Chittaphon avait essayé d'avoir un peu plus d'informations auprès de l'aîné de la fratrie mais TaeIl n'avait pas daigné répondre à sa question, il lui avait simplement répondu de se dépêcher. Yuta avait adopté un rythme rapide pour suivre celui de son ami, lui aussi inquiet et son mauvais pressentiment ne voulant pas le quitter. Peu importe ce que comptait leur annoncer TaeIl ce n'était pas de bon augure. Il mit moins de temps à faire le chemin que la veille et, lorsqu'ils arrivèrent, la porte d'entrée de la maison était ouverte. Le Japonais laissa Chittaphon entrer le premier et lui emboita le pas. 

TaeIl et sa femme étaient dans le petit espace précédant les salles de vie, cette dernière récupérant leur fils en pleurs dans ses bras. Chittaphon alla vers son neveu, attirant l'attention de son frère. 

- Vous avez fait vite, commenta l'aîné. Le troisième mousquetaire n'est pas là ? 

- Non, il ne répond pas à nos messages et c'est toi qui nous as dit de faire au plus vite, lui rappela l'argenté. 

- Ce n'est pas grave, j'ai mes deux principaux coupables sous la main, c'est le principal. 

Il embrassa son fils sur le front ainsi que son épouse, et Yuta se décala pour laisser sortir ces deux derniers en souriant doucement à YeonJun. Il le trouvait mignon ce gamin, même s'il n'en voulait personnellement toujours pas. Dès qu'ils furent partis l'ambiance de la maison changea et le visage de TaeIl se durcit. 

- Rangez-moi ce bordel le temps que je redescende, je vais voir comment va Shotaro. 

- Il a un problème ? 

- Regarde juste autour de toi, tout te semble bien aller ?

Chittaphon ferma sa bouche suite à la remarque de son frère et Yuta imita son ami, observant ce qui se trouvait autour de lui. Le canapé avait été poussé, les coussins étaient au sol et des débris de verres étaient pris dans le tapis. Le rouge repéra de longues trainées humides, signe qu'ils étaient encore pleins au moment de la chute, et quelques gouttelettes rouges restaient accrochées aux bords tranchants. Les cadres photos sur les meubles se trouvaient à présent au sol, les vitres explosées et Chittaphon en redressa un tristement. Il les représentait tous les trois, avec DoYoung, lors de la remise de leur diplôme quelques années plus tôt. 

- Il a été piétiné, commenta l'argenté peiné. Y a encore l'empreinte de la chaussure dessus... 

Yuta hocha faiblement la tête, ne sachant quoi dire à son ami. C'était comme si une tornade avait dévasté le salon, ne laissant que des ruines derrière elle. Il alla chercher une pelle et une balayette pour ramasser le plus gros des dégâts pendant que Chittaphon remettait les meubles en place, puis le bruit de pas venant de l'escalier lui fit relever la tête. TaeIl redescendait, la colère marquant toujours son visage d'ordinaire si doux. 

- Allez poser vos fesses sur le canapé. 

L'ordre simple fit frémir Yuta. Cette voix glaciale il n'en avait fait les frais qu'une seule fois et n'avait jamais pensé l'entendre à nouveau un jour, elle l'avait traumatisé à vie. Il échangea un regard avec son ami qui n'en menait pas plus large, puis il alla jeter les débris dans la poubelle avant de s'exécuter. TaeIl alla chercher quelque chose dans la cuisine puis se posta face à eux. 

- Je peux savoir ce que c'est que ça ? 

Yuta devint livide, le sang refluant en un instant de son visage et ses mains se mirent à trembler. Dans son esprit tout était blanc. 

- Ben mon carnet de dessins, répondit simplement Chittaphon en ne voyant pas où était le problème. 

Il regretta aussitôt sa réponse, le regard de son frère le transperçant de part en part. 

- C'est pas ce que tu crois, essaya de l'apaiser le rouge avant de se raviser. 

- Pas ce que je crois ? Vous avez vingt-cinq ans, je passe vos conneries habituellement parce que je me dis que vous êtes encore jeunes et que vous avez besoin de faire vos propres expériences, mais est-ce ça vous arrive de réfléchir ? 

Yuta garda la tête baissée, les mains entre ses cuisses. Il avait l'impression d'être de retour en primaire et de se faire disputer par ses parents pour une bêtise quelconque. En temps normal il ne se serait pas laissé faire ainsi, mais la vision du carnet avait suffi à l'arrêter : il avait été trop loin et il méritait les remontrances de TaeIl. N'obtenant pas de réponse à sa question, ce dernier reprit la parole. 

- DoYoung est certainement trop à l'ouest pour avoir compris tous les enjeux de votre petit défi stupide, mais vous deux ? 

- Hé ! D'abord pourquoi tu as fouillé dans mes affaires ? C'est une propriété privée, se redressa Chittaphon en comprenant de quoi il s'agissait. T'es mal placé pour nous faire des remarques alors que t'es allé dans ma chambre !

Yuta perdit encore davantage de couleur et fit signe à l'argenté de baisser d'un ton. Ils étaient déjà dans de sales draps et son cadet venait d'en rajouter une couche. 

- Tu m'excuseras, mais YeonJun a encore un peu de mal avec le concept d'espace personnel. Il a trois ans, je pense que tu peux lui pardonner d'avoir voulu nous montrer les "jolis dessins de tonton Chi", répliqua froidement TaeIl. 

Le rouge observa son ami perdre de sa superbe et se tasser dans le canapé, son assurance envolée. Il avait essayé de détourner la conversation mais TaeIl le connaissait trop bien pour le laisser agir à sa guise. 

- "Nous", répéta doucement le Japonais en ayant peur de comprendre ce qui était sous-entendu. 

- Oui, nous, confirma le plus vieux. SiCheng a pu découvrir en avant première que vous comptiez vous servir de lui comme d'un vulgaire défi. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil, Shotaro est encore terrorisé et refuse de sortir de sa chambre pour le moment. J'ai réussi à calmer YeonJun, mais il m'a fallu du temps et je ne sais pas si SiCheng va pouvoir de  nouveau l'approcher sans qu'il hurle de peur. 

TaeIl soupira. 

- Qu'est-ce que je vais faire de vous sérieusement ? 

Aucun des deux ne sut quoi répondre à cette question, et un nouveau soupir échappa au plus vieux. 

- Chittaphon. 

L'appelé frémit à la mention de son nom complet. 

- Va rassurer Shotaro, débrouille-toi mais essaye d'arranger les choses avec lui. Yuta tu viens avec moi, va falloir qu'on ait une longue discussion tous les deux. J'aurai la même avec mon idiot de frère plus tard. 

- TaeIl, l'appela doucement le rouge, il est où SiCheng ? 

- Je n'en sais rien. Quand il a cessé de tout casser il est parti, je devais gérer les plus jeunes alors je n'ai pas vraiment eu l'occasion de le suivre, expliqua le noiraud en pinçant la bouche. 

Yuta rebaissa le regard sur le tapis souillé, la jambe tressautant nerveusement. L'aîné de la fratrie lui demanda de le suivre, et pendant qu'il s'exécutait il vit que Chittaphon se levait aussi. Il échangea un rapide regard coupable avec son ami, puis sortit pour monter dans la voiture de TaeIl. Le conducteur ne dit pas un mot sur la route, augmentant la sensation de malaise et de culpabilité qui faisait frissonner Yuta. Ils s'arrêtèrent à une vingtaine de minutes de la maison familiale, près d'un petit parc désert en ce froid jour d'hiver. Le noiraud descendit et le plus jeune l'imita en silence. 

Ils marchèrent jusqu'à trouver un banc, et en retirèrent l'épaisse couche de neige qui le tapissait afin de pouvoir y poser leurs fesses. Le silence s'étira douloureusement, et Yuta finit par le briser, sa gorge nouée laissant difficilement passer les mots qu'il souhaitait prononcer. 

- Je voulais pas le blesser... 

- Alors pourquoi avoir fait ça ? Vous saviez très bien les risques non ? 

- TaeIl... 

Yuta renifla, et le visage de son aîné se détendit alors qu'il cherchait dans ses poches un mouchoir à lui tendre. 

- C'est stupide mais je me suis dit que ce défi me donnerait le courage d'aborder SiCheng murmura le rouge. J'avais pas l'intention de me servir de lui, ce défi il devait nous pousser à trouver une relation sérieuse et à arrêter les coups d'un soir avec Chi. J'avais tellement peur qu'il me rejette que je me suis dit que si c'était pour un défi alors j'aurais assez de courage pour passer au-dessus de ça... 

- Est-ce que tu sais ce qui s'est passé la dernière fois que tu lui as brisé le cœur ? 

Le plus jeune cessa de respirer, incertain quant à ce qu'il venait d'entendre. Il releva son regard brouillé sur son aîné et constata que le visage ne celui-ci ne portait plus de trace de colère, il exprimait plutôt la compassion et la sérénité. 

- Tu es au courant ? demanda timidement Yuta. 

TaeIl hocha la tête puis laissa son regard se perdre sur l'horizon. 

- Il ne m'en a pas parlé, c'est SiCheng après tout. Il a tendance à garder les choses pour lui, surtout quand elles le font souffrir et ça ne s'est pas arrangé après cet incident. Je ne sais pas exactement en quoi ça consistait mais...

- Mais tu sais que c'était à cause de moi, termina le Japonais à sa place. 

- Oui. Tu es le seul qui avais les moyens de le blesser autant, le seul auquel il avait à ce point accordé sa confiance. J'en étais assez jaloux plus jeune. 

Yuta cessa de regarder le sol pour dévisager son aîné avec étonnement. Il avait du mal à croire que TaeIl ait pu à un moment donné être jaloux de lui. Il avait des parents aimants, une famille soudée, il avait toujours été premier de sa classe, et à présent il était père d'un petit garçon et possédait son propre cabinet de notaire. De quoi en rendre jaloux plus d'un, le fait qu'il ait été envieux de lui n'avait aucun sens. TaeIl parut remarquer son incompréhension car un sourire doux étira ses lèvres alors qu'il entreprenait de s'expliquer plus en détails. 

- Je suis le seul enfant biologique de nos parents, et ils m'avaient expliqué quand j'étais plus petit qu'ils ne pourraient pas me donner un petit frère ou une petite sœur, pas qu'ils ne voulaient pas mais qu'ils ne pouvaient pas, et j'étais vraiment triste, je me sentais seul dans cette grande maison sans personne avec qui je pouvais jouer.  

Le rouge l'écouta silencieusement, curieux d'en apprendre davantage sur cette famille qu'il côtoyait depuis des années comme si c'était la sienne. 

- J'avais neuf ans quand la demande d'adoption de mes parents a abouti. J'avais déjà abandonné l'idée d'avoir un cadet, mais SiCheng est arrivé. Il ne parlait pas un mot de coréen et ça a été assez difficile de se comprendre au début, il ne parlait pas, était renfermé et il refusait qu'on l'approche. J'avais l'impression que ce petit frère que j'avais tant voulu me détestait. On n'a que deux ans d'écart ce qui aurait dû nous rapprocher mais ce n'était pas le cas, alors quand la seconde demande d'adoption a été acceptée et que Chittaphon est arrivé, un peu plus d'un an après SiCheng, je me suis dit qu'ils allaient encore moins s'entendre vu que l'écart était plus important. 

- Ce n'était pas le cas ? 

- Plus ou moins disons que SiCheng n'était pas très intéressé par un bébé qui bavait et courait tout le temps partout, sourit TaeIl. J'avais été un peu rassuré, ce n'était pas moi le problème, puis tu es arrivé, ta mère t'avait confié à la nôtre pour un week-end, et tu t'es greffé à SiCheng. 

- Je n'étais pas avec Chi ? 

- Oh je crois que même toi il avait réussi à t'épuiser, rit le noiraud perdu dans ses souvenirs d'enfance. Tu étais parti te cacher derrière les jambes de SiCheng et il t'a autorisé à y rester. T'avais même le droit de toucher à ses peluches petit veinard. 

- Je ne m'en souviens pas, avoua Yuta. 

Il était un peu embarrassé d'avoir oublié autant de choses, tant de souvenirs avec l'homme qu'il aimait que son cerveau avait effacé de sa mémoire. 

- C'est normal, vous n'aviez que trois ans à l'époque. Bref, tout ça pour dire que dès le départ tu as été un privilégié avec lui et j'en crevais de jalousie. Finalement on s'est un peu rapprochés, mais il nous a fallu des années et puis un jour plus rien. Il a cessé de nous parler, d'être avec nous, il était devenu un fantôme. Tu n'es pas venu pendant une longue période et je me suis douté que ça avait un lien entre vous deux mais il n'a jamais voulu en parler malgré tout. Tous les efforts qu'il avait fait depuis son arrivée en Corée avait été réduit à néant. 

Yuta se mordit la lèvre, le ton de la discussion venait brusquement de changer et il sentait le reproche dans la voix de TaeIl. 

- A ce moment-là tout est allé de travers. Il ne mangeait plus, refusait d'aller en cours, il faisait le mur. Il est rentré plusieurs fois blessé sans jamais donner d'explications, parfois au milieu de la nuit. Mes parents ont fait appel à un psychologue sans succès, on n'a jamais su ce qui s'était passé. 

- Pourquoi tu me dis tout ça ? murmura Yuta. 

- Parce que tu as vingt-cinq ans et que je veux que tu comprennes les conséquences de vos actes, les conséquences que tes choix ont sur mon frère. Mes parents ont failli perdre leurs droits à l'adoption et Shotaro, dont la garde n'était pas encore officiellement actée, a failli être envoyé dans une autre famille. Les assistantes sociales ont cru que le climat familial était mauvais ou que mes parents avaient fait quelque chose à SiCheng. Il a fallu plusieurs mois d'enquêtes pour qu'elles estiment finalement que non et que mes frères puissent rester avec nous. 

Les lèvres du jeune homme tremblotèrent. La famille de son meilleur ami aurait pu être détruite par sa faute et il ne l'avait jamais su. Il savait qu'il avait blessé SiCheng avec son inconscience adolescente, mais il n'avait jamais cru que c'était allé aussi loin. Il comprenait à présent mieux la haine farouche que lui vouait l'autre, SiCheng tenait à sa famille, et il avait failli l'en priver. Yuta eut envie de vomir son dégoût de sa propre personne. Il était ignoble. 

Nda : 

Décidemment cette fiction commence et continue dans un climat vachement joyeux mdr je sais pas trop pourquoi l'ambiance est aussi triste, je voulais certes un truc un peu sombre mais je pensais pas partir aussi loin ^^" J'espère quand même que ça vous plait et n'hésitez pas à laisser des retours, ça fait toujours plaisir de savoir ce que vous avez pensé d'un chapitre :)

Dalion~ Kiss :3