CHAPITRE XXIX

Août 1703, Manoir de Kergueven, Comté de Cornouailles...

Achille se réveilla en sursaut juste avant Hector. Ce dernier cauchemardait et Achille l'avait perçu par delà le sommeil. Lorsque son amant se redressa, en hurlant, les yeux à moitié fou, transpirant de sueur, les mains agrippées à leur couverture, Achille le rassura doucement.

- Hector, je suis là, tout va bien, ce n'est qu'un mauvais rêve. Tout va bien mon amour. Tu veux me raconter.

Hector tourna sa tête vers Achille et haleta tandis qu'une larme coulait le long de sa joue, depuis son œil vermeille. Tandis qu'il reprenait ses esprits, il se leva et jeta le souvenir du cauchemar dans la cheminée. Le filament brumeux et argenté grésilla et explosa en pleins de petites étincelles qui furent aspirées par l'âtre. Hector se laissa tomber par terre, assis en tailleur, regardant brûler les bûches. Lorsqu'il eût recouvré son calme, Hector tourna le dos au feu et regarda Achille, qui assit, l'attendait. Hector lui tendit une main lointaine, et Achille sortit des draps pour venir se blottir contre lui.

- Pourquoi tant de cauchemars ? demanda-t-il à son amant qui le berçait contre son cœur.

- Je... je n'ai pas envie d'en parler tout de suite, s'il te plaît...répondit Hector. Juste, promets-moi que tu ne m'abandonneras jamais. Ne me laisse pas seul, je t'en prie.

- Hector, je ne peux rien te promettre de tel. Mais ne t'en fais pas, je suis là, avec toi.

- Achille, promet-moi, supplia Hector dont le corps commençait à trembler d'un chagrin incontrôlable. Ne m'abandonne pas. Pitié...

Il s'effondra en sanglots dans les bras d'Achille. Ce dernier lui redressa le visage, prit son menton entre les mains et lui dit :

- Regarde moi. Je suis là, je ne suis pas partis et je n'ai aucune raison de le faire. Je suis là, d'accord ?

Hector hocha la tête alors que des pleurs inondaient encore ses joues. Achille lui embrassa le front et le serra contre lui.

- Tu me diras un jour, pourquoi tous ces cauchemars ?

- Je te le promet...

Les deux jeunes hommes retournèrent se coucher après de longues minutes. Hector ne fit pas d'autres cauchemars, mais Achille eût du mal à trouver le sommeil. Lorsqu'il le trouva, l'aurore menaçait de poindre par dessus les sapins...

Ils déjeunèrent en silence, tandis que Traegor s'activait en cuisine. Vers dix heure et demi, ils se promenèrent à dos de cheval dans le parc, tandis que volaient autour d'eux des oiseaux. Achille leur jouait un air de harpe et les chevaux semblaient apprécier la mélodie aussi bien que les volatiles. Hector écoutait, songeant à ce qui l'attendait à Paris. Mais rien ne vint perturber la quiétude de cette matinée. Alors que sonnait midi, ils se remirent à table et Traegor vint porter à Hector un message apporté par un hibou.

- Tu vas devoir rentrer à Paris ? demanda Achille devant ma mine défaite de son amant.

- Oui... Je n'en ai aucune envie, je suis bien avec toi.

- Je sais. Tu veux que je vienne avec toi ?

- Non, je ne repasserai pas par chez moi, je vais directement me présenter au quartier-général.

Hector se leva dès son assiette terminée. Il déposa un baiser sur le front d'Achille et se dirigea vers la cheminée. Balançant une poignée de poudre de cheminette, dont les flammes vertes ronflèrent immédiatement sitôt les grains dans l'âtre, Hector mis un pied dedans mais il se fit retenir par la manche. Il se retourna pour se retrouver tête à tête avec Achille qui l'embrassa tendrement.

- Je t'aime Hector.

- Je sais, Achille. Palais-Royal !

Hector fit un clin d'œil à son amour avant de disparaître. Achille n'attendit pas avant de s'en aller par le même chemin. Rentrant chez lui, il salua sa famille avant de repartir à la cour de l'Empereur. Hector, lui, arriva dans un Magistère en pleine ébullition. Il se fit bousculer à peine sortit de la cheminée. Des groupes d'Aurors et de sorciers couraient dans tous les sens. Il arrêta l'un d'entre eux et lui demanda :

- Que se passe-t-il ici ?

- C'est le Roy, quelqu'un a tenté de l'assassiner !

- Crime de lèse-mage-jesté, c'est la mort assurée !  lança son chapeau pointu.

Sans plus attendre de précision, Hector grimpa au quartier-général des Aurors pour y trouver une foule conséquente et compacte qui écoutait Geoffroy Lestrange.

- La seule chose que je puisse affirmer, est qu'une enquête sera menée pour faire la lumière sur cette affaire, par ordre des Surintendants Bradefer. Si la culpabilité du commandant Vectan est prouvée, alors il sera jugé comme il convient.

Lestrange avait eu du mal à terminer son discours. Il semblait troublé par les nouvelles qu'il annonçait. Hector pensait avoir saisit le fin mot de l'histoire. D'une façon où d'une autre, son supérieur, le commandant Vectan avait tenté de faire assassiner le Roy-Mage. Mais pourquoi, c'était là le mystère. Il devrait sans aucun doute veiller à le découvrir. Sinon, pourquoi l'avoir fait revenir ?

- Il la voulait sa promotion, il l'a eue... marmonna une voix qu'Hector reconnue. Benoît de Dahut grognait à voix basse, à l'oreille de Jean Torbert. Hector s'approcha d'eux et les salua discrètement.

- Salut Balthazar. Bien content de te voir. Comment se sont déroulés tes tractations ?

- Bien. Les Profanes sont faciles à séduire. Un peu d'or et le tour est joué, rien de bien sorcier, ajouta-t-il dans un sourire appuyé à Benoît. Que se passe-t-il ici ?

- Je ne suis pas certain d'avoir tout compris, répondit Jean. Mais il semble que le commandant Vectan ait essayé de tuer le Roy-Mage, en présence du conseil.

- Devant le conseil ? Hector n'en crût pas ses oreilles.

- Oui. Et de ses propres mains selon toute vraisemblance, ajouta Benoît.

- Mais, ça n'a aucun sens ! S'exclama Hector. Il n'est pas aussi stupide que cela, si ?

Les deux autres hochèrent les épaules, ce qui pouvait autant signifier qu'ils n'en savaient rien que de confirmer l'état de stupidité de leur désormais ex supérieur.

- Les Bradefer ont-ils dit quelque chose ? Demanda Hector.

- Non, dit Jean. Ils n'ont rien dit. Sauf qu'ils mèneraient l'enquête personnellement...

- Et que quiconque tenterait de leur nuire serait immédiatement exécuté, acheva Benoît l'air grave et la mine sombre.

Cette information fit à Hector l'effet d'un coup de poing. Jamais les Bradefer n'avaient fait pareille déclaration. Cela devait être particulièrement grave pour qu'ils s'en chargent eux-même.

De cette affaire, rien ne filtra en dehors du Magistère, un véritable exploit. Tous les bavards s'étaient vu promettre la mort et les corps des trop curieux leurs avaient servis d'avertissements. Les Bradefer avaient mis la main sur le Palais-Royal en un tournemain et durant trois jours et trois nuits, ils reçurent les témoins, interrogèrent les suspects et bouclèrent chacun dans un endroit de sorte à ce que personne ne s'échappe. Ils ne purent en revanche rien contre les rumeurs. Certains criaient au coup d'état, d'autres au complot Réfractaire. Certains voyaient l'œuvre de telle ou telle organisation criminelle, quand d'autres croyaient à une basse manœuvre politique à base de poison ou d'enchantement. Tout le monde parlait, mais personne ne savait. Les deux seules personnes au courant étaient Isidore et Bertrand Bradefer. Un soir, pourtant, ils décidèrent de convoquer Hector dans leur bureau.

Lorsqu'il arriva, incertain sur la raison de sa présence, Hector toqua puis entra. Il faisait très chaud dans la pièce, les fenêtres étaient ouvertes et les chandelles avaient été remplacées par des globes de verre luminescent pour limiter la chaleur. Partout dans la pièce étaient étalés des parchemins. Certains volaient en tout sens par manque de place. Au milieu de ce fatras, les jumeaux Bradefer, au bord de l'épuisement, grattaient de leur plumes respectives des parchemins qui se joignirent aux autres. Ils se levèrent comme un seul et dans un geste identique, jetèrent des pensées dans les airs pour les détruire d'un coup de baguette. Alors qu'Isidore marmonnait, Bertrand s'approcha d'Hector.

- Je suis content de vous voir, Lieutenant Balthazar. Je vous ai fais venir pour que vous gardiez notre sommeil. Nous avons besoin de dormir, mais nous ne saurions ni abandonner cette pièce et ce qu'elle contient, ni faire confiance à des gardes où des valets.

- Je ne suis pas sûr de vous suivre, Monseigneur.

- Ça touche tout le monde ! Tout le Magistère, le Parlement. Tout le monde est concerné ! C'est une conspiration d'une ampleur jamais vu !

Bertrand Bradefer semblait presque divaguer, comme si le manque de sommeil l'avait rendu incohérent. Il laissa Hector et chercha des yeux un parchemin parmi ceux qui flottaient dans les airs. Lorsqu'il le saisit, il le colla devant les yeux d'Hector.

- Tout le monde ! S'exclama Bertrand Bradefer. La liste qu'il brandissait devant les yeux ébahis d'Hector s'allongeait toujours plus. Des centaines, de nom s'étiraient, dévoilant l'ampleur de la conspiration.

Quelque part dehors, un croup aboya et cela ramena les Bradefer à la réalité. Ils firent de la place et incantèrent deux lits pour se coucher. Ils saluèrent Hector et s'endormirent aussitôt allongés. Resté seul, Hector ne sût où se poster. Il opta pour se mettre à côté de la fenêtre, dans un angle qui lui assurait de couvrir la porte en cas d'intrusion. Il n'avait pas essayé de mettre en place des sortilèges de protection, le Magistère en étant déjà rempli, cela n'aurait fait que fragiliser ses sortilèges. Aussi, il attendit. La nuit fût longue. Trop longue. La tentation de lire les parchemins qui lui passaient sous le nez était grande, mais il ne savait pas quand ses supérieurs se réveilleraient, et il avait peur d'être surpris. Il lutta pour ne pas céder à la curiosité. Finalement, pour s'occuper, il entraîna discrètement sa magie scandinave, puisqu'il n'avait pas eu l'occasion de beaucoup la pratiquer ces derniers temps. Tout en travaillant, il songea à l'ampleur du complot. Ce dernier semblait avoir des ramifications complexes et semblait concerner tellement de personne que les rares à ne pas être au courant semblaient être les seuls réunis dans cette pièce. Réalisant que n'importe lequel de ses collègues pouvait être concerné, Hector senti monter en lui une angoisse. Il devrait désormais faire attention à tout ce qu'il disait, faisait et écrivait, de peur que ça ne fusse intercepté par de mauvaises personnes. Attrapant un parchemin vierge et une plume, il se lança alors dans l'invention d'un alphabet codé. Il en fit une copie qu'il se promit d'envoyer à Achille et commença à écrire avec, pour le mémoriser.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque les Bradefer se réveillèrent. Ils semblaient plus fort que jamais. Dans leurs yeux brillaient une nouvelle détermination. Ils firent disparaître leurs lits et passèrent le reste de la matinée à trier et organiser leurs parchemins. Hector n'ayant pas été congédié, il restait là, les regardant faire. Parfois, les jumeaux se regardaient, marmonnaient des morceaux de phrases mais ne les finissaient pas. Ils semblaient se comprendre sans dialogue, comme si ils usaient de Légilimancie. Mais Hector n'en sentait pas les effets qu'il connaissait si bien. Parfois, ils parlaient de plus en plus haut, s'énervant l'un contre l'autre dans du verbiage qu'Hector ne saisissait qu'à demi-mot. Il était question de gens, de lieux, de vieilles affaires, de syndicats criminels, et de tout un tas d'autres choses. Il était aussi question des Profanes. Hector tendit l'oreille lorsque l'engueulade des jumeaux, qui l'avaient complètement oubliés, dériva sur leurs ennemis héréditaires, mais il n'apprit rien qu'il ne savait déjà. En effet, sa mission auprès du Duc de Vendôme lui avait permis d'en apprendre plus sur les Profanes en quelques semaines qu'en plus de vingt années.

Hector dût attendre jusqu'à midi avant que les Surintendants ne se souviennent de sa présence. Il fût remercié et quitta les lieux, perplexes. Dans les couloirs, un silence malsain régnait. La peur et la suspicion se lisait sur tous les visages. Mêmes les statues et les armures paraissaient suspects. Hector regagna le quartier-général des Aurors et s'enferma dans son bureau. Il ne savait que faire. Aucune mission ne lui avait été attribuée, ses tractations avec les profanes étaient attentes de résultats et le nouveau commandant ne l'avait pas fait demander, en somme, il devait attendre. Alors il patienta. À la fin de la journée, il se fit à nouveau convoquer par les Bradefer. Leur bureau était très différent que le matin même. Tout était parfaitement rangé, la disposition en miroir avait repris sa place et aucun des deux Surintendants ne semblait être fatigué. Après Hector virent dix-neufs autres personnes. Toutes semblaient ignorer la raison de leur présence.Alors qu'Hector réfléchissait à ce qui se dirait durant cette réunion, Geoffroy Lestrange et Louis-Gautier Lenoir franchirent également la porte du bureau. Tout le monde se tût et les deux chefs de la brigade des Aurors s'approchèrent de Bertrand et Isidore.

- Commandant Lestrange, Lieutenant Lenoir, par les pouvoirs extraordinaires confiés par Sa Mage-Jesté, notre bon Roy-Mage Basileûs III d'Aquitaine, je vous charge séant de traquer les traîtres, félons et conspirateurs inscrit sur cette liste noire et de les traduire en justice, lança Isidore avec cérémonie.

- Tous les moyens pour capturer cette infâme bande de conjurés sont à votre discrétion. Vous êtes libre d'employer toutes les méthodes nécessaires, mais nous les voulons vivants. Allez, messieurs, rendez la justice royale ! Ajouta Bertrand.

Les Surintendants remirent un parchemin cacheté à Geoffroy et un à Louis-Gautier. Ils saluèrent et répondirent :

- Si veut le Roy, si fait la Loi.

Lorsqu'ils furent sortis, les Surintendants reprirent :

- Messieurs, vous êtes ici présent pour devenir les jurés du procès du parjure Basile Vectan. Vous devrez rendre la justice Royale au nom de sa glorieuse Mage-Jesté. Nous vous avons choisis car nous savons que vous ferez votre devoir comme il sied à un honorable membre de cette institution. Allons-y.

Quittant le bureau des Bradefer, toute la suite des Surintendants se rendirent dans les sous-sols du Palais-Royal. Hector n'était encore jamais descendu dans cette partie des sous-sols. Il connaissait les quartiers de détention, mais ignorait qu'il existait d'autres sections du Magistère à ce niveau. Ils entrèrent dans une grande salle semi circulaire. Des gradins en bois sculptés en bois sombre étaient couverts d'un tissu de velours pourpre. Les armes du Magistère parsemaient le carmin en des semblant d'étoiles d'une constellations trop rectiligne pour qu'elle ne fusse naturelle. Des grandes bannières tombaient d'un balcon destiné à accueillir du public lors de très grands procès. Elles arboraient les armes du Roy-Mage Basileûs III. L'absence de monde dans le tribunal lui donnait un air solennel et grandiose. Imposant presque. Sur les colonnes, figuraient de grands noms de la Sainte Inquisition, chargée de protéger les sorciers des Profanes en condamnant de fausses sorcières. Au centre de cet hémicycle, se dressait un fauteuil en bois noir. Il était taillé comme s'il s'était agit du trône d'un démon. Il émanait de ce fauteuil une impression de souffrance, de condamnation immédiate. Il semblait à Hector que toutes les personnes s'y étant assises avaient étés exécutés. Il se mit alors à sentir, pour la première fois de sa vie, une sensation des plus singulières. Un froid terrible se répandit dans ses entrailles et de la buée s'échappait de ses lèvres. Des râles lui parvinrent alors, des cris lointains, des suppliques murmurées. Il lui semblait entendre des lamentations provenant des pires cachots de la Cavité. C'est alors qu'il les remarqua. Deux Asservis, ombres immenses et filiformes qui encadraient la silhouettes comparativement minuscule de Basile Vectan. D'un geste du bras, l'un des deux Asservis expédia le condamné, déjà coupable, dans le fauteuil de mort. Les jurés s'installèrent au premier rang, mal à l'aise et dérangés par la présence des geôliers de la Cavité. Les Surintendant s'installèrent en face du fauteuil, au sommet d'une haute tribune d'or et ouvrirent la séance.

Le procès dura moins d'une heure. Clamant son innocence, le commandant Vectan arguait qu'il avait été envoûté, qu'il ne se souvenait pas d'avoir fait ce qu'on lui reprochait. Et ce, malgré les preuves évidentes de sa culpabilité, notamment des souvenirs provenant de sa propre mémoire où il se jetait sur le monarque. Mais les Bradefer ne le croyaient pas. Les jurés étaient partagés. Hector ne remettait pas en doute les actions, mais lorsqu'il songeait aux motifs de cette attaque, rien ne faisait sens à ses yeux, et l'hypothèse de l'envoûtement lui semblait de plus en plus plausible. D'autres preuves vinrent étoffer la culpabilité du commandant, dont des lettres privés entre lui et le Duc de Normandie, Guillaume Malefoy, Prince Électeur briguant le trône royale. Lorsque toutes les questions posées trouvèrent réponses, qu'elles vinrent de Vectan ou des Bradefer, les jurés, à main levées, votèrent sa culpabilité. Tous sauf un le condamnèrent à mort. Hector n'étant pas entièrement convaincu refusait de voter la mort. Il s'y opposait fermement tant que tout n'était pas parfaitement clair. Lorsque tomba le verdict, le commandant Vectan hurla, terrifié. Les Asservies le détachèrent du fauteuil noir, dont les bras de bois avaient emprisonné l'ancien commandant, et l'emmenèrent vers son funeste destin.

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