Chapitre 7 (4)




Le soleil revint et les autres se réveillèrent doucement autour de moi, l'un après l'autre. Je n'avais pas vraiment dormi, mais la proximité de Nikolaï m'avait gardé calme, et j'avais réussis à me reposer un peu, somnolant par ci par là.

Très vite le calme de la nuit fit place à l'agitation du jour. Et par agitation du jour, j'entends bien sûr Violaine éveillée. Royale, qui bien qu'elle ait tendance à fortement ignorer qui que ce soit n'est pas moi, ou quelconque sujet de conversation qui ne me concerne pas, eu du mal à garder son calme olympien et son masque de maîtrise quand la tatoueuse la colla et lui posa dix mille questions sur ses agissement mystérieux. J'ai beau m'en plaindre, mais sa présence égayait tout le groupe.

Assise sur mon canapé, je me sentais étrangement ce matin. peut-être à cause de ce que j'avais avoué hier. Je crois que c'était la première fois que je le racontais à voix haute. personne, pas même la police, ni mes parents, n'avaient eu le droit à une version complète.

J'avais avouer mon secret, mon souvenir le plus enfouie, et tout continuait comme avant. Nikolaï se comportait comme d'habitude, et les autres aussi. Et moi... ? Je ne sais pas si je devais me sentir mal ou bien.

Je conclue que mon impression identifiable, était... un sentiment de légèreté, une sorte de vide, et une forme de soulagement mêlés.

Remington s'assit à côté de moi soudain, alors que les taches du jour étaient distribuées. Nikolaï allait couper du bois, Violaine se chargeait du petit dej, et Royale... Royale faisait ce que Royale faisait, c'est à dire que personne ne savait exactement quoi mais quelque chose qui impliquait qu'elle rôde bizarrement dans la station et tourne autour de Monokuma en silence.

Le serrurier me regardait depuis quelques secondes maintenant, l'air de vouloir saisir mon attention, alors je lui fis le plaisir de tourner la tête dans sa direction. J'avais tellement pris l'habitude de minimiser autant que possible chaque parole ou mouvement que parfois j'oubliais de faire ce genre de chose, comme regarder les gens qui s'approchent ou me parlent.

Il sembla rassurée par ma réaction, et me demanda doucement :

- Comment te sens-tu ce matin Lyslas ?

j'ai cligné longuement des yeux en même temps qu'un petit geste de tête signifiant "ça peut aller". je pense que mes cernes parlent d'elles-même sur mon temps de sommeil, mais il parut content de ma "réponse". Il continua :

- Ce matin on m'a demandé de te tenir compagnie.

Une autre manière de dire "surveiller que tu n'ailles pas faire joujou avec les couteaux de la cuisine, ou te jeter dans la cheminée". Peu importe, je n'avais pas l'énergie pour penser à faire ce genre d'action. Et puis je me sentais assez bien ce matin.

- Tu as pu dormir cette nuit ?

J'ai haussé une épaule. "pas vraiment, mais rien de nouveau".

J'ai vu du coin de mes yeux sa mâchoire se contracter.

- S'il te plait Lyslas, tu as besoin de tes somnifères...

Je me suis tendue d'un coup. Non.

- Non.

Même si ma réponse n'était pas celle qu'il voulait, j'avais dit quelque chose. Il resta donc silencieux, un peu tiraillé entre ces deux contradictions. Il soupira alors, se laissant aller dans le canapé, et commenta à voix haute, presque plus pour lui que pour moi.

- Je sais que même si tu ne bouges presque pas, et ne dit presque rien, à l'intérieur tes pensées fourmillent...

Moui, je pensais normalement d'après moi, mais il pouvait s'imaginer ce qu'il voulait sur moi, faire de moi une espèce de protagoniste mystérieuse, intelligente et observatrice. Si ça pouvait lui faire plaisir. De toute façon, ce n'est pas moi qui les ferait sortir d'ici. Si personne ne craquait et ne commettait de meurtre, Monokuma nous pousserait à le faire, ou bien nous mourrions juste de faim ou de froid.

- On a besoin de toi Lyslas, de celle qui a trouvé tous les coupables de tous les meurtres... Et Royale est notre dernier espoir mais elle aussi à besoin de toi.

Franchement la plupart étaient grâce à Royale seule qui m'avait utilisé comme porte-voix, et les autres s'étaient presque auto-dénoncé. Mais je ne dis rien. Remington semblait me tenir en grande estime. Je crois que ça lui faisait du bien de projeter un peu d'héroïsme sur moi, ça lui donnait quelqu'un à admirer, à surveiller.

J'ai décidé de lui donner une "récompense". Quelque chose de quoi se satifaire.

- Je vais essayer...

Ma voix était croassante et abîmée. Je sais que je parlais peu et que c'était peut-être du à ça, mais je me demandais si la fumée que j'avais respiré n'avait pas cassée ma voix indéfiniment.

Il s'illumina un peu, retrouvant de l'entrain.

- Merci. Merci beaucoup.

Je me retins de soupirer. Que d'espoir vain, que de naïveté... Je n'étais pas pour autant en colère contre lui, juste fatiguée. Pourtant je pensais qu'après cette petite démonstration il me laisserait un peu tranquille, ou qu'il passerait à autre chose. Mais il semblait toujours marcher sur des œufs comme depuis le début de la conversation.

Je n'aimais pas ce silence-ci. C'était un silence gêné, lourd de l'avant d'un aveu, et pas le genre que j'apprécierais. Je le sentais déjà.

Il inspira profondément et craqua d'un coup :

- Je suis sincèrement désolée je ne voulais pas être indiscret mais je ne dormais pas hier soir quand tu parlais à Nikolaï, et-et j'ai tout entendu.

j'ai sentis tout mes muscles se tendre. J'avais l'impression qu'il venait d'avouer m'avoir vu danser nue sous la pluie pendant un épisode de délire. Au plus vulnérable et ridicule et petit de ma personne. J'avais accepté de parler à Nikolaï, pas à Remington.

Il s'excusa encore, et le vit se recroqueviller en voyant ma réaction.

- Je n'ai pas fait exprès je t'assure, et j'ai eu trop peur pour t'interrompre, j'aurais pu ne rien te dire mais je me suis dit que c'était malhonnête et-

- Tu n'aurais rien dû me dire. 

Soudain la pièce me paraissait étouffante. Le feu brûlait trop fort et faisait trop de lumière, les frottements de ma couverture étaient insupportables, le toit au-dessus de ma tête était trop bas. Je me suis levée d'un coup et j'ai boité jusqu'à la porte.

Remington se leva derrière moi et sans me toucher essaya de me retenir.

Je l'ai poussé avec mon épaule, manquant de tomber dans l'action.

- Attend Lyslas ! Je suis vraiment désolée, je sais que j'ai merdé, je ne voulais pas !

Moi ce que je ne voulais pas, c'était l'écouter une minute de plus.

Je suis sortie, ignorant autant que possible ma cheville et je suis partie droit devant moi, mes pieds nus dans la neige, mon pyjama battant dans le vent glacial.

Il fallait que je m'en aille d'ici. Tout cet endroit me rendait malade, la vision de ces chalets, la neige, le ciel bleu aussi intense que mes fichus yeux que j'aurais voulu m'arracher de la tête pour ne plus voir tout ça, pour faire disparaître cet endroit et disparaître avec, et que tout cesse d'exister, tout, tout, ça, moi, les autres, les choses, l'existence même tout entière je voulais que tout s'arrête.

Mes jambes se sont dérobés sous mon poids, j'entendais des pas dans la neige derrière moi. Je ne voulais pas qu'on me rattrape, qu'on m'enferme encore et me force à exister encore un peu plus pour rien du tout.

Je me suis traîné un peu avec mes bras, mais le froid s'infiltrait sous mes bandages, sous ma peau, jusque dans mes os, comme du feu. Les images de l'incendie revinrent en boucle. Le monde était en flamme et je n'arrivais plus à respirer.

J'avais l'impression d'entendre un bourdonnement à mes oreilles, le bruit des drones qui me traquait et traquait ANoushka et nous surveillait sans cesse, nous observait à longueur de journée.

Remington s'était mis à genoux à côté de moi et tentait de m'appeler, de me redresser, mais je me suis débattue, j'étais de nouveau piégée et j'allais mourir pour de bon cette fois.

J'ai fermé très fort les yeux et je me suis recroquevillé en boule la neige, prête à souffrir une dernière fois, mais soudain je fus soulevée de terre. Une odeur familière m'entoura et soudain je n'étais plus ni dans l'incendie, ni dans la neige, ni observée par les drones. J'ai recommencé à respirer en entendant le souffle lent de Nikolaï. J'étais de nouveau en sécurité.

Je me suis cramponnée à son pull, et j'ai commencé à sangloter de soulagement, comme quelqu'un se réveillant d'un cauchemar :

Remington remercia Nikolaï :

- Merci, je ne savais plus quoi faire, c'est ma faute.

- Qu'est-ce qu'il lui est arrivée ?

- Je-

Il bloqua un moment - de culpabilité - et j'en ai profité pour glapir d'une voix étranglée :

- Emmène-moi loin d'ici.

Remington déglutit et avoua :

- J'ai entendu ce que je n'aurais pas dû...

Nikolaï visiblement compris à quoi il faisait référence, et il indiqua à Nikolaï :

- Prend le bois et rejoint Violaine, je m'occupe de Lyslas.

Il ne répondit rien, mais prit les buches et s'en alla. Nikolaï commença à marcher. Je ne regardais pas où il allait mais chaque crissement de pas dans la neige m'enlevait un poids et me détendait un peu plus.

Après un moment, je me suis endormie dans ses bras. Quand il me réveilla, nous étions dans une clairière, entourée d'arbres. ça devait être à plusieurs heures de marche de la station.

J'ai un peu paniqué :

- Le diner ! On doit être de retour pour-pour le diner et-

- Il est 11h, on a largement le temps.

Nikolaï était assis à côté de moi, les mains pleines de fleurs.

De fleurs ?

- ...Où ?

Un peu plus bas, là où il n'y a presque plus de neige.

- Mais-

- Il semblerait qu'on soit en été. Il neige encore là dans la station parce qu'on est vraiment très haut.

Je n'ai rien trouvé à répondre à cela.

- Le retour sera plus difficile alors il faudra partir tôt, mais on a encore quelquez heures.

J'ai respiré amplement. L'air me paraissait plus léger ici. Rien d'étonnant vu comme on devait manquer d'oxygène là-haut.

- Et qu'est-ce que tu fais avec les fleurs ?

- Une... couronne.

J'ai froncé un sourcil, levant l'autre en signe de question.

Il pointa alors une pile de vêtement et plusieurs colliers rouge à côté.

- C'est pour toi.

J'ai tendu la main vers la pile pour toucher le tissu, un peu épais et rustre.

- Pourquoi ?

- C'est une tenue traditionnelle. J'ai demandé à Monokuma et il me les a donnés.

- Mais pourquoi ?

Il prit son temps avant d'avouer.

- Je ne sais pas. J'avais envie de te la donner. C'est tout.

Un cadeau de chez lui. Il commenta :

- Tu peux la mettre par dessus ce que tu as déjà... Si tu veux...

Il semblait gêné, mais j'étais touchée par le geste. Touchée par l'attention et le mal qu'il s'était donné, par la bouffée d'air que c'était d'être enfin ailleurs, et par l'idée de porter des vêtements différents, comme quand Cassiopée me faisait essayer des trucs que je n'aurais jamais mis normalement.

J'ai laissé un petit sourire étirer mes lèvres, et je l'ai remercié, avant d'enfiler la robe un peu lourde, blanc bleuté et rouge, brodée de rouge et rose.

Il avait encore la couronne de fleurs sur ses genoux, beaucoup trop grande, me semblait-il, pour ma tête.

J'ai demandé :

- Et ça ? C'est pour moi aussi ou pour toi ?

Il rit spontanément à mon commentaire. J'imagine que c'était donc pour moi. J'ai fais mine de me vexer :

- Je ne sais pas moi, ça aurait pu être pour toi aussi !

- Non, c'est pour toi, mais il faudrait que j'attache tes cheveux... Si tu es d'accord bien sûr.

La dernière fois qu'on m'avait noué les cheveux, c'était Cassiopée. Le souvenir me lança douloureusement, mais bizarrement, j'étais toujours de bonne humeur, comme depuis que je m'étais réveillée ici.

J'ai hoché la tête en signe d'accord, et il commença à natter mes cheveux, tout en posant la couronne de fleurs sur ma tête. Comme ça n'était que des plantes, elle s'avérait bien plus légère que sa taille ne le laissait craindre.

J'ai ris un peu en sentais les pétales de fleurs me frotter les joues.

Je n'avais pas l'habitude d'être apprêtée. Encore moins depuis que Cassiopée n'était plus là (c'était plus facile de penser comme ça, "plus là". Juste pas ici. Ailleurs. Mais quelque part.)

Après avoir été presque morte, suante et pleurant dans un lit, recouverte de crèmes et de bandages, sur mes cloques ouvertes, pleines de sang et de pus, et mes fièvres, et mes cris, roulées en boule, sur le sol, être dans une robe propre et coloré et avoir la tête ornée de fleurs réchauffait mon coeur, faisait venir un sourire tout seule sur mon visage.

Nikolaï me sourit et timidement me dit :

- ça te va bien...

J'ai ris devant la pudeur du compliment, mais aussi face à ce moment improbable, suspendu, unique. Il y a quelques heures, je suffoquais dans un salon étriqué, devant un feu destructeur, dans un lieu qui me rappelait à chaque instant la mort, et voilà que j'étais dans une clairière ornée de fleurs entourée d'arbre, les cumulus montagneux au dessus de ma tête et l'air enfin respirable.

Sans que je puisse me retenir, un rire remonta du fond de moi comme des bulles venues des abysses qui éclatent à la surface. J'ai éclaté dans un éclat de rire, en regardant le ciel.

Nikolaï ne faisait rien mais je savais que mon rire l'avais rendu heureux. Avec tout le mal qu'il s'était donné, avec tous les efforts et l'altruisme qu'il m'avait montré. Un sentiment de reconnaissance au-delà des mots de traversa. Je savais que ça ne durerait pas, mais le moment présent était assez pour que, l'espace d'un instant, j'ignore le reste.

- Merci.

On a partagé du pain et du fromage qu'il avait apporté, et on a parlé de tout et rien, des phrases courtes, des dialogues triviaux et un peu absurdes, pendant les deux heures qui suivirent.

Ce fut mon dernier moment de vrai bonheur.


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