Chapitre 21
Lorsque mes doigts s'enfoncent, une douce mélodie en sort. Je frisonne. Immédiatement, je laisse courir mes longs membres agiles sur le clavier. Je n'ai pas perdu la main après ces années.
Je souris.
L'ivresse de ce moment est divine. Joué m'a toujours permis de me sentir libre, sereine, alors pourquoi ai-je arrêté ?
Je ferme les yeux. Je m'octroie un court moment pour repenser au passé.
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- Allez Nahèle joue encore !
- Elyas, c'est bon là !
Je venais de jouer pour la troisième fois « Force of Attraction » du film « une merveilleuse histoire du temps ». Il s'approcha avec sa caméra.
- Joue pour moi, mon Amour !
Je lui souris. J'aime le voir si enthousiaste, si heureux.
- Tu es si talentueuse ! Tu devrais aller à l'académie !
- N'exagère pas.
- Tu te sous-estime toujours, fais toi un peu confiance !
- Espèce de beau parleur ! Tu ne m'auras pas ...
- Si j'étais plus persuasif, dit-il en s'approchant de mon oreille.
Son souffle chaud m'émoustilla instantanément. Il fallait que je tienne bon, c'était son rêve....pas le mien...Il avait toujours voulu être un musicien reconnu mais ses parents avaient d'autres projets pour lui ; il devait être chirurgien, physicien ou même ingénieur. En bref, un travail où il est sûr de trouver du boulot et qui paie bien.
Pour ne pas les décevoir, il a toujours accepté quitte à enfouir sa passion, ce qui l'anime, le fait vibrer. Nous nous sommes souvent pris la tête à ce sujet car il m'imposait le choix de vie qu'il aurait voulu.
J'aime jouer mais pas au point d'en faire mon métier. C'est mon hobby, mon défouloir.
- Laisse-moi tranquille, lui dis-je en lui donnant un coup d'épaule.
- Ça va, je vais laisser Madame se concentrer ! Dit-il en levant ses mains en l'air.
Je riais.
Je jouais de plus belle. Il était là à me tourner à l'entour avec sa caméra, captant mon attention de temps en temps. J'étais si bien, si libre... Si seulement j'avais su ce qui allait se passer après, je n'aurais jamais accepté qu'il me filme ; j'aurais arrêté le piano.
C'était un jour d'été, j'étais partie le rejoindre au Loch Lomond. Dans son texto, il me disait qu'il avait une très grande nouvelle à m'annoncer. J'avais cru qu'il allait me faire une demande en mariage ou qu'il envisageait qu'on s'installe ensemble mais la déception fut bien plus terrible.
A bout de souffle, il m'embrassa fougueusement. Il me tendit une enveloppe, je l'examinai.
- Allez, ouvre ! Insista-t-il.
- On part en voyage ? Dis-je un peu perdue.
- Tu verras, ouvre maintenant !
Devant tant d'insistance, j'ouvris. Là, le choc ! Je lu les quelques phrases puis lâchai la lettre.
- Qu'est-ce qu'ils disent ? Dit-il en la ramassant puis la lisant.
Je sentis naître en moi une colère dont je n'en soupçonnais pas l'existence. Comment avait-il pu me faire ça ? Pourquoi avait-il envoyé cette vidéo?
- Mais c'est génial, tu es admisses à l'académie de musique de New-York ! Dit-il en sautillant sur place.
Lorsqu'il croisa mon regard froid et dur, son enthousiasme se dissipa.
- Ça ne va pas ?
- Comment as-tu osé ? Le grondais-je. Tu sais très bien que je n'aime pas le piano assez pour en faire mon métier !
- Je pensais te faire plaisir...
- Tu te trompes ! C'est ton rêve ça, pas le mien ! A la place de m'emmerder avec ça, tu n'as qu'à affronter tes parents et leurs dirent que tu déteste ce que tu fais, que tu veux vivre de la musique !
Son visage se ferma. Il détestait que je lui tienne tête.
- Tu sais que c'est impossible pour moi, Nahèle. C'est vrai, j'aimerais que tu réussisses là-dedans, est-ce que ça fait de moi quelqu'un de mauvais ? je ne pense pas !
- Ce n'est pas la question Elyas ! Mais ne m'oblige pas à suivre une voie qui n'est pas la mienne ! Dis-je les yeux embrumé.
Par colère, je lui jetai la feuille au visage puis tournai les talons dans la direction opposé. Il me héla mais je ne l'écoutai pas, j'étais si en colère contre lui et quelques semaines plus tard, je le perdais ...pour toujours...
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Je me stoppe net.
J'ai le souffle court, mon visage est baigné de larme. D'un geste maladroit, je referme le clapet du piano puis je remets négligemment le drap qui lui sert de manteau.
J'ai besoin d'air, je n'arrive pas à reprendre mon souffle tellement la douleur est atroce, insoutenable. A la hâte, j'ouvre la porte-fenêtre de la baie vitré et sors. Lorsque l'air frais s'insinue dans mes poumons, je me sens mieux.
Cependant, la tristesse ne se dissipe pas.
Je réalise soudain que ça fait quelques temps que je ne suis plus allé sur sa tombe. Immédiatement, je décide d'y remédier.
J'appelle un taxi. Je lui donne l'adresse du Cimetière de Green-Wood. En chemin, j'achète un bouquet de rose rouge. Je n'y vais jamais sans le fleurir. Je trouve cet endroit magnifique malgré le fait que ce soit un cimetière.
C'est toujours très bien entretenu, accueillant, verdoyant.
Je déambule dans les allées comme un zombie, je connais le chemin par cœur pour retrouver sa tombe. Après plus d'un an et demi, je peux vous dire que je sais où sont les moindres trous, sur quel côté le chemin penche et si les tombes habituelles sont fleuries.
Devant la sienne, je remarque un très beau bouquet de rose blanche. Elégant et simple à la fois. Aussi loin que je m'en souvienne, cette personne inconnue en a toujours mis régulièrement. Je ne sais pas de qui ça vient ni les parents d'Elyas d'ailleurs mais peut-être l'un des receveurs ? Je veux y croire même s'il ne faut pas trop espéré.
Il n'y a jamais de mot, juste un bouquet d'une vingtaine de rose.
Après autant de temps, j'aurais cru croisé cette mystérieuse personne mais rien, cherchait-elle à garder l'anonymat ?
Ça aurait pu être chouette de parler un peu, de partager nos souffrances, nos souvenirs. C'est peut-être mieux ainsi...Laisser le passé à sa place et ne pas le remuer...
Je nettoie sa tombe en enlevant les feuilles mortes. J'arrose les quelques bouquets qui trônent fièrement dessus. J'observe sa photo puis son nom « Elyas Rivera », sa date de naissance et sa date de mort.
Étrangement, le pincement habituel que je ressens quand je viens le voir n'est pas aussi fort, un peu comme si mon cœur s'était mis à cicatriser...
« La faute à qui », pensais-je.
Je sais que je ne dois pas m'accrocher à Caleb mais c'est comme une attraction, comme une sensation de bien-être à ses côtés.
Mon regard se pose de nouveau sur la photo.
- Elyas, je t'ai promis de découvrir la vérité et je tiendrai parole. Tu as déjà commencé ta part du marché... dis-je tristement à voix haute. Merci...
Je tourne les talons et remonte l'allée. Le taxi m'attend toujours, je n'ai pas traîné à peine vingt minutes. J'entre et il me redépose chez Caleb. J'avais gardé la clé sur moi, ne voulant pas que quelqu'un vienne la lui voler sous son paillasson.
C'est vrai qu'il n'a pas de voisin proche dans les alentours, mais tout de même, il peut être une proie facile pour les cambrioleurs. Devant chez lui, je paie le chauffeur puis sors.
Je m'avance puis déverrouille la porte. Je m'engouffre à l'intérieur. Je regarde l'heure 15h20, il est grand temps que je prépare mon souper. Je me précipite dans la cuisine, j'ouvre son frigo. J'examine le contenu mais il n'y a rien de bien appétissant. Je décide donc d'ouvrir son congélateur, rien d'alléchant non plus.
Je fouille dans ses armoires : il y a de la sauce tomate, des feuilles de pâtes, des petits poids. Adjugé, ce sera des lasagnes. Je prends dans le congélateur le haché que je fais décongeler au micro-onde. Ensuite, je prends un oignon que je coupe en lamelle. Je fais bouillir de l'eau, en attendant, je fais chauffer ma casserole pour faire ma sauce tomate.
Une fois la préparation finie, j'ajoute du gruyère à gratiner sur le dessus du plat et je l'enfourne dans le four préchauffé à 165 degrés. Je regarde l'heure : 16h. Que vais-je faire pendant une heure et quart ?
Je décide de faire une petite sieste.
C'est la voix paniqué de Caleb qui me réveille. Lorsque j'ouvre les yeux, il y a de la fumée noir partout.
- Mais qu'est-ce que tu as foutus ?! Me crie-t-il.
Je réfléchis à toute vitesse. Qu'étais-je en train de faire avant de m'assoupir... ?
Oh, non...
...Mes lasagnes ont brûlées....
Je réalise soudain que...
...Je viens de perdre mon pari...
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