1. Golden Book.
"Le moment le plus effrayant est toujours juste avant de commencer."
Stephen King.
Amanda
Ils me disent que le paradis est éternel, mais il a suffi d'un instant pour que le mien s'écroule.
Assise dans un café parisien nommé Le P'tit Gourmand, je regarde le monde affluer malgré ce temps maussade. Le serveur zigzague entre les tables, plateau en main. Dans la rue, les passants se pressent sous les gros nuages de septembre. J'entends les discussions des clients et la musique diffusée à la radio. L'odeur des sandwichs, du café moulu et du beurre chaud renforce l'atmosphère chaleureuse du lieu.
Autour de moi, la vie semble si simple, si fluide. Et moi, je suis là, figée devant mon écran.
Mes mains, crispées autour de ma tasse de café corsé, ressentent la chaleur du liquide contre mes paumes, sans qu'elle parvienne à détendre mes doigts. Je bois une gorgée avant de relire, pour la énième fois, le début de mon chapitre sur mon ordinateur. Je souffle et pose ma tasse, espérant aligner une phrase sans l'effacer aussitôt.
Ça me stresse.
Je recule dans le fond de ma chaise et retourne à ma contemplation de la vie d'autrui, maudissant mon syndrome de la page blanche. Cela fait plus de dix ans que j'écris des romans qui parlent d'amour (ironique, sachant que ma vie amoureuse est aussi aride qu'un désert), et même si j'ai déjà connu cette insatisfaction que ressent chaque auteur face à une panne d'écriture, cela n'a jamais duré aussi longtemps.
Un an sans écrire le moindre livre, et Marc, mon manager et mentor, commence à s'impatienter, même s'il n'osera jamais me le dire en face. Mon dernier roman édité a été un succès dans toute la France, de quoi m'encourager à écrire davantage. Peut-être que je crains de ne pas être à la hauteur. Peut-être que je n'ai plus rien à dire.
Mais ce poids de réussir encore m'a paralysée. Mon esprit, d'habitude débordant d'idées, est devenu un désert stérile. Rien, pas une miette de scénario.
Je ferme mon ordinateur. Je sais que, encore une fois, je n'écrirai rien aujourd'hui. Je soupire, passant une main sur mon visage pour me détendre. Mon regard tombe sur ma tarte à la poire individuelle, dont je n'ai croqué que le contour. Elle m'écoeure plus qu'autre chose.
Je déteste les fruits depuis toute petite, sauf que les poires sont pour moi ce que le soleil est à un ciel gris : une douceur aussi rare que brutale. Chaque fois que mon esprit s'égare aussi loin, je sens cette cicatrice se rouvrir, laissant une partie de mon cœur saignant, sans moyen de guérir complètement.
Les poires, c'était son truc.
Il me répétait toujours que c'étaient les meilleurs fruits du monde, tandis que moi, je n'y voyais qu'un banal fruit confit, bon à finir dans une compote artisanale. Et pourtant, je finissais toujours par en manger. Peut-être pour lui faire plaisir. Peut-être parce qu'il me plaisait, lui.
Encore aujourd'hui, je me demande pourquoi je continue. Parce que cette tarte me rappelle ? Ou parce qu'elle me dégoûte ?
Je repousse l'assiette avec une grimace. Je tourne la tête quand je vois Marc entrer dans le café et commander son habituelle boisson : un cappuccino frappé au caramel. Toujours la même chose, comme pour prouver que certains hommes restent constants. Je lui souris et me lève quand il vient me prendre dans ses bras pour me saluer.
Son parfum chocolaté m'envahit, et je me sens soudain comme une guimauve. J'en profite pour savourer son accolade avant de me rasseoir, rangeant mon ordinateur. Il boit une gorgée, me regarde, puis se gratte la barbe poivre-et-sel. Son dos est courbé, témoin du poids des années et de la vie, et cette posture le rend calme, prévisible. Mais il y a cette manière de prendre les choses en main qui me rassure à chaque fois.
Marc a toujours su percer mes défenses et me porter à bout de bras quand je n'arrivais plus à avancer. Il est plus qu'un manager pour moi ; c'est une figure paternelle qui me ramène sur le droit chemin quand je m'égare.
Il n'a même pas besoin de me demander comment je vais. Il sait. Comme toujours. J'ai du mal à écrire, et il le ressent dans les courts paragraphes que je lui envoie pour avoir son avis professionnel. Il dit tout le temps que, quand j'écris, il voit cette petite étincelle briller dans mes yeux et que cela se ressent à chaque page de mes romans.
Il se racle la gorge, prêt à engager la conversation. J'incline légèrement la tête, curieuse de savoir ce qui l'a poussé à venir me voir en personne malgré son emploi du temps surchargé.
— Amanda, commence-t-il en remontant ses lunettes sur son nez, son accent anglais reprenant le dessus. Je sais qu'en ce moment, tu es dans cette phase de syndrome de la page blanche, et, avant que tu ne dises quoi que ce soit, je ne suis pas là pour te presser. Je veux juste te rappeler qu'une communauté entière compte sur toi et te soutient pour te sortir de cette impasse.
Je fronce les sourcils, remarquant que son sourire s'élargit face à ma réaction.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? je demande, prudente, sachant que Marc est prêt à tout pour me faire sortir de ma bulle vide d'inspiration.
— Une bibliothèque m'a contacté pour organiser une dédicace pour ton roman de l'année dernière, La pluie vient de tomber. Bien sûr, en tant que ton manager, j'ai accepté, annonce-t-il avant de boire une gorgée.
Je croise les bras sur ma poitrine en le fixant, résolue. Il est hors de question que je revienne sur le marché de la littérature après autant de temps d'absence pour une simple séance de dédicaces. Mes lecteurs penseraient que mon silence n'était qu'une stratégie commerciale, une façade pour masquer mon incapacité à écrire.
Je m'apprête à répliquer, mais Marc m'interrompt en levant une main devant moi.
— C'est Golden Book.
Mes yeux s'écarquillent. Je me redresse, complètement déconcertée par ses mots.
— Quoi ?... Golden Book me veut pour une séance de dédicaces ?
Marc ricane légèrement, laissant apparaître ses fossettes, et hoche la tête.
— Oui. J'ai passé un coup de fil à la directrice adjointe, qui n'était pas très enthousiaste. Mais elle en a parlé au directeur, et il a accepté. J'ai pensé que ça serait une bonne façon de te faire revenir, doucement, dans le monde des livres. Après tout, ce n'est pas ta première dédicace.
Je reste sans voix, abasourdie. Golden Book. Le nom tourne dans ma tête comme une mélodie. Ce n'est pas une bibliothèque comme les autres, c'est la bibliothèque la plus prestigieuse de France. Là où les plus grands écrivains ont leur place. Chaque année, des milliers de visiteurs s'y rendent, ne serait-ce que pour admirer les rares éditions de Victor Hugo ou les manuscrits originaux de Zola.
Golden Book, c'est un sanctuaire. Ses étagères regorgent de trésors littéraires : Dickens, King, London et tant d'autres. Y voir son propre roman, c'est atteindre un sommet que peu d'auteurs osent espérer.
Tous les trois ans, Golden Book organise "L'Ascension Littéraire", un événement emblématique où cinq œuvres triées sur le volet par le directeur sont propulsées sur la scène internationale. C'est bien plus qu'une simple opportunité : c'est un véritable tremplin qui peut transformer la carrière d'un écrivain et l'inscrire parmi les grands noms de la littérature contemporaine.
C'est mon rêve depuis toujours.
Certes, je suis une romancière reconnue en France, mais mon ambition dépasse nos frontières. Je veux que mes mots voyagent, qu'ils touchent des âmes partout dans le monde. Pas pour l'argent, ni pour la gloire, mais pour offrir à chaque lecteur une évasion, un univers où tout devient possible, un refuge où seule l'imagination fixe les limites.
J'ai participé à cet événement à plusieurs reprises depuis mes débuts, mais jamais je n'ai été sélectionnée pour rejoindre l'élite de la littérature française. Pourtant, cette fois, l'espoir revient avec plus de force que jamais. Peut-être que cette année, ce sera enfin la mienne.
— Amanda ? m'interpelle Marc en claquant des doigts devant mon visage.
Je secoue la tête, sortant de ma rêverie, et esquisse un sourire. Mes pensées s'embrouillent de questions. Bougeant nerveusement ma jambe sous la table, je le fixe avec insistance.
— Comment as-tu obtenu l'accord du directeur alors que la liste des participants n'est même pas encore établie ?
Marc plisse les yeux, sa tache de naissance sur la joue gauche se plissant légèrement avec son sourire. Il prend une gorgée de sa boisson avant de répondre, d'un ton calme et rassurant :
— Ce n'est pas moi, Amanda. Certes, j'ai contacté la directrice adjointe, mais elle m'a raccroché au nez. Le nouveau directeur de Golden Book a demandé à te rencontrer. Je lui ai parlé de ton silence littéraire, et il a proposé de commencer par une dédicace.
Mon cœur s'emballe. Les mots "nouveau directeur" résonnent avec une étrange intensité. Je laisse mes pensées vagabonder entre euphorie et appréhension. Une opportunité comme celle-ci pourrait être le plus grand tournant de ma vie, mais l'inconnu me fait peur.
Une phrase en particulier me fait tiquer.
— Attends... Ce n'est plus Jay Smith qui dirige Golden Book ?
Marc croise les bras sur la table, une lueur bienveillante dans le regard. Il semble aussi enthousiaste que moi face à ce bond en avant dans ma carrière.
— Non, Jay a pris sa retraite. Le nouveau directeur est en poste depuis un mois, mais personne ne sait vraiment à quoi il ressemble. Même son nom reste un mystère. C'est la directrice adjointe qui gère les relations publiques...
— Margot Delaney, je grogne, immédiatement sur la défensive. Cette femme est aussi chaleureuse qu'un congélateur.
Marc lève un doigt en guise d'avertissement.
— Ta séance de dédicaces est demain. Margot est ton passe-droit pour obtenir l'approbation du directeur. Alors, pas de faux pas.
— Ne t'inquiète pas, je sais me tenir, je plaisante avec un sourire en coin.
— Ça ne me rassure pas du tout, rigole-t-il en époussetant sa chemise à carreaux.
Je lève les yeux au ciel, amusée. Mon regard s'adoucit en le contemplant. Marc est bien plus qu'un simple manager. Pour moi, il est un pilier, un guide, presque un second père. Et aujourd'hui, il a ouvert une porte que je n'aurais jamais osé pousser seule.
Je passe le pas de la porte, enlevant mes talons et les rangeant soigneusement avant de prendre une grande bouffée d'air parfumée au jasmin. Le parquet ciré craque sous mes pas tandis que je dépose mon manteau et mon sac sur le porte-manteau. C'est un petit rituel qui me permet de me détendre après une journée bien remplie.
Soudain, je trébuche sur quelque chose. Je me rattrape de justesse au meuble de la télévision, râlant contre Azalea qui a encore laissé traîner ses chaussures en plein milieu du passage. Maniaque sur les bords, je me sens toujours obligée de faire le ménage derrière elle. J'ai beau lui dire de faire un effort, celui-ci ne dure jamais plus d'une semaine avant qu'elle ne retombe dans ses mauvaises habitudes.
Azalea ne semble même pas savoir ce que le mot "ranger" veut dire.
Je souffle et éteins la télévision d'un geste agacé, avant de déposer les chaussures à l'entrée. Puis, je me dirige vers la cuisine, un léger sourire se dessinant sur mes lèvres en apercevant Azalea. Elle est là, assise au comptoir, le nez plongé dans son portfolio. Ses sourcils se froncent alors qu'elle gomme son dessin en jurant à haute voix. Elle rejette une mèche de ses cheveux châtains derrière son épaule et reprend son crayon, décidée à recommencer.
Je m'appuie contre l'embrasure de la porte, observant cette lueur de détermination qui brille dans ses yeux noisettes. C'est une lueur qui ne cesse de grandir, de semaine en semaine, et je sais qu'elle ne va jamais s'arrêter de tenter, malgré toutes ses frustrations.
— Ce n'est pas en insultant ton crayon qu'il va se mettre à dessiner parfaitement, je lance en entrant dans la cuisine.
Je l'embrasse tendrement sur le haut du front avant de jeter un coup d'œil à son dessin, curieuse de voir ce qu'elle a réussi à créer cette fois.
Elle a esquissé une silhouette élancée, un mannequin tracé au crayon, portant une robe d'une élégance folle. Les courbes de la robe semblent presque prendre vie, avec des plis délicats qui soulignent une taille fine et une jupe qui semble prête à se déployer en un tourbillon de tissu. Le jeu d'ombres et de lumières, finement travaillé, donne à l'ensemble une impression de mouvement, comme si la robe allait se matérialiser sous nos yeux.
C'est la mode à l'état pur, chaque détail semble pensé pour séduire les regards.
— C'est très joli, Aza', je la complimente en commençant à sortir les restes de ce midi du frigo.
— Arrête, maman, soupire-t-elle en se reculant dans sa chaise, délaissant son crayon. Cette robe est aussi laide qu'un sac à patates.
Je ricane légèrement en réchauffant les plats et m'appuie contre le plan de travail en observant sa mine boudeuse. Bien qu'Azalea aime la mode, au point d'en faire son métier plus tard, elle ne fait aucun effort pour s'habiller élégamment.
Son jean est effiloché à plusieurs endroits, presque inutilisable, et son sweat à capuche blanc est devenu gris avec le temps. À chaque fois qu'elle revient du collège, j'ai l'impression qu'elle a séché les cours pour participer à des combats de rue.
— Je suis sûre que tu vas y arriver, ma chérie, je la rassure en me rapprochant d'elle.
Je prends son dessin et l'observe attentivement. Des traits de crayon mal effacés, des angles de la robe coupés brutalement, alors qu'ils devraient être plus fluides...
Je m'installe à ses côtés, prenant son crayon avec une douceur qu'elle connaît bien. Le bruit du papier sous mes doigts résonne, chaque geste étant un signe de ma présence silencieuse, comme une manière de lui dire que je suis là, qu'elle n'est jamais seule dans ses luttes.
Elle me regarde, curieuse, mais je sens sa réserve. Je l'ignore, concentrée, et commence à affiner son dessin du mieux que je peux, effaçant les erreurs pour les corriger, apportant une touche personnelle.
Je laisse mon regard se perdre dans les courbes de la robe, chaque trait de crayon est une promesse de rêve. La passion d'Azalea pour la mode, sa capacité à donner vie à ses idées, me touche à chaque fois, même si je sais que ce n'est pas toujours facile pour elle.
Je me mordille la lèvre, appliquée, comme si chaque trait était une forme de connexion avec elle. Je n'ai pas besoin de lui parler pour qu'elle comprenne que j'y mets tout mon cœur.
Azalea se rapproche lentement, ses yeux s'agrandissant en observant mes gestes. Elle n'ose pas interrompre, mais je peux sentir son souffle près de moi, son attention totale sur ce que je fais. Une complicité silencieuse s'installe entre nous, comme un langage secret que seules les mères et les filles peuvent comprendre.
Je repose mon crayon et recule pour regarder de nouveau le dessin en jetant un coup d'œil à Azalea que je vois sourire.
— Elle te plait ? je demande en voyant des étoiles briller dans ses yeux.
— Carrément ! s'écrit-elle en prenant son dessin avant de m'embrasser brusquement sur la joue. Je vais le mettre sur Insta ! Merci maman, t'es la meilleure.
Je la vois monter les escaliers rapidement après avoir pris son portfolio.
J'aime la voir sourire, il éclaire ma journée comme rien d'autre. Elle est mon rayon de soleil dans cette vie qui, parfois, n'était que tempête et orage. Celle pour qui je me suis battue alors que j'étais au plus bas.
Sans elle, je ne sais pas où je serais. Peut-être perdue, dans un endroit sombre, loin de tout ce que j'ai construit avec elle.
Ma fille est la personne la plus précieuse à mes yeux. Je lui donnerai ma vie si elle me le demandait. J'ai toujours été protectrice, peut-être trop, depuis qu'elle était petite. À ses cinq ans, je pensais que chaque pas de travers la mettait en danger. Mais aujourd'hui, j'ai compris que la laisser grandir, respirer, découvrir par elle-même, c'était aussi une manière de l'aimer.
Alors qu'Azalea s'éloigne avec son dessin, une chaleur douce envahit mon cœur. Je me laisse un instant emporter par cette paix silencieuse qui règne dans la maison, un reflet de l'amour incommensurable que j'éprouve pour elle. Chaque geste, chaque sourire, chaque moment partagé avec ma fille est une promesse d'un avenir meilleur, un futur que je n'ai jamais cessé de rêver pour elle, malgré les ombres du passé. Dans ses yeux brillent des rêves que je ferai tout pour voir se réaliser. Et même si la vie n'est pas toujours facile, je sais qu'ensemble, nous avons la force de traverser n'importe quelle épreuve.
***
Hey my angels !
Comment allez-vous ?
C'est parti pour la dernière réécriture et pour celle-là, on découvre toute l'histoire du point de vue d'Amanda et d'Ayden !
J'espère que mon livre vous plaira pour ceux et celle qui le découvrent et que ils sera à la hauteur de vos attentes pour ceux et celles qui l'ont déjà lu !
Sur ce, prenez soin de vous et à la semaine prochaine !
N'oubliez pas que vous êtes des pépites !
Kiss.
Naëlle.
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