Clayton pianote rapidement sur son smartphone, assit sur la chaise inconfortable près de la fenêtre. Comment peut-il garder son calme dans une situation pareil ? J'ai l'impression qu'il ne mesure pas la gravité des faits.

Devant la fenêtre, j'observe la vie qui continue.

Cette vie dont je ne fais pas partie... J'avais cru pouvoir y goûter mais mon passé me rattrape toujours quoi que je fasse.

J'aimerais croire qu'aucune force inconnue et démoniaque n'existe mais l'accumulation des coïncidences m'oblige à revoir mon jugement, je dois me faire à l'évidence : le diable existe.

Ne supportant plus l'enfermement et le manque de réponse, j'enfile mon manteau et décide de sortir.

- Où vas-tu ?

- Prendre l'air, je reviens d'ici quelques heures.

- Et Caleb ?

- Il ne s'enfuira pas, dis-je en claquant la porte.

Je peux paraître énigmatique mais il n'a pas besoin de savoir ce que je suis prête à faire pour comprendre ce qu'il m'arrive, ce que je suis prête à faire pour sauver Caleb...

J'appelle Aponie.

- Salut Nahèle, comment vas-tu ?

- Bien. Dis-je laconique.

- Je vais bien aussi, merci de me l'avoir demandé.

- Désolé Aponie... J'ai besoin du numéro de ta cartomancienne...

Il y a un blanc à l'autre bout du combiné.

- Tu es toujours là ? lui demandais-je.

- Oui, oui, s'empresse-t-elle de répondre, je pensais que tu n'utiliserais jamais ça...

- Je sais mais je n'ai pas le choix...

- Tu sais que je suis contre tout ça Nahèle...

- Je sais, répondis-je en soupirant. Mais il faut vraiment que je sache...

- Comme tu voudras, je te l'envoie par texto.

- Merci...

- Dernière chose, ne croît pas tout ce qu'on te dira...

- Promis ! A plus !

Je raccroche rapidement.

Quelques secondes plus tard, je reçois un texto. J'appelle sans hésiter le numéro, une dame à la voix rauque me répond.

- Je suis une amie d'Aponie... J'aimerais que vous tiriez les cartes...maintenant...si possible...

- Tiens tiens, une amie d'Aponie... Intéressant... C'est d'accord, rejoignez-moi à Sylvan Terrace maison n°6, entrez directement.

Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle raccroche déjà.

J'inspire profondément ensuite j'hèle un taxi. Je fonce sans réfléchir sinon ma détermination va s'estomper comme mon courage et une partie de moi n'est pas prête à lâcher Caleb.

J'indique l'adresse au taxi.

Après un lapse de temps pour moi interminable, j'arrive dans une petite rue exiguë. Les maisons se ressemblent toutes, je marche jusqu'au numéro 6. Je monte les quelques marches, frappe à la porte et entre.

A l'intérieur, l'odeur de cigarette et d'enfermement pique au nez. J'avance dans le couloir puis tourne à droite. Je me retrouve dans un salon au style ancien. Tout est en bois même les rideaux sont encore en velours couleurs moutarde. Les tons de la maison sont bruns, jaune et orange.

Sur ma gauche, une table ronde avec une nappe mauve attire mon attention. Je m'approche, une boule de Crystal trône fièrement au centre.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un ? demandais-je.

Aucune réponse.

Je m'approche un peu plus de la table. Mon regard est attiré vers cette boule transparente qui reflète mon visage. J'avance lentement ma main vers l'objet, au moment de la toucher, la dame apparaît avec des cartes en mains.

- Bonjour, dis-je confuse en m'écartant de la table.

- Bonjour mon enfant, installe-toi.

- Merci, dis-je rouge pivoine.

La dame doit sûrement avoir un certain âge vu sa longue chevelure blanche et les rides sur son visage. De plus, la dame doit sûrement souffrir d'arthrose vu l'état de se doigts qui partent de travers.

Je m'attarde à présent sur ses vêtements. Avec sa longue robe orange et jaune, ses boucles d'oreilles immenses et son bandeau orangé elle ressemble à une bohémienne.

Son côté décalé ne me déplaît pas, bien au contraire, je respecte et admire son choix vestimentaire.

Ses longs doigts de travers mélangent les cartes. Son regard plonge dans le mien.

- Pourquoi es-tu venue me voir ?

- J'ai besoin de réponse. J'ai besoin de savoir si mon Ami est en danger...

- Je ne peux pas répondre à cette question...

- Je vous en prie...

- Je vais essayer mais je ne garantis pas le résultat...

Elle coupe de la main gauche puis les étales devant moi, face cachée.

- C'est le tirage des bohémiens... Nous le pratiquons de générations en générations...C'est l'un de mes plus fiables mais il peut parfois s'avéré différent dans certains cas...

- D'accord, dis-je perdue.

- Les quatre premières cartes représentent le passé, les quatre suivantes le présent et les quatre suivantes le futur. La lecture se fait par l'association de 2 par 2. Compris ?

- Oui, j'ai compris.

Elle retourne les quatre premières. Celle de mon passé. Il y a d'abord le trois de carreau droit, ensuite le valet de pique droit, le cinq de carreau renversé et pour finir le sept de carreau droit.

- Intéressant, dit-elle en se frottant le menton. Je vois que dans ton passé il y avait une union favorable, tu devais être fiancé avec quelqu'un n'est-ce pas ?

- Oui... Dis-je surprise.

- Cependant, le valet de pique indique qu'un danger planait sur vous...Le cinq de carreau indique une séparation brutale, vous avez dû perdre votre fiancé dans un accident ou un évènement qui aurait mal tourné.

- C'est exact.

- Je vois qu'avec la dernière carte, vous avez beaucoup de colère en vous... Ce qui est très nocif pour le présent...

Elle retourne les cartes du Présent : Six de cœur renversé, deux de cœur renversé, trois de cœur renversé et valet de cœur renversé.

- C'est bien sombre tout ça, dit-elle en fronçant les sourcils. Les deux premières cartes indiquent qu'il y beaucoup de souvenirs mélancoliques et qu'à cause de ça il y a un manque de communication entre vous et ceux que vous aimez.

- C'est vrai, dis-je sans voix.

- Les deux suivantes me montrent que vous êtes indécise en amour et qu'il faut que vous soyez sur vos gardes car un jeune homme aux cheveux bruns rode dans les parages.

- Je ne comprends pas...

- Nous allons voir pour le futur...

Elle retourne les dernières cartes : Valet de carreau retourné, quatre de trèfle retourné, quatre de cœur droit, deux de pique droit. Elle fronce un peu plus les sourcils.

- Prochainement vous apprendrez une mauvaise nouvelle concernant une trahison. Vous surmonterez ce moment difficile et l'heure de la vengeance pourra sonner.

- Super mon futur !

- Vous avez un présent et futur très noirs. J'ai eu beaucoup de mal à comprendre le sens des cartes. Pourrais-je essayer quelque chose ?

- Bien sûr, répondis-je.

Elle dépose mes mains sur la boule ensuite elle met les siennes sur les miennes. D'un coup, ses yeux se mettent à révulser. La peur s'empare de moi. J'essaie de m'extirper mais elle est bien plus forte que moi. Quelques secondes plus tard, elle revient à elle, le regard hagard.

- Fuis tant qu'il est encore temps... Il te poursuit et lorsqu'il t'aura trouvé tu ne lui échapperas pas. Dit-elle d'une voix étrange.

Je retire à la hâte mes mains.

Son regard plonge dans le mien.

- Ne remue pas le passé, fuis-le tant qu'il est encore temps sinon tu en payeras le prix.

Je sors un billet de ma poche.

- Non, je ne veux rien. Pars à présent... Dit-elle en se relevant. Parfois oublier est le meilleur des remèdes.

Je range mon billet puis sort à la vitesse de l'éclair de cette maison de fou.