CHAPITRE XXVI
Mars 1702, Comté de Brocéliande, château de Camelot...
Prijañ Pendragon était assis sur son trône Comtale, mort. Celui qui l'avait tué avait usé d'un sordide procédé. Il lui avait couvert la tête de ce qui ressemblait à une cape, mais qui émettait un horrible bruit de succion. Parfois, ses membres tressaillaient encore, mais il ne s'agissaient que de réflexes, rien d'autres. Sa femme, Maelez, pleurait toutes les larmes de son corps, en essayant par tous les moyens de retirer cette chose infernale de la tête de son mari. Au loin, dans les profondeurs du château, des hurlements terribles se faisaient entendre. Ils ne s'arrêtaient pas. Ils résonnaient si fort que les vitraux en tremblaient. Ces hurlements étaient ceux d'Hector.
Jamais Hector n'avait ressenti pareille douleur. Il lui semblait qu'il allait mourir. Dans ses veines, un poison terrible lui brûlait le sang. Tous ses canaux sanguins noircissaient au fur et à mesure que le poison faisait son effet. Ses yeux avaient perdus leurs couleurs, ses cheveux aussi, sa peau blanchissait comme celle d'un mort, et ses traits, déjà fin, se faisaient cadavérique. Il vieillissait à vu d'œil. Même le fou de la Reine, lorsqu'il lui avait arraché les souvenirs, n'avait pas autant crié. Alors qu'il s'efforçait de penser à Achille plutôt qu'au supplice qui le tuait, pour partir avec un semblant de paix, celui-ci prit fin. Hector sentit tout son corps se relâcher. Sa vision se brouilla et alors qu'il pendait comme un vulgaire pantin désarticulé, il lui sembla qu'il tombait dans un abîme de mort. Sa tête heurta violemment le sol dur et froid. Sa mâchoire se fractura et un filet de sang coula de sa bouche. Pourtant, il n'était pas mort. Pas encore. Il haletait, d'une respiration sifflante, rauque, presque éteinte. Suffoquant dans son sang, Hector n'aperçut pas la paire de botte qui entra dans sa prison.
- COMMENT ? hurla Maelez. COMMENT A-T-IL FAIT ÇA !?
Hector cracha un flot écarlate et essaya de parler, mais rien ne sortit de sa bouche autre que de l'hémoglobine. Il ne comprenait pas le sens de la question. Pas plus qu'il n'avait compris ce qui s'était passé.
Alors que lui et Morven étaient arrivés sans encombre au château de Camelot, dans la nuit, ils avaient d'abord cherché à entrer sans être vu. Mais ils n'avaient pas fais trois pas dans la basse-cour qu'une cohorte de garde leur était tombée dessus. Morven et Hector, pris au dépourvu par cet accueil, s'étaient défendus au mieux. Morven avait, d'un tournemain extraordinaire, tué trois garde sans souffler mot. Il n'avait presque pas fait usage de sa baguette. De son épée, il avait pourfendu, transpercé et tué bon nombre de gardes. La lame était enchantée et quiconque se trouvait blessé par elle perdait jusqu'à la dernière goutte de son sang. Elle avait aussi la propriété d'absorber l'essence magique de ses victime, ce qui la renforçait singulièrement. Après cette entrée fracassante, ils ne leur avait plus fallut espérer se faire discret. Armes à la main, Hector et Morven étaient allés directement vers leur but, faisant fi de tous ceux qui leur barraient le passage. Alors que les cadavres formaient une véritable piste de miette de pains, Maelez les surprit. Ils montaient quatre à quatre les escaliers d'une tour dont les marches disparurent sous leurs pieds. Ils tombèrent jusqu'en bas, mais d'un simple sortilège, ils amortirent leur chute et se remirent debout promptement. Tel un nuage d'encre mortel, Maelez avait également plongée à leur suite et elle arriva, épée et baguette en main pour leur présenter son hospitalité. Pensant la ralentir, Morven avait voulu mette le feu au château, mais sa sœur n'eut qu'à tapoter la pierre de la pointe de sa baguette pour que de l'eau en sorte et transforme bientôt le sol en véritable mare.
Ils s'étaient ainsi battu ce qui avait semblé des heures entières pour Hector. Jamais il n'avait affronté, ni même assisté à pareil combat ! Il n'était pas certain que Gladius de Monblason ai pu rivaliser. La violence dont faisait preuve Maelez était sans commune mesure, et elle eût tôt fait de désarmer Hector, de l'envoyer contre un mur où les pierres l'emprisonnèrent entre leurs moellons, et de trancher un bras à son frère. Lorsqu'elle eût défait ses deux adversaires, elle les enchaîna et les traîna devant son mari, le Comte de Brocéliande, le frère du Duc de Bretagne.
Fier et hautain, Prijañ Pendragon avait condamné ses prisonniers sans autre forme de procès que sa parole et comme témoin et victimes, sa femme et les cadavres. Quand Morven entendit le verdict tomber, il se refusa à mourir, et d'un tour de magie qu'Hector ne lui connaissait pas, sa cape avait volée jusqu'au Comte, s'était enroulée autour de sa tête et avait commencé à l'étouffer. Morven avait brisé ses liens en relâchant une puissante onde de choc qui mit tout le monde par terre, et lorsqu'Hector avait pu rouvrir les yeux, son oncle avait disparu. Il avait abandonné Hector. Il l'avait laissé dans les mains de la tortionnaire de ses cauchemars et souvenirs. Hector allait mourir. Dès l'instant où il avait saisi que son oncle ne viendrait pas le chercher, il avait tout essayé mais rien ne lui avait permis de s'enfuir. Il avait été enfermé dans une cellule où un filet du diable tressé lui retenait pieds et mains et l'enserraient plus à chaque mouvement. Le poison qui lui coulait dans les veines en était la sève. Maelez ne s'était pas encore montrée, et Hector ne savait pas combien de temps il était resté prisonnier. Des heures, des jours, des mois ? En vérité pas même une heure. Le poison était aussi rapide qu'il était violent. Mais sa torture lui avait semblé durer une éternité.
- Comment s'y est-il prit pour se libérer ? réitéra Maelez en soulevant la tête d'Hector par les cheveux. Il avait le visage poisseux de sang, trempé de sueur, d'un blanc macabre, mais quand leurs regards se rencontrèrent, Maelez eut un mouvement de recul et lâcha brusquement Hector.
- Par les flammes du Grand Feudeymon ! jura-t-elle. Sans le toucher, elle redressa Hector qui se mit à flotter dans l'air. Maelez approcha sa tête de celle d'Hector et le dévisagea. Soudain, elle humecta l'air profondément.
- Tu as son regard, et tu sens son odeur. Par quel maléfice ?
Hector voulu articuler quelque chose mais il cracha encore un flot de sang. Maelez ne détourna pas les yeux. Elle observait profondément son prisonnier. Elle baissa la tête lorsqu'elle entendit le bruit de la botte d'Hector gratter au sol. Se servant de son propre sang, il dessinait. Laborieusement, il traça un cercle, puis un bâton. Quand Maelez comprit qu'Hector écrivait, elle le fit redescendre presque en douceur. Allongé par terre, Hector écrivit : Orphée est ma mère.
A la lecture de ces mots, Maelez hoqueta. Elle redressa la tête d'Hector avec vigueur et force et le fixa droit dans les yeux. Il l'avait, malgré le poison, malgré le sang, malgré les larmes et la sueur : le regard de sa mère. Cette même intelligence dans l'œil. C'est parce qu'il avait comprit tout de suite de qui parlait sa tante qu'il avait donné cette information. Elle le redressa et entreprit de le détacher du filet du diable en caressant les lianes tressées avec des flammes inoffensives qui s'allumèrent au bout de ses doigts. Hector manqua de tomber et du s'appuyer sur le mur pour ne pas choir. Il s'essuya la bouche d'un revers de manche et se pinça une narine qui ne cessait de saigner. Il cracha un molard rougeâtre par terre et s'éclaircit la gorge. Il se rendit compte, avec horreur qu'il n'avait plus sa baguette. Il la chercha rapidement des yeux, mais ne la trouva pas. Cependant, il ne s'en inquiéta pas. Il la retrouverait bien assez vite, et était largement capable de s'en passer pour le moment. Soudain, sa tante lui agrippa la manche et le traîna avec elle.
- Que t'a raconté mon frère ? demanda Maelez sans préambule tandis qu'elle le tirait vers la sortie. Hector, dans un râle, raconta ce que Morven lui avait dit sur sa famille, sur Orphée, sur Auldren, sur Anne, sur Maelez. Le fieffé menteur ! Le misérable salopard manipulateur ! tonna Maelez. Je vais lui envoyer l'Ankou, rira bien qui rira le dernier...
Le vocabulaire de Maelez changeait singulièrement lorsqu'elle parlait de son frère. Hector en aurait presque sourit, si elle ne l'avait pas torturé. Maelez guida Hector jusqu'à une écurie et se fraya un chemin entre des Abraxans. Sur le trajet, elle lui raconta la vraie version de l'histoire et Hector, au fur et à mesure des révélations, commença à éprouver pour son oncle une colère noire.
Dans le fond derrière le troupeau, était creusé un grand lavoir. L'eau qui y stagnait avait une couleur nacré. Elle semblait plus gluante que liquide. Hector regarda le liquide qui remuait, malgré l'absence de bête dedans. Il regarda sa tante interrogateur et elle lui fit un signe de la tête. Hector rentra péniblement, encore tout habillé et au contact de la surface de la potion, ses membres se raidir. Il tomba dans le lavoir, raide comme une planche. La potion était épaisse, Hector se sentit couler. Il aurait voulu se débattre, ouvrir la bouche où bouger l'un de ses poignets pour s'extirper de là par quelque sorts, mais c'était impossible. Ses yeux, ouverts, ne voyaient rien que la couleur nacrée de la potion. Soudain, son nez, puis son visage, puis tout son corps toucha le fond. N'ayant pas prit d'inspiration, Hector suffoqua et le liquide lui rentra dans les narines et la gorge. Mais il ne se noya pas. Il parvenait à respirer dans la potion. Sitôt la première gorgée dans son organisme, il sentit le poison refluer. Il le vit sortir par les pores de sa peau en fumet liquide noirâtre qui disparurent, se fondant dans la potion. Il aperçu aussi le sang qui le maculait se détacher pour flotter paresseusement autour de lui, comme un brouillard rouge. Il sentait les douleurs le quitter, son corps, malgré sa contraction rigide semblait se détendre. Tout reprenait sa place. Sa mâchoire fracturée ne l'était plus, ses blessures ouvertes à l'endroit où la sève du filet du diable étaient entrée se refermaient. Ses yeux n'étaient plus englués de sang, sa vision se faisait de nouveau clair et net. Même son esprit, qui d'ordinaire ne cessait jamais de réfléchir ou de penser, se calmait. Hector failli presque s'endormir. Il lutta pour ne pas perdre conscience. Mais petit à petit, son corps se détendant, il ferma le yeux. Puis d'un coup, une main gigantesque lui attrapa le dos et l'expédia hors de la potion. Il atterrit, trop douloureusement à son gout, sur la sol dur et froid du bord du lavoir.
Hector se redressa sur son séant se retrouva face à face avec le visage de sa tante. Ses petits yeux dardaient sur lui une expression terrifiante d'inquisition. Elle le renifla trois fois puis se remit debout. Hector fit de même, maladroitement. Il frotta vigoureusement ses coudes endoloris et essaya de chasser la poussière qui le couvrait. D'un geste machinal, habituel, il passa sa paume droite sur son œil pour vérifier que son camouflage était toujours là.
- Qu'as-tu fais à ton œil ? demanda Maelez d'un ton menaçant.
- Rien, je suis né comme ça, répondit Hector mal à l'aise. En dehors de Achille, et des Flamel, personne ne l'avait vu sans son sortilège de camouflage oculaire qui donnait à son œil droit couleur rouge sang une teinte verte identique à son autre œil.
Maelez l'entraîna dehors et lui fit voir la bannière des Peverell : Sur un écu rouge et noir, trônait le crâne blanc d'un sanglier. Ce sanglier avait son œil rouge.
- Je ne crois pas aux coïncidences, dit-elle. Les mots de mon frère t'ont trompés, mais ton œil ne peux me tromper moi. Tu bien un Peverell. Savoir de qui tu descends est une autre histoire... Mais je serais prête à te croire, si tu me prouve que je peux te faire confiance.
Hector, méfiant, demanda à sa tante comment prouver qu'il était bien le fils d'Orphée.
- En m'aidant à arrêter ce bon à rien de Morven.
Hector ne se laissa pas le temps de la réflexion et donna son accord. La trahison de son oncle, qui l'avait abandonné à une mort certaine dont seule sa parenté avec Orphée le maintenait en vie, le remplissait de rage. Les mensonges qu'il lui avait servis n'avaient été que des leviers pour Morven. Hector s'en rendait compte au fur et à mesure que les souvenirs repassaient dans son esprit. Ses doigts se mirent à crépiter et ses lèvres à trembler.
- Allons-y, laissa-t-il échapper dans un grognement...
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