CHAPITRE I
Juillet 1678, Domaine du Duc de Bretagne, Forêt de Brocéliande...
- Hue dia !
Piqué au flanc, le cheval d'Auldren Peverell fut le premier à partir. Ses invités le talonnèrent aussitôt. La proie avait été repérée, la chasse pouvait commencer. Baguette magique en main, le Duc de Bretagne poussa sa monture pour distancer les autres. Il voulait être celui qui abattrai la licorne d'aujourd'hui. Son visage, tendu par la concentration, offrait une expression sévère, mais déterminée. Sa barbe fournie et parfaitement entretenue contrastait avec les tâches de vieillesses qui, dans une anarchie et une disgrâce totale, parsemaient son visage et ses mains. Son âge avançait peut-être, mais sa force et sa vigueur n'avaient jamais été pareille. Depuis quelques mois, il se sentait singulièrement en forme. Cela frôlait l'indécence, surtout au vu des raisons qui le mettaient en joie. En effet, son fils Morven, qui de tradition aurait dû l'accompagner à cette partie de chasse, avait été banni, et déshérité suite à l'incendie de la demeure d'un baron.
« - C'était un accident ! » avait obstinément répété Morven.
Mais cela ne l'avait pas sauvé. Ses fréquentations, douteuses aux yeux de ses parents, étaient la cause de ces débordement de violence. Sautant sur l'occasion, Auldren s'était débarrassé de son gêneur de fils, qui de toute façon se comportait comme un véritable gueux. Auldren n'aurait pas pu trouver pire insulte, sinon celle réservée aux misérables qui naissaient avec des pouvoirs au milieux des profanes. Mais pour son malheur, son fils, issu de la plus noble et ancienne famille du monde des sorciers français, ne pouvait être traité de "sang-de-bourbe"...
- Il aurait eu vingt étés aujourd'hui, marmonna son père en songeant que la naissance de Morven le jour de son anniversaire à lui tenait plus de la malédiction que d'autre chose.
Soudain, un éclair blanc le sortit de ses pensées. La queue de la licorne scintillait entre les arbres. Tendant sa baguette magique, Auldren tenta plusieurs sortilèges pour l'arrêter.
- Bigre, qu'elle est rapide celle-là !
Il piqua son cheval de sa baguette et dans un hennissement, ce dernier accéléra l'allure, l'écume aux lèvres. La distance qui séparait le Duc de sa proie se réduisait à vue d'œil. Bientôt, Auldren fût sur elle. Il lui entailla le flanc d'un sortilège bien ajusté puis ralentit l'allure, attendant qu'elle se vide de son sang. Une traînée argentée se dessina petit à petit sur le sol, et les gémissements de douleur de la licorne remplacèrent bientôt le martèlement de ses sabots. Alors qu'elle s'effondrait contre un arbre, Auldren sauta de son cheval, savourant sa victoire. C'est lui qui avait remporté la chasse, le jour de son anniversaire ! Il était heureux. Sortant un couteau de nul part, il se pencha vers l'animal et sans douceur aucune, lui coupa la corne.
- Elle ira parfaitement sur mon tableau de chasse, s'exclama-t-il, tandis que pauvre bête, dans un déchirant râle d'agonie, se vidait de ses dernières gouttes de sang.
Satisfait de sa prise, le Duc remonta en selle. Mais, au moment ou il mit son pied dans l'étrier, la sangle se rompit et il tomba par terre. Tout se passa très vite. Il lâcha sa baguette, son couteau et la corne, et alors qu'il s'écrasait au sol dans un bruit mat et un grognement de rage, il croisa le regard sans vie de sa proie. Celle-ci lui renvoyait une expression de douleur et de terreur. Elle avait dans les yeux quelque chose d'hypnotique si bien que le Duc ne se rendis pas compte de ce qui lui tombait dessus. Soudain, il hurla. Il hurla de douleur. La corne, venait de s'enfoncer dans son ventre avec une violence sans pareille. Elle le traversait de part en part. Elle lui brûlait les entrailles en rependant son pouvoir brut. Auldren l'agrippa à deux mains pour tenter de l'extirper mais la corne s'enfonçait toujours plus dans son ventre, comme poussée par une force invisible. Mourant à petit feu, Auldren Peverell tenta de mettre la main sur sa baguette, espérant y trouver une chance de salut. Il se traîna par terre, fouillant frénétiquement autour de lui. Il se rapprocha de la licorne, mais sa baguette magique demeurait introuvable. Il s'effondra alors, à côté de la bête, son regard empli de terreur et de douleur...
***
- Quelle tragédie qu'un accident de la sorte nous arracha Auldren Peverell.
Cette phrase était sans aucun doute celle qui fût la plus entendue. La foule était immense à l'inhumation d'Auldren Peverell. Des représentants de toutes les strates de la société magique française étaient présents. Même une délégation du Parlement était là !
« Père en aurait été fort fâché... » songea Orphée Peverell, deuxième fille et quatrième enfant du Duc et de son épouse.
En l'absence de sa sœur aînée Erel, c'est elle qui s'était chargée de recevoir toutes les condoléances d'usages. Cela avait commencé par les membres de la famille, des plus proches aux plus éloignés, suivis par les membres de la noblesse dans l'ordre hiérarchique, et enfin les non-nobles, comme les Parlementaires. Parmi eux, Orphée avait repéré un charmant jeune homme qui, semblait-il, n'avait pas été insensible à sa vue non plus.
- Ce n'est ni le moment ni le lieu indiqué pour ce genre de choses... se vilipenda la jeune femme alors qu'elle le regardait à la dérobée tandis qu'il se fondait dans la masse.
Une fois tout le monde entré dans le domaine, Orphée, non sans jeter une œillade dans la foule, était allée retrouver sa mère et sa jeune sœur Maelez afin que la cérémonie puisse commencer.
Le corps du Duc, dans ses plus beaux et riches atours, reposait sur un bûcher impressionnant. Les Mangemorts, les sorciers chargés de l'inhumation, venaient d'achever leurs rituels préparatoire à la crémation. Ils s'avancèrent vers Orphée, sa mère et sa sœur.
- Tout est prêt, Madame la Duchesse. Souhaitez-vous prononcer quelques mots ?
Anne de Cornouailles se tourna vers les Mangemorts et les fusilla du regard. Elle n'était plus ni Duchesse, ni Peverell, à présent que son mari était mort. Elle contint sa colère et renifla avec un dédain dénué de toute tristesse et laissa Orphée leur répondre.
- Allumez, dit-elle simplement.
Les Mangemorts se détournèrent des Peverell et se placèrent tout autour de la structure de bois. Un grand silence régnait dans le domaine. Même le vent et les oiseaux, d'ordinaire si bruyants, s'étaient tus. Soudain, tout doucement d'abord, puis de plus en plus fort, une litanie complexe s'éleva. Dans autant de langues antiques que d'origine au Duc, s'élevèrent des formules. Du latin, du franc, du celtique, du gaélique, du norrois résonnèrent. Les mots des Mangemorts se transformèrent en étincelles, leurs langues devinrent de feu et bientôt leurs paroles enflammèrent le bûcher. Dans des gerbes blanches, l'essence magique du Duc se consuma, tandis que son essence vitale partit en fumée dans un ronflement de flammes noires. Quand son corps ne fût plus que cendres et poussières, les Mangemorts le mirent en boîte. Soulevant l'urne avec déférence et respects, ils l'approchèrent du caveau familial où des dizaines de noms gravés dans la pierre se décalèrent pour laisser de la place à celui d'Auldren. Le nom, gravé en lettre d'argent, s'intercala entre celui de son père et celui de son fils premier né, mort lors de l'accouchement...
Anne de Cornouailles n'attendit même pas que le caveau soit refermé. Elle s'en alla, drapée dans une colère aussi noire que sa robe de deuil. Elle laissa ses filles et regagna le château à grande enjambée. Elle venait de perdre son mari, certes, mais elle ne l'avait jamais vraiment aimé. Non, ce qu'elle regrettait le plus, c'était le titre, le domaine, les privilèges qu'elle perdait en perdant le nom de famille Peverell. Alors qu'elle passait le pont-levis, elle vit une silhouette dans la basse-court du château. Sa colère s'en trouva décuplée et elle dirigea toute ses émotions dans l'insulte qu'elle lança à son fils.
***
Le départ précipité d'Anne de Cornouailles avait choqué plus d'une personne. Orphée avait pourtant fait poursuivre la cérémonie jusqu'à son terme. Quant elle eût congédié les Mangemorts, elle fît de même avec presque tous les invités. Presque tous car elle cherchait le jeune parlementaire. Elle voulait lui parler. Elle voulait se confier. Elle ne savait pas trop pourquoi. Il lui semblait qu'il pourrait être l'oreille attentive dont elle avait besoin. Il lui semblait qu'il pourrait être la présence qui la rassurerait face à cette situation terrible et douloureuse. Elle le trouva en compagnie d'un vieux monsieur au crâne si dégarni que le nombre de ses cheveux aurait pu se compter sur les doigts d'une main. Ils parlaient à voix basse. De politique sembla comprendre Orphée. Les propos qu'elle entendit lui rappelèrent vaguement ceux que pouvaient tenir son frère. Sans trop savoir pourquoi, cela lui tira un sourire. Jamais les nobles ne se mêlaient de la politique du Parlement. Elle se fit la réflexion qu'au vu de là où cela avait conduit son frère, elle ferait bien de ne pas s'en mêler. Les deux hommes cessèrent immédiatement leur conversation lorsqu'ils la remarquèrent. Elle resplendissait malgré le deuil. Sa longue chevelure brune qui lui descendait jusqu'aux omoplates laissaient quelques mèches frisées au niveau de ses oreilles encadrer son doux visage, marqué par la fatigue et la douleur. Ses yeux brillaient autant de tristesse que d'intelligence et son regard bien qu'empli de chagrin et de peine semblait capable de s'immiscer dans l'intimité la plus profonde de chaque être vivant. Son sourire affligé manquait de joie. Elle s'inclina légèrement devant les deux parlementaires qui chacun à leur tour lui baisèrent la main.
- Mademoiselle Peverell, je vous présente mes plus sincères condoléances, dit le vieil homme en portant sa main de son cœur vers la jeune femme.
- Je vous en sais gréé, monsieur ? demanda Orphée qui n'avait pas retenu son nom de famille.
- Bourgeois, Usurin Bourgeois, répondit le vieil homme sans se formaliser. Votre père était un homme sans pareil. Son nom était connu et respecté jusque dans l'enceinte de notre Parlement.
- Merci Siégeant Bourgeois. Puis-je me permettre de vous emprunter votre bras jeune homme ?
Sans attendre de réponse, Orphée s'appuya sur le bras du jeune homme. Elle s'y laissa presque aller, si bien que ce dernier fût prit de court et manqua de glisser.
- Je suis navré de vous importuner de la sorte, mais il me faudrait de l'aide pour regagner le château, je ne me sens pas en état d'y rentrer seule.
- Euh, oui, bien sûr madame, dit gauchement le jeune homme. Je vous retrouverai à Paris, Monsieur, ajouta-t-il à l'adresse d'Usurin. Ce dernier, après avoir incliné une dernière fois la tête se dirigea vers la sortie du domaine.
- Quel est votre prénom ? demanda Orphée quand le vieux parlementaire se fût éloigné.
- Alexandre, Madame, pour vous servir, répondit le jeune homme en inclinant sa tête avec respect.
- Ne m'appelez pas Madame, je n'en suis pas une, dit Orphée en essayant de sourire, malgré la fatigue et la tristesse. Assoyons-nous un moment, voulez-vous. Ils prirent place sur un banc de pierre. Orphée était accablée, épuisée. Merci, Alexandre. Puis-je vous confier quelque chose ?
Alexandre hocha la tête et Orphée se mit à parler. Elle déversa tout ce qu'elle avait sur le cœur : sa solitude ; son ennui ; le départ de sa sœur aînée pour un pays lointain ; le bannissement de son frère ; la mort de son père ; le caractère détestable de sa mère ; son célibat, qui pesait lourd sur sa famille... Elle s'épancha pendant un long moment. Plus elle s'épanchait, plus les larmes lui montaient aux yeux. Alexandre, lui, écoutait, patiemment, sans oser l'interrompre. Elle leva son regard vers le château et éclata en sanglots.
- Je ne veux plus y retourner. Je ne veux plus entrer dans ce château.
Elle se laissa complètement aller. Soudain, il lui arriva quelque chose que jamais de sa vie elle n'avait connue. Elle fût prise dans les bras. Par Alexandre. Ce n'était ni conforme aux usages de l'étiquette, ni quelque chose qu'elle avait jamais reçu un jour. Elle avait prit sa petite sœur Maelez dans les bras bien sûr, les soirs où ayant peur du noir, celle-ci arrivait en pleurs dans sa chambre. Mais lorsque c'était elle qui pleurait, jamais personne ne la prenait dans ses bras. Ni son père, ni sa mère, ni sa sœur aîné Erel, ni son frère avant qu'il soit banni, ni ses servantes. Personne. Elle n'avait personne. Mais aujourd'hui, lui était là. Ses bras puissants et musculeux la berçaient avec douceur. Il lui murmurait des paroles de réconfort. Il prenait du temps pour elle à qui personne n'en avait jamais donné. Il lui parlait normalement, sans artifice de langage. Il se montrait humain, et la considérait comme tel. Aussi, elle laissa couler ses larmes, sans retenue.
Soudain, un craquement sonore retentit juste à côté d'eux. Orphée sursauta, mais Alexandre regarda vers le sol.
- Oui, Yerk ?
- Le maître est demandé de toute urgence au Magisterium, la séance va bientôt commencer, dit un petit elfe en s'inclinant très bas.
- Bien, j'arrive.
La créature disparût. Alexandre soupira. Il prit les mains d'Orphée et la regarda dans les yeux.
- Je suis désolé, Madame, mon devoir se rappelle à moi. Mais avant de vous quitter, je voudrais vous dire ceci : si jamais vous vous trouviez dans le besoin de quoi que ce soit, je suis et serais toujours là. En cas d'urgence rendez-vous au 51 rue de Montmorency, à Paris. J'y ai de vieux amis, ils seront tous disposé à vous accueillir.
Orphée se jeta dans les bras d'Alexandre et le remercia, tout en pleurant. Il la serra contre lui, et lui adressa un grand sourire, séchant ses larmes avec douceur, et redressant une mèche de ses long cheveux.
- Au revoir, Madame.
- Merci, mon ami.
Elle laissa partir Alexandre qui transplana sitôt sortit du domaine. Orphée, le cœur un peu plus léger, se dirigea vers le château. Quelques larmes lui roulaient encore sur les joues, mais elle cessa brusquement de pleurer. Des cris et des crépitements caractéristiques de sortilèges se firent entendre. Se remettant fébrilement en marche, Orphée se mit à courir quant elle reconnue la voix de son frère Morven.
***
- ...Peut-être, mais il restait mon père, comme vous ma mère !
- Traître, abomination, honte de ma chair et de mon sang !
Anne de Cornouailles s'égosillait en lançant des éclairs de couleurs sur son fils. Morven les paraît non sans mal car les matagots, domestiqués pour la chasse et le gardiennage du domaine, s'étaient joins à leur maîtresse pour chasser l'intrus. Morven aperçut Orphée, qui horrifiée par la scène, s'était arrêtée en plein milieu du pont-levis. Il reçu un sortilège qui lui brûla partiellement la joue quand il cria à sa sœur de s'éloigner.
- Mon mari aurait mieux fait de t'enfermer dans les oubliettes ! Ou mieux, il aurait du te faire exécuter ! hurla la Duchesse déchue.
La teinte de la baguette d'Anne de Cornouailles pris une dangereuse couleur verte. Mais au moment où elle s'apprêtait à lancer son sortilège, Orphée hurla :
- MÈRE, NON !
Le sortilège partit, mais Orphée se servit d'un matagot comme bouclier pour protéger son frère. La créature mourut sur le coup, les autres feulèrent comme un seul. Ils se jetèrent sur l'infortuné Morven et tandis qu'ils tentaient de le réduire en charpie, Orphée les souleva tous d'un coup et les renvoya au loin. Les chats d'argents n'osèrent plus s'approcher de Morven. La jeune femme s'avança vers sa mère dont la baguette, toujours tendue, menaçait de lancer un nouvel éclair mortel.
- Mère, je conçois votre chagrin, et je comprends votre colère de voir ici Morven. Mais il est votre fils, et mon frère. Et il me semble qu'il puisse au moins dire à son père...
Orphée se reçue la plus magistrale gifle de son existence. Elle recula, tituba, et en tomba par terre. Morven se précipita pour aller l'aider, mais Anne fendit l'air de sa baguette. Morven se retrouva bientôt les quatre fers en l'air, comme suspendus à des chaînes invisibles. Les matagots s'approchèrent et firent claquer leurs mâchoires juste en dessous de lui, comme un avertissement. Dans un bruit de ferraille, deux armures émergèrent de l'intérieur du château et prirent Morven par les pieds.
- Enfermez-le aux oubliettes ! Qu'il y pourrisse pour le restant de ses jours !
Anne dardait un regard aussi mauvais sur son fils que sur sa fille. Orphée, choquée et profondément blessée se releva avec peine et s'enfuit à toutes jambes s'enfermer dans sa chambre. Elle y pleura longuement, ne sachant trop que faire. Se souvenant des paroles d'Alexandre, elle rassembla les affaires les plus chers à son cœur, autant dire pas grand-chose, rédigea une lettre pour sa petite sœur, et la nuit venue, quitta la château au nez et à la barbe de toute la maisonnée.
Le lendemain, quand l'on constata la disparition d'Orphée, tout le château se trouva en émoi. Tout le monde la chercha, on rédigea des billets à envoyer au Aurors du Magistère, mais Anne fit cesser ces vaines tentatives. L'ex Duchesse ordonna au reste de ses domestiques, servantes et elfes de préparer les bagages. Puis, sans attendre le nouveau Duc de Bretagne, le lointain cousin Auster Pendragon, à qui elle devait remettre les clefs des lieux, elle emmena Maelez, sa suite et Morven, toujours enchaînés, dans ses lugubres terres natales de Cornouailles, au manoir de Kergueven où elle se mura dans un silence plus glaçant que l'hiver...
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