CHAPITRE XX
Juillet 1700, Palais Royal, Magistère...
- Debout avorton ! Allez, relève toi ! J'aurais déjà eu le temps de t'abattre trois fois en attendant que tu ne te remettes sur tes pattes ! Je n'ose imaginer le jour où il t'en manquera une !
Péniblement, Hector se redressa sans répondre aux provocations du vieux maître d'armes.
- Flipendo ! Traçant dans l'air un v majuscule avec sa baguette, Gladius de Monblason renvoya son élève par terre. Tu n'apprends donc rien !? Voilà des semaines que je m'échine à t'enseigner à te battre et tu n'es même capable de te relever ?!
- Vous ne m'avez même pas accordé de pause depuis midi... articula difficilement Hector.
- Mais crois-tu, jeune imbécile, que tes ennemis t'en laisserons du temps ?! Jamais ils ne te laisseront en paix ! Ils te mettront à terre jusqu'à ce que tu ne t'en relève plus ! Et pour te mettre à terre, ils ne te lanceront pas de petits maléfices, oh ça non ! C'est des sortilèges de mort qui viendront te faucher !
Tout en continuant de le provoquer, le maître d'arme faisait pleuvoir ses sortilèges sur son élève, sans se soucier des blessures sanguinolentes qu'il lui infligeait.
- Allez en garde ! Ma grand-mère se remettait plus vite que ça !
Alors qu'Hector jurait intérieurement, il se releva et contre-attaqua. L'un de ses sortilège, rendu plus puissant par la colère, fût paré avec nonchalance et désinvolture par Gladius de Monblason et l'éclair termina sa course en ricochant sur une colonne puis s'écrasa au mur, y creusant un profond sillon.
Depuis qu'il était arrivée au sein de la brigade des Aurors, Hector n'avait pour ainsi dire pas eu droit de faire grand chose d'autre que se prendre corrections sur corrections de la part du Maître d'armes. En effet, le Commandant Vectan n'ayant pas du tout digéré son entrée fracassante et l'avait instantanément pris en grippe. Ses deux lieutenants, Geoffroy Lestrange et Louis-Gautier Lenoir avaient réclamé une punition pour avoir été attaqués. Mais visiblement, l'intervention des frères Bradefer lui avait évité des représailles trop dur. Au lieu du cachot auquel les deux lieutenants avant promis à Hector une place, il s'était retrouvé consigné en salle d'armes avec Gladius de Monblason quand il ne devait pas faire le ménage, consigner des rapports, porter des dossiers aux Archives, et pleins d'autres tâches pénibles et peu intéressantes. La seule chose qui permettait à Hector de tenir sans renoncer était un espoir : celui d'accéder sans réserves aux Archives familiale pour retrouver la trace de son père. Se relevant pour mériter son accès en ces lieux, il se remit en garde face au vieux et infaillible bretteur.
C'est à cet instant que deux hommes entrèrent dans la pièce. S'installant face à la piste, ils portèrent leur attention à la correction que recevait Hector. Un maléfice cuisant avait atteint la main droite du jeune homme et sa baguette lui brûlait la paume gauche tellement elle chauffait. Alors qu'il se fendait, Jean Torbert se racla poliment la gorge.
- Qu'est-ce que c'est ? aboya le vieux maître d'armes sans quitter Hector des yeux.
- Bonjour Maître Monblason. Nous devons emmener l'aspirant, répondit Jean Torbert en tortillant sa longue barbe dans ses doigts.
- Voyez-vous ça ! Le prévôt d'arme, agacé, baissa sa baguette et se tourna vers les Aurors. Et en quel honneur je vous prie ?
- Il doit venir avec nous pour résoudre une affaire, répondit simplement Torbert.
- Balivernes ! Il n'est pas prêt à affronter le dehors. Je lui pincerais le nez que du lait lui en sortirait encore ! Grogna le bretteur en jetant à Hector un maléfice qu'il ne s'attendait pas à recevoir.
- Le garçon doit être éprouvé, sur ordre de son Excellence.
Disant cela, le vieil homme fit voler jusqu'à Gladius de Monblason un parchemin d'allure officiel. Décachetant le sceau d'un coup de baguette, ce dernier parcourut rapidement la missive. Dégoûté mais soucieux de rester dans les bonnes grâces du Surintendant Bradefer, à qui il devait beaucoup, il laissa aller son élève.
- Ne crois pas t'en tirer comme ça, Balthazar. Nous finirons demain matin, à six heures...
Mais les paroles du maître d'armes se perdirent dans le vide, les deux agents ayant déjà quitté la pièce avec le jeune homme.
- Tiens, bois ça, dit Benoît en tendant à Hector une fiole qu'Hector reconnue comme une potion Wiggenweld. Mais attention, c'est pas un remède miracle !
Ouvrant péniblement la bouche, Hector avala l'intégralité de la potion d'une seule traite. Alors qu'une agréable chaleur se diffusait dans son corps, les douleurs de ses blessures s'atténuèrent.
- Merci de m'avoir sortit de là, dit Hector
Benoît le gratifia d'une bourrade amicale et le petit groupe sortit du Palais Royal noyé dans la brume tandis qu'un orage grondait au dessus de la ville.
- Excusez-moi de poser la question, mais où allons-nous ? Demanda Hector curieux de voir les deux Aurors rejoindre les quais de Seine.
- Sur l'île de l'Escolle, répondit Benoît.
- Nous avons une enquête à résoudre là-bas. Un apothicaire s'est fait cambrioler la nuit dernière, précisa Jean.
- Et quel est le rapport avec moi ? Questionna Hector.
- Pour te dire la vérité, nous n'en savons pas grand-chose, dit Jean J'imagine que le Surintendant Bradefer a ses raisons. Et je suppose qu'elles ont un rapport avec les toutous de Vectan.
- Les quoi ?
- Les toutous de Vectan, c'est comme ça que sont surnommés Lenoir et Lestrange dans le service, expliqua Benoît. Ils suivent le Commandant comme des croups suivraient leur maître. Et depuis que tu les as désarmés, ils ont un peu les crocs. Faut dire, tu n'y as pas été de main morte. Tu leur as hérissé le poil comme personne avant toi.
- Je ne suis pas sûr de comprendre... dit Hector.
- Je vois bien que tu ne comprends pas. Désarmer un noble comme tu l'as fait est considéré comme une insulte très grave par certains d'entre eux. Et crois-moi sur parole, les toutous sont de ceux-là. Ils te haïssent déjà et m'est avis qu'ils vont tout faire pour te rendre la monnaie, même s'ils doivent te tuer pour ça. Et c'est sûrement pour ça que Bradefer nous à ordonner de t'avoir à l'œil.
Cette explication clarifiait les choses pour Hector qui n'en resta pas moins secoué. Il se plongea dans ses pensées sur tout le reste du trajet. Perdus dans ses ruminations, il revint brusquement à la réalité quand la poigne étonnamment puissante du vieux Jean le retint de tomber dans la Seine.
- Attention où tu marches, petit ! Recule-toi un peu, tu veux ? Appare Scalae, marmonna ensuite Jean en pointant sa baguette magique vers le quai. Aussitôt, les pierres s'affaissèrent pour laisser place à un petit escalier qui descendait jusqu'au niveau de l'eau. Descendant doucement, Jean agita sa baguette comme il l'aurait fait d'une clochette et attendit. Au loin, un tintement retentit, comme une réponse au geste du sorcier. Après quelques secondes d'attentes, une barque vide surgie des flots et les trois sorciers grimpèrent à bord.
- Tu connais la manœuvre ! Lança Jean à son acolyte qui tapota sur la proue de l'embarcation avec sa baguette. Virant de bord, la barque repartie d'où elle venait en emportant ses passagers.
À quelques encablures, là petite île émergea du brouillard. Elle leur apparût entièrement au bout d'une bonne minute. Sur le ponton vers lequel se dirigeait la barque, un petit elfe faisait les cents pas. Posant pieds à terre, Benoît se pencha vers la créature à grandes oreilles.
- Garde là nous, on revient...
- Oui, maître, répondit docilement l'elfe en s'inclinant si bas qu'il se râpa le nez par terre.
Laissant leur bateau à quai, les trois sorciers avancèrent dans les ruelles de l'île. Bien vite les Aurors arrivèrent bien vite sur les lieux du cambriolage. D'aspect miteux, un peu ternie, la façade bordeaux présentait une vitrine crasseuse derrière laquelle s'entassait quelques flacons aux contenus répugnants. «Bôchaudron, apothicaires de père en fils depuis 1584» pouvait-on déchiffrer au-dessus de la porte. Dans l'échoppe, le marchand s'efforçait de remettre en ordre ses étagères dont le contenu jonchait encore le sol par endroit.
- Évidemment...maugréa Benoît en constant l'absence des dégâts indiqués sur la déposition. Je m'occupe de l'interrogatoire, dit-il sans attendre de réponse. Passant la porte ouverte, il s'avança dans les allées à la recherche de l'apothicaire.
- Monsieur Gustave Bôchaudron ? Brigade des Aurors. Nous avons des questions à vous poser quant au cambriolage de cette nuit.
- Grâce soit rendu à Sa Mage-Jesté, je vous attends depuis l'aube ! s'exclama l'intéressé en se relevant, un bocal d'yeux dans chaque main. Navré pour le désordre, je m'efforce de remettre ma boutique en état depuis ce matin. J'ai déjà fait réparer intégralement ma vitrine ! Et maintenant, je me retrouve à faire l'inventaire de toutes mes marchandises parce que ce satané voleur y a semé un vrai chaos !
- Pourriez-vous nous donner des précisions sur ce cambriolage, coupa Benoît très sèchement sur un ton qu'Hector ne lui connaissait pas.
- Euh, oui...Bien sûr...commença le vendeur en croisant le regard noir que lui lançait l'Auror. Quand je suis arrivé ce matin...
- Je croyais que ça avait eût lieu la nuit.
- Oui, mais je n'ai été averti qu'à mon arrivé ici. Vous comprenez, je connais très peu de monde ici...C'est un peu chacun pour soi voyez-vous... répondit monsieur Bôchaudron penaud.
- Continuez.
- Donc, quand je suis arrivé ce matin, la vitrine était en mille morceaux, les deux étagères de devant étaient par terre avec leurs contenus, le comptoir était sans dessus dessous et la porte de derrière était grande ouverte aussi. Je suis même sur que le voleur est sorti par là.
- Sorti ?
- Oui, je verrouille mes portes de l'intérieur quand je pars, donc il n'aurait pas pu entrer par là. En sortir en revanche, oui.
- Savez vous s'il y a des témoins ?
- Pas que je sache, monsieur.
- Vos voisins n'ont rien remarqué ?
- Ils ne m'en ont rien dit.
- Aviez vous des concurrents jaloux, des ennemis avoués ?
- Honnêtement, je ne vois pas, répondit Gustave Bôchaudron en réfléchissant.
Benoît se tût et observa la boutique. Jean et Hector attendaient silencieusement devant l'entrée lorsque le vieil Auror eût une idée :
- Monsieur Bôchaudron, avez-vous une liste des ingrédients qui vous ont été dérobés ?
- Sur le comptoir je crois. Attendez, dit l'apothicaire en se dirigeant le fond de la boutique. Farfouillant dans des piles de parchemins, il en saisi un petit et lu à voix haute : du sang de Salamandre, des tripes de Croups, quelques cornes de Licornes, des ongles de Griffons, des ailes de Chauves-Souris et de la bave d'escargots nocturnes. Pour l'instant c'est tout ce qu'il me manque.
- Merci, dit Jean en prenant la liste des mains du commerçant. Je vous la rends dans une seconde. Agitant sa baguette, il dupliqua la liste et rendis l'original à son propriétaire.
- Voulez-vous nous laisser entres Aurors, nous devons examiner les lieux.
S'inclinant légèrement, l'apothicaire sortit de sa boutique, laissant les Aurors seuls.
- Je ne lui fais pas confiance, commença Benoît. Il devrait en savoir bien plus que ça, juste avec les commérages.
- Difficile de commérer sur quelques chose qui a eût lieu de nuit. Et visiblement, le voleur a su se faire discret pour que personne ne remarque rien jusqu'au matin, répondit Jean en relisant la liste.
- Briser une vitrine fait du bruit, non ?
Hector, qui n'avait encore rien dit, attrapa sa baguette magique et s'approcha de la vitrine.
- Fenestra, murmura-t-il. Aussitôt, la vitrine se brisa en une pluie de verre. Dans la rue, Gustave Bôchaudron ne remarqua rien, le bruit ayant été étouffé par celui de la rue. Jean et Benoît, qui s'étaient tournés vers Hector hochèrent la tête de concert.
- Rapide.
- Relativement discret.
- Et très peu audible.
- La combinaison parfaite pour notre voleur.
Tout en disant cela, les Aurors s'employaient à réparer la vitrine, sous le regard effaré de l'apothicaire qui s'était retourné.
- Je pense qu'il n'en est pas à sa première vitre, commenta Hector. Il doit même y être habitué. Lancer un tel sortilège requiert précision et puissance. Or, s'il n'est pas assez puissant pour ouvrir la porte de devant, c'est qu'il est suffisamment habitué à briser des vitres.
- Intéressante théorie, remarqua Jean en se grattant la barbe. Mais dans ce cas, pourquoi sortir par derrière ? Il aurait pu repartir par là également.
- Pour ne pas se faire repérer ? Il a pu faire du bruit en renversant les étagères, répondit Hector
- Possible. Mais si bruit il y a, et que la vitrine est brisée, alors n'importe qui aurait pu entendre et nous avertir.
- Et si ce n'était qu'une fausse piste. Le voleur aurait pu briser la vitrine pour nous forcer à réfléchir à son modus operandi pendant qu'il prend la poudre d'escampette.
- Non Hector, je ne pense pas. Je pense que notre voleur est effectivement entré par la vitrine et qu'en fouillant dans les étagères il a fait du bruit. Alors il s'est caché derrière le comptoir, ce qui expliquerai le désordre. De là, il est allé dans l'arrière-boutique est a réussi à ouvrir la porte qui donne sur...
- Un témoin ! Cria Benoît. Au bout d'une petite cour, sur un ponton, un elfe faisait les cents pas. Benoît s'approcha de lui et lui ordonna de répondre la vérité absolue à toutes questions que les trois Aurors lui poseront.
- Étais-tu de garde cette nuit ?
- Oui, Monsieur, croassa l'elfe.
- As-tu vu quelqu'un sortir par cette porte cette nuit ?
- Oui, Monsieur.
- Était-ce un sorcier ou une sorcière ?
- Je ne sais pas, Monsieur.
- Comment ça, tu ne sais pas ?
- Yerk ne sais pas différencier les nains hommes des nains femmes, Monsieur.
- Un nain ?! Jean et Benoît se regardèrent, sidéré. Tu mens ! Dit Benoît en pointant sa baguette magique vers la créature qui se reculait, effrayée.
- Non, Monsieur. Non, Yerk ne ment jamais quand le maître ordonne de ne pas mentir.
- Combien avait-il de bras ?
- Trois, Monsieur.
- Un hybride, probablement, dit Jean en guise de précision.
- À coup sûr ! Cracha Benoît. Sais-tu où il est allé ?
- Non, Monsieur.
- Rha ! Mais cet elfe ne sert à rien ! Rugit Benoît en lui décochant un coup de pied. La créature couina en faisant un vol plané. Benoît attrapa au vol une piécette que son coup de pied avait expulsé de la poche des guenilles de l'elfe puis, renfrogné, rentra dans la boutique, suivi de son collègue silencieux. Hector, resté là, regarda l'elfe se remettre debout. S'agenouillant devant lui, il le fixa de ses yeux verts embrumés. Yerk essayait de fixer le sorcier dans les yeux mais avait du mal à trouver un point fixe, les yeux du sorcier semblant nager dans un brouillard surnaturel.
- Tu dis que tu as vu le voleur sortir d'ici ?
- Oui, Monsieur.
- Alors repense à ce que tu as vu cette nuit.
Docilement, l'elfe se concentra et ferma ses yeux gris. Hector approcha doucement ses mains des tempes de la créature et enfonça ses doigts dans le crâne de l'elfe comme un couteau dans du beurre fondu. Alors qu'il semblait fouiller dans le cerveau de l'elfe, Hector entonna une étrange litanie :
- Bók Hugða, Taka Hugða, Bók Hugða, Taka Hugða...
Tout doucement, il retira ses doigts de la tête de Yerk. Dans ses mains, une importante substance argentée flottait. Il en fit une boule qu'il enferma dans un flacon avant de repartir, laissant l'elfe assit, le regard vide.
***
Benoît faisait les cents pas dans son petit bureau où Jean et Hector étouffaient. Très peu meublée, un tableau vide, une cheminée encombrée de parchemins, trois chaises dont deux provenant d'un sortilège et une petite table toute aussi saturée que la cheminée se partageaient l'espace.
- En résumé, nous n'avons pas grand-chose. Un témoignage d'une victime qui ne me semble guère innocente, une scène de crime faussé par cette même victime, un inventaire dressé par la victime de ce qui lui manque et les dires d'un elfe qui n'a pas eût le bon sens de nous apprendre quoi que ce soit d'utile...Nous n'avons ni mobile pour le cambriolage, ni suspect pour le cambrioleur. Nous n'avons rien !
Laissant son collègue fulminer, Jean relisait le maigre rapport qu'il avait écrit. Sa pipe en bouche, il tirait de profonde bouffée de temps à autre et soufflait tellement qu'il aurait pu se dégonfler. Hector, silencieux, serrait dans sa poche la fiole contenant le souvenir de l'elfe, qu'il avait dissimulé à ses mentors.
- J'ai beau relire le rapport dans tous les sens, il ne me fait penser à rien que j'ai pu connaître. Les rares informations que nous possédons sur le voleur ne me rappellent rien et le mode opératoire me laisse perplexe. Cela ne semble ni professionnel, ni logique : entrer par une vitrine en la brisant ; faire du bruit en fouillant n'importe comment ; s'enfuir par derrière alors qu'un elfe peut faire office de témoin. Non, décidément cela ne plaît guère. Mais ça ne peut pas non plus être un simple badaud, car il a réussi à s'introduire dans l'échoppe sans attirer l'attention de qui que ce soit, il disparaît sans laisser la moindre trace... C'est à n'y rien comprendre...
Alors que les deux Aurors cherchaient en vain une réponse miracle, Hector s'avança et posa la fiole sur le bureau. Benoît, attiré par la lumière argenté s'arrêta d'un coup, et Jean leva ses yeux vers le jeune homme.
- Qu'est-ce que c'est que ça... Non...Ne me dis pas que c'est bien ce que je pense...marmonna Jean qui laissa le rapport lui échapper des mains.
- Ne sachant ce à quoi vous pensez, je ne puis confirmer qu'il s'agisse bien de cela, commença Hector.
- Tu as volé la mémoire de l'elfe ?! Coupa Jean effaré
- C'est un souvenir, pas sa mémoire...
- Mais c'est parfaitement illégal ! Il nous faut une autorisation pour ça ! Jean de plus en plus paniqué commençait à perdre ses moyens si bien qu'il se brûla la barbe avec sa pipe. Prélever un souvenir d'un elfe affect toute sa mémoire et ses capacités jusqu'à le rendre inutile ! Par la barbe de Merlin... Pourquoi as-tu fais une chose pareille ?
- Je l'ai fait pour que l'enquête puisse progresser. Cet elfe disait avoir vu le voleur, j'ai donc pensé que son souvenir nous permettrai de l'identifier plus rapidement. Répondit Hector, déconcerté.
- Par Merlin...continua Jean, c'est irrecevable comme preuve ! Même si il avait témoin d'un meurtre, je n'aurais jamais osé...
- Pourquoi ? Demanda Hector agacé de ne pas comprendre.
- Parce qu'un elfe vaut une fortune ! Et que le faire remplacer demandera une somme alchimique !
À cet instant, Hector eût comme un déclic. Il demanda :
- A qui appartiennent les elfes de l'île de l'Escolle ?
- Au Magistère, pourquoi ? Demanda Jean qui retrouvait petit à petit ses moyens.
- Et je suppose qu'ils sont achetés sur un marché quelconque ? Continua Hector sans répondre.
- Sur le marché de la Place du Roi Arthur, en effet.
Sans plus de précision, Hector sortit en trombe du bureau de Benoît et quitta précipitamment le Magistère.
***
Un lingot d'or dans les mains, Nicolas Flamel traversa son atelier tout en s'adressant à son visiteur :
- Ainsi donc, te voilà aspirant Auror ! Je dois dire que je suis fière de toi mon garçon. Pernelle et moi nous faisions du souci pour toi. Tu ne nous as plus donné de nouvelles depuis ta sortie de l'Académie.
- J'en suis navré, Sieur Nicolas, mais je n'ai guère de temps. Pour vous dire, je n'ai même pas pu écrire à Achille...Hector baissa les yeux en pensant à son amant.
- Ah, et qu'advient-il de lui ?
- Aux dernières nouvelles, il restait à Toulon pour aider ses parents à la ferme.
- Oh, très bien. Tiens, voilà ton dernier lingot. J'espère que cela sera suffisant pour racheter ton elfe. Dit l'alchimiste avec un sourire.
- Cela devrait suffire, en effet. Merci, Sieur Nicolas. Répondit Hector en serrant doucement la main du vieil homme.
- Tu sais, depuis que nous t'avons recueilli, je ne cesse de m'étonner de ton audace et de tes progrès. Tu me fais beaucoup penser à ton père. Il aurait été fier de toi. Ajouta Flamel de sa voix douce.
Fixant son père adoptif dans les yeux, Hector laissa son sourire de façade dissimuler ses émotions. Il en voulait toujours au Flamel de ne rien lui avoir dit. Un jour, il retrouverait son père, il le savait.
- Au revoir, fils. N'hésite pas à nous donner de tes nouvelles par pigeon ! Lança l'alchimiste lorsque Hector, une caisse de lingots dans les mains, passa la porte pour ressortir.
- Je n'y manquerais pas ! À bientôt !
Quittant le 51 rue de Montmorency, Hector transplana.
***
- Tu as racheté l'elfe ? Voilà quelque chose d'assez osé, pour un aspirant, dit Benoît lorsque Hector revint les voir au Magistère tard le soir même.
- Ce n'est pas très conventionnel, mais a posteriori cela me semble être une bonne chose, dit Jean en grattant sa barbe.
Hector, acquiesça de la tête pour remercier ses mentors.
- Et maintenant, que proposes-tu, aspirant Balthazar ? Demanda Jean en fixant le jeune homme.
- Je propose que nous utilisions le souvenir, qui malgré son illégalité, pourrait grandement nous aider.
Jean et Benoît, qui s'étaient attendu à cette réponse, se consultèrent du regard.
- Le Surintendant Bradefer vous donne son accord.
Les trois sorciers sursautèrent. La voix qui avait prononcé ses mots venait du tableau vide au-dessus de la cheminée. Entrant par le bord du cadre, un personnage avec une énorme perruque épousseta sa cape.
- Le Surintendant Bradefer vous donne son accord. Répéta le personnage. Vous devrez simplement faire signer le formulaire adéquat à son Excellence pour qu'il valide le témoignage de l'elfe.
- Oh, très bien. Répondit Jean qui s'était remis de sa surprise. Merci à son Excellence !
Sans un mot de plus, le personnage repartit comme il était venu.
- Les nouvelles vont vite, marmonna Benoît avant de se lever. Bon, et bien allons-y.
Assis derrière un comptoir, un vieil homme aux sourcils broussailleux triait des monceaux de parchemins. Inscrit sur un panneau flottant dans l'air, on pouvait y lire : Service des Archives. Derrière lui, un long couloir composait le service en question. Alors qu'un pigeon sortait à tire d'aile d'une porte qui venait de s'ouvrir, l'archiviste en chef leva les yeux de son comptoir. Face à lui, trois silhouettes avançaient. Réajustant ses lunettes, il reconnut deux des trois sorciers qui venaient vers lui.
- Jean Torbert et Benoît de Dahut, ça par exemple ! Que me vaut l'honneur de votre visite ?
- Bonjour, maître Despages. Nous souhaiterions accéder aux archives mémorielles. Répondit Jean avec un sourire et un formulaire d'accès.
- Deuxième porte à gauche. Indiqua l'archiviste avec un sourire.
Hochant la tête, Jean intima à ses deux compères de le suivre. Dépassant le comptoir, ils se rendirent à leur destination. Lorsqu'ils entrèrent dans la pièce et que l'obscurité les enveloppa, Hector eût pour réflexe d'allumer sa baguette magique. Mais ce fût inutile. A peine l'avait-il allumée que des lueurs argentées illuminèrent la pièce. Alignées de la façon la plus parfaites, des centaines de Pensine flottaient tranquillement au-dessus du sol carrelé.
- Il nous faut une Pensine vide ! Dit Jean qui ne s'adressait à personne. A ces mots, une bassine octogonale jaillie du sol. Cerclée par deux anneaux de fer et magnifiquement sculptée, la Pensine éclaira la tête des trois Aurors de cette même lueur argentée. Sortant sa baguette et le souvenir de l'elfe, Jean vida la fiole qui le contenait dans la Pensine et plongea sa tête dedans, suivi de Benoît puis d'Hector.
Assis sur une bitte d'amarrage, Yerk bâillait aux corneilles. Le ciel était noir d'encre, le ponton que surveillait l'elfe était éclairé par une torche. Il sursauta lorsqu'un bruit sourd rompit le silence de la nuit et se leva, aux aguets. Après quelques secondes, il vit la porte arrière de la boutique d'apothicaire Bôchaudron s'ouvrir et une étrange créature en sortir. Deux jambes, trois bras, une tête écrasée et une taille bien en dessous de la normale, ça ne pouvait être qu'un nain. Les yeux bleus du nain rencontrèrent ceux de l'elfe et une expression de peur se dessina sur son visage. Ne laissant pas à Yerk le temps de faire quoi que ce soit, le voleur transplana en laissant tomber une pièce d'or. Lorsqu'il fût certain que personne d'autre n'allait venir, l'elfe se dirigea vers la pièce d'or et la mit dans sa poche.
Les trois agents étaient tout à leurs pensées lorsqu'ils émergèrent du souvenir. Benoît sortit de sa poche la pièce d'or et l'examina.
- J'avoue avoir du mal à savoir en quoi cette pièce d'or pourrait nous aider, dit-il en la faisant tourner entre ses doigts. C'est un pique d'or tout ce qu'il y a de plus normal. Tombé de la poche d'un nain qui plus est.
Hector réfléchissait, il replongea la tête dans la Pensine pendant que Jean observait le pique d'or à son tour. Quand il ressortit de la bassine de pierre, il fit apparaître un parchemin et une plume et commença à gribouiller quelque chose. Plusieurs fois il replongea, et il corrigeait son dessin à chaque fois qu'il sortait sa tête du souvenir. Il le consulta bien une dizaine de fois pour affiner le portrait qu'il tentait de tirer du souvenir. Lorsque Hector ne puis plus en tirer quoi que ce soit, il sortit définitivement de la Pensine qui retourna s'enfouir sous le carrelage de la pièce. La porte se rouvrit, et les trois Aurors sortirent de la pièce en discutant avec animation.
- Nous n'avons guère appris grand-chose sur le voleur...
- Nous savons que c'est un nain. Un nain à qui il manque un bras qui plus est. Nous pouvons également supposer que ce n'était pas son premier cambriolage mais qu'il a du se passer quelque chose d'imprévu, comme une chute d'objets par exemple.
- Mais nous savons à quoi il ressemble, dit Hector en leur passant son parchemin. Il ne reste plus qu'à le trouver...
- Et que proposes-tu, jeune homme ? demanda Jean avec un sourire.
- De placarder son portrait sans toute la ville avec une prime sur sa tête. Soit il se fera prendre, soit il se montrera.
- Meilleure solution pour qu'il se cache où qu'il fuit la ville, maugréa Benoît dont l'humeur maussade ne plaisait pas à Hector.
- Sinon, faire du porte à porte jusqu'à ce qu'on le trouve.
- Trop long, et trop simple de nous éviter si nous ne sommes que trois.
Jean caressait sa barbe, tandis qu'ils regagnaient leur quartier général. Il s'arrêta soudain et fit demi-tour.
- Je crois que je sais comment faire. Suivez-moi, nous allons boire un verre.
Les trois Aurors quittèrent donc le Palais-Royal et se perdirent dans le dédale des ruelles parisiennes. Ils se rendirent dans une taverne, bruyante et très fréquentée. Lorsqu'ils en passèrent le seuil, une odeur d'alcool fort se répandit immédiatement dehors, comme si elle cherchait à s'échapper de la taverne. Une fumée intense de tabac couvrait le plafond, comme un tapis de nuages bas et effilés. Certains de ses nuages représentaient des formes. L'un deux se mit à pleuvoir des cendres sur le chapeau à plume d'une sorcière qui s'agitait pour chasser la saleté de ses bords. Jouant des coudes, les trois Aurors atteignirent le comptoir et Jean demanda quatre boissons qu'ils emmenèrent avec eux.
Se laissant tomber sur un tabouret branlant, Jean porta le crâne qui contenait sa boisson à ses lèvres et but une longue gorgée.
- Ah ! Rien de telle que du Jus de Sabbat, ça vous remet les entrailles en place autant que les idées !
Benoît pris son crâne et but également, un sourire se dessinant sur ses lèvres au fur et à mesure que le niveau de son Jus de Sabbat descendait. Hector renifla d'abord le crâne et trempa timidement ses lèvres dans la boisson. Il eût un hoquet à mesure que ses intestins brûlaient dans son ventre. Il toussa à en devenir rouge et il sentait tout son être se tordre de douleur. Mais ça ne dura qu'un instant. Jean lui donna une grande bourrade et Benoît hilare lui offrit une tranche de pain pour faire passer le tout.
- Alors, aspirant, dit-il en essuyant ses yeux et les larmes de rire qui les mouillaient, on débute aussi dans ce domaine là ?
Hector hocha la tête avec un sourire gêné, le visage aussi cramoisi que le verre de sang de son voisin de table le plus proche. Il but une nouvelle gorgée, qui cette fois passa beaucoup mieux. La tête légèrement embrumée par les vapeurs d'alcool, Hector écouta attentivement, du moins autant qu'il en était capable, ce que disait ses deux acolytes.
- Pourquoi tu nous as traînés ici ?
- Parce que pour entendre des rumeurs, y'a pas meilleur endroits, dit une voix qu'Hector ne connaissait pas.
- Ce brave Octave Sourdoreylle ! Dit Jean en tendant sa main à un homme massif qui arborait un tablier de travail, un crâne dépourvu de cheveux, et un mono-sourcil semblable à une moustache qui aurait été mal placée.
- Salut Jean. J'ai été surpris de voir ton message aussi tard, mais je me suis dit que tu avais sûrement tes raisons de l'envoyer maintenant.
- A vrai dire, nous n'avons appris l'affaire que ce midi, et nous n'avons pas grand-chose, sinon qu'un portrait tiré d'un souvenir et une seule information : il lui manque un bras.
Ledit Octave eut un haussement de sourcil et vida d'un trait son Jus de Sabbat.
- Tu n'aurais pas quelque chose à nous en dire ? Demanda Jean en tendant le portrait dessiné par Hector à Octave.
- Non. Mais cette histoire de bras me fais un peu penser à une autre que j'ai entendu, y'a un moment maintenant. On raconte qu'un vendeur de potion toute faite s'est fait acheté un lot de potion contre la Goutte du Troll pour un bras. Je ne sais pas si c'est vrai, ni même si c'est à strictement parlé un bras, mais je n'ai que ça.
- On t'a dis où ça s'était passé ?
- Ouais, au niveau des arènes. Mais je n'irais pas vérifier, même pour un sac de Piques d'Or.
- Merci. Une dernière chose. Cette pièce, ça te dis quelque chose ?
Benoît sortit de sa poche la pièce qu'il avait prise à l'elfe et la donna à Octave.
- Mmm...Je ne saurais pas dire précisément d'où ça vient, mais ça ressemble drôlement à de l'or de farfadets en tous cas...
- C'est ce que je me disais...Marmonna Jean. Merci Octave.
- Toujours un plaisir, dit l'intéressé en quittant la table et en disparaissant dans la foule.
- C'est le cousin du gendre de ma fille, dit Jean à Hector avant qu'il ne pose sa question. Il est artisan, mais aussi doué d'un talent inné pour écouter tout ce qui passe à portée de ses esgourdes. Il y a un bon moment qu'il me sert d'informateur. Il est indispensable pour certaines enquêtes. On lui en doit même quelques unes.
Hector hocha la tête et demanda :
- Que faisons-nous désormais ?
***
Lorsque les trois Aurors regagnèrent le Magistère, ils laissèrent tomber sur des chaises et commencèrent à rédiger leurs conclusion sur un morceau de parchemin qui s'allongeait à mesure que les lignes se succédaient.
- Bon, donc on a la confirmation que c'est bien le nain du souvenir qui a acheté les potions en vendant son bras... lâcha Jean dans un bâillement. Mais ça ne nous dit pas où il est, ni comment le trouver.
Benoît hocha la tête et se releva pour faire les cents pas. Il marmonnait, répétant à la virgule près le rapport qu'ils venaient d'écrire. Soudain, Jean et Benoît sursautèrent. Tout à leurs pensées, il n'avaient pas entendu Hector appelé l'elfe qu'il avait racheté.
- Maître, dit l'elfe en s'inclinant si bas que son dos craqua désagréablement.
- Redresses-toi, et regarde ça, dit Hector en lui montrant le portrait du nain. Il lui manque un bras, et il a acheté de la potion contre la Goutte du Troll. Ce sont les seuls indices dont nous disposons. Je t'ordonne de chercher ce nain, de le localiser, et de revenir m'informer dès que tu l'auras trouvé. Va.
Yerk s'inclina une nouvelle fois, et dans une détonation sonore, il disparut. Jean et Benoît dévisageaient Hector comme s'il avait été changé en crapaud sous leur yeux.
- Aux problèmes modernes, les solutions modernes, dit Hector pour se justifier.
***
- Ingénieuse manœuvre que d'utiliser cet elfe. Nous devrions y avoir recourt plus souvent, il nous épargnerait de bien pénibles tâches, disait Jean en sortant de la cellule où le nain cambrioleur était bouclé quelques jours plus tard
Les trois Aurors l'avaient épinglé le matin même, après que Yerk, l'elfe racheté par Hector, fut venu leur rapporter la localisation du malandrin. Ce dernier se cachait dans la cave d'une maison abandonnée en bordure de la ville. Son butin étaient destiné à soigner son frère, victime de la goûte du Troll, maladie mortelle contagieuse et difficilement curable. Lorsqu'ils avaient trouvé le voleur et le malade, les Aurors avaient arrêté le premier et abrégé les souffrances du second, afin qu'il ne meurt pas seul dans le taudis qu'il habitait. Ensuite, ils avaient emmené le voleur dans les cellules du Magistère et l'y avait interrogé quelques minutes. Il était très vite passé aux aveux. La loi prévoyant des sanctions plus lourdes pour les nain, un groupe de cinq Aurors avaient embarqué la créature pour l'emmener à la Cavité, une prison de haute sécurité dissimulée au cœur même des Alpes, enfoui sous les montagnes et protégé par plus de sortilèges que de gardiens de prison.
Ravi de leur succès, Jean, Benoît et Hector s'étaient vu félicités à demi-mot par Basile Vectan, leur supérieur. Bertrand Bradefer avait été plus prolixe quand à leur réussite. Il les avaient gratifié d'un cadeau tout à fait quelconque – une plume dorée aux armoiries du Magistère – et ne tarissait pas d'éloges sur le trio qu'il formait. Il intercéda même en faveur d'Hector afin qu'il ne soit plus tenu d'endurer sa punition avec Gladius de Monblason. Hector en était ravi.
Déclinant l'offre que lui firent Jean et Benoît, Hector les laissa aller boire un verre à La Table Ronde et resta au Palais-Royal. Lorsqu'ils furent partis, Hector se leva et fit les cents pas. Il ne les fit pas longtemps. Passant à son tour la porte, il descendis, se dirigeant vers les Archives.
Il avait eut le temps de réfléchir malgré le travail accompli depuis quelques jours. Depuis son premier passage aux Archives il avait pensé y revenir. Il était certain de trouver la réponse à la question qui le démangeait. Si les humains ne pouvaient lui répondre, les liasses de parchemins entassé dans cette section du Magistère depuis des siècles le pourrait sûrement. Il pensa avec un sourire qu'il n'avait pas fallu longtemps entre son entrée au Magistère et la résolution de sa paternité. Enfin il saurait. Il apprendrait ce que Nicolas et Pernelle Flamel n'avaient jamais voulu lui révéler. À vrai dire, Hector n'avait jamais vraiment compris pourquoi. Et l'excuse selon laquelle les Flamel étaient sous serment inviolable lui paraissait trop farfelue pour être vrai. Mais serment inviolable ou non, les Archives lui dirait ce qu'il voulait savoir...
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