CHAPITRE XXVIII

Août 1703, Palais-Royal, Magistère...

Hector se laissa tomber sur sa chaise. Il soupira, but une grande lampée au broc posé à son côté et s'essuya le front avec la manche de sa chemise. Il faisait, dans le quartier général des Aurors, une chaleur infernale. Se massant les épaules, et le cou, Hecto songea que les mains d'Achille le détendraient mieux que ses mouvements maladroit. Mais pour l'heure, le harpiste était à la cour de l'Empereur des Mages, et si il vivait confortablement, il rentrait moins souvent qu'à l'accoutumée. Hector en souffrait, mais le supportait, par amour pour son amant. Achille désespérait de rentrer pour le revoir, aussi Hector lui avait proposé que Yerk, l'elfe racheté, ne le transporte. Les elfes de maisons pouvant transplaner sur des distances plus grandes que les sorciers, Achille avait accepté.

Ce soir-là, donc, alors qu'Hector revenait d'une mission de correspondance avec le Duc de Vendôme qui faisait la guerre pour le Roy des Profanes, il reçut un billet d'Achille. Ce dernier était arrivé à Paris et l'attendait chez lui. Hector ne lut pas le parchemin deux fois, il attrapa ses effets, verrouilla son bureau et quitta le palais. Son rapport attendrait bien quelques heures de plus.

- Tu correspond avec un profane ? Mais je croyais que c'était interdit ! laissa échapper Achille tandis qu'ils finissaient de manger.

- Les interdits sont pour le peuple. Nous autres avons le devoir de protéger notre monde, et connaître son ennemi fais partie des impératifs nécessaire pour assurer notre rôle pleinement, bougonna Hector avec un ton qu'Achille ne lui connaissait pas. Il trouva étrange ce changement de comportement, mais après tout, Hector était épuisé, sa mission avait été longue et fastidieuse, et sa réflexion était sans nul doute le fruit de cette fatigue.

- Serais-tu fatigué, amour ? demanda Achille en posant son regard dans les yeux sang et kaki d'Hector.

- Je suppose que de ma réponse dépendra notre nuit ? répondit Hector avait un air malicieux qui remplaça ses bougonneries d'Auror.

Achille ne répondit que par un clin d'œil, se leva et se dirigea vers le lit pour s'y laisser tomber, lascivement. Hector laissa en plan son assiette pour aller gouter une autre forme de repas, toute aussi désirée qu'attendue...

Hector avait ouvert les yeux. La tête d'Achille reposait dans son cou, ses bras l'enserraient et ses jambes s'enroulaient autour de lui. Caressant les cheveux et le dos de son amant, Hector songeait. Depuis l'arrestation de son oncle, il n'était pas retourné à Kergueven. Il y avait envoyé Yerk, pour s'occuper du domaine dans un premier temps, puis, sur les conseils de sa tante, il y avait placé un intendant, qui gérait à sa place ses affaires Comtale. Dans l'ensemble, les vœux d'Hector, qui prenait toute les décisions importantes, étaient respectés et les décisions mineurs étaient somme toute correctement prises. Bien sûr, Maelez veillait au grain des intérêts Peverell et s'assurait qu'aucun des barons de son neveu ne lui fasse défection. L'un d'eux avait eu quelques velléités, mais un tragique accident de cheval lui arriva sitôt qu'il en parla à la mauvaise personne. Hector était tenu au courant par des lettres régulières de sa tante. Dans ces trois dernières lettres, elle s'étonnait que son frère n'ai rien tenté pour s'évader. Hector avait laissé couler, car personne ne s'était jamais échappé de la Cavité, et personne ne s'en évaderait jamais. Une image se forma dans son esprit, fugacement, il vit Morven s'évader, mais il chassa cette pensée de son esprit.

- Tu ne dors pas ? la voix d'Achille le sortit de ses pensées. Hector le regarda et un sourire se dessina sur son visage.

- Toi non plus, lui rétorqua-t-il tandis qu'Achille se redressait, les yeux toujours fermés. Je pensais t'avoir épuisé, vidé...

Achille ouvrit un œil, un sourire au coin des lèvres. Il marmonna :

- Je constate que tu vieillis. Ton endurance n'est plus la même.

Hector, faussement outré par cette plaisanterie laissa ses doigts appuyer sur un point faible de son amant. Achille se tortilla, Hector en ria.

- Fais donc attention à ce que tu dis, je pourrais te montrer de quel bois est faite ma baguette.

- J'ai hâte de la voir, laissa échapper Achille avant de se précipiter sur les lèvres d'Hector pour l'empêcher de répondre.

Les deux amants jouèrent un peu ensemble, laissant libre court à la vigueur de leur jeunesse et quand il passèrent aux choses sérieuses, ils s'étreignirent d'amour pendant un long moment, rattrapant temps, douceurs et caresses. Ils s'étaient beaucoup manqués l'un à l'autre, et jamais leur désir de se revoir, leur désir tout court, n'avait été si intense. Le reste de la nuit, durant laquelle ils dormirent dans les bras l'un de l'autre, épuisés, mais comblés de bonheur, fût courte. Au réveil, Hector malgré son entrainement d'Auror eût un mal fou à ouvrir les yeux et à se détacher de son amant.

Il mangea un morceau de pain trempé dans du chocolat chaud, et se prépara. Il faisait sa toilette lorsque des mains lui bouchèrent la vue.

- Bonjour, messire le ménestrel, le sommeil fut il agréable ?

- Trop court, sans conteste, susurra Achille à l'oreille d'Hector. Mais à qui la faute ?

- A celui qui en demandait encore, et encore, et encore... rétorqua Hector en se penchant en arrière, les yeux aveuglés par les mains d'Achille, pour l'embrasser. Ça ne t'ennui pas si je pouvais éviter de me trancher la gorge en me rasant ? demanda Hector en retirant délicatement les paumes aveuglants ses yeux.

- Je t'en fais la prière, répondit Achille en lui déposant un baiser sur la joue. Hector se concentra sur son sortilège de rasage, tandis que la lame qu'était devenue le bois de sa baguette glissait sur son cou dans un grattement à peine audible. Lorsqu'il fût à nouveau présentable, Hector rejoignit Achille à table et le regarda manger, avec dans les yeux une grande tendresse. Achille, la bouche pleine de pain, lui souriait.

- Voilà une belle et merveilleuse journée qui s'annonce, laissa échapper Hector à l'adresse de son compagnon. Je pourrais te faire visiter un peu la ville, qu'en dis-tu ?

- Tu as le droit de prendre un jour de congé comme ça ? demanda Achille en haussant un sourcil, sa tartine presque finie dans la main.

- Disons que je ne manquerais pas à mes supérieurs quelques heures de plus. Je ne suis pas sûr qu'ils sachent que je sois rentré. Je suis sûr que le jardin des Tuileries te plaira beaucoup, l'on y trouve quantité de créatures magiques et des nymphes de la cour.

- Et pourquoi pas Kergueven ?

Hector fût surpris par la question. Après presque une année, Hector avait fini par raconter ce qu'il avait découvert sur sa famille maternelle lors de l'affaire avec son oncle et sa tante. Achille avait d'abord été émerveillé avant d'être en colère qu'Hector ne lui ai rien dit tout de suite. Les cachotteries, et les préoccupations d'Hector à ce sujet durant cette année leur avaient valus quelques disputes, Achille n'avait pas compris pourquoi parfois Hector était si distant, si mal à son aise. Et quand il avait pu comprendre, suite aux révélations, il l'avait très mal digéré. Hector se sentait profondément chagriné d'avoir ainsi blessé et menti à Achille. Il se faisait repentant, allant toujours dans son sens, et évitant plus que tout d'évoquer le sujet, sauf si Achille l'abordait, bien sûr. Et aujourd'hui était la première fois qu'il l'abordait, sans colère dans la voix. Qu'il l'abordait tout court d'ailleurs. Achille réitéra sa question :

- Pourquoi pas Kergueven. Tu ne m'y a jamais emmené. Paris, je connais, je suis déjà venu t'y voir plusieurs fois.

Hector n'étais pas à l'aise avec cette idée. Il revoyait dans son esprit un certains nombre de souvenirs, douloureux où lourds à porter. Les rituels de magie noire, les magouilles politiques et économiques faites avec son oncle, cette bibliothèque et son savoir phénoménal et surtout, la vision d'horreur qu'il avait eu dans le sang de Demiguise et qui ne quittait plus son esprit. Mais Hector ne voulait pas contrarier Achille, aussi, il accepta.

Les deux amants se préparèrent puis, en s'obligeant à faire une étape, pour éviter de trop gros risques de désartibulement, ils transplanèrent. Aucun incident ne fût à déplorer, ils ne perdirent aucune partie de leurs corps dans la manœuvre, aussi ils firent la deuxième moitié du trajet. 

Lorsqu'ils arrivèrent à Kergueven, ils l'aperçurent. Sombre et imposant, le manoir dominait le village depuis une petite colline au contours boisées. Hector s'en étonna car avec les sortilèges, ils n'auraient pas dû le voir. Alors qu'il s'approchaient, Achille demanda :

- Où est-il ? Le manoir, expliqua-t-il devant l'air un peu idiot d'Hector.

- Juste devant nous. Tu...tu ne le vois pas ?

- Non. Je devrais ?

- Non, bien sûr, mais moi non plus.

Hector s'arrêta et vérifia les distances. Ils se trouvaient à presque cinq cent pas du manoir, jamais les sortilèges ne venaient jusque là. Hector sortit sa baguette, Achille en fit autant quand il remarqua que son amant s'était raidi et légèrement courbé. Soudain, quelque chose passa entre les jambes des deux hommes. Ils s'immobilisèrent sur place et un miaulement amicale les salua.

- Hector, qu'est-ce que c'est ? demanda Achille soudainement inquiet.

- C'est un Matagot, gardien du domaine et de ses hôtes. Bienvenue chez vous, messire Peverell, lança une voix dans l'ombre d'un arbre. Hector se redressa, baguette prête, mais il reconnut alors son interlocuteur :

- Traegor ? Que faites-vous ici ? demanda-t-il circonspect, mais rassuré de voir un visage connu.

- Madame la Comtesse m'a fait savoir que vous viendriez aujourd'hui, elle m'envoi pour vous accueillir comme il se doit. Éclipse à flairé votre présence sitôt que vous êtes entrés dans le village.

Le Matagot ronronna en se frottant aux jambes d'Hector avant d'aller contre celle d'Achille. S'accroupissant, Achille présenta sa main au chat d'argent dont les yeux bleus s'agrandirent encore plus qu'ils ne l'étaient déjà lorsqu'il huma l'odeur du jeune homme. Il lui râpa la main de sa langue et se frotta de tout son long contre ses jambes.

- Je crois qu'elle vous aime bien, lança Traegor avec un petit rire devant ce spectacle.

- Comment ma tante savait-elle que nous viendrions ? demanda Hector à Traegor avec méfiance.

- Madame la Comtesse sait un certain nombre de choses d'une façon qui m'échappe, monseigneur. Elle m'a simplement demandé de venir vous accueillir.

- Soit. Et comment expliquez-vous que je vois le manoir d'ici, alors que plus de cinq cents pas nous séparent du portail ?

- C'est Éclipse qui par sa présence étant le champ d'action du sortilège.

- Oh, je vois. Bien, allons-y. Achille ?

L'intéressé gratouillait une Éclipse ravie d'être ainsi câlinée. Il releva la tête, se releva tout entier et suivi la marche tout en jetant des regards amusés au Matagot.

- C'est une créature très affectueuse je trouve. Je l'aime bien, dit Achille à Hector en lui prenant la main discrètement. Traegor, qui marchait devant précisa :

- Oui, les Matagots peuvent être adorables, comme ils peuvent aussi être démoniaque. Après tout, ils s'obtiennent dans un marchandage d'âme avec le Diable...

Achille ouvrit de grands yeux et sa mâchoire sembla se décrocher.

- Mais rassurez-vous, ajouta Traegor, ce marchandage date d'au moins un bon millénaire. Éclipse est le représentant de la génération actuelle des Peverell. Il en naît un par générations, et quand elle est née, personne ne comprenait pourquoi, puisque monseigneur n'était pas encore arrivé jusque ici. Nous voici arrivés, mes seigneurs. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue chez vous, maître Peverell, dit Traegor à Hector en s'inclinant bas. Il se releva, sortit de sa poche une grosse clef et la lui tendit :

- Après vous, monseigneur.

Hector prit la clef des mains du valet et l'inséra dans la serrure. Celle-ci cliqueta de ses multiples rouages et bientôt la porte s'ouvrit. Il entra, suivit par Achille puis par Traegor et enfin par Éclipse. A la lumière, Achille put découvrir le visage de Traegor alors qu'il leur ôtait leurs manteaux et envoyaient leurs bagages dans leur chambre d'un geste de baguette. D'une taille normale, il avait des cheveux bouclés et châtain. Ses yeux bleus clairs tiraient presque sur le blanc. Son menton, un peu fort et sa mâchoire carrée donnait l'impression qu'elle était déformée. Son front se dégarnissait déjà par endroit. Du reste, sa peau avait une couleur de parchemin neuf, son phrasé, quoi teinté d'un léger accent breton, était tout à fait correct et sa tenue était impeccable. Il seyait à son costume et la prestance qu'il dégageait faisait parfaitement ressortir son rôle de valet. 

- Ces messiers désirent-ils un rafraichissement dans le salon ?

Ils hochèrent la tête, et Traegor disparût. Lorsqu'il revint, un plateau flottait à ses côtés. Deux verres en cristal ouvragé aux armes des Peverell leur furent remis, et Traegor demandant à chacun ce qu'il désirait boire, versait ce qui semblait de l'eau d'une carafe. Dès qu'il touchait le fond du verre, le liquide se transformait en la boisson demandée. Lorsqu'ils se furent rafraîchis, Traegor les guida dans une visite commentée du domaine, quand bien même Hector connaissait déjà les lieux. Il découvrit cependant quelques pièces, dans lesquelles il n'était jamais allé. Une chambre notamment, celle de sa mère. Il en sentit l'odeur sitôt qu'ils en franchirent la porte. Un portrait d'elle occupait un petit cadre ovale au dessus du lit, ses parents, deux grands tableaux en face du sien. Dans une armoire vide avaient dû être entreposés des vêtements et une étagère avait un temps été alourdie par des livres, n'en témoigne la courbe des planches et la couleur du bois à l'endroit où se trouvaient les livres.

Hector s'assit sur le lit de sa mère, qui grinça légèrement. Un frisson le parcouru et Achille, lui aussi, senti quelque chose. Traegor ne leur laissa pas le temps de réfléchir et les guida dans le reste du manoir. Lorsqu'ils parvinrent à leurs chambres, leurs affaires y étaient déjà. Hector n'avait pas fait de demande pour qu'ils dorment ensemble, mais il savait que ça serait le cas, bien que leur séjour ne durerait pas. Hector ne voulait pas s'attarder. Alors qu'il dardait un regard sur le portrait de ses grands parents, décidemment présents dans toutes les pièces, il remarqua qu'un des pieds du Duc Auldren manquait, comme si le tableau était inachevé. Il haussa un sourcil, de la même façon que le portrait qui le regardait d'un regard mi intrigué, mi agacé. Hector nota dans sa tête de consulter les autres tableaux afin de voir si cette erreur était spécifique à cette peinture. Il rejoignit Achille dans sa chambre, ce dernier était à la fenêtre, il regardait le parc s'étendre à perte de vue.

- Tu n'aimes pas cet endroit, dit Achille. Je le sens.

Il se tourna vers son amant. Il avait un visage étrangement neutre. Presque dénué d'émotions. Hector ne répondit pas. Il se contenta de regarder dehors, évitant le regard d'Achille.

- Tu sais que je t'ai pardonné, Hector.

- Je sais. Mais tu auras beau me pardonner autant que tu le voudras, Achille. Je ne me pardonnerais pas ce que je t'ai fais.

- Il faudra bien, si tu veux avancer.

- Je refuse d'oublier, Achille.

- Pardonner n'est pas oublier, Hector. Tu n'oublieras pas, je te connais. Moi non plus du reste. Et au besoin je te le rappellerais. Tu n'as de cesse de me dire que ta mémoire est moins bonne que la mienne, mais dois-je te rappeler que tu sais des choses que j'ignore, que tu retiens ces choses ?

- Je ne veux pas avoir cette discussion Achille.

Sans ajouter un mot, Hector l'embrassa sur la joue, fugacement, comme pour le faire taire, et s'en alla. Achille le regarda partir, entendant dans le sillage de son amant une pensée faite son. La musique des remords suivait le chemin d'Hector. Achille s'en voulu, et fût chagriné pour son amour.

- Jamais ne te pardonneras-tu ? murmura-t-il dans un souffle peiné.

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