CHAPITRE XXXI
Mars 1707, quelque part en Ukraine...
Geoffroy Lestrange avait si froid qu'il se réveilla. Dehors, il faisait encore nuit, il devait être tôt. Sachant qu'il ne se rendormirait pas, il décida de se lever et de descendre se préparer une boisson chaude. La neige tombait abondamment, sans bruit, recouvrant celle des jours d'avant. Il semblait qu'en tombant de la sorte sans arrêt elle allait tout engloutir. Mais elle cessa lorsque les premières lueurs de l'aube se mirent à poindre par delà l'horizon. Il allait faire beau aujourd'hui. Alors que Geoffroy réchauffait ses mains comme il pouvait, une porte claqua dans le lointain. Le maître des lieux était revenu. Il s'engouffra dans la pièce et s'arrêta lorsqu'il remarqua la présence de son invité.
- Bien le bonjour, Messire Lestrange. Comment fût votre nuit ?
- Froide faute de cheminée, répondit Geoffroy avec un sourire sarcastique. Mais sans doute moins que la votre.
- Il est vrai que le confort douillet d'un couchage aurait été plus enviable, mais sans aucun doute moins utile et productif... répondit l'hôte de maison en se débarrassant de sa cape. Elle était bardée de chaînes, auquel pendaient des dents, de tailles et de formes variées. Une fois posée sur le dossier de la chaise sur laquelle s'assit Vitaly Sharpov, la cape s'ébroua et ronronna. Vitaly en caressa paresseusement un coin comme il l'aurait fait avec un chat et poursuivit :
- J'ai réunit tous les vampires de la région. Ils marcheront avec nous si nous réussissons notre coup. Nous n'aurons pas droit à l'échec si nous voulons faire entrer le Tsar dans la guerre.
- Croyez-vous que ça soit vraiment nécessaire ? Demanda Geoffroy suspicieux.
- Combien de fois, mon cher ami fuyant, faudra-t-il vous le réexpliquer ? Vous voulez voir choir les Bradefer en France et restaurer votre prestige. Ce que le Roy-Mage actuel ne peut pas faire, empêché comme il l'est par ces jumeaux usurpateurs. Pour les renverser, soit il faut les assassiner, ce qu'en deux ans nous avons lamentablement échoué à faire par sept fois, soit il faut que sa Mage-Jesté les renvoi, or ce n'est guère prêt d'arriver.
- Je suis bien au courant de cela. Et ce misérable rat de bas étages de Balthazar nous rends la tâche impossible.
- Impossible ? Je croyais que ça n'était pas de chez vous... ironisa le vampire en découvrant ses longues canines.
Geoffroy déglutit et articula :
- Certes.
- Ainsi donc, reprit Vitaly, pour piéger les Bradefer, quoi de mieux qu'une guerre ? Et comme ils ne sont pas décidés à entrer en guerre contre les Réfractaires, alors ils se rendront à l'évidence qu'une guerre contre les Profanes est inévitable. La guerre qui fait rage depuis plusieurs années pour le trône d'Espagne sera le théâtre parfait pour cette petite manigance.
- Pensez-vous sincèrement qu'ils se décideront à entrer dans une guerre Profane ?
- Si nous parvenons à manipuler le Tsar de Moscovie pour qu'il parte en croisade contre la sorcellerie en Europe, alors ils n'auront pas d'autre choix, si ils veulent sauver leurs têtes et leur trône.
- Quand parviendront nous à ce résultat ? Avec leur croup Balthazar ils pourraient aussi bien prendre le trône demain.
- Patience est maîtresse de toute œuvre, mon cher ami fuyant... Décidément, Malefoy à eu une brillante idée en vous envoyant ici ! Maintenant, si cela ne vous ennui pas, je vais me coucher, la nuit a été longue. Vous aurez le bon sens de ne me réveiller que si le glas du monde résonne sur Terre, où si le Tsar décide de changer d'avis. Bonne journée, Messire Lestrange.
Sans attendre la réponse de Geoffroy, Vitaly se leva, suivit de sa cape qui faisait claquer ses dents, et descendit l'escalier qui menait à la crypte. Geoffroy ne se détendit un peu que lorsqu'il entendit le cercueil se refermer.
Vitaly lui donnait la chair de poule, mais il se montrait pour le moins utile, quoi qu'un peu lent, aux yeux de l'ex Auror. Après l'arrestation et la condamnation à mort de Basile Vectan, Geoffroy avait commencé à avoir des doutes sur les Bradefer. Les perquisitions et arrestations qu'il avait dû mener avant d'être écartés au profit d'Hector, son rival et ennemi juré, lui avait posé bon nombre de questions. Poussé par le doute et la méfiance naturelle que lui inspirait les jumeaux, Geoffroy avait fini par fouiner là où il n'aurait pas dû. Il avait découvert le complot des Bradefer, mais n'avait pas pu faire grand-chose pour l'empêcher car il avait été obligé de fuir pour sauver sa vie. Dans son malheur, il avait rencontré Guillaume Malefoy, Duc de Normandie et Prince Électeur du Royaume, qui voulait lui aussi voir disparaître les Bradefer. Ce dernier l'avait aidé à se cacher avant de lui faire quitter le Royaume de France. Geoffroy s'était vu guider en Ukraine, là où personne n'irait le chercher, et où il avait trouvé Vitaly Sharpov, un vampire obséquieux, sournois et belliqueux. Il avait parti lié avec des Réfractaires partout en Europe, et projetait non moins que de renverser le vieillissant et moribond Saint Empire Magique d'Occident.
De l'Écosse a la pointe Sud de la péninsule Italienne, du Portugal au frontières de l'Ukraine, le Saint-Empire Magique d'Occident, fondé par Charlemagne (déformation profane de Charles le Mage), étendu par Guillaume le Conquérant, et d'autres Empereurs après lui, était une abomination géo-politique inimaginable pour bon nombre de nobles sorciers. Ces derniers rêvaient d'obtenir plus de pouvoir, tout en manigançant pour obtenir le trône, délitant ainsi un Empire qu'ils ne privaient pas de convoiter malgré tout. Depuis bientôt cent ans, les Empereurs s'affaiblissaient, laissant de plus en plus d'autonomie aux provinces le composant. Ainsi, le Magistère, au départ un organe de l'Empire, était désormais plus un état vassal de l'Empire qu'un morceau de celui-ci, et le Roy-Mage de France était presque l'égal de l'Empereur dans les faits, sinon que dans les formes. Ces changements venaient, entre autres, de nouvelles idées philosophiques, que même les Profanes commençaient à découvrir. Qui de l'autre avait été influencé, nul n'aurait pu le dire. Ce qui était certain, c'est qu'un vent de changement soufflait sur l'Europe et que l'Histoire était en marche plus que jamais.
Geoffroy eût le vertige en songeant que si le Tsar entrait dans cette foutue guerre, lui-même aurait été l'instigateur d'un bouleversement irréversible, brutal et sans équivalent dans l'Europe des sorciers, depuis les Croisades et l'avènement de l'Inquisition. Une pensée lui traversa alors l'esprit fugacement. Il se vit sur le trône de l'Empire, seul au pouvoir, avec la tiare de Charlemagne sur la tête. Il sourit et songea que le temps viendrait sans doute un jour, si il plaisait à la Magie qu'il en fût ainsi. Mais avant ça, il restait un ennemi à abattre, et le visage d'Hector se dessina dans l'esprit de Geoffroy. Son visage se raidit, il grimaça et vida d'un trait son café, désormais tiède...
Dans son bureau, Hector Balthazar maudissait lui aussi le froid, mais n'avait pas de café pour se réchauffer. Il n'aimait pas ça. Faisant les cents pas, il réfléchissait. Qui donc avait enlevé le Marquis de Béringhen ? Ce puissant noble était un espion à la cour du vieux Louis XIV, Roy de France et de Navarre. Il s'assurait de la survie du Roy aussi longtemps que ce dernier protégeait le monde des sorciers d'une croisade de son peuple. Il avait demandé des sommes astronomiques à l'Inquisition, et avait exigé la construction d'un palais plus splendide qu'aucun autre pour ne pas dévoiler l'existence du monde magique. Le Marquis avait permis tout cela, et son aide, ainsi que la confiance qu'avait le Roy en sa personne le rendait indispensable. Fort de son caractère autoritaire et absolu, Louis XIV ne supporterait pas qu'on lui enlève son précieux conseiller. Aussi, Hector faisait des pieds et des mains pour le retrouver. Depuis dix heures du soir, il faisait remuer ciel et terre de France par tous les Aurors qu'il avait à disposition. Malgré tous ses efforts, rien à faire, le Marquis de Béringhen demeurait introuvable.
Autre chose troublait Hector, le Marquis n'était pourtant ni une menace, ni menacé. Lorsqu'il avait apprit sa disparition, Hector avait remonté toute la route qui séparait Paris et Versailles. Il n'avait trouvé aucune trace de sortilège. Rien de magique. C'était donc des Insorcellés qui avaient fait le coup.
- Ils ne peuvent pas être bien loin ! Tempêta Hector que cette absence d'indices quelconque mettait en colère. Je veux des indices, des preuves, des rapports ! N'importe quoi ! Cria-t-il en ouvrant sa porte à la volée. Il traversa à toute allure le couloir qui constituait le quartier-général de la brigade avant de se rendre dans le bureau de ses supérieurs.
- Je dois voir l'Inquisition, lança Hector en ouvrant brusquement la porte des Bradefer. Les Jumeaux ne réagirent pas, ils avaient l'habitude et seul un très léger sursaut avait trahit leur surprise quant à cette interruption imprévue.
- Bonsoir Commandant Balthazar, répondit calmement Bertrand Bradefer.
- Je veux voir l'Inquisition, répéta brusquement Hector.
- Nous sommes l'Inquisition, coupa sèchement Isidore en redressant la tête de son parchemin. Que voulez-vous ?
- J'ai besoin d'aller parler au Roy de France.
Les jumeaux s'arrêtèrent net. Ils posèrent leurs plumes de concert, joignirent le bout de leurs doigts dans un geste identique et se penchèrent tout deux en avant en demandant :
- A qui voulez-vous parler ?
- Au Roy de France, Louis XIV, répondit Hector sans se départir de son urgence. Et je dois lui parler maintenant.
- Et peut-on savoir en quel honneur ? Demanda Bertrand en haussant un sourcil.
- Nous n'arrivons pas à trouver le Marquis.
- Nous le savons.
- Nous le cherchons depuis deux heures, nous avons fait fouiller toutes les routes, dans toutes les directions, sans rien trouver.
- Nous le savons, répétèrent les jumeaux.
- Et si nous ne le retrouvons pas, nous courrons à la guerre ! Tempêta Hector que l'impassibilité des Bradefer agaçait.
- NOUS LE SAVONS, tonnèrent les deux frères en se levant, frappant leurs bureaux du plat de leurs mains. Et que croyez-vous que nous fassions ! Nous avons donné ordre au Roy de barrer toutes les routes, de faire sonner le tocsin dans tous les villages, de lancer des cavaliers, des coursiers, des mousquetaires si il le fallait ! Croyez-vous que nous n'en soyons pas inquiet ? Croyez-vous que nous ne fassions rien ? Vous n'êtes que commandant Hector, et non Roy-Mage ! Alors tenez vous-en à votre rang, grondèrent les jumeaux.
Hector, sentant qu'il était allé trop loin s'excusa à demi-mot. Il baissa la tête et regarda ses bottes, pleines de terres sèches et de boue fraîche.
- Vous n'irez pas voir le Roy, vous n'irez pas lui parler. Vous interrogerez les prisonniers que l'on vous ramènera, c'est tout, rompez.
Ainsi congédié, Hector retourna dans son bureau, ravalant frustration et colère. Il avait peur. Peur de ce que cet enlèvement pouvait signifier, des risques encourus. Il avait peur d'une guerre qu'il n'était pas certain de pouvoir gagner. Il avait peur pour Achille et n'importe quelle affaire un temps soit peu dangereuse le mettait dans tous ses états. C'était absurde, il le savait bien, mais rien n'y faisait. Pour se rassurer, il écrivit à Achille. C'était la troisième lettre de la journée. Et il n'avait pas encore reçu de réponse à la première. Faisant les cents pas, il fixa longuement son plan de Toulon, où Achille n'était pas. Une larme lui roula sur la joue. Son amour lui manquait terriblement, affreusement.
- Achille... murmura Hector en s'étirant après avoir chassé cette larme malvenue. Impuissant face aux évènements, et contraint par les ordres des Bradefer, Hector resta là, avant de descendre aux Archives. Lorsqu'il arriva devant le comptoir, toujours autant chargé de parchemins, et derrière lequel le Maître Despages nageait comme à son habitude, Hector tapota nerveusement sur le bois et se racla la gorge.
- Ah, commandant, bonsoir. Que puis-je pour vous ?
- Je voudrais toutes les Archives de la famille Peverell, demanda Hector.
- Dîtes-moi, commandant, avez-vous l'intention de les connaître par cœur ? Répondit l'archiviste en riant.
- Et si tel était le cas ?
Le ton d'Hector fût plus rude qu'il ne l'aurait voulu, si bien que le sourire vieil homme fondit comme neige au soleil.
- Est-ce que je peux au moins vous aider ? Questionna le Maître Despages en donnant à Hector une clé.
- Non.
Hector s'empara de la clé, la posa dans sa paume et en frotta les ailes. Elles battirent frénétiquement et la clé s'envola vers sa destination.
Hector ressortit des Archives de fort mauvaise humeur. Il n'avait rien trouvé, et le Marquis avait été retrouvé sans qu'on ne l'en informe. En même temps, personne ne savait qu'il avait passé la nuit aux Archives. Parmi tout les dossiers qu'il avait fouillé, il n'avait strictement rien découvert qu'il ne savait déjà. À force, il connaissait certaines pièces par cœur. Beaucoup de choses l'intriguait. À commencer par les rapports qui indiquait que sa mère était morte bien avant sa naissance. Pourtant, ça ne pouvait être vrai. Mais les parchemins indiquait qu'Orphée Peverell était morte après avoir disparue en 1678. Hector avait vite compris que sa grand-mère, son oncle et sa tante avait ignoré le destin de leur fille et sœur jusqu'à l'arrivée d'Hector à Kergueven, cinq ans plus tôt. À cause de cela, aucun document relatant la vie d'Orphée après cette date n'existait. Et dans le dossier des Flamel, qu'Hector avait longuement parcourut depuis son arrivée malgré son volume impressionnant, il n'y avait rien du tout. Pas une seule trace de l'existence d'Orphée chez eux, ni d'un lien quelconque avec un dénommé Balthazar. Il y avait bien une famille Salazar, mais c'était là une vieille famille, aussi ancienne que les maisons Malefoy, Lestrange ou Lenoir et qui avait forcément connue les Flamel à un moment donné. De toute façon, tout le monde les connaissait.
Lorsqu'il arriva dans les geôles du Magistère, au sous-sol du palais, Hector avait déjà sa baguette dans les mains. Autant la torture lui faisait horreur dans ses premières années, autant maintenant elle était devenue un moyen efficace et son outil de prédilection quand les prisonniers refusaient de parler. Cependant, contrairement à ses collègues, Hector ne torturait pas par plaisir et ne causait aucune lésion. Il se contentait juste d'arracher des souvenirs des têtes récalcitrantes. Très douloureux et désastreux si mal exécuté, le sortilège d'extraction était devenue la spécialité d'Hector, si bien qu'on faisait souvent appel à lui pour réaliser cette délicate opération.
Il avait en face de lui un Profane, reclus de terreur dans un coin de la pièce, il marmonnait, gémissait, parfois hurlait. Il semblait en proie à un sortilège de confusion particulièrement puissant.
- Maudit soient les imbéciles qui lui ont détraqués la tête... cracha Hector en s'approchant du pauvre erre.
Hector lui posa ses questions rituelles, mais n'obtint en guise de réponse qu'une litanie de son incompréhensible. Il avait besoin de la pleine conscience du sujet pour effectuer son retrait.
- Pliz ! Pliz ! Répétait le prisonnier, à genoux désormais, suppliant.
Hector le regarda avec attention avant de se redresser pour aller chercher ceux qui avaient ramené le prisonnier. Mais il n'obtint pas plus d'informations. Il appris seulement que le prisonnier parlait déjà cette langue quand ils s'en étaient emparés. Hector ne connaissait aucun sortilège de traduction, et il n'avait pas étudiés les langues étrangères à l'Académie Beauxbâtons. Une idée lui vint alors. Il n'était pas tout à fait convaincu qu'elle fonctionnerait, mais il tenta malgré tout son expérience.
Il se rendit en cellule, s'assit en face du prisonnier et fit apparaître à boire et à manger. Devant ces soudaines apparitions, le prisonnier hurla de terreur. Hector voulu lui proposer à manger en lui approchant une assiette, mais le damné hurla de toute la force de ses poumons en agitant les bras rituellement. Hector reconnu là un signe de croix. Soupirant, il laissa la nourriture à disposition et sortit de la cellule.
Plusieurs fois il réitéra l'expérience. Elle produisit plus où moins le même résultat à chaque fois. Le prisonnier était tout simplement horrifié lorsque quiconque entrait dans la pièce. Hector savait qu'il ne pourrait rien en tirer sans sa pleine et entière coopération. Lassé, il laissa tomber l'homme et retourna sur les lieux de l'enlèvement. Il ne trouva rien. Il tempêtait intérieurement de n'avancer en rien dans cette affaire. Certes le conseiller espion avait été retrouvé, et le Roy était en sécurité, mais il y avait bien quelqu'un avec un dessein particulier derrière cet acte. Qui et pourquoi, était les questions qu'Hector ressassait sans cesse. Il n'en dormait plus si bien qu'à la fin de la semaine, il s'effondra en pleine réunion avec les Bradefer. Ces derniers s'adressaient à lui quand il tomba raide par terre. Il fût immédiatement transporté à la Cour des Miracles où il fut placé dans une chambre pour y dormir. Tous les jours, des nymphes et des médicomages passaient pour le voir, mais il avait si profondément sombré dans le sommeil que rien ni personne ne le réveillait. Il sortit de son sommeil quatre jours plus tard avec dans les yeux une lueur éteinte. Il avait des cernes noires et marquées, les joues creuses, les yeux caves. Il marchait aussi moins vite, parlait moins. On l'eut trouvé diminué au point d'être soit malade, soit débile. Il mangeait peu, et ne recevait que Harald, qui lui apportait des lettres d'un Achille très inquiet de l'arrêt de ses lettres. Hector y répondait laborieusement, s'endormant parfois en pleine dictée. Il avait avoué à Achille son état et ce dernier avait insisté pour venir, ce qu'Hector lui avait défendu de faire. Vint enfin, après plus de trois semaines de convalescence, le jour où il quitta l'hospice. Il avait pu se raser et se laver convenablement avant de se vêtir proprement car il avait reçu l'ordre de se présenter aux Bradefer dès sa sortie.
Alors qu'il quittait le médicomage en chef, à qui il venait de faire savoir qu'il s'en allait, il entendit quelqu'un demander après lui à une nymphirmière.
- Navré monsieur, mais le commandant Balthazar a quitté l'hôpital ce matin.
Hector se retourna en entendant son nom et aperçu brièvement une haute silhouette encapuchonnée, toute vêtue de noir, avec un masque de fer sur le visage. Il se dirigea vers elle mais la silhouette s'en retourna vers la sortie à un pas encore trop rapide pour qu'Hector ne la rattrape. Il semblait que ses pieds ne foulaient pas le sol, mais qu'il glissait au dessus du plancher vernis. Hector l'appela, mais la silhouette ne se retourna pas. Elle passa le mur qui menait dehors et quand Hector le traversa, il ne trouva personne dehors. Alors qu'il regardait de tous côtés pour tenter de retrouver cette silhouette, une main se plaqua sur sa bouche, une lame sur sa gorge et des lèvres sur son oreille pour lui murmurer :
- Omne suus praetium habet...
Mais Hector ne se laissa pas égorger. D'instinct, il transplana à quelques mètres et sortit sa baguette pour désarmer son adversaire. Lorsque celui-ci se retrouva privé de sa lame, une chaîne en argent vint l'enserrer des pieds à la tête. Un hurlement précéda une forte détonation. Hector se protégea les yeux mais il n'y eut rien. La chaîne retomba, enserrant une cape, un masque de fer et la dague. Hector les ramassa et les examina. La dague était gravées de symbole qu'il ne connaissait pas. Le masque était particulièrement beau, finement ciselé, détaillé et représentait une figure inconnue à Hector. La cape était faite d'un tissu lourd, solide et résistant, mais les maillons de la chaîne d'argent, qu'Hector fit disparaître, avaient marqués d'une couleur de cendre leur empreinte sur le tissu.
Après avoir vérifié que son cou ne soit pas entaillé, Hector emporta les preuves qu'il déposa sur le bureau de ses supérieurs avant de leur raconter ce qu'il venait de se passer. Les Bradefer se regardèrent et Hector jura qu'ils échangeaient en se passant de mots. Lorsque leur messe muette fût achevée, Bertrand se leva et s'approcha d'Hector avec le masque en main.
- Je suis soulagé de vous savoir en vie commandant. Vous avez eu de la chance d'en réchapper. Dîtes-moi, avez-vous entendu parler de l'Ordre du Dragon ?
- Non, aurais-je dû ?
- Non. Cet ordre a été éradiqué par les Chevaliers de Walpurgis, il y a plus de trois cent ans. Il s'agissait d'un ordre de chevaliers vampire qui s'étaient donnés pour missions de régner sur le monde. Pour lutter contre ce fléau, un contre ordre de chevalier, tous sorciers, s'est créé. Ils ont mis trente années pour tuer les vampires. Quand leur mission s'est achevée, tous les chevaliers de Walpurgis ont rassemblés les armes, les armures et les masques de leurs ennemis et les ont fondus. Ensuite, ils ont déposés leurs armes. Tous sauf un, le légendaire Siegfried. Ce chevalier était persuadé qu'un membre des dragonniers, comme étaient dénommés les vampires, avait réussi à échapper au massacre. Il a passé sa vie à le chercher, sans jamais rien trouver. Depuis, ces deux ordres ont disparut de la surface des deux mondes, jusqu'à aujourd'hui...
- Vous voulez dire, commença Hector, que Siegfried avait raison ?
- Je crains que oui, répondit Bertrand Bradefer avec gravité. Ce que vous avez décrit, du hurlement, de la détonation, et la marque cendrée sur la cape, laissée par votre chaîne laisse peu de place au doute quant à la nature de votre agresseur, il s'agit d'un vampire. L'argent de votre chaîne à du lui faire chauffer douloureusement la peau. Sa vélocité et son déplacement, en flottement selon vos dires, sont également des preuves. De là à dire qu'il s'agisse du même vampire que Siegfried recherchait, j'ai des doutes, mais la Pierre Philosophale n'est pas la seule chose qui prolonge la vie...
- Et la dague ? Qu'est-il écrit dessus ?
- C'est du vampirique, sans aucun doute. Mais je ne parle pas cette langue. En vous rendant à l'Académie vous devriez trouver quelqu'un qui sache parler cette langue, où a défaut un traité qui en parle. Hector, avant de partir, rappelez-vous que puisque vous êtes la victime de cette tentative, vous ne pouvez pas mener cette enquête vous-même. Vous devrez la confier à vos Aurors. Sommes nous bien d'accord ?
- Oui, c'est très clair, répondit Hector en quittant la pièce. C'est clair... mais je ne suis pas d'accord, marmonna-t-il sitôt la porte du bureau refermée. Il quitta précipitamment le Magistère et se rendit à l'Académie des Sorciers, de l'autre côté de la Seine. Il fût guidé à la Grande Bibliothèque du Dôme, au somment du bâtiment. Les livres suivaient la courbure du dôme et volaient depuis ou dans les mains des lecteurs. Certaines battaient des pages, virevoltants comme des oiseaux de papiers. Les visiteurs de cet endroit étaient tous des lettrés. Il n'y avait qu'un seul étranger, qui, assit sur un tapis volant, tournoyait lentement sous le dôme.
- J'ignorais que les étranger étaient admis dans votre enceinte, murmura Hector à sa guide.
- Ne sont étrangers à nos yeux que les illettrés, commandant, répondit Alphonse de Haute-Estime. Voici la section que vous cherchiez : les langues étranges et étrangères. Vous y trouverez forcément votre bonheur.
Alphonse de Haute-Estime planta Hector devant une étagère courbée, qui montait jusqu'au sommet du dôme. Il lui semblait que les livres allaient dégringoler et que l'étagère allait s'effondrer. En la regardant, Hector, le cou démanché constatait que les livres qu'il fixait plusieurs secondes grossissait jusqu'à rendre leur titre lisible, quelle que soit la hauteur où ils fussent. Un sortilège optique fort commode. Comme les autres sorciers présents, Hector resta donc de longues minutes presque immobile à regarder grossir les titres des ouvrages. Naviguant parmi eux, il en trouva bientôt un qui attira son attention. Il n'en comprenait pas le titre, mais il repéra l'un des symboles qui se trouvait sur la dague. Il tendis sa main vers le livre qui lui tomba droit dedans. Il partit s'installer à une table et commença sa lecture. L'écriture était manuscrite, tracée dans une encre brune fort peu commune et par endroit, elle disparaissait presque. Hector ne comprenait pas un traître mot de ce qu'il lisait, mais il prit son temps. C'est fort tard qu'il découvrit quelque chose. Alors qu'il se grattait derrière l'oreille, une goutte de sang en tomba. Il marmonna un juron. Comment avait-pu se gratter jusqu'au sang ? La réponse lui vint intuitivement. Le vampire qui avait voulu lui trancher la gorge lui avait murmuré à l'oreille. L'une de ses canines avait bien pu le blesser très superficiellement et en se grattant, Hector avait sans doute retiré une croûte à peine formée. Mais sa déduction fût stoppée nette par le résultat que produisit la rencontre entre la goutte de sang et la page du livre. La page aspira le sang et les lettres se mirent à changer de couleur et à scintiller brièvement avant de se rembrunir.
« C'est écrit avec du sang ! » songea Hector. Laissant son livre, il se remit en quête d'Alphonse de Haute-Estime et lorsqu'il le trouva, le livre était devenu vierge.
- Par Merlin ! Comment ?
Hector tenta d'expliquer à l'Académicien mais se dernier leva la main.
- Je croyais que vous aviez connaissance de ce détail, commandant. Les livres écrits par les vampires le sont avec du sang et ne sont consultables que si vous avez une plaie ouverte. Comme vous vous êtes éloignés, ce livre est redevenu vierge.
- Puis-je vous l'emprunter ?
- Certainement pas. Nous ne sommes pas une vulgaire brocante de livres ici ! L'Académicien referma l'ouvrage et le remporta avec lui.
Hector sentit monter en lui une colère noire et sa baguette se logea d'elle-même dans sa main mais il se retint. Il quitta le bâtiment et rentra au Magistère donner ses ordres. Il fallait retrouver ce vampire...
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