Empereur, commandant, énonça Markus Wolf.
- C'est bien le problème, Herr Wolf. Otton III est pire que son prédécesseur, et ce n'est pas peu dire. Il risque fort de nous faire plonger dans une guerre civile de laquelle l'Empire ne se relèverait pas...
- Taisez-vous Hector, ne dîtes pas ces choses là à voix haute, l'interrompit brutalement son homologue.
- Ne me faites pas croire que vous n'êtes pas de cet avis, Markus, chuchota Hector tandis qu'il se faisait conduire dans une pièce plus calme.
- Je suis de votre avis, ja, mais l'Empereur entends tout. Même moi je ne sais pas comment il fait. Il est devenu persuadé que des complots contre sa personne se trame dans son propre palais et il ne fait plus confiance à personne. Parfois il ordonne des arrestations sans aucune explication autre que son impériale intuition, répondit Markus tout bas en appuyant ironiquement sur ses derniers mots.
- Il pourrait s'en prendre à qui ? Questionna Hector qui fût soudain terrorisé qu'Achille se fasse arrêter.
- A vous, à votre Surintendant, même à moi. Il a trafiqué le vote des Princes-Électeurs pour monter sur le trône, et vous vous attendiez à un gentil emplâtre mou ? Répondit Markus en lui tenant le coude, comme pour le secouer.
- Il a trafiqué les votes ?! Hector avait presque crié. Markus lui couvrit la bouche.
- Chut !
- Je l'ignorais, marmonna Hector quand sa bouche fût libérée.
- Ne l'ignore pas que ceux qui le savent, Herr Balthazar. Et je ne devrais même pas être au courant. Maintenant, taisez-vous et retournez dans vos appartements avant que cette conversation nous fasse perdre la tête...
Les deux Aurors se séparèrent et Hector regagna sa chambre. Il ne prit pas le risque d'aller voir Achille cette nuit-là et dû se passer de sa présence ainsi que de son corps. La sécurité prévalait sur le reste.
Dans son château souterrain, Vitaly Sharpov tenait conseil avec une petite assemblée de vampire venus de tous horizons. Ils étaient moins nombreux qu'ils n'auraient dû. La Brigade Invisible avait mis à mort un certain nombre de leurs congénère. La Prusse avait été vidée de sa population de vampire et leurs terres et biens saisis par la couronne impériale. Otton III était la cible à abattre. Mais comment ? Vitaly et ses complices avaient beau chercher, ils ne trouvaient pas. Ils débattaient fermement depuis des heures lorsqu'une ombre qui les observaient depuis un moment s'avança. Tous se turent, certains tressaillirent et Vitaly couina silencieusement. Une voix rauque s'éleva de sous la capuche qui dissimulait intégralement son visage et dit :
- Pour que s'accomplisse votre révolution, laissez donc agir l'Empereur. Soit il se fera tuer par ses ennemis, soit par ses amis... Rentrez chez vous, et faites-vous oublier. Bientôt, Otton III sera mort, je vous le garanti.
- Qu'est-ce qui nous prouve que vous ayez raison ? Demanda un vampire plus brave que les autres.
Le sortilège de traduction opéra avec un léger délai. La silhouette s'avança alors vers son interlocuteur et lorsque sa capuche ne fut plus qu'à quelques centimètres des canines protubérantes du vampire, elle lui répondit :
- Vous avez encore votre tête, non ?
Le vampire ne comprit pas, malgré le sortilège de traduction. La capuche se souleva et ce que vit le vampire en dessous l'effraya mais lui donna la certitude que cette silhouette avait raison.
Hector dormait profondément Bertrand Bradefer entra dans sa chambre. Le Surintendant referma la porte sans un bruit et attendit qu'Hector ne se réveille de lui même. Il n'eût guère à attendre bien longtemps. Hector ouvrit ses yeux presque immédiatement.
- Un charme qui lie votre sommeil à votre porte, ingénieux.
- Merci, répondit Hector la bouche pâteuse, mais la baguette en main. Que venez vous faire ici ?
- Je viens vous presser de partir, commandant. Pour votre propre sécurité, insista Bradefer.
- Que se passe-t-il, Excellence ? Interrogea Hector que tout ceci rendait nerveux.
Il régnait dans le palais une tension pire encore que lors de l'audience. Une tension latente, sourde et muette, comme si une explosion d'ampleur cataclysmique pouvait se produire d'un instant à l'autre.
- Il se passe que je vous donne l'ordre de quitter cette ville Hector. Tout de suite.
- Non.
- Non ?
- Pas avant que vous ne m'ayez dit ce qu'il se trame.
- Quittez la ville...
- Je suis, au cas où vous l'auriez oublié, chargé personnellement de votre protection. Autant je ne m'acquitte guère de cette tâche en temps normal, autant ce soir nous ne sommes pas en temps normal. Me trompais-je ?
- D'où vous vient cette idée ?
- Une intuition.
Bertrand Bradefer ne répondit pas tout de suite. Il esquissa un très léger sourire qu'Hector aperçu malgré la pénombre.
- L'Empereur est mort et au vu de votre dernier entretien avec lui on vous soupçonnera rapidement.
- Vous mentez, objecta Hector qui ne savait pas d'où lui venait cette certitude.
- Vous croyez ?
- Si l'Empereur était mort, nous serions soit déjà partis, soit déjà mort nous aussi. A moins que...
Hector n'acheva pas sa phrase. Quelque part dans le palais un hurlement retentit. Dans les couloirs les torches s'allumèrent, des Aurors se mirent à courir en tout sens.
- Herr Bradefer, Herr Balthazar, vite, lança Markus Wolf en ouvrant la porte à la volée. Fuyez.
- Danke, Herr Wolf, dit Bertrand Bradefer en prenant les balais que Markus lui tendit. Vous venez Hector ?
Hector se leva, regarda tour à tour les deux hommes et écarquilla les yeux quand il comprit. Il ouvrit la bouche pour parler mais Markus l'attrapa par le bras et lui mit un balai dans les mains.
- Je me suis occupé du musicien, rassurez-vous, il est en sécurité. Et oui, je suis au courant, comme de tout ce qu'il se passe dans ce palais, ajouta-il devant l'air effaré d'Hector. Maintenant fuyez !
Sans un mot de plus, Hector enfourcha son balai et suivit Bertrand qui s'élançait en piqué verticale en les couvrant tout deux d'un sortilège de désillusion.
Bertrand Bradefer venait d'assassiner l'Empereur. Cette pensée hanta Hector aussi longtemps qu'ils volèrent. Ils se posèrent loin de Walpurgis et utilisèrent leurs balais en guise de Portoloin. Une fois revenus à Paris, Bertrand se mura dans le silence et boucla son bureau après avoir fait jurer à Hector de se taire si il voulait conserver sa vie et celle d'Achille.
Hector tint sa parole et lorsque la nouvelle arriva officiellement à Paris, elle provoqua une crise au Magistère qui voulait se saisir de l'occasion pour s'affranchir de Walpurgis.
Dans une pièce reculée de la forteresse souterraine de Vitaly, la silhouette souriait sous sa capuche tandis que son hôte, encore plus pâle que d'habitude, donnait à peine le change à cette joie malsaine...
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