9. Entre quatre murs.

Ayden.

Les rues de Paris s'étirent devant moi, hypnotiques sous la danse des phares. Une chemise blanche dessine les lignes nettes de mes épaules, mon jean noir épouse mes mouvements, et le parfum qui flotte dans l'air est choisi pour durer, pas pour impressionner.

Mes cheveux ? Rebelles comme d'habitude, mais je ne m'en préoccupe plus.

Un sourire fugace éclaire mon visage. Je me surprends à imaginer sa moue mi-indignée, mi-amusée, lorsque j'avais menacé d'aller porter plainte pour vol.

Une idée absurde, bien sûr. Amanda pourrait me voler tout ce que j'ai : l'argent sur mon compte, les clés de mon appartement, même ce qui reste de ma dignité. Et je resterais là, à la regarder partir avec un sourire condescendant.

Parce que c'est elle. Celle qui a toujours un pouvoir sur moi qui fait que je ne dis rien, que je n'oppose aucune résistance. Parce qu'au fond, j'ai bien appris à la laisser faire. Et peut-être qu'au fond, je préfère ça. Parce qu'elle est Amanda, et que je suis bien trop fatigué pour en vouloir plus.

Je me stoppe à un feu, et mon tableau de bord s'illumine d'un appel d'un numéro que je connais trop bien. Celui qui me harcèle depuis des années. Je l'ignore, comme d'habitude, sans même y penser.

Mais soudain, un autre appel s'affiche : "Maman".

Je fronce les sourcils, le cœur battant un peu plus fort. Sans réfléchir, je décroche. Un pressentiment sournois me serre la gorge. Ces deux appels trop rapprochés, ça sent la merde à plein nez. Je déteste cette sensation – je la connais trop bien, et je sais que ça ne présage rien de bon.

— Maman ?

Ma question flotte dans l'air alors que je tourne brusquement à droite, sans réfléchir. Quelque chose me dit que ce qui arrive ne va pas me plaire.

— Ayden... ton père... Il a tenté de se suicider... sanglote-t-elle, ses mots brisés par l'émotion.

Je me fige, le cœur battant à toute allure, mais je continue de conduire, mes mains crispées sur le volant.

— Maman... Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

C'est froid, presque glacial de haine, je me dis en écrasant la pensée de mon père sous une couche d'indifférence. D'un silence de mort.

Chaque mot, chaque souffle que je laisse sortir est dénué de toute émotion, comme une carapace parfaitement polie.

Mais quelque part, au fond de moi, je sens la vague d'angoisse qui monte, prête à me submerger. Alors je la repousse. Je me concentre sur la froideur, sur cette distance que je m'impose. C'est tout ce que je peux faire pour ne pas céder.

Ce connard a voulu se suicider, je pense avec une colère glacée qui me brule de l'intérieur. Une tentative de plus pour nous faire culpabiliser, pour plonger ma mère dans un abîme qu'il ne cesse de creuser. Un jeu vicieux auquel il nous force à participer, sans qu'on ait jamais le choix.

Malgré tout ce qu'il nous a fait endurer, malgré l'horreur de ce qu'il a déversé dans notre vie, il continue. Il continue à nous faire souffrir, à nous manipuler, à jouer avec nos nerfs comme si nous n'étions que des pions sur un échiquier qu'il dirige à sa façon.

Et moi, je reste là, avec ce vide dans le ventre, à me dire que peu importe ce qu'il fait, ça ne changera rien. Pourtant, une rage sourde me saisit. C'est plus fort que moi. Ce putain d'homme qui n'a jamais su être un père, qui n'a jamais cessé de faire de nous des victimes, continue de tenter d'arracher une émotion, un soupçon de compassion, de quelque part.

Je déteste cette sensation. Je déteste la personne que je deviens à cause de lui.

Je devrais m'en foutre.

Raccrocher à ma mère, lui dire qu'il peut bien crever, que je l'aiderai même à mettre fin à sa misérable vie si ça lui chante.

Mais je n'arrive pas à m'en détacher. Et pourtant, quand sa voix cassée retentit à nouveau, quelque chose en moi se crispe. Je freine brutalement, le cœur serré dans une contraction violente.

Je me gare sur le bas-côté, un soupir d'exaspération m'échappe. Je sais bien que je ne peux pas y échapper. Que cette conversation, aussi détestable soit-elle, va me traîner dans son sillage, comme un poids que je n'arrive plus à jeter.

— Je serais bien y aller Ayden, souffle-t-elle dans un murmure cassé. Mais tu sais que je peux pas.

Le silence s'installe un instant. Je pose ma tête contre l'appuie-tête, mon coude enfoncé dans le rebord de la fenêtre.

J'essaie de repousser cette sensation, de faire taire l'angoisse qui me serre la poitrine, mais ce ne sont que des échos lointains de ce que je ressens vraiment.

Je ferme les yeux, un instant, comme si ça pouvait effacer cette image qui me hantera toujours : elle, là, dans ce fauteuil. Chaque mouvement, chaque geste qu'elle ne peut plus faire. Et ce poids qu'elle porte, cette souffrance qu'elle traîne depuis des années, comme une ombre constante qu'il a jetée sur elle.

J'entends sa voix trembler au téléphone, mais je me force à rester stoïque. Après tout, c'est à lui qu'on doit tout ça. La souffrance qu'elle porte dans ses os, dans son corps, la manière dont il l'a détruite, lentement, méthodiquement. Je sens la colère m'envahir, bouillonner sous ma peau, mais je la garde en moi. Je l'étouffe sous des tonnes d'indifférence, comme toujours.

— Je vais m'en occuper.

Les mots sortent froids, vides. Je raccroche sans même réfléchir. J'ai dit ce que j'avais à dire.

Mais putain, ça me dévore. Ce n'est pas juste de la colère. C'est tout ça, tout ce qu'il a fait. Tout ce qu'il continue à faire. Et je sais qu'au fond, peu importe combien je déteste ce connard... je vais y aller. Parce que je dois. Parce qu'elle, elle peut pas. Parce qu'il l'a détruite, et qu'à la fin, c'est toujours moi qui dois ramasser les morceaux.

Je serre le volant dans mes mains, mes jointures blanches, mon corps tout entier tendu sous la pression de cette rage que je tente de contenir.

Un, deux, trois... Un, deux... Un, deux, trois... Un, deux...

Je me concentre sur le rythme que produit mon index sur le cuir, cherchant à me défaire de ce tumulte dans ma tête, mais ça ne fait qu'accentuer la violence de la situation.

Je jette un œil à l'heure sur mon portable, mais l'écran s'éteint avant même que je puisse voir les chiffres. La batterie est morte, comme d'habitude quand j'en ai le plus besoin.

Je sors une cigarette de mon paquet qui traîne sur le siège passager et l'allume, une bouffée de nicotine en travers de la gorge. La tête rejetée en arrière, je laisse la fumée m'envahir, essayant de noyer ce qui me hante.

Les souvenirs, malgré mes efforts pour les enterrer, remontent. Ces putains de souvenirs que je n'ai jamais su effacer.

Lui, il n'a jamais été un homme. Je me souviens de ce gamin qui devait se faire homme trop tôt, qui traînait déjà à ramener l'argent et à tenir la baraque avec ma mère. Lui ? Il n'a jamais levé le petit doigt.

Je ricane, amer, en secouant la tête. À force de vouloir jouer à l'homme de la maison, j'ai laissé les femmes de ma vie se faire briser sous les yeux. Moi qui croyais porter tout le fardeau, j'étais juste un gamin effrayé qui laissait tout se faire, impuissant.

Je me suis longtemps menti, me convainquant que je pouvais être plus fort que lui. Mais à chaque fois que je les laissais seules avec lui, je savais bien que c'était moi le lâche. Le poids de ma lâcheté ne m'a jamais quitté.

Il est ce genre de monstre qu'on croit avoir éradiqué, mais qui revient en force dès qu'on baisse la garde.

Je regarde dans mon rétroviseur, et la route se déforme sous mes yeux. Sans réfléchir, je fais un demi-tour brusque, mes pensées à peine plus claires qu'elles ne l'étaient il y a quelques secondes. Fuir, c'est ce que je fais de mieux. Fuir ce putain de poids, tout ce qui me rappelle que je suis un lâche. Je me précipite sur la route opposée au resto, mais l'image d'Amanda, me torturant de l'intérieur, refuse de s'éclipser. Aucun moyen de la joindre. Elle doit me détester à ce moment précis, et je le mérite.

— Putain de merde...

***

Le claquement métallique de la porte résonne derrière moi, et un frisson parcourt ma colonne vertébrale. L'odeur familière et désagréable de désinfectant mélangé à une pointe de sueur me frappe immédiatement. J'avance dans le couloir froid, mes pas résonnant sur le sol en béton, accompagné du gardien qui m'indique le chemin. Je déteste cet endroit. Je déteste ce qu'il représente.

William Parker est dans une salle de visite spéciale, séparée par une vitre épaisse. Pas de parloir classique aujourd'hui. Sans doute à cause de son état.

Quand j'arrive, je le vois assis sur une chaise, les poignets menottés, son corps rigide, comme toujours. Mais il y a quelque chose de différent. Peut-être l'ombre de la défaite dans ses yeux. Ses cheveux autrefois noirs sont maintenant envahis par le gris, comme si le temps avait décidé de l'abandonner avant même que moi je le fasse. Il m'observe, sans sourire, comme un homme qui attend qu'on lui prouve qu'il n'a rien à craindre.

Il a ce regard bleu, toujours aussi perçant, mais aujourd'hui, il me glace plutôt que m'intimide. C'est comme s'il n'y avait plus rien de l'homme puissant qu'il a été. Il a vieilli, s'est dégradé, mais il essaie de maintenir cette façade.

Il ne me voit pas. Il me juge. Comme il l'a toujours fait. Mais je n'ai plus l'envie de lui accorder cette autorité. Pas après tout ce qu'il a fait.

Je tire la chaise dans un silence lourd et pesant avant de m'asseoir en face de mon plus grand cauchemar. La vitre entre nous est comme un fossé que rien ne pourra combler, un rappel constant de tout ce qu'il m'a enlevé, de tout ce qu'il m'a fait endurer.

Il cherche encore à maintenir ce contrôle, à se donner une importance qu'il n'a plus. Ses yeux bleus se plissent, comme s'il voulait deviner ce qui se passe dans ma tête, comme si mes pensées lui étaient encore accessibles. Mais je ne lui laisse rien.

Je crois qu'il s'attend à ce que je parle, à ce que je lui crache ma haine comme j'ai toujours fait.

— Alors, tu viens enfin me voir.

Mon corps se crispe quand j'entends sa voix qui résonne dans la pièce, une voix que je connais trop bien. Elle est toujours là, capable de me toucher, de m'atteindre, même si je fais tout pour paraître insensible.

— J'aurais préféré que tu réussisses, ça m'aurait épargné cette visite.

Les mots quittent ma bouche sans que je puisse les retenir. Ils sont durs, glacés, comme tout ce que j'essaie d'être face à lui. Mais je sais que, malgré tout, ils résonneront en lui.

Il me regarde, son regard perçant qui ne me lâche pas, comme s'il attendait quelque chose de moi, une réaction qu'il connaît déjà.

— Tu sais, j'ai essayé de t'appeler. Tu ne répondais jamais.

Je serre les dents, mais il continue, comme s'il ne s'était pas rendu compte de l'effet de ses mots.

— Mais bon, parfois, il faut savoir pousser un peu pour obtenir ce qu'on veut, non ? ricane-t-il de ses dents aussi tordues que son esprit.

Je sens ma mâchoire se contracter alors que je fais tout pour ne pas éclater cette vitre et mettre fin à sa vie moi-même. Être derrière des barreaux ne lui suffit pas, il continue de jouer avec moi, contrôlant mes pensées comme une marionnette.

Ce connard est prêt à se vider de son sang pour que je revienne à lui encore et encore, sachant par cœur mes faiblesses. Je sens ma mâchoire se contracter alors que je fais tout pour ne pas éclater cette vitre et mettre fin à sa vie moi-même. Être derrière des barreaux ne lui suffit pas, il continue de jouer avec moi, contrôlant mes pensées comme une marionnette.

Ce connard est prêt à se vider de son sang pour que je revienne à lui encore et encore, sachant par cœur mes faiblesses.

Et moi, je reste là, à le fixer, à lutter contre l'envie de tout détruire. Mais je sais qu'au fond, c'est ce qu'il veut. Il veut que je perde le contrôle. Il veut que je revienne dans son jeu. Mais je ne ferai pas ce plaisir à ce foutu monstre.

Mon regard dévie sur ses menottes, ces chaînes qui renferment les seules armes qu'il ait jamais eues pour nous plier à sa volonté.

Ses mains.

Celles qui ont laissé des marques sur nos peaux, des cicatrices invisibles mais indélébiles. Celles qui ont écrasé ma mère, brisé ma sœur, et détruit tout ce qui restait de bon chez nous. Des mains qui ne savaient que faire mal, qui nous ont appris à vivre dans la peur, à nous camoufler dans l'ombre. Ces mêmes mains ont modelé nos vies, façonné nos esprits, et laissé une empreinte sanglante sur nos corps, dans chaque geste, chaque parole.

Je ferme les yeux un instant, mais les souvenirs défilent comme un film qui ne s'arrête jamais. Ses poings frappant la table, le bruit sourd de la porte qu'il claquait dans sa colère, les hurlements étouffés derrière les murs. Et moi, là, figé, regardant les menottes qui l'empêchent de nous faire plus de mal, mais qui ne l'empêchent pas de continuer à jouer avec nos esprits, de manipuler nos pensées.

Et pourtant, maintenant, elles sont là, menottées, inoffensives. Et je vois qu'il déteste ça. Mais plus encore, il déteste que je sois là.

— C'est presque ironique de voir ces mêmes mains, celles qui nous ont brisés, finir enchaînées comme ça, je provoque avec un sourire en coin.

Je renforce cette armure autour de mon âme, je ne le laisse pas rentrer pour jouer avec les fils de mon esprit et me détruire plus qu'il ne l'a déjà fait. Malgré mon corps qui me hurle de lui faire payer ses horreurs, je reste calme.

Je sais que j'ai frappé juste, mais avec lui, ça ne dure jamais longtemps. Ses lèvres s'étirent en un sourire froid.

— Au fait, comment va ta mère ? me demande-t-il d'un ton amusé.

Je serre les poings si fort que mes ongles s'enfoncent dans ma paume. La douleur physique m'aide à ne pas céder.

Ne lui donne pas ce pouvoir, me répète une voix dans ma tête.

— Elle va bien.

Rien d'autre. Je sais qu'il attend plus d'informations mais je ne compte pas lui faire ce plaisir. Je garde ce masque que j'ai appris à forger au fil des années à ses côtés et qui au final est devenu une partie de moi.

Je ne lui parle pas de son handicap, de sa difficulté à bouger sans son infirmière, ni du fait qu'elle s'inquiète toujours pour lui.

Il hausse un sourcil, déçu par ma réponse laconique, mais il ne lâche pas l'affaire. Bien sûr que non. Ce serait trop simple. Il est comme un prédateur, flairant la moindre faiblesse, la moindre fissure dans mon contrôle.

— Et Amé...

— Ose prononcer son nom et t'aurais plus besoin de te suicider, je menace en lui coupant la parole.

Une étincelle dangereuse traverse mes yeux. Il le sait. Il sait que je suis sérieux.

Mon ton a claqué comme un fouet, mais ça ne le stoppe pas. Non. Ça l'amuse. Un sourire étire lentement ses lèvres, et je vois dans son regard qu'il savoure ce moment.

— Toujours aussi prompt à perdre ton calme, hein ? C'est pour ça qu'elle a fini par t'échapper. Tu n'as jamais su protéger qui que ce soit.

Je sens ma mâchoire se crisper à en hurler. Ma respiration devient plus lourde, chaque mot venant s'accrocher à mes nerfs comme un poison.

Ne lui donne pas ce pouvoir, murmure encore la voix dans ma tête, mais elle commence à s'éteindre sous la vague montante de ma colère.

Le meilleur moyen que j'ai de ne pas craquer, c'est de garder le silence. Je le regarde de mon regard le plus noir, sachant que je suis rentrer dans son jeu encore une fois et qu'il ne s'arrêtera jamais de me poursuivre.

— C'est tout ce que tu as me dire ? Cela fait plus de dix ans que je ne t'ai pas vu et c'est tout ce que tu as à me dire ? insiste-t-il en tapotant son index sur la table à un rythme régulier.

Je le regarde faire, hypnotisé un instant par ce tapotement incessant. Ce son m'irrite, réveille en moi des souvenirs que je croyais enterrés. Et, malgré moi, je remarque la similitude. Ce geste... Ce fichu geste.

Le même que le mien.

Mon index se met à bouger instinctivement, prêt à reproduire ce tic que je hais désormais. Mais je m'arrête juste à temps, crispant ma main sur la table pour m'empêcher de lui ressembler davantage.

— Oui, c'est tout, j'articule d'une voix plate. Je ne suis pas venu pour bavarder.

Son sourire s'élargit, mais ses yeux restent froids, durs, calculateurs.

— Tu as bien changé, Ayden, dit-il d'un ton presque admiratif. Avant, tu étais incapable de rester silencieux. Toujours à défendre ta mère, ta sœur ou même cette fille... Amanda, c'est ça ?

C'est comme si son nom explosait dans l'air, brut et chargé d'électricité. Tout mon contrôle, déjà fragile, vacille dangereusement.

Je sens mon cœur battre rageusement dans ma tempe, et une bouffée de chaleur envahit mes épaules. Je me lève si brutalement que ma chaise tombe sur le sol dans un bruit sourd, mais je n'y prête même pas attention.

Mes mains se serrent à côté de mes hanches, mes doigts tremblent, la tension dans mes bras presque douloureuse. Je veux le frapper. Le faire taire. Mais je me contente de le fixer, les dents serrées. La colère me dévore, mais je fais tout pour ne pas exploser.

— Tu oses prononcer son nom ?

Ma voix sort basse, presque rauque, comme si chaque mot était une arme que je devais contrôler pour ne pas qu'elle me déchire.

Il le voit. Il perçoit cette fissure dans mon masque, ce moment de faiblesse. Alors il sourit, mais c'est un sourire glacial, comme s'il savait exactement ce qu'il venait de déclencher.

Ses doigts tapotent sur la table, un rythme régulier qui martèle mes nerfs comme un compte à rebours. Le même tic que moi. Ce foutu tic qui me fais perdre le contrôle alors que je sens mes démons m'envahir, le laissant gagner encore et toujours, comme une vieille habitude qui me tue petit à petit mais que je continue Ses doigts tapotent sur la table, un rythme régulier qui martèle mes nerfs comme un compte à rebours. Le même tic que moi. Ce foutu tic qui me fait perdre le contrôle alors que je sens mes démons m'envahir, le laissant gagner encore et toujours, comme une vieille habitude qui me tue petit à petit mais que je continue à nourrir.

Chaque tapotement résonne dans ma tête, frappant la porte de ma patience comme un marteau. Et je sais que je ne tiendrai pas longtemps. Une étincelle suffira, et cette fois, je ne pourrai pas retenir la tempête.

C'est lui. C'est ce que je suis devenu à cause de lui. Ce qu'il m'a appris à être. Ce contrôle brisé, cette rage qui pulse sous ma peau comme une addiction. Et je ne peux pas m'arrêter.

Je lève les yeux vers lui, un éclat sombre dans le regard, et je m'oblige à respirer profondément. Mais je sais que tout est sur le point de craquer.

— Oh, je vois... reprend-t-il en inclinant la tête avec un sourire fou. Elle était spéciale, hein ? Pourtant, elle a fini comme les autres. Tu n'as jamais su protéger personne, Ayden. Ni Amélia, ni ta mère, ni elle...

Et là, c'est comme si le monde se bloquait. Comme si chaque syllabe qu'il prononce martelait mes souvenirs, mes échecs. Chaque mot est une lame qui me déchire. Et c'est là que je perds tout.

Mes muscles se tendent, mon souffle s'accélère, une chaleur intense envahit mon corps, et tout s'éclate en moi. Je n'entends plus rien autour de nous, juste le bruit assourdissant de mon propre cœur battant à en éclater ma poitrine.

Je n'ai plus de masque, plus de contrôle. C'est la rage pure, la douleur qui explose.

J'avance d'un pas lourd, les ténèbres m'envahissant dans mes enfers où seule la rage existe. Tout autour de moi se dissout, tout est noyé dans un noir absolu. Il n'y a plus que le bruit de mon cœur battant à en crever et l'écho de ses mots qui résonnent encore dans ma tête comme une torture.

Je lève le bras et frappe contre cette putain de vitre, avec toute la violence accumulée, tout ce qui m'a été enlevé, tout ce qui m'a brisé. Le bruit de l'impact résonne comme un coup de tonnerre dans mes oreilles, mes poings déjà en feu sous l'effet du choc.

La vitre tremble sous mon coup, mais elle ne cède pas. C'est comme si je frappais une frontière invisible, quelque chose qui me repousse, qui me sépare de ce que je veux détruire. Mais ma rage ne faiblit pas, elle se déverse dans chacun de mes coups, chaque frappe une tentative désespérée de réduire cet obstacle à néant.

Je suis là, brisé, mais incapable de m'arrêter. Tout ce qui reste de moi, c'est cette violence débridée.

Je suis projeté en arrière par deux hommes de la sécurité qui me saisissent fermement par les bras, me plaquant contre le mur avec une force démesurée. Leurs mains sont des chaînes, me contraignant à m'immobiliser. Ils me hurlent d'arrêter, leurs voix perçant à peine à travers le tumulte dans ma tête.

J'aspire à l'air, mes poings serrés, mon cœur battant toujours à toute vitesse. Un moment d'illusion, cette folie fugace qui m'a presque englouti. Mais alors, quelque chose en moi se reconnecte. Le contrôle.

Je ferme les yeux un instant, respirant profondément. Je suis là. Dans cette putain de prison de verre. Et je dois me reprendre, ou je perds tout.

— C'est bon... c'est bon, je répète, ma voix rauque, la tête baissée. Mes mains se lèvent lentement en signe de capitulation.

Doucement, comme si je pouvais repartir dans cette spirale de colère à tout moment, ils me lâchent. Ils me font signe de sortir. Je prends une bouffée d'oxygène, chaque inspiration me brûlant les poumons, et je m'éloigne d'eux.

Je passe la porte mais avant qu'un gardien ne la referme j'ai le temps d'entendre une dernière fois la voix amusée de mon géniteur.

— T'es comme moi Ayden que tu le veuilles ou pas, la violence fait partie de toi !

Les mots flottent dans l'air, lourds de vérité, comme une malédiction qu'il m'a laissée avant de me jeter hors de son monde. Je veux les ignorer, les effacer, mais elles restent là, en moi, un poison que je n'arrive pas à cracher. Et la vérité, aussi cruelle soit-elle, se faufile dans chaque cellule de mon être.

La violence fait partie de moi, je le sais, mais c'est une part que je suis déterminé à dominer. Pas comme lui. Pas de la même manière. Pas à ce prix-là.

Pourtant, je me demande combien de temps je tiendrai avant de m'effondrer sous ce fardeau.

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